Chapter Text
Dimanche 15 Mars 1992, Sanctuaire, Grèce
Shura du Capricorne, gardien de la Dixième maison zodiacale et protecteur dévoué de la Déesse Athéna, plissa des yeux en réaction au soleil matinal. Il plongea la main droite dans sa poche pour saisir le paquet de cigarettes qui ne le quittait plus depuis qu'Excalibur ne tranchait plus personne. En ces temps de paix, il fallait bien occuper ses mains à un autre genre d'activités. Et l'instant d'après, il expirait une longue bouffée chargée de nicotine. De nicotine et d'ennui.
Encore une nouvelle journée, en tout point semblable aux précédentes. Une journée à ne rien faire, ou en tout cas à ne rien faire de très constructif. Il tira une seconde fois sur sa cigarette et entreprit la descente de l'interminable escalier. Tout seul.
A cette heure-ci, et bien que l'astre suprême fût déjà à une hauteur tout à fait respectable dans la splendeur du ciel grec, il était certain de ne rencontrer personne sur le chemin qui le mènerait aux arènes. Ces deux voisins supérieurs dans le classement cosmique soit pour l'un dormait encore, et ce pour au moins deux bonnes heures supplémentaires, soit pour l'autre avait déserté le sol sacré pour aller hiberner avec les bébés phoques. Tant pis. De toute façon, Aphrodite était beaucoup trop bavard pour un cerveau espagnol encore anchylosé de sommeil, et Camus était beaucoup trop égal à lui-même.
En dépassant l'entrée du Neuvième temple, Shura sentit le nœud familier de la culpabilité se former dans le creux de sa poitrine. C'était comme ça chaque matin depuis que le Sagittaire avait retrouvé sa place parmi eux et qu'il avait troqué sa bonne humeur d'antan contre des caisses d'anti-dépresseurs. Shura avait essayé de lui parler, plusieurs fois et en diverses circonstances, mais les mots qu'il avait eu le courage de prononcer n'avaient pas servi à grand-chose.
Pourtant, et c'était peut-être ce qui demeurait le plus troublant, Aiolos ne lui en voulait pas. Il savait qu'en le blessant à mort ce jour-là, Shura n'avait fait qu'obéir aux ordres d'un homme que le Capricorne prenait pour un autre. Un autre froidement assassiné par l'imposteur qui avait pris sa place et qui répondait alors aux injonctions d'une entité maléfique. A moins que Saga eût été schizophrène ou atteint de trouble dissociatif de l'identité. Finalement Shura n'en savait rien, et n'avait jamais vraiment eu envie de savoir. Bref. Tout ça pour dire qu'Aiolos ne lui en voulait pas. Non. Aiolos était simplement malheureux.
Alors qu'il soufflait de lassitude et de tristesse, Shura atteignit la maison de la Vierge et tenta de proposer à Shaka d'accompagner sa divine personne jusqu'au sable blanc des arènes. Mais lorsque son esprit effleura l'entrée des chakras de Bouddha, la porte de ces derniers se referma avec violence devant lui. L'homme le plus proche des Dieux n'était pas encore redescendu des plaisirs artificiels dans lesquels il avait pris l'habitude de se complaire depuis qu'il avait rouvert les yeux par la volonté du Dieu des Dieux. Tant pis. De toute façon Shura était convaincu que la Vierge lui en voulait toujours de ne pas avoir su retenir ses coups dans le Jardin des Sals Jumeaux. Pour preuve, Shaka lui avait plusieurs fois reproché d'avoir sérieusement détérioré la santé de ses deux arbres préférés avec la lame d'Excalibur. Comme si à ce moment-là, le Capricorne n'avait eu que ça à penser. Alors depuis toutes ces années, Bouddha boudait.
