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Le Zodiaque

Summary:

Nous sommes en 1992, tout le monde a été ressuscité par le Dieu des Dieux et Zeus, en échange de cet acte de bonté générale, impose la paix universelle pendant au moins mille ans. Problème : les Chevaliers, Marinas et autres Spectres s'ennuient. Alors les Dieux vont devoir trouver une solution.

Notes:

Bonjour,

Je me suis enfin décidée à publier cette histoire ici (que je continue toutefois à poster en parallèle sur ffnet). Mais comme j'ai un an de publication à rattraper (ce qui ne représente "que" 18 chapitres car j'écris à la vitesse d'une limace neurasthénique), cela risque de me prendre un certain temps avant de combler mon retard.

Pour celles et ceux qui découvriraient cette fic ici pour la première fois, vous trouverez quelques informations ci-dessous qui vous permettront d'en comprendre le principe et surtout d'en cerner le contexte. Histoire de savoir à quoi vous attendre (à peu près).

    ❁ Il s'agit d'une fiction dont le ton est principalement humoristique (enfin c'est mon intention en tout cas), mais qui inclut aussi de la romance (on se refait pas), pas mal de nawak et un peu de angst par-ci, par-là (parce que Saint Seiya reste Saint Seiya).
    Personnages : vous retrouverez la plupart des protagonistes de l'histoire originale, qui sont tous revenus à la vie peu de temps après la victoire contre Hadès (qui dans ma tête a eu lieu en 1987). Et comme l'action se déroule en 1992, je tiens à préciser que la plupart des personnages ont plus de vingt-cinq ans et que même les plus jeunes sont majeurs (je dis ça, je dis rien).
    Pairings : je préfère ne pas donner d'info pour l'instant, vous verrez. Mais la romance que je décrirai sera surtout Yaoi, avec probablement quelques couples hétéro malgré tout.
    Rythme de publication : publication au fil de l'eau => aucune garantie et toutes mes excuses par avance pour la lenteur.
    Nombre de chapitres : ?? Cela dépendra de mon inspiration, de ma motivation et de l'intérêt que cette histoire suscitera.
    Tous les titres de chapitre font référence à une chanson des années 90 (à quelques exceptions près). Playlist Deezer à venir .

Et pour terminer, merci à mes amies Lily Aoraki et Alaiya pour leurs encouragements.

Sur ce je vous souhaite une bonne lecture.

Chapter 1: Désenchantés

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Dimanche 15 Mars 1992, Sanctuaire, Grèce

Shura du Capricorne, gardien de la Dixième maison zodiacale et protecteur dévoué de la Déesse Athéna, plissa des yeux en réaction au soleil matinal. Il plongea la main droite dans sa poche pour saisir le paquet de cigarettes qui ne le quittait plus depuis qu'Excalibur ne tranchait plus personne. En ces temps de paix, il fallait bien occuper ses mains à un autre genre d'activités. Et l'instant d'après, il expirait une longue bouffée chargée de nicotine. De nicotine et d'ennui.

Encore une nouvelle journée, en tout point semblable aux précédentes. Une journée à ne rien faire, ou en tout cas à ne rien faire de très constructif. Il tira une seconde fois sur sa cigarette et entreprit la descente de l'interminable escalier. Tout seul.

A cette heure-ci, et bien que l'astre suprême fût déjà à une hauteur tout à fait respectable dans la splendeur du ciel grec, il était certain de ne rencontrer personne sur le chemin qui le mènerait aux arènes. Ces deux voisins supérieurs dans le classement cosmique soit pour l'un dormait encore, et ce pour au moins deux bonnes heures supplémentaires, soit pour l'autre avait déserté le sol sacré pour aller hiberner avec les bébés phoques. Tant pis. De toute façon, Aphrodite était beaucoup trop bavard pour un cerveau espagnol encore anchylosé de sommeil, et Camus était beaucoup trop égal à lui-même.

En dépassant l'entrée du Neuvième temple, Shura sentit le nœud familier de la culpabilité se former dans le creux de sa poitrine. C'était comme ça chaque matin depuis que le Sagittaire avait retrouvé sa place parmi eux et qu'il avait troqué sa bonne humeur d'antan contre des caisses d'anti-dépresseurs. Shura avait essayé de lui parler, plusieurs fois et en diverses circonstances, mais les mots qu'il avait eu le courage de prononcer n'avaient pas servi à grand-chose.

Pourtant, et c'était peut-être ce qui demeurait le plus troublant, Aiolos ne lui en voulait pas. Il savait qu'en le blessant à mort ce jour-là, Shura n'avait fait qu'obéir aux ordres d'un homme que le Capricorne prenait pour un autre. Un autre froidement assassiné par l'imposteur qui avait pris sa place et qui répondait alors aux injonctions d'une entité maléfique. A moins que Saga eût été schizophrène ou atteint de trouble dissociatif de l'identité. Finalement Shura n'en savait rien, et n'avait jamais vraiment eu envie de savoir. Bref. Tout ça pour dire qu'Aiolos ne lui en voulait pas. Non. Aiolos était simplement malheureux.

Alors qu'il soufflait de lassitude et de tristesse, Shura atteignit la maison de la Vierge et tenta de proposer à Shaka d'accompagner sa divine personne jusqu'au sable blanc des arènes. Mais lorsque son esprit effleura l'entrée des chakras de Bouddha, la porte de ces derniers se referma avec violence devant lui. L'homme le plus proche des Dieux n'était pas encore redescendu des plaisirs artificiels dans lesquels il avait pris l'habitude de se complaire depuis qu'il avait rouvert les yeux par la volonté du Dieu des Dieux. Tant pis. De toute façon Shura était convaincu que la Vierge lui en voulait toujours de ne pas avoir su retenir ses coups dans le Jardin des Sals Jumeaux. Pour preuve, Shaka lui avait plusieurs fois reproché d'avoir sérieusement détérioré la santé de ses deux arbres préférés avec la lame d'Excalibur. Comme si à ce moment-là, le Capricorne n'avait eu que ça à penser. Alors depuis toutes ces années, Bouddha boudait.

En continuant sa route, Shura aperçut une paire de pantoufles déposée à côté du paillasson devant l'entrée du temple du Lion. Aiolia était donc déjà parti et devait certainement l'attendre aux arènes. En affutant son cosmos, l'Espagnol distingua des ondes cérébrales chargées de reproches en provenance de la salle de bain léonine. Apparemment Aiolia avait encore oublié de refermer le tube de dentifrice. Ah et il avait aussi omis de rabaisser le battant des toilettes. Marine avait l'air un brin agacée pour ne pas dire carrément furax. Heureusement que Shura ne comprenait pas un mot de japonais, ses chastes oreilles hispaniques auraient pu en être choquées (ndla : attention, mauvaise foi !). Cela dit, pas besoin d'être polyglotte pour deviner que le Cinquième gardien allait se faire sermonner. Peut-être même qu'il serait privé de déjeuner. En même temps, sauter un ou deux repas ne serait probablement pas une si mauvaise idée. Aiolia s'était clairement un peu laissé aller depuis son retour du Cocyte. Trop de bons petits plats et pas assez d'exercices. Ce n'était pas encore la cata, mais ces derniers temps, les rugissements du Lion ressemblaient plutôt à des ronrons.

Shura ravala l'éclat de rire que ces pensées généraient dans son esprit acéré, et frappa à la porte de l'appartement de la maison suivante dans l'échelle zodiacale. Bien entendu personne ne répondit, alors l'Espagnol se contenta d'ouvrir le sésame qu'il savait ne jamais être fermé. De toute façon, aucun être vivant et souhaitant le rester n'était assez fou pour pénétrer dans l'antre du Cancer sans y avoir été invité. Personne à l'exception du Capricorne.

Shura traversa le salon aussi sombre que les eaux du Styx, pour aller ouvrir les rideaux et révéler l'étendue des dégâts laissés par douze heures de débauche italienne. A côté du salon du Cancer, le Sanctuaire au lendemain de la dernière guerre ressemblait à un charmant petit champ de pâquerettes guilleret et printanier. Shura ne put retenir un juron typiquement hispanique devant l'ampleur du désastre. Juron qui ne réveilla pas l'endormi vautré dans ce qui avait un jour dû être un canapé. Le Capricorne jura une nouvelle fois et se dirigea vers la cuisine dans le but fort charitable de mettre en route la cafetière. Car quel que fût l'état innommable dans lequel le Cancer se trouvait, ce dernier ne se couchait jamais sans avoir préparé son café.

Shura revint ensuite dans le salon pour nettoyer le sol de deux ou trois cadavres. De bouteilles. Puisqu'il était établi que depuis leur réveil, le Masque de Mort avait définitivement abandonné ses habitudes les plus sordides. Shura se pencha donc pour ramasser deux contenants, l'un qui la veille devait encore renfermer un bon litre de whisky, et l'autre encore aux deux-tiers rempli d'une mixture inconnue. Consistance non identifiable, odeur nauséabonde. Il les jeta dans la caisse bourrée à craquer qui trônait à côté de l'entrée, sans faire le moindre effort pour minimiser le tintement généré par le choc du verre brisé. Tintement qui eut pour écho un grognement inhumain en provenance de feu le canapé.

« Mmmm ! »

Shura recula en direction de ce qui ressemblait vaguement à une marque de mécontentement et se planta les bras croisés devant celui qui commençait enfin à émerger.

« Ça va ? Bien dormi ?

- T'en as d'autres des questions aussi nazes ? Bordel, Shura, fous-moi la paix !

- Bonjour ! Je vais bien, merci.

- Tant mieux pour toi.

- Angelo, remue-toi, l'entraînement commence dans dix minutes !

- Je m'en tape.

- Ça fait dix jours que t'es pas venu. T'y échapperas pas aujourd'hui.

- A quoi bon ? On est en paix, je te rappelle.

- Et alors ? Un peu d'exercices te fera le plus grand bien.

- J'ai pas envie de voir les autres.

- Ben si tu viens maintenant, tu croiseras pas grand-monde. Aphrodite est toujours dans les bras de Morphée. Au sens figuré hein, pas au sens propre. Je crois pas qu'il connaisse qui que ce soit de ce nom. Aiolos semble comme chaque matin préférer la compagnie de sa plaquette de Xanax à la nôtre. Milo n'est pas encore rentré de sa nuit de luxure Athénienne. Shaka plane dans des sphères tellement hautes que lui seul sait comment et quand il sera capable de nous faire à nouveau bénéficier de son aura enchanteresse. Saga et Kanon : attends voir… Étant donné le degré de sérénité que je peux déceler dans leurs deux cosmos, ils doivent être en train de s'étriper parce que l'un a eu le malheur de piquer la tartine de l'autre. Donc on devrait pas les voir rappliquer avant un bon bout de temps. Et quant à Mû et Camus, ils ne sont toujours pas revenus de leurs petits coins de paradis perdus. Alors enfile un pantalon et un T-shirt, et lève tes fesses de ce maudit canapé !

- J'peux pas. J'ai trop mal au casque.

- Je vais te chercher une aspirine.

- Tiroir de droite à côté du frigo.

- Je sais. »

En regardant l'un des deux seuls chevaliers qu'il avait envie de considérer comme amis s'éloigner vers la cuisine, Angelo tenta de s'asseoir et se frotta vigoureusement le crâne.

« Par tous les Dieux des Cieux jusqu'aux Enfers, quel jour on est ?

- Dimanche. Quinze mars. Mille neuf cent quatre-vingt-douze, au cas où tu serais vraiment perdu dans une dimension parallèle, cria le Capricorne depuis la cuisine.

- Merci pour ta précision. Et c'est quand que la gamine est censée revenir nous honorer de sa présence divine ?

- Demain.

- Merde.

- Ouais… Tiens ton aspirine, et j'imagine que tu apprécieras aussi un café, ajouta l'Espagnol en tendant une tasse fumante à l'Italien.

- Merci.

- D'ailleurs, c'est aussi pour ça que ce serait une bonne idée que tu sortes enfin de ton trou. Angelo, t'as vraiment besoin de prendre l'air. T'as vu la tête que t'as ?

- Non. J'ai tendance à pas trop apprécier la compagnie des miroirs. Mais t'as probablement pas tort. Un peu d'air frais pourra pas me faire de mal.

- Bon ben je t'attends dehors. Je te laisse le temps de m'en griller une.

- Ou deux. Je crois que j'ai besoin d'une douche.

- Ouais, je confirme. Tu pues, Angelo.

- Merci pour ta franchise.

- Pas de problème. Mais grouille-toi malgré tout. Aldé et Aiolia nous attendent déjà aux arènes. »

Dix minutes plus tard, le Cancer quittait enfin l'enceinte de son temple, presque frais et présentable, pour suivre le Capricorne dans l'escalier sacré. En dépassant la maison inoccupée du plus anachorète des deux Béliers, les retardataires aux ascendances tropicales rencontrèrent le Scorpion qui sifflotait gaiement en remontant les marches.

« Milo, c'est pas par-là l'entraînement ! objecta le chevalier à la langue aussi affutée que la lame de son épée.

- Salut les gars ! Ben vous m'excuserez auprès des autres, mais ce matin, je crois que ma présence sera profitable à personne.

- Pourquoi ? Me dis pas que t'es épuisé parce que t'as passé toute la nuit à t'entraîner, supputa le Cancer sans la moindre arrière-pensée. Non pas la moindre.

- Tu crois pas si bien dire, Angelo !

- J'espère au moins que ton partenaire d'entraînement a été satisfait de la prestation que tu lui as fournie.

- A priori oui. Elles ne se sont pas plaint de mes performances en tout cas.

- Veinard, maugréa l'Italien.

- La chance sourit aux audacieux, rétorqua le séducteur éhonté. Bon c'est pas tout ça les mecs, mais je vous laisse ! J'ai besoin d'aller reposer mes muscles.

- Profites-en, Dom Juan ! » s'exclama le Capricorne à l'adresse du plus débauché des grecs du Sanctuaire. Enfin probablement ex-æquo avec Kanon, le traître repenti adoubé par le Scorpion lui-même et par la pointe de son Aiguille Écarlate. A croire que chez les autochtones, le venin d'Antarès présentait l'effet inattendu d'exacerber toute propension à la luxure. Quoi que… Saga en avait bien reçu quelques gouttes, et les conséquences de cette exposition n'étaient en rien comparables chez celui qui avait viré de totalement cinglé à profondément rasoir. Bon mais ces importantes précisions ayant été apportées, reprenons le fil de cette discussion matinale entre le bouillant gardien du Huitième et le protecteur dévoué du Dixième.

« Demain, c'est la fin de la récré ! asséna le plus loyal des chevaliers. Notre vénérée Déesse revient au Sanctuaire, et tes petites virées nocturnes ne pourront plus passées inaperçues.

- Ne t'inquiète pas pour moi, Shura. Je saurai me faire discret si besoin ! » conclut l'Arachnide en poursuivant son ascension vers une douche aussi nécessaire que méritée.

« C'est pas juste ! marmonna le Cancer.

- Quoi donc ? s'enquit le Capricorne en reprenant sa route.

- Milo.

- Quoi Milo ?

- Personne l'oblige à s'entraîner, lui.

- Sa condition physique n'est pas aussi déplorable que la tienne.

- Merci, ça fait plaisir.

- Faut bien être réaliste. Angelo, tu peux pas continuer comme ça. Tu te détruis à petit feu.

- Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?

- Je m'inquiète pour toi, voilà tout.

- Eh ben c'est pas la peine ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. La vie est belle, et l'avenir radieux.

- Ne sois pas sarcastique.

- Je ne le suis pas. Pour preuve, je me réjouis du retour de la gamine.

- Et menteur en plus.

- Qu'est-ce que tu veux ? On se refait pas… Cela dit, tu sais pour quelle raison elle a décidé de nous faire à nouveau grâce de son cosmos olympien ?

- Elle a terminé son premier semestre universitaire, et elle doit certainement vouloir s'entretenir avec Shion au sujet de l'état du Sanctuaire.

- Ah ben elle va pas être déçue ! s'exclama l'Italien.

- Oui, elle risque effectivement d'avoir une très légère surprise. Lors de sa dernière visite, les choses n'étaient déjà pas brillantes, mais au moins, tout le monde était là et continuait à s'entraîner. Mais ces derniers mois…

- Tout est clairement parti en sucette !

- Ouais. Enfin, ça ira peut-être mieux lorsque Mû et Camus seront revenus.

- Je vois pas pourquoi. Et ils reviennent quand d'ailleurs, les deux intellos déserteurs ?

- Ce soir. Enfin normalement. Ils m'ont promis qu'ils seraient de retour avant le départ de Saori du Japon.

- Alors espérons que son avion ne décollera pas trop en avance. Et pourquoi alors ?

- Pourquoi quoi ?

- Pourquoi tu penses que le come-back des chevaliers prodigues pourrait s'avérer bénéfique pour notre si joli domaine ?

- Mû parviendra peut-être à ramener Shaka parmi nous, et Milo sera certainement plus présent s'il sait qu'il peut passer du temps avec Camus.

- Va savoir. Mais ça changera rien pour les autres. Et moi, le mouton et le glaçon, j'en ai strictement rien à carrer.

- Tu devrais pas parler comme ça.

- Rien à battre ! Et de toute façon j'ai plus le temps d'écouter tes sermons, car nous sommes arrivés aux arènes. Oh mais attends un peu Shura… Par La Déesse, quelqu'un a pris un tuyau pour gonfler Aiolia à l'hélium ou quoi ?! Il est gras comme un loukoum !

- Angelo ! T'as vraiment aucun respect ! s'insurgea le Capricorne.

- Non. Pas le moindre ! » conclut le Cancer en se dirigeant vers les gradins sans avoir pris la peine de saluer personne, et avec la ferme intention de poursuivre une nuit écourtée par l'excellence caprine de son meilleur ami. Enfin, au moins jusqu'à ce que ce dernier se décidât à le tirer par les pinces au milieu du sable pour la séance de décrassage qu'il lui avait promise.


Le lendemain, fin d'après-midi, Treizième Temple

Shion, Grand Pope du Sanctuaire et représentant de la Déesse Athéna parmi les mortels, marchait le pas chargé de perplexité. Son entretien avec celle pour qui il avait une nouvelle fois accepté d'endosser la tâche profondément ingrate de chef suprême de l'armée zodiacale l'avait laissé sur une impression mitigée. Non pas que l'idée que sa Déesse lui avait présentée eût été foncièrement mauvaise. Non, ce n'était pas vraiment ça. Non, cette idée était plutôt… étonnante pour ne pas dire totalement saugrenue. Et Shion ne doutait pas un instant que celle-ci allait susciter des réactions vives et contrastées au sein de ses administrés.

Arrivé devant la lourde porte de la grande salle du Conseil, Shion releva sa longue toge d'apparat pour ne pas s'entraver dans la margelle de marbre qu'un architecte zélé avait jadis eu la mauvaise volonté de placer là, et poussa l'imposant battant de bois. Les nombreux chevaliers déjà présents se retournèrent vers lui en cessant aussitôt leur bavardage. Un Grand Pope avec des points de vie froncés de cette manière n'augurait certainement rien de bon. Ils allaient encore en prendre pour leur grade. Doré ou pas.

« Un problème ? » osa interroger le chevalier de la Balance, qui savait déchiffrer avec une précision sans faille l'échelle de contrariété de l'ancien Bélier.

Le silence qu'il reçut adjoint à un regard mauve incendiaire qu'il ne connaissait que trop bien, fit comprendre au Vieux Maître rajeuni qu'il avait tout intérêt à ne pas insister.

« Dohko, que t'a dit mon maître bien-aimé ? Il a l'air un peu agacé, interrogea Mû alerté par le degré d'irritation popale.

- Il ne m'a rien dit du tout. Et tu ferais mieux de ne pas promener tes ondes cérébrales à tout va, si tu ne veux pas te retrouver téléporté directement aux cabinets.

- Pardon » s'amenda le Premier gardien, en s'étonnant toutefois du choix de vocabulaire de son aîné.

« Chevaliers, préparez-vous à accueillir votre Déesse ! déclara le Grand Pope sur un ton ferme et solennel. Et pour l'amour de cette dernière, enjoignez ceux qui ne sont pas encore là de nous faire l'honneur de leur présence au plus vite ! Je ne tolérerai pas une seconde de retard.

- Mince, le patron a l'air de mauvais poil, souffla le Scorpion à l'oreille attentive du Verseau.

- Son agacement est légitime, Milo. Je suis à l'heure alors que mon parcours pour arriver jusqu'ici était significativement plus long. Ce n'est tout de même pas si compliqué d'être ponctuel lorsque l'on n'a qu'une centaine de marches à gravir.