En continuant sa route, Shura aperçut une paire de pantoufles déposée à côté du paillasson devant l'entrée du temple du Lion. Aiolia était donc déjà parti et devait certainement l'attendre aux arènes. En affutant son cosmos, l'Espagnol distingua des ondes cérébrales chargées de reproches en provenance de la salle de bain léonine. Apparemment Aiolia avait encore oublié de refermer le tube de dentifrice. Ah et il avait aussi omis de rabaisser le battant des toilettes. Marine avait l'air un brin agacée pour ne pas dire carrément furax. Heureusement que Shura ne comprenait pas un mot de japonais, ses chastes oreilles hispaniques auraient pu en être choquées (ndla : attention, mauvaise foi !). Cela dit, pas besoin d'être polyglotte pour deviner que le Cinquième gardien allait se faire sermonner. Peut-être même qu'il serait privé de déjeuner. En même temps, sauter un ou deux repas ne serait probablement pas une si mauvaise idée. Aiolia s'était clairement un peu laissé aller depuis son retour du Cocyte. Trop de bons petits plats et pas assez d'exercices. Ce n'était pas encore la cata, mais ces derniers temps, les rugissements du Lion ressemblaient plutôt à des ronrons.
Shura ravala l'éclat de rire que ces pensées généraient dans son esprit acéré, et frappa à la porte de l'appartement de la maison suivante dans l'échelle zodiacale. Bien entendu personne ne répondit, alors l'Espagnol se contenta d'ouvrir le sésame qu'il savait ne jamais être fermé. De toute façon, aucun être vivant et souhaitant le rester n'était assez fou pour pénétrer dans l'antre du Cancer sans y avoir été invité. Personne à l'exception du Capricorne.
Shura traversa le salon aussi sombre que les eaux du Styx, pour aller ouvrir les rideaux et révéler l'étendue des dégâts laissés par douze heures de débauche italienne. A côté du salon du Cancer, le Sanctuaire au lendemain de la dernière guerre ressemblait à un charmant petit champ de pâquerettes guilleret et printanier. Shura ne put retenir un juron typiquement hispanique devant l'ampleur du désastre. Juron qui ne réveilla pas l'endormi vautré dans ce qui avait un jour dû être un canapé. Le Capricorne jura une nouvelle fois et se dirigea vers la cuisine dans le but fort charitable de mettre en route la cafetière. Car quel que fût l'état innommable dans lequel le Cancer se trouvait, ce dernier ne se couchait jamais sans avoir préparé son café.
Shura revint ensuite dans le salon pour nettoyer le sol de deux ou trois cadavres. De bouteilles. Puisqu'il était établi que depuis leur réveil, le Masque de Mort avait définitivement abandonné ses habitudes les plus sordides. Shura se pencha donc pour ramasser deux contenants, l'un qui la veille devait encore renfermer un bon litre de whisky, et l'autre encore aux deux-tiers rempli d'une mixture inconnue. Consistance non identifiable, odeur nauséabonde. Il les jeta dans la caisse bourrée à craquer qui trônait à côté de l'entrée, sans faire le moindre effort pour minimiser le tintement généré par le choc du verre brisé. Tintement qui eut pour écho un grognement inhumain en provenance de feu le canapé.
« Mmmm ! »
Shura recula en direction de ce qui ressemblait vaguement à une marque de mécontentement et se planta les bras croisés devant celui qui commençait enfin à émerger.
« Ça va ? Bien dormi ?
- T'en as d'autres des questions aussi nazes ? Bordel, Shura, fous-moi la paix !
- Bonjour ! Je vais bien, merci.
- Tant mieux pour toi.
- Angelo, remue-toi, l'entraînement commence dans dix minutes !
- Je m'en tape.
- Ça fait dix jours que t'es pas venu. T'y échapperas pas aujourd'hui.
- A quoi bon ? On est en paix, je te rappelle.
- Et alors ? Un peu d'exercices te fera le plus grand bien.
- J'ai pas envie de voir les autres.