- Tout le monde n'est pas aussi à cheval sur les principes que toi, Camus. Et puis pas la peine de s'énerver, regarde : Angelo et Aphrodite viennent de passer la porte ».

Les retardataires se faufilèrent parmi leurs pairs avec autant de discrétion qu'un troupeau d'éléphants essayant de s'incruster dans une toute petite limousine.

« Angelo, t'aurais au moins pu prendre la peine de te raser ! marmotta le Capricorne.

- C'est ma faute, reconnut Aphrodite. J'ai demandé à Lolo de me donner son avis sur la tenue que je devais porter, et bien entendu, cela a pris plus de temps que prévu.

- Aphro, arrête tout de suite avec ce surnom ridicule !

- Pourquoi ? Moi je le trouve choupinet.

- Justement ! s'insurgea le Cancer qui n'avait jamais imaginé être un jour affublé de ce genre de sobriquet.

- Bon, c'est pas le moment de faire de l'analyse lexicale ! intervint l'Espagnol. Et Aphro, je te rappelle que la consigne était de venir en armure. Je ne vois donc pas pourquoi tu as eu besoin de tergiverser sur un quelconque choix vestimentaire.

- Le respect du protocole n'abstient nullement de conserver un minimum d'élégance, se justifia le Poissons.

- Silence ! s'égosilla le Grand Pope. Et tenez-vous droits, nom d'une Moire ! On dirait que je fais face à une armée de retraités !

- Et il s'y connait en retraités, le vieux…

- Angelo ! Commence pas avec tes sarcasmes, s'il te plaît !

- Oh ça va, Shura.

- D'ailleurs étant donné ton allure générale, si j'étais à ta place, je ferais plutôt profil bas.

- Ouais, ben y'a pas que moi qui ai mauvaise mine. T'as vu la tronche de Bouddha ? On dirait qu'il a chopé la myxomatose tellement qu'il a les yeux rouges.

- Depuis quand tu t'y connais en médecine vétérinaire, toi ? s'étonna le Capricorne.

- Tu peux pas imaginer le nombre de documentaires animaliers qu'on peut regarder lorsqu'on est insomniaque !

- Certes, mais Shaka n'a rien d'un petit lapin.

- Pourtant je suis certain qu'il porterait très bien le pompon, souligna l'Italien particulièrement amusé par l'image qui venait de surgir dans son esprit dissipé.

- Bon, c'est quoi que vous ne comprenez pas lorsque je vous demande le SI-LEN-CE ! vociféra le Grand Pope dont la patience venait d'atteindre ses limites. Le prochain qui ouvre la bouche, je le suspends par le plastron de son armure aux moulures du plafond ! »

Cette menace trouva un écho inattendu au sein de l'assemblée des présents, pourtant non sujets au vertige pour la plupart, et le silence se fit enfin.

« Merci ! Et veuillez-vous incliner devant votre Déesse ! »

A ces mots, Athéna, vêtue de son éternelle robe virginale, pénétra à son tour dans la grande salle du Conseil zodiacal, et rejoignit d'un pas divin et décidé son représentant sur l'estrade popale.

« Bonjour, mes chevaliers ! Redressez-vous je vous prie. Je suis très heureuse de vous voir.

- Tout le plaisir est pour nous, Déesse.

- Merci mon très cher Shion. Mais pour en venir directement aux faits : as-tu eu le temps d'exposer à mes chevaliers la raison pour laquelle j'ai convoqué cette Assemblée Générale Extraordinaire ? »

« Saga, c'est quoi une Assemblée Générale Extraordinaire ? s'enquit mentalement Kanon à son jumeau, l'usage d'un tel vocabulaire le rendant profondément perplexe.

- Une Assemblée Générale Extraordinaire – également appelée AGE dans le jargon – est, comme son nom le laisse entendre sans la moindre ambiguïté, une réunion exceptionnelle au cours de laquelle les actionnaires et dirigeants d'une entreprise prennent des décisions importantes.

- D'accord. Et… depuis quand le Sanctuaire est-il devenu une entreprise ?

- Athéna doit probablement être légèrement influencée par les enseignements qu'elle reçoit dans le cadre de son MBA à Tokyo.

- Son MB quoi ?

- Master of Business Administration. Mais arrête un peu avec tes questions ! Nous devons écouter notre Déesse ! » conclut l'ainé des jumeaux, en tournant sa tête non casquée vers son cadet pour lui décocher un regard hautement désapprobateur.

Kanon haussa les épaules en réponse à ce reproche fraternel, et replaça le casque gémellaire fermement sous son bras. Ben oui, avec une seule armure pour deux Gémeaux, il fallait bien partager un peu.

« Recevez mes excuses les plus sincères, votre Altesse, poursuivit le Grand Pope sur un ton un peu déconcerté, mais non, je n'ai pas eu la possibilité de présenter votre dessein à vos humbles et dévoués protecteurs. »

« Et psit, Aldé, il en rajoute pas un peu là, le Big Boss ? fit télépathiquement remarquer Aiolia à son voisin le Taureau.

- Il doit s'en vouloir de ne pas avoir eu le temps de nous reporter les propos d'Athéna », répondit l'interpelé, toujours soucieux de trouver des explications ne mettant personne dans l'embarras.

« Ne t'inquiète pas, mon fidèle Shion, rassura la divinité. Cela n'a absolument aucune importance et me donne l'opportunité de dévoiler moi-même le projet auquel je souhaite faire participer tous mes chevaliers.

- Alors, je vous en prie, Déesse, votre Assemblée est attentive et impatiente, précisa le doyen des membres de l'Assemblée en question.

- Merci. Mes chevaliers, reprit donc la Déesse de la Sagesse, j'ai pleinement conscience que ces dernières années n'ont pas été faciles pour la plupart d'entre vous.

- Hum, quel esprit de déduction ! ironisa à voix haute le Cancer.

- Angelo, ne coupe pas la parole sacrée d'Athéna ! gourmanda le Capricorne.

- Car malgré l'acte de bonté incommensurable dont a su faire preuve le Dieu des Dieux, poursuivit la divine progéniture de la déité susnommée, votre retour parmi nous a pour certain été vécu comme une épreuve, ou tout du moins, comme un nouveau défi. Je ne suis ni aveugle ni dépourvu de jugement, et je vois très bien que mon Sanctuaire se perd chaque année un peu plus dans le désœuvrement et l'ennui. Sans parler du manque de cohésion générale, même si je ne souhaite ici incriminer personne ».

« Ça va Camus, pas trop dur à encaisser de te faire ouvertement critiquer comme ça par ta Déesse ? taquina le Scorpion sans scrupule.

- Ce n'est pas le moment, Milo ! » s'insurgea le Verseau, dont la tête sembla néanmoins s'enfoncer d'une manière tout à fait inhabituelle entre ses nobles épaules.

« Et donc, cela fait de nombreuses semaines que je réfléchis à une solution pour tenter d'améliorer la situation. Je me suis également longuement entretenue sur cette douloureuse question avec certains de mes pairs Olympiens, car le problème rencontré dans notre Sanctuaire est malheureusement loin d'être isolé. Et j'en suis ainsi venue à imaginer le projet que je souhaite vous soumettre aujourd'hui ».

« Shion, où la Déesse veut-elle en venir ? Ses circonvolutions commencent à m'inquiéter !

- S'il te plaît Dohko, n'en rajoute pas ! La situation est déjà assez compliquée comme ça… Et je t'ai déjà demandé d'éviter les discussions mentales impromptues !

- Pardon, mais je sens un profond sentiment d'angoisse s'insinuer en moi.

- Eh bien prends sur toi, veux-tu ! Je ne sais pas moi… Pense à ta cascade ! Cela te détend d'habitude… »

« Et donc, je ne vais pas tourner plus longtemps autour du pot… » continua la sibylline divinité.

« Tu parles ! Cinq minutes qu'elle nous tient la jambière !

- Attends Angelo ! Je crois qu'elle va enfin cracher le morceau ! » se réjouit Aphrodite, confiant dans le dénouement prochain de cet insoutenable suspense.

« Il me semble évident que vous avez besoin d'un challenge, de vous sentir impliqués dans quelque chose de différent pour vous sortir de la routine. De vous investir dans un projet dynamique qui saura vous rendre votre enthousiasme et rétablir la cohésion qui faisait jadis la force de notre Sanctuaire.

« Euh… on voit qu'elle était pas dans les parages pendant les années de ton règne, hein frérot ? En même temps, je dis ça, je dis rien. J'étais pas là moi non plus.

- Par l'Olympe, arrête de m'importuner et écoute ! » s'agaça Saga, le garant déchu de cette cohésion perdue.

« Et c'est donc dans cet objectif que je vous confie la mission de… »

« Bordel mais qu'est-ce qu'elle va nous balancer ? Camus, je crains le pire… bredouilla le Scorpion qui triturait déjà l'ongle de l'index de sa main droite par pur réflexe d'anticipation.

- Milo, garde tes inquiétudes pour toi, je te prie ! » réprimanda le Verseau, chevalier impassible devant l'éternel.

« … reprendre avec moi un camping dans les Landes françaises. »

Notes:

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre de ce premier chapitre : Désenchantée , Mylène Farmer, 1991.

Chapter 2: A Wind Of Change

Notes:

Bonjour,

Dans la foulée, j'enchaîne avec le second chapitre.

Bonne lecture (et bon courage).

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada (et d'ailleurs... Pardon, Maître, pour ce que j'en fais).

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Lundi 6 avril, Sanctuaire, Grèce

Shion réfléchissait en faisant tourner son stylo dans les airs juste au-dessus de son nez. Une manie qui avait toujours stimulé sa concentration, et ce quelle que fût la nature de l'ustensile mis en lévitation. Jadis, il appréciait la plasticité d'une plume d'oie, aujourd'hui il préférait l'aérodynamisme d'un stylo Bic quatre couleurs.

Deux jours. Il ne restait plus que deux jours avant la fin du délai accordé par leur bien-aimée Déesse, et le tableau affiché dans le couloir du Palais comportait encore beaucoup trop de cases vides. Il allait donc probablement devoir user de tous ses talents de persuasion pour convaincre les plus récalcitrants de ses congénères de participer à cette nouvelle aventure. Après tout, il ne leur demandait pas grand-chose. Il avait juste besoin de les voir inscrire leur nom en face de la mission qu'ils jugeraient à la hauteur de leurs capacités. Et après… Le reste ne le concernerait plus.

Athéna avait été très claire sur ce point : le Grand Pope devait rester au Sanctuaire, avec le soutien d'une poignée de chevaliers que le hasard aurait désignés pour demeurer au bercail. Car même en temps de paix, il en fallait bien certains pour veiller sur les antiques maisons zodiacales. Mais tous les chevaliers d'Or sans exception avaient reçu l'ordre de faire leur paquetage. Direction : la France et ses plages idylliques. Puisque il paraissait que c'était là-bas que se trouvait l'olympe des campings européens (ndla : J'en rajoute là ? Non… Peut-être ? Un peu).

Ce constat avait donc fort logiquement conduit Saori Kido, réincarnation de la Déesse de la Sagesse, richissime héritière et étudiante dans l'une des plus prestigieuses Business Schools de Tokyo, à jeter son dévolu sur l'un des nombreux établissements français en vente dans les territoires les plus touristiques. Un établissement dont le nom avait immédiatement attiré son attention, avec presque autant d'évidence qu'un panneau clignotant portant la mention « Attention, signe du Destin ». Puisque l'établissement en question se nommait Le Zodiaque. Rien de plus et surtout rien de moins.

Et d'ici une quinzaine de jours tout au plus, le gratin de la chevalerie devrait donc avoir déménagé dans ce nouveau lieu de villégiature, pour participer à une entreprise inédite dans l'histoire pourtant millénaire des protecteurs d'Athéna. Une aventure originale, ambitieuse et excitante, mais toutefois loin de recueillir l'enthousiasme escompté par celle qui l'avait initiée.

La plupart des concernés ne comprenaient ni l'intérêt ni la finalité de ce projet. Les problèmes rencontrés au Sanctuaire ne seraient-ils pas toujours les mêmes avec des tongs au bout des pieds ? Et puis, la grande majorité des chevaliers n'avaient jamais travaillé. Ils en avaient bavé, avaient souffert toutes sortes de tourments et enduré moult sacrifices, mais ils n'avaient jamais eu à se plier à des obligations aussi bassement matérielles que respecter un planning, répondre aux attentes d'une clientèle exigeante pour ne pas dire capricieuse, ou pire… récurer des sanitaires.

Finalement, seuls les Bronzes tiraient leur épingle du jeu dans cette affaire. Car comme ils étaient encore tous étudiants, ils pourraient attendre la fin de l'année universitaire avant de se voir à leur tour impliqués dans ce surprenant dessein. La Princesse Saori serait quant à elle pleinement investie, la reprise de ce camping constituant en réalité le sujet de son stage de fin d'année. Une belle illustration de maestria divine dans l'art de faire d'une pierre, deux coups.

L'arrivée d'une aura familière sortit le Grand Pope de ses pensées, surtout lorsque l'aura en question fit irruption dans son bureau sans avoir pris la peine de s'annoncer. En même temps, à quoi bon avertir de sa venue quelqu'un qui connaissait déjà la moindre de ses intentions ?

« Alors, tu as réussi à résoudre le casse-tête du siècle ? interrogea le chevalier de la Balance en posant une fesse effrontée sur le rebord de l'imposant bureau popal.

- A vrai dire, je comptais encore sur le bon sens et la dévotion de chacun pour ne pas avoir à me soumettre à cet exercice compliqué, répondit l'ex-Bélier en repoussant d'un index autoritaire l'envahissant fessier.

- Eh bien désolé d'anéantir tes derniers espoirs de manière aussi brutale, mais je viens de vérifier : plusieurs postes restent encore non pourvus, poursuivit le propriétaire de l'importun séant en prenant place dans le fauteuil réservé aux invités.

- Lesquels ?

- Le futur binôme de Marine à l'encadrement des activités enfants, et les deux postes à la réception.

- Et quels sont les noms des derniers réfractaires ?

- Angelo, Aiolos et Shaka.

- Ah oui ? s'étonna Shion en relevant un sourcil qu'il n'avait pourtant jamais eu.

- Tu as l'air surpris.

- Pas pour les deux premiers. Depuis notre retour, Aiolos n'a jamais réussi à retrouver sa place parmi nous, et Angelo… Eh bien disons qu'il a toujours souffert d'un certain degré de « décalage », si je peux m'exprimer ainsi. Mais Shaka, oui, je ne m'attendais pas à ce qu'il se sente aussi peu concerné.

- Eh bien personnellement, ce manque d'implication ne me surprend pas. Je crois que mon divin voisin a dernièrement un peu perdu le sens des réalités. Sachant que sa réalité était déjà à la base assez éloignée de la nôtre, si je peux moi aussi m'exprimer ainsi, s'amusa la Balance.

- Je sais, mais… je pensais que son sens du devoir et sa dévotion pour la Déesse prendraient le pas sur tout le reste. Il faut croire que je me trompais.

- Tu ne peux pas toujours avoir raison sur tout, déclara l'ex-Vieux Maître avec une très légère pointe de malice.

- Certes. Et je constate que ce manque de lucidité semble grandement te réjouir. Pourquoi ce sourire ?

- Parce que je vois que cette histoire de camping t'enquiquine, et cela m'amuse.

- Tu te trompes. J'approuve tous les projets de notre vénérée Déesse.

- Celui-ci est tout de même un peu inattendu. D'ailleurs, je suis convaincu qu'il lui a été soufflé par quelqu'un.

- A qui penses-tu ?

- Poséidon. Il a toujours eu des idées tordues derrière la tête. Demande donc à Hilda.

- Hum, Dohko… Je crois que tu fais ici preuve de mémoire sélective. Je sais que je n'étais pas présent, mais il me semble tout de même que c'était Kanon le responsable dans cette affaire.

- Ah oui. Pardon. Petit oubli passager. Mais cela n'altère en rien mon sentiment. Je suis certain que si l'on investigue un peu, on retrouvera un trident planté quelque part.

- Ce ne serait pas impossible, en effet. Athéna nous a d'ailleurs clairement indiqué qu'elle avait longuement échangé avec d'autres divinités au sujet de la situation des différents Sanctuaires. Il n'y aurait donc rien de surprenant à ce qu'elle se soit entretenue de ce projet avec le jeune Solo.

- Merci d'être d'accord avec moi, pour une fois. Néanmoins, cela ne change pas grand-chose à l'épineux problème auquel tu es confronté : trois tire-au-flanc et trois postes vacants.

- Alors l'équation me semble relativement simple à résoudre ! Je place d'autorité Angelo au Kid's club avec Marine. Après tout je suis certain qu'il cache de grands talents d'animateur. Et Aiolos et Shaka se chargeront de l'accueil de la clientèle estivale. Ça les déridera.

- Voilà un casting infiniment prometteur ! Je suis certain qu'ils seront absolument ravis tous les trois, ironisa le Chinois.

- Tant pis pour eux ! Ils n'avaient qu'à faire connaître leur préférence, comme nous l'avions demandé. Derniers arrivés, derniers servis.

- Je reconnais bien là ton petit penchant despotique.

- Ce n'est pas à mon âge avancé que je vais m'aventurer à changer.

- Loin de moi cette idée ! Je te trouve parfait comme tu es, précisa la Balance en appuyant son propos d'un clin d'œil chargé de sous-entendus.

- Je sais.

- Mais maintenant il te reste à accomplir la tâche la plus ardue : annoncer ta décision aux trois têtes de mule concernées. Et là, je te dis bon courage !

- Merci. Sachant que ce ne sont pas trois malheureux gamins qui vont m'impressionner. J'en ai vu d'autres, comme on dit.

- Certes. Et puis… La grosse tortue n'a rien à craindre de petits scarabées.

- Merci pour la comparaison flatteuse.

- Je t'en prie. Bon, cette affaire étant à présent réglée, au moins sur le principe, abordons une autre question tout aussi fondamentale : tu me rejoins dans mon temple ce soir ? »

En réaction à ce subit changement de sujet, Shion frétilla subrepticement des points de vie en se redressant sur son siège. Puis il plissa des yeux avant de répondre avec un sourire en coin qui frisait la suffisance :

« Le petit lapin gagnerait à se méfier de la fougue de la grosse tortue. »


Sanctuaire Sous-Marin, le même jour

Sorrento de la Sirène faisait les cent pas en tournant autour de son pilier superbement restauré, l'esprit profondément perturbé par sa dernière discussion avec le Dieu des Océans.

Mais où son divin maître était-il allé chercher une idée pareille ? Nul doute que l'influence de Julian y était pour beaucoup. Car seul un étudiant en dernière année d'école de commerce, à l'esprit brillant mais un peu trop zélé, pouvait avoir élaboré les rouages d'un projet aussi insensé.

Reprendre la direction d'un camping. Non mais sérieusement ! Sorrento avait dû faire des recherches pour comprendre de quoi il retournait. Une infrastructure quadrillée de parcelles minuscules, grillant sous le soleil malgré l'ombre des pins maritimes, et disposant d'un terrain assez meuble pour y planter des piquets. Piquets que certains avaient d'ailleurs l'audace d'appeler des sardines.

Et tout ça pour quoi ? Pour que des vacanciers en maillots y installent de petites roulotes tractées par des véhicules motorisés, avec comme seul dessein l'idée de se prélasser dans le sable les doigts de pied en éventail. Vraiment, certains mortels avaient parfois des mœurs assez singulières.

Et pour couronner le tout, le camping en question portait un nom hautement blasphématoire. Un nom qu'aucun humain n'aurait dû avoir l'audace de vouloir employer pour désigner un établissement touristique, fût-il quatre étoiles, luxueux et flambant neuf.

Le Poséidon.

Tout bonnement scandaleux. Comment de simples mortels avaient-ils pu avoir l'outrecuidance d'utiliser de cette manière le nom de son vénéré Dieu, synonyme de puissance et de suprématie du Pacifique Sud à l'Arctique, et de l'affubler en sus d'un méprisable petit article ?

Cela dit, ce détestable affront n'était pas ce qui contrariait le plus l'Autrichien. Non, ce qui troublait la Sirène bien davantage c'était la collaboration que cette nouvelle entreprise allait devoir impliquer. Car les effectifs du Domaine Sous-Marin étant relativement limités, l'héritier Solo avait sollicité le soutien d'Asgard et d'Hilda de Polaris pour venir renforcer leurs rangs. Et la Prêtresse d'Odin n'étant pas rancunière, elle avait accepté d'envoyer ses plus valeureux combattants pour participer à ce surprenant projet. Guerriers qui avaient tous acceptés de se plier aux ordres de leur maîtresse, à une seule petite exception près.