- Ben si tu viens maintenant, tu croiseras pas grand-monde. Aphrodite est toujours dans les bras de Morphée. Au sens figuré hein, pas au sens propre. Je crois pas qu'il connaisse qui que ce soit de ce nom. Aiolos semble comme chaque matin préférer la compagnie de sa plaquette de Xanax à la nôtre. Milo n'est pas encore rentré de sa nuit de luxure Athénienne. Shaka plane dans des sphères tellement hautes que lui seul sait comment et quand il sera capable de nous faire à nouveau bénéficier de son aura enchanteresse. Saga et Kanon : attends voir… Étant donné le degré de sérénité que je peux déceler dans leurs deux cosmos, ils doivent être en train de s'étriper parce que l'un a eu le malheur de piquer la tartine de l'autre. Donc on devrait pas les voir rappliquer avant un bon bout de temps. Et quant à Mû et Camus, ils ne sont toujours pas revenus de leurs petits coins de paradis perdus. Alors enfile un pantalon et un T-shirt, et lève tes fesses de ce maudit canapé !
- J'peux pas. J'ai trop mal au casque.
- Je vais te chercher une aspirine.
- Tiroir de droite à côté du frigo.
- Je sais. »
En regardant l'un des deux seuls chevaliers qu'il avait envie de considérer comme amis s'éloigner vers la cuisine, Angelo tenta de s'asseoir et se frotta vigoureusement le crâne.
« Par tous les Dieux des Cieux jusqu'aux Enfers, quel jour on est ?
- Dimanche. Quinze mars. Mille neuf cent quatre-vingt-douze, au cas où tu serais vraiment perdu dans une dimension parallèle, cria le Capricorne depuis la cuisine.
- Merci pour ta précision. Et c'est quand que la gamine est censée revenir nous honorer de sa présence divine ?
- Demain.
- Merde.
- Ouais… Tiens ton aspirine, et j'imagine que tu apprécieras aussi un café, ajouta l'Espagnol en tendant une tasse fumante à l'Italien.
- Merci.
- D'ailleurs, c'est aussi pour ça que ce serait une bonne idée que tu sortes enfin de ton trou. Angelo, t'as vraiment besoin de prendre l'air. T'as vu la tête que t'as ?
- Non. J'ai tendance à pas trop apprécier la compagnie des miroirs. Mais t'as probablement pas tort. Un peu d'air frais pourra pas me faire de mal.
- Bon ben je t'attends dehors. Je te laisse le temps de m'en griller une.
- Ou deux. Je crois que j'ai besoin d'une douche.
- Ouais, je confirme. Tu pues, Angelo.
- Merci pour ta franchise.
- Pas de problème. Mais grouille-toi malgré tout. Aldé et Aiolia nous attendent déjà aux arènes. »
Dix minutes plus tard, le Cancer quittait enfin l'enceinte de son temple, presque frais et présentable, pour suivre le Capricorne dans l'escalier sacré. En dépassant la maison inoccupée du plus anachorète des deux Béliers, les retardataires aux ascendances tropicales rencontrèrent le Scorpion qui sifflotait gaiement en remontant les marches.
« Milo, c'est pas par-là l'entraînement ! objecta le chevalier à la langue aussi affutée que la lame de son épée.
- Salut les gars ! Ben vous m'excuserez auprès des autres, mais ce matin, je crois que ma présence sera profitable à personne.
- Pourquoi ? Me dis pas que t'es épuisé parce que t'as passé toute la nuit à t'entraîner, supputa le Cancer sans la moindre arrière-pensée. Non pas la moindre.
- Tu crois pas si bien dire, Angelo !
- J'espère au moins que ton partenaire d'entraînement a été satisfait de la prestation que tu lui as fournie.
- A priori oui. Elles ne se sont pas plaint de mes performances en tout cas.
- Veinard, maugréa l'Italien.
- La chance sourit aux audacieux, rétorqua le séducteur éhonté. Bon c'est pas tout ça les mecs, mais je vous laisse ! J'ai besoin d'aller reposer mes muscles.
- Profites-en, Dom Juan ! » s'exclama le Capricorne à l'adresse du plus débauché des grecs du Sanctuaire. Enfin probablement ex-æquo avec Kanon, le traître repenti adoubé par le Scorpion lui-même et par la pointe de son Aiguille Écarlate. A croire que chez les autochtones, le venin d'Antarès présentait l'effet inattendu d'exacerber toute propension à la luxure. Quoi que… Saga en avait bien reçu quelques gouttes, et les conséquences de cette exposition n'étaient en rien comparables chez celui qui avait viré de totalement cinglé à profondément rasoir. Bon mais ces importantes précisions ayant été apportées, reprenons le fil de cette discussion matinale entre le bouillant gardien du Huitième et le protecteur dévoué du Dixième.
« Demain, c'est la fin de la récré ! asséna le plus loyal des chevaliers. Notre vénérée Déesse revient au Sanctuaire, et tes petites virées nocturnes ne pourront plus passées inaperçues.
- Ne t'inquiète pas pour moi, Shura. Je saurai me faire discret si besoin ! » conclut l'Arachnide en poursuivant son ascension vers une douche aussi nécessaire que méritée.
« C'est pas juste ! marmonna le Cancer.
- Quoi donc ? s'enquit le Capricorne en reprenant sa route.
- Milo.
- Quoi Milo ?
- Personne l'oblige à s'entraîner, lui.
- Sa condition physique n'est pas aussi déplorable que la tienne.
- Merci, ça fait plaisir.
- Faut bien être réaliste. Angelo, tu peux pas continuer comme ça. Tu te détruis à petit feu.
- Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?
- Je m'inquiète pour toi, voilà tout.
- Eh ben c'est pas la peine ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. La vie est belle, et l'avenir radieux.
- Ne sois pas sarcastique.
- Je ne le suis pas. Pour preuve, je me réjouis du retour de la gamine.
- Et menteur en plus.
- Qu'est-ce que tu veux ? On se refait pas… Cela dit, tu sais pour quelle raison elle a décidé de nous faire à nouveau grâce de son cosmos olympien ?
- Elle a terminé son premier semestre universitaire, et elle doit certainement vouloir s'entretenir avec Shion au sujet de l'état du Sanctuaire.
- Ah ben elle va pas être déçue ! s'exclama l'Italien.
- Oui, elle risque effectivement d'avoir une très légère surprise. Lors de sa dernière visite, les choses n'étaient déjà pas brillantes, mais au moins, tout le monde était là et continuait à s'entraîner. Mais ces derniers mois…
- Tout est clairement parti en sucette !
- Ouais. Enfin, ça ira peut-être mieux lorsque Mû et Camus seront revenus.
- Je vois pas pourquoi. Et ils reviennent quand d'ailleurs, les deux intellos déserteurs ?
- Ce soir. Enfin normalement. Ils m'ont promis qu'ils seraient de retour avant le départ de Saori du Japon.
- Alors espérons que son avion ne décollera pas trop en avance. Et pourquoi alors ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi tu penses que le come-back des chevaliers prodigues pourrait s'avérer bénéfique pour notre si joli domaine ?
- Mû parviendra peut-être à ramener Shaka parmi nous, et Milo sera certainement plus présent s'il sait qu'il peut passer du temps avec Camus.
- Va savoir. Mais ça changera rien pour les autres. Et moi, le mouton et le glaçon, j'en ai strictement rien à carrer.
- Tu devrais pas parler comme ça.
- Rien à battre ! Et de toute façon j'ai plus le temps d'écouter tes sermons, car nous sommes arrivés aux arènes. Oh mais attends un peu Shura… Par La Déesse, quelqu'un a pris un tuyau pour gonfler Aiolia à l'hélium ou quoi ?! Il est gras comme un loukoum !
- Angelo ! T'as vraiment aucun respect ! s'insurgea le Capricorne.
- Non. Pas le moindre ! » conclut le Cancer en se dirigeant vers les gradins sans avoir pris la peine de saluer personne, et avec la ferme intention de poursuivre une nuit écourtée par l'excellence caprine de son meilleur ami. Enfin, au moins jusqu'à ce que ce dernier se décidât à le tirer par les pinces au milieu du sable pour la séance de décrassage qu'il lui avait promise.