Mais Sorrento ne pouvait s'empêcher d'être méfiant. Cet élan de fraternité Asgardienne paraissait un peu trop opportun pour être honnête. Le Général suspectait donc l'existence d'un complot. Les Guerriers Divins, en acceptant de se mettre au service du Poséidon, cachaient certainement de sombres desseins derrière la candeur de leurs saphirs. Comme par exemple la volonté de faire tourner l'entreprise de son Dieu bien-aimé en eau de boudin.

Surtout que le jeune Solo ne s'était pas contenté de prendre cette décision dans le but louable, et non totalement dénué d'un certain degré de bon sens, de ressouder leurs troupes et de dynamiser un peu leur quotidien sous-marin. Non, il avait aussi eu la faiblesse de faire de la réussite de ce projet l'objet d'un pari contracté avec l'héritière Kido. Car pour une raison obscure qui échappait à l'entendement, tous les Chevaliers d'Athéna se voyaient investis d'une mission en tout point identique à la leur. Même environnement, même lieu, même concept et surtout, même objectif. Seul le nom du camping était différent.

Et ce qui constituait déjà une épreuve en tant que telle aux yeux de la Sirène s'était ainsi mué en un affrontement pacifique dont nul ne sortirait indemne : la bataille pour le meilleur classement au palmarès des plus beaux campings de France. Palmarès qui portait par ailleurs l'appellation ridicule de : « Les Tongs d'Or ».

Le monde sus-aquatique était vraiment déroutant.


Deux semaines plus tard, sur la route entre le Sanctuaire et l'aéroport d'Athènes

Angelo serrait nerveusement son paquet de cigarettes entre ses doigts. A peine vingt minutes qu'ils étaient montés dans la navette les conduisant à l'aéroport, et il sentait déjà des envies de meurtre lui monter aux narines.

« Lolo, regarde-moi : tout va bien se passer, affirma Aphrodite en détachant chaque mot avec calme et conviction.

- Vraiment ? La dernière fois que tu m'as dit ça, tu t'es retrouvé avec la pointe d'une chaîne plantée entre les deux yeux, et moi, je me suis fait balancer à poil dans le fond de mon trou. Et je t'ai déjà dit d'arrêter de m'appeler comme ça !

- Teuh, teuh, teuh. Cette fois-ci j'ai vraiment un bon feeling. Tous les ingrédients pour passer un bel été sont réunis : la mer, le soleil, le farniente…

- Les moule-bites !

- Tout à fait ! Tu vois que tu sais être positif, Angelo ! Et puis d'abord, pourquoi tu t'inquiètes ?

- Je pourrais jamais tous les supporter, rétorqua le Cancer en désignant l'ensemble des passagers du bus d'un mouvement de menton dédaigneux. Déjà qu'en temps normal, j'ai du mal à gérer. Là ça va vite devenir imbuvable !

- Angelo, tu exagères ! s'insurgea le Capricorne. Nos pairs ne sont pas si difficiles à côtoyer au quotidien. D'ailleurs tu aurais pu le constater par toi-même si tu n'avais pas vécu comme un ermite ces cinq dernières années.

- Ouais, ben l'ermite il était très bien tout seul dans son antre avec ses clopes et ses bouteilles ! Et puis, s'il y avait que les autres zozos à s'enquiller, ça pourrait aller. Mais là…

- Là quoi ? questionna le Poissons que les atermoiements du Cancer rendaient de plus en plus curieux.

- Eh ben… vous savez bien quoi…

- Non, on ne sait pas, mais on est tout ouïe, insista Aphrodite.

- Ben va falloir que je m'occupe des gosses !

- Et alors ? C'est tout mimi, ces petites choses fragiles.

- T'es pas sérieux ? Y'a rien de plus dangereux qu'un gamin ! C'est imprévisible, bruyant, dépourvu de tout sens logique, manipulateur et sadique.

- Par La Déesse ! Le grand Masque de Mort aurait-il peur des bambins ?!

- Moins fort Aphro !

- Quoi ? T'as la trouille que les autres découvrent ton petit secret ? T'inquiète pas, Dohko crie beaucoup trop fort dans le micro du bus pour que quiconque puisse comprendre le moindre mot de notre conversation.

- Chaauffeur, si t'es champiooon, appuiiiie-heu, appuiiiie-heu !

- Bordel, c'est vrai qu'il braille l'ancien ! constata l'Italien.

- Je dirais plutôt qu'il a du coffre, et une assez jolie voix de ténor, fit remarquer l'Espagnol dont la sensibilité musicale s'étendait bien au-delà du seul claquement de ses castagnettes.

- Bon, mais je persiste dans mon sentiment. Tout va bien se passer mon Lolo !

- Aphrodite a raison, renchérit le Capricorne. Et puis il faut voir le bon côté des choses : s'évader un peu de notre routine quotidienne ne pourra que nous êtres bénéfiques à tous.

- Puisque vous le dites… Mais votre optimisme n'engage que vous. En tout cas, venez pas me voir pour vous plaindre quand vous en aurez ras la casquette tous les deux !

- Rien à craindre en ce qui me concerne. Je ne compte porter que de grands chapeaux », conclut le Douzième gardien en appuyant son propos d'un mouvement de cheveux gracieux.

A quelques sièges de là, Milo du Scorpion déversait un flot de paroles ininterrompu à son meilleur ami, Camus du Verseau. Flot de paroles qu'il tentait d'enrober de son plus bel accent français.

« J'aimeuh beaucouh la couleuhr deuh vos zeuilles !

- De vos yeux ! Milo, je te l'ai répété un nombre incalculable de fois : un œil, des yeux ! précisa l'exigeant professeur.

- Ah oui, pardon. De vos zieuh !

- Voilà, c'est mieux !

- Et vos cheveuh fouit' sour votreuh nouque comm' oun' riviair' souvageuh.

- Coulent. Je crois que tu voudrais plutôt dire : « vos cheveux coulent sur votre nuque comme une rivière sauvage ».

- Oui, c'est ça ! Tu trouves que c'est poétique ? Vous autres français aimez tellement la poésie, je voudrais être à la hauteur !

- Écoute, de nos jours la poésie n'est plus vraiment nécessaire pour faire la cour à une jeune femme.

- Ah bon ?

- Oui. Tu peux donc parfaitement t'en abstenir.

- Ah ben ça m'arrange ! Parce que pour être tout à fait honnête, c'est pas vraiment mon truc.

- Je m'en doutais. Il me semble d'ailleurs que tu n'étais pas très attentif lorsque j'ai présenté des extraits de poèmes à la fin du dernier cours de français que j'ai donné au Sanctuaire.

- Mais si Camus ! Je buvais littéralement tes paroles, je te jure ! se défendit le Scorpion.

- Vraiment ? insista le plus sceptique des porteurs de cruche zodiacale.

- Vraiment.

- Très bien, alors j'ai cité quels poètes ?

- Euh… Attends une seconde. Ça va me revenir. J'ai leurs noms sur le bout de la langue !

- Je te donne encore dix secondes. Au-delà de ce délai, je serai dans l'obligation de rabaisser ta moyenne pour cause d'inattention avérée.

- Quoi ? Non, Camus, tu me fais marcher, là ?

- D'après toi, Milo ?

- Ah ça y est, je me souviens ! C'était Pautelaire et Fronsard !

- Presque, Milo ! Il s'agissait de Baudelaire et Ronsard.

- Ben c'est exactement ce que j'ai dit. Sauf que j'ai pas mis le bon accent.

- On va dire ça, s'amusa le Verseau.

- En tout cas, je voulais te dire : tes cours sont vraiment supers, tu sais ! Et il me semble qu'on a tous vachement progressé grâce à toi et à Misty.

- Je n'en suis pas si sûr, Milo. Mais je te remercie du compliment.

- Et puis, j'aime beaucoup l'approche pédagogique que vous avez mise en place tous les deux. Elle est à la fois originale et efficace.

- Ah bon ? C'est-à-dire ?

- Eh ben je trouve que ton enseignement d'un français plutôt soutenu complète assez bien celui de Misty beaucoup plus, comment dire ?... basique et pragmatique. Même si perso, j'ai beaucoup plus de mal à comprendre son accent que le tien.

- C'est parce que tu t'es habitué au mien depuis toutes ces années, voilà tout.

- Peut-être bien. Ou alors c'est que j'aimeuh bihein l'acceinte pariziène.

- Parisien. L'accent parisien, corrigea Camus.

- Oui, oui ! L'accent parizihein ! répéta Milo avec la plus grande application.

- Et puis, n'oublie pas que nous avons prévu de poursuivre les leçons après notre arrivée au Zodiaque. Alors vous aurez encore le temps de vous perfectionner avant le début de la saison estivale.

- Ça c'est sûr que pour certains, ce sera pas du luxe ! Bon et sinon, dis-moi un peu Camus : qu'est-ce que t'as mis d'intéressant dans tes valises ? Je parie que tout y est parfaitement rangé, emballé et hiérarchisé.

- Un peu d'ordre n'a jamais nui à personne, Milo.

- D'accord, mais tu m'as pas répondu : y'a quoi dans tes deux énormes bagages à part ton passeport et des bouquins ?

- Des vêtements adaptés à tout type de météo. L'ensemble des documents administratifs requis pour un séjour international. Une somme confortable en francs pour pallier toutes difficultés inattendues. Et de quoi m'occuper lors de nos journées de repos, effectivement.

- Ah ouais. Quelle organisation ! Et attends, je parie que t'as même pensé à apporter toute une tripotée de médocs et des litres de crème solaire !

- Les UVA pénètrent profondément l'épiderme et peuvent entraîner des dommages irréversibles, Milo. Alors oui, j'ai inclus dans mes affaires plusieurs tubes d'écran total ainsi que différents chapeaux. Et tu sauras que les intoxications alimentaires sont fréquentes en période estivale. Donc autant prendre certaines précautions, en effet.

- Ouais, ben moi aussi j'ai pris mes précautions, figure-toi. J'ai apporté une pleine sacoche de capotes !

- Très sage décision. Tu vois que tu sais être raisonnable.

- Évidemment ! Et puis tu m'as assez bassiné avec ton histoire de SIDA. Je suis pas complétement idiot non plus.

- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

- Je me doute. Mais j'aime bien te taquiner. Et tu sais ce qui est cool ?

- Non Milo.