Le lendemain, fin d'après-midi, Treizième Temple
Shion, Grand Pope du Sanctuaire et représentant de la Déesse Athéna parmi les mortels, marchait le pas chargé de perplexité. Son entretien avec celle pour qui il avait une nouvelle fois accepté d'endosser la tâche profondément ingrate de chef suprême de l'armée zodiacale l'avait laissé sur une impression mitigée. Non pas que l'idée que sa Déesse lui avait présentée eût été foncièrement mauvaise. Non, ce n'était pas vraiment ça. Non, cette idée était plutôt… étonnante pour ne pas dire totalement saugrenue. Et Shion ne doutait pas un instant que celle-ci allait susciter des réactions vives et contrastées au sein de ses administrés.
Arrivé devant la lourde porte de la grande salle du Conseil, Shion releva sa longue toge d'apparat pour ne pas s'entraver dans la margelle de marbre qu'un architecte zélé avait jadis eu la mauvaise volonté de placer là, et poussa l'imposant battant de bois. Les nombreux chevaliers déjà présents se retournèrent vers lui en cessant aussitôt leur bavardage. Un Grand Pope avec des points de vie froncés de cette manière n'augurait certainement rien de bon. Ils allaient encore en prendre pour leur grade. Doré ou pas.
« Un problème ? » osa interroger le chevalier de la Balance, qui savait déchiffrer avec une précision sans faille l'échelle de contrariété de l'ancien Bélier.
Le silence qu'il reçut adjoint à un regard mauve incendiaire qu'il ne connaissait que trop bien, fit comprendre au Vieux Maître rajeuni qu'il avait tout intérêt à ne pas insister.
« Dohko, que t'a dit mon maître bien-aimé ? Il a l'air un peu agacé, interrogea Mû alerté par le degré d'irritation popale.
- Il ne m'a rien dit du tout. Et tu ferais mieux de ne pas promener tes ondes cérébrales à tout va, si tu ne veux pas te retrouver téléporté directement aux cabinets.
- Pardon » s'amenda le Premier gardien, en s'étonnant toutefois du choix de vocabulaire de son aîné.
« Chevaliers, préparez-vous à accueillir votre Déesse ! déclara le Grand Pope sur un ton ferme et solennel. Et pour l'amour de cette dernière, enjoignez ceux qui ne sont pas encore là de nous faire l'honneur de leur présence au plus vite ! Je ne tolérerai pas une seconde de retard.
- Mince, le patron a l'air de mauvais poil, souffla le Scorpion à l'oreille attentive du Verseau.
- Son agacement est légitime, Milo. Je suis à l'heure alors que mon parcours pour arriver jusqu'ici était significativement plus long. Ce n'est tout de même pas si compliqué d'être ponctuel lorsque l'on n'a qu'une centaine de marches à gravir.
- Tout le monde n'est pas aussi à cheval sur les principes que toi, Camus. Et puis pas la peine de s'énerver, regarde : Angelo et Aphrodite viennent de passer la porte ».
Les retardataires se faufilèrent parmi leurs pairs avec autant de discrétion qu'un troupeau d'éléphants essayant de s'incruster dans une toute petite limousine.
« Angelo, t'aurais au moins pu prendre la peine de te raser ! marmotta le Capricorne.
- C'est ma faute, reconnut Aphrodite. J'ai demandé à Lolo de me donner son avis sur la tenue que je devais porter, et bien entendu, cela a pris plus de temps que prévu.
- Aphro, arrête tout de suite avec ce surnom ridicule !
- Pourquoi ? Moi je le trouve choupinet.
- Justement ! s'insurgea le Cancer qui n'avait jamais imaginé être un jour affublé de ce genre de sobriquet.
- Bon, c'est pas le moment de faire de l'analyse lexicale ! intervint l'Espagnol. Et Aphro, je te rappelle que la consigne était de venir en armure. Je ne vois donc pas pourquoi tu as eu besoin de tergiverser sur un quelconque choix vestimentaire.
- Le respect du protocole n'abstient nullement de conserver un minimum d'élégance, se justifia le Poissons.
- Silence ! s'égosilla le Grand Pope. Et tenez-vous droits, nom d'une Moire ! On dirait que je fais face à une armée de retraités !
- Et il s'y connait en retraités, le vieux…
- Angelo ! Commence pas avec tes sarcasmes, s'il te plaît !
- Oh ça va, Shura.
- D'ailleurs étant donné ton allure générale, si j'étais à ta place, je ferais plutôt profil bas.
- Ouais, ben y'a pas que moi qui ai mauvaise mine. T'as vu la tronche de Bouddha ? On dirait qu'il a chopé la myxomatose tellement qu'il a les yeux rouges.
- Depuis quand tu t'y connais en médecine vétérinaire, toi ? s'étonna le Capricorne.
- Tu peux pas imaginer le nombre de documentaires animaliers qu'on peut regarder lorsqu'on est insomniaque !
- Certes, mais Shaka n'a rien d'un petit lapin.
- Pourtant je suis certain qu'il porterait très bien le pompon, souligna l'Italien particulièrement amusé par l'image qui venait de surgir dans son esprit dissipé.
- Bon, c'est quoi que vous ne comprenez pas lorsque je vous demande le SI-LEN-CE ! vociféra le Grand Pope dont la patience venait d'atteindre ses limites. Le prochain qui ouvre la bouche, je le suspends par le plastron de son armure aux moulures du plafond ! »
Cette menace trouva un écho inattendu au sein de l'assemblée des présents, pourtant non sujets au vertige pour la plupart, et le silence se fit enfin.
« Merci ! Et veuillez-vous incliner devant votre Déesse ! »
A ces mots, Athéna, vêtue de son éternelle robe virginale, pénétra à son tour dans la grande salle du Conseil zodiacal, et rejoignit d'un pas divin et décidé son représentant sur l'estrade popale.
« Bonjour, mes chevaliers ! Redressez-vous je vous prie. Je suis très heureuse de vous voir.
- Tout le plaisir est pour nous, Déesse.
- Merci mon très cher Shion. Mais pour en venir directement aux faits : as-tu eu le temps d'exposer à mes chevaliers la raison pour laquelle j'ai convoqué cette Assemblée Générale Extraordinaire ? »
« Saga, c'est quoi une Assemblée Générale Extraordinaire ? s'enquit mentalement Kanon à son jumeau, l'usage d'un tel vocabulaire le rendant profondément perplexe.
- Une Assemblée Générale Extraordinaire – également appelée AGE dans le jargon – est, comme son nom le laisse entendre sans la moindre ambiguïté, une réunion exceptionnelle au cours de laquelle les actionnaires et dirigeants d'une entreprise prennent des décisions importantes.
- D'accord. Et… depuis quand le Sanctuaire est-il devenu une entreprise ?
- Athéna doit probablement être légèrement influencée par les enseignements qu'elle reçoit dans le cadre de son MBA à Tokyo.
- Son MB quoi ?
- Master of Business Administration. Mais arrête un peu avec tes questions ! Nous devons écouter notre Déesse ! » conclut l'ainé des jumeaux, en tournant sa tête non casquée vers son cadet pour lui décocher un regard hautement désapprobateur.
Kanon haussa les épaules en réponse à ce reproche fraternel, et replaça le casque gémellaire fermement sous son bras. Ben oui, avec une seule armure pour deux Gémeaux, il fallait bien partager un peu.
« Recevez mes excuses les plus sincères, votre Altesse, poursuivit le Grand Pope sur un ton un peu déconcerté, mais non, je n'ai pas eu la possibilité de présenter votre dessein à vos humbles et dévoués protecteurs. »
« Et psit, Aldé, il en rajoute pas un peu là, le Big Boss ? fit télépathiquement remarquer Aiolia à son voisin le Taureau.
- Il doit s'en vouloir de ne pas avoir eu le temps de nous reporter les propos d'Athéna », répondit l'interpelé, toujours soucieux de trouver des explications ne mettant personne dans l'embarras.