- C'est que je vais pouvoir en profiter non-stop pendant des mois ! » s'exclama le Scorpion en appuyant son propos d'un coup d'épaule amical qui fit apparaître un sourire forcé sur les lèvres du Verseau.

Pendant ce temps, Marine de l'Aigle conversait avec Aiolia du Lion, qui l'écoutait d'une oreille dévouée et attentive.

« Alors, tu as déjà réfléchi aux types d'activités sportives que tu vas proposer ?

- Pas vraiment… Je me dis que ça doit pas être bien compliqué. Des ballons et des filets, et le tour sera joué !

- Aiolia, tous les ados ne sont pas fans de foot ou de volley. Tu devrais peut-être envisager un programme un peu plus varié. Comme, je ne sais pas moi… Du tir à l'arc ? Ton frère a bien dû t'apprendre quelques rudiments. Ou des sports de combat ? Après tout, c'est tout de même notre spécialité.

- Et risquer de blesser un gamin ? Je crois pas que ce soit vraiment une bonne idée.

- Ah mais toi, tu te contenteras de faire les démonstrations ! Et puis certaines disciplines ne présentent qu'un danger modéré. Pense au jujitsu ou à la capoeira. Je suis certaine qu'Aldébaran sera ravi de te donner des conseils.

- Peut-être… C'est une suggestion intéressante, en effet.

- Quoi qu'il en soit, ça tombe plutôt à pic tout ça.

- Quoi donc ?

- Eh bien tu vas pouvoir faire de l'exercice tous les jours.

- Et alors, c'est pas comme si j'en avais vraiment besoin, hein ? interrogea le chevalier du Lion dans un élan de déni dissimulant une profonde inquiétude.

- Mon chéri… Enfin, tu ne peux pas nier que ces derniers temps, tu as pris un peu de…

- Un jour en coloniiie, la si, la soool ! Un jour en colonie, la si la sol, fa, mi !

- Désolé ma biche, je n'ai pas compris la fin de ta phrase.

- Je disais que…

- On sautait sur les liiits, la siiii, la soool !

- Mince, Dohko avait vraiment besoin de sortir du Sanctuaire on dirait ! remarqua Aiolia, ravi d'orienter la discussion vers un tout autre sujet.

- Effectivement. Mais je me demande bien où il a pu apprendre toutes ces drôles de chansons, interrogea fort justement le chevalier d'Argent.

- Certainement pas aux Cinq Pics en tout cas !

- Bon, mais… On parlait de quoi, déjà ?

- De la capoeira, répondit le Lion sur un ton malicieux.

- Hum… Bien essayé !

- Mince… Ma fourberie est démasquée.

- Je disais que tu as bien dû remarquer que tu avais pris du poids ces derniers mois.

- Pfou, deux ou trois kilos, tout au plus !

- Plutôt six ou sept, tu veux dire !

- Alors là, tu exagères !

- Je ne pense pas, Aiolia. Il va falloir te reprendre en main. Et revoir significativement la composition de ton régime alimentaire.

- Tu crois ?

- J'en suis absolument certaine. Et en premier lieu, il faudrait que tu renonces à ton péché mignon.

- Non, tu ne peux pas me demander une chose pareille !

- Je crains que si.

- Non, ce serait au-dessus de mes forces…

- Aiolia, regarde-moi : tu vas devoir être fort, mais tu y parviendras. Et je serai là pour te soutenir, chaque jour.

- Mais Marine…

- Tu n'as plus le choix, mon amour. Dès notre arrivée en France : terminé la Danette au chocolat !

- Vous s'rez privés d'desseeert, la siiii, la soool, vous s'rez privés d'dessert la si la sol, fa, mi !

- Dohko, c'est vraiment pas le moment ! » s'insurgea le fier chevalier du Lion, blessé dans son égo et dans son amour de la crème au chocolat.

Ce cri de révolte fit sursauter Shaka de la Vierge qui s'entretenait silencieusement et philosophiquement avec Mû du Bélier, au sujet du peu d'intérêt que suscitaient les attentes de la vie humaine pour sa divine personne. Par contre, l'élan de rébellion léonine n'entraîna aucune réaction de la part de son aîné, les conduits auditifs du Sagittaire étant totalement obstrués par le hard rock qui jaillissait des mousses de son walkman. Les Gémeaux ne réagirent pas eux non-plus, trop occupés qu'ils étaient à se chamailler pour savoir lequel des deux aurait le droit de prendre le lit du haut dans leur future caravane. Parce que les deux frangins avaient toujours rêvé de dormir dans des lits superposés. Comme quoi, certains souhaits n'étaient pas si compliqués à exaucer.

Et face à tout cela, Aldébaran du Taureau expira un soupir empreint d'une profonde inquiétude. Dans quelle aventure se voyaient-ils une nouvelle fois tous embarqués ? Parviendraient-ils à relever le périlleux défi que leur lançaient les Dieux ? Trouveraient-ils la force et le courage de surmonter les épreuves auxquelles ils allaient devoir faire face ? Et surtout… en sortiraient-ils tous sans séquelles ni blessures ?

Aldébaran, en éternel optimiste, avait envie de croire à leur chance de réussite. Alors il ferma les yeux, et pour balayer ses appréhensions et ses doutes, il se concentra sur les cosmos des douze chevaliers d'Or ici présents. Ses frères d'arme avec qui il avait lutté et donné sa vie devant le Mur des Lamentations. Puis il rouvrit les yeux, rassuré et apaisé.

« I will surviiive, I will surviiiiive ! Héhé ! »

Le Chevalier de la Balance avait encore une fois eu le dernier mot.

Notes:

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 2 : A Wind Of Change, Scorpions, 1991.

Chapter 3: Welcome to the Jungle

Notes:

Bonjour,

Et comme je suis motivée, voici le troisième chapitre. Un chapitre un peu plus court, mais c'est peut-être mieux comme ça...

Bonne lecture (et encore une fois : bon courage).

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada (avec toutes mes excuses)

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Dimanche 31 mai, Camping Le Zodiaque, au cœur des Landes françaises

Dohko de la Balance se sentait plutôt rassuré. Leur première grosse réunion depuis l'ouverture du Zodiaque une dizaine de jours plus tôt ne s'était pas trop mal déroulée, et tous les participants semblaient avoir pris leur marque. Plus ou moins. Bon d'accord… peut-être moins que plus.

Un rapide tour de table pour récolter les impressions des uns et des autres s'était soldé par une accumulation de doléances variées mais toutes centrées autour d'un constat identique : les clients étaient des casse-pieds. Ils en demandaient toujours plus et n'étaient que rarement satisfaits. Les douches n'étaient jamais assez chaudes et ne sentaient jamais assez bons. Les pizzas n'étaient jamais assez garnies et le service toujours beaucoup trop long. Les verres n'étaient jamais assez pleins et la musique toujours beaucoup trop forte. Jamais assez. Toujours trop. Bref, certains parmi eux commençaient déjà à en avoir ras l'armure, et ils n'avaient même pas encore accueilli les touristes du mois d'août.

Face à ce délicat constat, Saori, en réincarnation dévouée d'une Déesse aimante et à l'écoute, avait tenté de rasséréner l'ensemble de ses troupes. Elle avait insisté sur le fait qu'ils accomplissaient tous un travail irréprochable et qu'ils avaient simplement besoin de temps pour s'adapter à leurs nouvelles fonctions et à leur nouvelle vie. Par ailleurs, il était établi que la clientèle hors-saison était particulièrement exigeante. Alors il ne fallait pas se sentir découragés par quelques critiques isolées et pas toujours totalement justifiées. Enfin à une ou deux exceptions près.

Car un chevalier s'était tout de même fait remettre les pendules à l'heure. Angelo du Cancer, qui n'avait rien trouvé de mieux que de foutre une peur bleue à une demi-douzaine de bambins en leur chantant une comptine à la gloire de Yomotsu. Avec l'accent italien en sus.

Mais ce petit couac mis à part, il était presque possible de dire que ces premiers jours d'ouverture s'étaient globalement déroulés de manière acceptable. Le Zodiaque n'affichait pas complet, en cette saison cela aurait de toute façon été surprenant, mais les clients ne fuyaient pas dès la première nuitée, ce qui en soit était déjà une réussite.

En entendant la voix de sa bien-aimée Déesse déclarer cette première réunion ajournée, Dohko frappa dans ses mains et s'exclama avec toute l'autorité accordée par ses deux cent soixante-sept printemps :

« Bon allez, venez tous boire un coup. Je crois que nous l'avons bien mérité !

- Excellente idée, approuva la très sage Athéna. Et d'ailleurs Dohko je t'en prie, n'encaisse pas un centime ce soir. Je tiens à offrir l'ensemble des consommations à tous mes chevaliers.

- Vos protecteurs vous remercient, Déesse, et saluent votre infinie bonté, répondit le Chinois qui se garda bien toutefois de préciser qu'il trouvait que cette généreuse attention était en définitive la moindre des choses.

- Mais enfin, et les vacanciers ?! Qui prendra soin d'eux si nous sommes tous occupés à converser et à nous désaltérer ? s'insurgea Saga en manager fraîchement nommé, mais déjà entièrement dévoué à la satisfaction clientèle. Je sais que le dimanche est traditionnellement une journée assez calme lorsque les campeurs sont encore peu nombreux, mais tout de même.

- Ne t'inquiète pas pour ça, rassura le doyen des chevaliers. Je me chargerai de répondre comme il se doit aux attentes de tous ceux qui se présenteront au bar. Cela te convient-il ainsi ?

- Dans la mesure où tu t'engages à rester suffisamment disponible pour les clients qui viendront passer commande, oui, cela me convient, acquiesça le Gémeaux qui prenait visiblement très à cœur son rôle de bras droit de Saori à la direction du Zodiaque. De là à déceler le besoin inconscient de rattraper un quelconque mauvais comportement passé, il n'y avait qu'un pas. Riquiqui tout mini.

- Bien entendu ! Je serai à l'affût et efficace. Multi-fonctions et multi-tâches, comme mon armure ! répliqua avec enthousiasme le porteur de l'unique couteau-suisse zodiacal.

- Dohko, je constate avec plaisir que tu sembles déjà pleinement investi dans ton job de barman en chef, remarqua Angelo que la perspective d'un Vieux Maître œuvrant à la préparation de cocktails rendait à la fois perplexe et curieux.

- Tout à fait, petit scarabée, rétorqua la Balance tandis qu'il croisait avec calme et sérénité ses mains derrière la tête. D'ailleurs n'oublie pas cet adage ancestral : Qui apaise la soif de voyageurs égarés s'assure la poursuite d'un périple sans danger. »

Sur cette assertion proverbiale d'origine totalement inconnue, les chevaliers se dirigèrent d'un pas étonnamment discipliné vers le bar du camping. A l'exception du Cancer qui resta un instant sans bouger, plongé dans une profonde réflexion concernant le pourquoi du petit scarabée. Son aîné devenait-il sénile au point de confondre la carapace d'un insecte avec celle d'un crustacé ? Ou était-ce là une référence à une quelconque private joke dont l'Italien serait la victime ? Un mystère qui n'eut bientôt plus la moindre importance dans l'esprit d'Angelo, ce dernier ne songeant déjà plus qu'au premier verre de whisky qu'il sentirait couler dans sa gorge.

oOoOoOo

Shaina de l'Ophiuchus observait ses congénères en faisant tourner entre ses doigts le parapluie multicolore qui décorait son cocktail. Un rhum ambré spécialement arrangé pour elle par Dohko, dont la saveur épicée satisfaisait pleinement ses papilles. Le mélange, subtile combinaison de badiane et de girofle, pouvait au premier abord paraître un peu étonnant, mais il était tout à fait intéressant. Intense et efficace. Inattendu et électrique. Une boisson qui convenait à merveille au caractère de la jeune femme, et qui de plus s'avérait particulièrement opportune pour terminer une dure journée de service sous le soleil.

Dire que deux mois auparavant, ils se trouvaient tous encore au Sanctuaire, prisonniers d'une routine ennuyeuse qui ne leur offrait que bien peu de perspectives. Et aujourd'hui, ils étaient ici, au Zodiaque, camping quatre étoiles récemment rénové, idéalement situé entre pins maritimes et plage de sable doré. Un établissement où ils étaient voués à répondre aux desiderata de vacanciers obsédés par une chose et une seule : leur satisfaction personnelle.

Shaina s'était plusieurs fois surprise à les dévisager en se demandant si un seul parmi eux imaginait ce à quoi ils avaient échappé quelques années plus tôt. Si un seul d'entre eux se doutait qu'ils devaient chaque seconde passée les doigts de pied en éventail à ceux qui se mettaient aujourd'hui à leur service. Bien sûr que non. Ils n'en avaient pas la moindre idée. Ils ne suspectaient rien et n'avaient rien compris. Comment auraient-ils pu ?

Cette réflexion contraria un instant l'Italienne, qui décida de replonger dans les saveurs de son cocktail. Après tout, elle était ici pour se détendre et non pas pour ruminer de sombres pensées liées à un passé depuis longtemps révolu. Elle but plusieurs gorgées de ce rhum qu'elle trouvait délicieux, puis reporta son attention sur celui qui l'avait préparé.

Shaker dans la main droite, bouteille de Cointreau dans la main gauche, Dohko semblait tellement dans son élément derrière le bar qu'il était difficile de croire qu'il avait passé plus de deux siècles sans bouger au pied d'une grande cascade. Il se payait même le luxe de réaliser des figures compliquées pour épater les vacanciers, qui devaient bien se demander comment leur barman s'y prenait pour ne jamais verser la moindre goutte à côté. Nul doute que la Balance ne se privait pas d'utiliser l'ensemble de ses sens pour se prêter à cet exercice. Cela dit, la technicité et le côté artistique de sa prestation suggéraient de longues heures d'entraînement. Ou alors le visionnage répété d'un certain film à succès.

Une fois sa boisson terminée, Shaina se rapprocha du bar pour déposer son verre sur le comptoir. Elle y rejoignit Milo, Kanon et Camus qui conversaient bruyamment. Enfin surtout les deux premiers, le troisième se contentant de les écouter en sirotant une vodka pamplemousse.

« Alors Shaina, que penses-tu des talents insoupçonnés du Vieux Maître ? Plutôt étonnants, non ? s'exclama le Scorpion en se tournant vers l'Ophiuchus.

- C'est vrai que je l'aurais probablement pas imaginé aussi agile un shaker à la main, répondit l'Italienne. Mais j'ai l'impression que plusieurs parmi nous cachaient de nombreux talents cachés.

- Pas faux ! Regarde Kanon, par exemple. Qui eût cru qu'il aurait le pouvoir d'attirer à lui comme un aimant tout ce qui porte un maillot ?

- Alors là, t'en rajoute Milo ! rétorqua le concerné.

- Pas du tout ! Il y a la queue chaque matin devant le portillon de la piscine. Et la foule y est particulièrement éclectique. Tout âge et tout genre confondus.

- Pfou, n'importe quoi !

- C'est vrai que j'exagère un peu. Pour l'âge. La moyenne tourne plus autour de la cinquantaine que de la vingtaine, précisa l'arachnide en moqueur tatillon.

- Jaloux ! s'exclama le Dragon tombeur des Sept Mers. T'es frustré parce que t'as pas autant de groupies devant tes platines !

- Ne t'en fais pas pour moi ! Perso tout ce que je demande, c'est qu'on apprécie mon travail d'artiste, rétorqua avec emphase le tout nouveau disc-jockey.

- Mais bien sûr, Milo ! Cela dit, pour en revenir à ta remarque concernant l'âge supposément élevé des habitués de ma piscine : tu noteras que cette asymétrie dans la distribution des âges est tout à fait naturelle étant donné la clientèle actuelle. En hors-saison, la proportion de retraités est significativement plus élevée que pendant l'été. T'auras qu'à refaire tes petits calculs dans quelques semaines et on verra !

- Ah là, je sens que je t'ai vexé ! constata le Scorpion.

- Absolument pas ! Et puis je te rappelle que si pour toi seul le côté artistique de tes prestations revêt une réelle importance, une seule chose compte à mes yeux : le bien-être et la sécurité des nageurs !

- Évidemment. Loin de moi l'idée de critiquer ton sens aigu du devoir. Tu es un maître-nageur-sauveteur irréprochable.

- Merci Milo.

- De rien Kanon.

- Bon ça va, vous avez terminé tous les deux ? interrompit Shaina qui n'avait pas pu placer un mot au milieu de cette conversation hautement constructive.

- Oui, oui. Pardon pour cette parenthèse inutile, s'amenda le plus jeune des deux grecs ici présents. Et toi alors Shaina ? Pas trop difficile de servir des boissons à tous ces assoiffés à longueur de journée ?

- Pour l'instant ça va. Enfin disons que j'ai pas encore été prise de besoins d'électrocutions incontrôlées.

- Tant mieux ! Parce que faudrait pas oublier qu'on a un objectif à atteindre, hein. N'est-ce pas Camus ?

- Tout à fait Milo, approuva le Verseau.

- C'est quoi cette histoire d'objectif ? interrogea Kanon qui n'avait visiblement pas été très attentif lors des dernières réunions.

- Ben le fameux palmarès des Tongs d'Or ! expliqua le Scorpion.

- Le fameux palmarès des quoi ?!

- Des Tongs d'Or, répéta Milo en pointant un doigt accusateur en direction du Gémeaux. Oh toi, t'as pas bien écouté ta Déesse ! C'est pas bien ça dis donc !

- Mince, je suis démasqué ! Faut dire que j'ai jamais trop eu l'habitude des longues réunions.

- Ben c'est sûr que c'est pas pendant tes années au pays des calamars et des sardines que t'as dû te taper des meetings à rallonge, observa l'Ophiuchus qui ne ratait jamais l'occasion d'asséner une bonne répartie. Ou alors, poursuivit-elle, il aurait fallu que tu sois un sacré ventriloque pour incarner en même temps ton Dieu de l'époque endormi dans son armure, et le Dragon dont tu avais si joliment usurpé l'identité.

- Alors celle-là, elle est bien envoyée, Shaina ! s'exclama le Scorpion qui appréciait toujours avec grand plaisir les petits pics de la jeune femme. Ça en plus de tout le reste de sa personne, les deux chevaliers s'étant par le passé plusieurs fois retrouvés pour occuper conjointement leurs longues soirées d'hiver.

- Eh oh ! J'avais usurpé l'identité de personne ! s'offusqua l'unique spécimen jamais identifié de chimère Marina-Chevalier. Et pour votre gouverne à tous les deux, mon écaille m'avait choisi, et elle s'est jamais plainte de l'avoir fait !

- Certes Kanon, mais pour la manipulation divine, tu ne peux rien nier, précisa Camus en rompant ainsi son silence attentif. Car l'absence de paroles du Verseau ne minimisait en rien sa capacité à suivre le moindre détail de toute conversation, quel que fût l'intérêt qu'il portât dans le sujet abordé.

- Bon puisque vous semblez tous avoir décidé que ce soir serait ma fête, commandez-moi donc un verre ! Tequila Sunrise. Pour changer du Blue Lagoon.

- C'est pas bien de faire des mélanges, Kanon !

- T'inquiète pas pour moi, Milo ! Je suis loin d'être aussi sensible que toi à l'alcool ! Rappelle-moi qui c'est qui a été malade la dernière fois ?

- Ouais bon, ça va. J'avais simplement mangé un truc qui avait du mal à passer, expliqua le gardien du Huitième soucieux de maintenir tout le panache de sa réputation.

- C'est ça, cherche-toi une excuse !

- Je te jure ! Je suis d'ailleurs quasiment certain que c'était des moules (1). Je sais pas mais… je me demande si je suis pas allergique à ces machins. Une fois ça m'a même collé de l'urticaire.

- C'est juste Milo, je m'en souviens parfaitement, approuva Camus en relevant un sourcil (fourchu). Tu étais devenu subitement rubicond, et ta langue avait tellement gonflé que tu ne pouvais plus prononcer un mot.

- Eh ben, ça devait faire des vacances ! Et en parlant de vacances… A la vôtre et à la santé de tous nos vacanciers ! » conclut le Gémeaux en portant à ses lèvres la Tequila Sunrise que Shaina avait eu la gentillesse de commander.

Le Scorpion, le Verseau et l'Ophiuchus en firent autant avec leurs verres respectifs. Tout ça sous le regard attendri de Dohko, heureux de constater à quel point des cocktails préparés avec amour et un certain degré de savoir-faire pouvaient améliorer l'humeur de ses congénères.

Comme quoi… Shion avait finalement bien fait d'insister pour qu'ils regardassent (ndla : criii ! pardon pour la dissonance) cette comédie romantique avant son départ du Sanctuaire. Avec cet acteur américain qui faisait craquer tout Hollywood – ainsi que le Grand Pope – depuis son rôle d'aviateur rebelle et beau gosse. Comment il s'appelait déjà celui-là ? Ah oui. Tom Cruuiiiseuh.