« Ne t'inquiète pas, mon fidèle Shion, rassura la divinité. Cela n'a absolument aucune importance et me donne l'opportunité de dévoiler moi-même le projet auquel je souhaite faire participer tous mes chevaliers.
- Alors, je vous en prie, Déesse, votre Assemblée est attentive et impatiente, précisa le doyen des membres de l'Assemblée en question.
- Merci. Mes chevaliers, reprit donc la Déesse de la Sagesse, j'ai pleinement conscience que ces dernières années n'ont pas été faciles pour la plupart d'entre vous.
- Hum, quel esprit de déduction ! ironisa – à voix haute – le Cancer.
- Angelo, ne coupe pas la parole sacrée d'Athéna ! gourmanda le Capricorne.
- Car malgré l'acte de bonté incommensurable dont a su faire preuve le Dieu des Dieux, poursuivit la divine progéniture de la déité susnommée, votre retour parmi nous a pour certain été vécu comme une épreuve, ou tout du moins, comme un nouveau défi. Je ne suis ni aveugle ni dépourvu de jugement, et je vois très bien que mon Sanctuaire se perd chaque année un peu plus dans le désœuvrement et l'ennui. Sans parler du manque de cohésion générale, même si je ne souhaite ici incriminer personne ».
« Ça va Camus, pas trop dur à encaisser de te faire ouvertement critiquer comme ça par ta Déesse ? taquina le Scorpion sans scrupule.
- Ce n'est pas le moment, Milo ! » s'insurgea le Verseau, dont la tête sembla néanmoins s'enfoncer d'une manière tout à fait inhabituelle entre ses nobles épaules.
« Et donc, cela fait de nombreuses semaines que je réfléchis à une solution pour tenter d'améliorer la situation. Je me suis également longuement entretenue sur cette douloureuse question avec certains de mes pairs Olympiens, car le problème rencontré dans notre Sanctuaire est malheureusement loin d'être isolé. Et j'en suis ainsi venue à imaginer le projet que je souhaite vous soumettre aujourd'hui ».
« Shion, où la Déesse veut-elle en venir ? Ses circonvolutions commencent à m'inquiéter !
- S'il te plaît Dohko, n'en rajoute pas ! La situation est déjà assez compliquée comme ça… Et je t'ai déjà demandé d'éviter les discussions mentales impromptues !
- Pardon, mais je sens un profond sentiment d'angoisse s'insinuer en moi.
- Eh bien prends sur toi, veux-tu ! Je ne sais pas moi… Pense à ta cascade ! Cela te détend d'habitude… »
« Et donc, je ne vais pas tourner plus longtemps autour du pot… » continua la sibylline divinité.
« Tu parles ! Cinq minutes qu'elle nous tient la jambière !
- Attends Angelo ! Je crois qu'elle va enfin cracher le morceau ! » se réjouit Aphrodite, confiant dans le dénouement prochain de cet insoutenable suspense.
« Il me semble évident que vous avez besoin d'un challenge, de vous sentir impliqués dans quelque chose de différent pour vous sortir de la routine. De vous investir dans un projet dynamique qui saura vous rendre votre enthousiasme et rétablir la cohésion qui faisait jadis la force de notre Sanctuaire.
« Euh… on voit qu'elle était pas dans les parages pendant les années de ton règne, hein frérot ? En même temps, je dis ça, je dis rien. J'étais pas là moi non plus.
- Par l'Olympe, arrête de m'importuner et écoute ! » s'agaça Saga, le garant déchu de cette cohésion perdue.
« Et c'est donc dans cet objectif que je vous confie la mission de… »
« Bordel mais qu'est-ce qu'elle va nous balancer ? Camus, je crains le pire… bredouilla le Scorpion qui triturait déjà l'ongle de l'index de sa main droite par pur réflexe d'anticipation.
- Milo, garde tes inquiétudes pour toi, je te prie ! » réprimanda le Verseau, chevalier impassible devant l'éternel.
« … reprendre avec moi un camping dans les Landes françaises. »