Bah… Quand Shion viendrait faire son tour d'inspection au Zodiaque – parce qu'il était évident que celui-ci ne pourrait pas résister à la tentation de venir contrôler le bon fonctionnement de toute cette entreprise – ce Tom machin-chose n'aurait plus qu'à aller se rhabiller. Car ce minus en chemise hawaïenne ne ferait plus le poids à côté de Dohko de la Balance, grand Maître ès cocktails et sourire éclatant. Enfin grand… Tout était question de point de vue.


Quelques heures plus tard, dans les allées du Zodiaque réservées au personnel

Trois hommes marchaient d'un pas fier et droit − enfin droit… aussi droit que possible − en discutant à voix basse. Enfin à voix basse… façon de parler.

« Eh ben, ça fait du bien !

- Moins fort Angelo ! Y'en a qui dorme !

- M'en fous ! Et puis qu'est-ce que tu crains, Shura ? Que Saga vienne nous botter l'arrière-train ?! Ça risque pas d'arriver ! Il est devenu doux comme un agneau. Et encore… j'suis sûr qu'un agneau se montrerait beaucoup plus agressif. Y a qu'à voir la branlée que Mû nous a mise à Aphro et à moi la dernière fois qu'on s'est rappliqué dans son temple sans y avoir été invités.

- C'est vrai qu'on aurait dû se méfier de l'agn'Eau qui dort, fit remarquer Aphrodite en levant un doigt en l'air pour souligner l'à-propos de son bon mot. Cela dit, je te rappelle que Saga a longtemps été sujet à de sacrées sautes d'humeur. Alors mieux vaut rester prudents !

- Pfou, vous êtes que des trouillards ! vociféra le Cancer. Y'a rien à craindre, j'vous dis. Et puis, j'ai pas peur de lui ! Son explosion galactique, il peut se la mettre où j'pense !

- Ben voyons ! Mon Lolo, je crois qu'il est l'heure pour toi d'aller au dodo ! affirma le Poissons dont la lucidité n'avait d'égale que son sens aigu du bon goût et des répliques assassines.

- J'ai pas sommeil ! s'indigna l'Italien.

- Oui, mais il se fait tard. Et n'oublie pas que demain matin, t'as toute une bande de joyeux petits bambins qui t'attend dès neuf heures, fit remarquer l'Espagnol qui, en tant que responsable de la maintenance et de l'organisation générale du camping, connaissait le planning de chaque employé sur le bout des doigts.

- Oh buona madre ! Perché io ?! (2) geignit l'Italien. Non mais comment le vieux a pu m'imposer un tel enfer ?!

- Parce que t'as pas daigné proposer tes services pour un autre genre de boulot, répondit Aphrodite. Je te l'avais pourtant dit : Lolo, pense à remplir le tableau, sinon tu vas te retrouver à ramasser les poubelles !

- Ben j'aurais préféré ! Et Par La Déesse, Aphro, arrête de m'appeler Lolo ! s'époumona le Cancer.

- Bon, vous allez pas la fermer tous les trois ?! Y'en a qui essaie de dormir ici !

- Mierda !… J'vous avais bien dit qu'on allait finir par se faire repérer, marmonna le Capricorne.

- C'est qui qui nous a captés ? J'arrive pas à voir avec ces lampadaires qui m'en foutent plein les yeux, vitupéra Angelo.

- Je sais pas… Étant donné l'accent et la tonalité de la voix, je dirais que c'est Aiolia, supputa Aphrodite.

- Oui c'est Aiolia ! Et si vous vous taisez pas dans la minute, vous n'aurez plus aucun problème à reconnaître les Lightnings de mon Plasma !

- Fichtre, on a agacé le chaton ! s'amusa le Poissons.

- N'en rajoute pas, Aphro ! C'est bon Aiolia, pas la peine de t'énerver, on va se coucher, tenta de rassurer le gardien du Dixième. Allez, bonne nuit !

- Ouais… Bonne nuit également ! Mais je vous garde à l'œil, ajouta le Lion en refermant le zip de sa canadienne d'un coup sec.

- Bon allez les gars, cette fois-ci au dodo ! enjoignit Aphrodite.

- Nan ! Pas avant d'avoir fumé ma petite clope du soir ! Shura, tu m'en passes une ? J'ai fini mon paquet avec mon dernier verre de whisky.

- Comme tu veux. Mais j'te préviens, j'ai plus que des Fortunas.

- Beurk ! Mais tant pis. Au point où j'en suis, ça fera bien l'affaire ! Et tu pourras me filer ton briquet aussi, per favore ?

- Carajo ! Angelo, t'as vraiment que la gueule pour fumer !

- Ouais. Mais quelle belle gueule ! Tu trouves pas ? »

Pour toute réponse, le Capricorne se contenta de tendre cigarette et briquet à son ami. Mais il ne put toutefois réfréner une pensée parasite qui vint surgir dans un coin de son esprit fatigué et embrumé par l'alcool :

Oh que si ! Et t'as pas idée à quel point.


Au même moment, dans la cabine téléphonique située à l'entrée du Zodiaque

« Shi-shounet, j'te réveille pas ?

- D'après toi ? Il est trois heures du matin, Dohko !

- Ah mince, on a changé d'heure ?

- Non. Il y a simplement une heure de décalage horaire entre la France et la Grèce.

- Oh pardon, j'avais complètement oublié !

- En même temps, ça ne change pas grand-chose… Pourquoi m'appelles-tu au beau milieu de la nuit ?

- Tu me manques, mon Shi-shounet !

- Oh toi, tu as encore abusé de l'alcool de riz !

- Nan ! Y'a même pas d'alcool de riz dans les étagères de mon bar. Par contre y'a du rhum, et j'peux te dire qu'il est délicieuuux !

- Peu importe. Dohko, il est tard, tu es ivre, et tu as besoin de sommeil. Va donc te coucher.

- Oui, mais j'ai a-asbolument besoin te parler avant !

- Ah. Et que souhaites-tu donc me dire de si urgent qui ne puisse attendre demain matin ?

- Je veux te demander quelque chose de trèèès z'important !

- Quoi donc ?

- Tu me préfères moi ou ce minus de Tom Cruuiiseuh ?!

- Bon, Dohko, tu dis n'importe quoi ! Raccroche donc ce maudit téléphone, et va au lit !

- Réponds-moi d'abord, Shi-shounet ! J'ai besoin de savoir ! Parce que tu sais que maintenant, je me débrouille encore mieux que lui pour préparer des cocktaiiils. Tout le monde est absolument épastouflés ici tu sais.

- Époustouflés.

- C'est ce que j'ai dit.

- Presque. Et je ne doute pas une seconde de l'ardeur que tu dois mettre à la tâche.

- Alors… dis-moi que tu m'aimes moi, et pas lui !

- Tu as vraiment besoin de l'entendre ?

- Oui !

- Et après, tu me laisseras retourner dormir ?

- Promis !

- Alors oui, évidemment. C'est toi que j'aime et pas cet acteur américain que je n'ai jamais vu.

- Merci mon Shi-shounet ! Je t'aimeeeuh aussi tu sais !

- Oui, je sais. Allez, bonne nuit Dohko, et à bientôt !

- Bonne nuit mon amouuur ! Et fais de beaux rêves ! »

Sur ces derniers mots imprégnés de sentiments amoureux et de nombreux degrés d'alcool, Dohko de la Balance reposa le combiné et sortit de la cabine. Puis il s'en retourna soulagé et heureux vers l'emplacement 10A où se trouvaient son matelas et son duvet, pour plonger dans un sommeil amplement mérité après ces premiers jours passés dans leur toute nouvelle Jungle zodiacale.

Notes:

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 3 : Welcome to the Jungle , Guns N' Roses, 1987 (Alaiya, si tu passes par ici, celui-là, il est pour toi !).

(1) Petit clin d'œil à la si savoureuse fic 'Vacances improvisées' de Millenium d'argent dans laquelle Milo est allergique aux moules. Parce que ce passage m'avait vraiment fait hurler de rire !

(2) Oh bonne mère ! Pourquoi moi ? (en italien)

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé

Chapter 4: Golden Eye

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada (pardon maître - j'ai tout de même un peu honte).

Bonne lecture.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Trois jours plus tard, mercredi 3 juin, camping Le Zodiaque

Kanon faisait son douzième tour de bassin depuis qu'il avait enfilé le T-shirt portant la mention MNS inscrite en grosses lettres en plein milieu du dos, lorsque Aphrodite franchit le portillon de la piscine avec Milo à sa suite. Milo qui, au vu du slip de bain qui moulait à la perfection chaque détail de son superbe fessier, avait visiblement le dessein de s'accorder une baignade matinale. Le Gémeaux balaya de son esprit ce commentaire incongru concernant la plastique du Scorpion − après tout il n'avait jamais envisagé son rédempteur sous cet angle, en tout cas pas vraiment − et se dirigea d'un pas leste et décidé vers ses deux camarades en maillot.

« Salut les gars ! Aphro, t'es en avance. Ton cours d'aquagym commence pas avant une bonne demi-heure. Surtout que j'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup d'inscriptions ce matin. Tu risques donc de pas avoir grand monde à faire trémousser dans l'eau.

- Bonjour Kanon ! répondit le Poissons fraîchement reconverti en moniteur de gymnastique aquatique. Merci pour cette information, mais tu sais, j'accepte les participations impromptues. Je ne suis pas psychorigide, contrairement à certains. Et là, je ne fais référence à personne, et surtout pas à un certain jumeau avec qui tu partages une caravane.

- Désolé, j'vois pas de qui tu parles, ironisa le cadet du psychorigide en question.

- Et puis au pire, rebondit Aphrodite, si je n'ai vraiment personne ce matin, je ne serai pas contre une petite heure de farniente. Sinon pour répondre à ton étonnement concernant mon arrivée précoce, Milo cherchait désespérément quelqu'un portant divinement le maillot pour faire quelques longueurs. Alors évidemment, me voilà.

- Je t'ai rien demandé du tout ! s'insurgea le Scorpion, ravi de pouvoir enfin en placer une. Tu m'es tombé dessus quand je quittais mes claquettes devant l'entrée de la piscine. Sinon, ça roule Kanon ? La pêche ? RAS aujourd'hui ?

- Ça va. Rien de particulier. La routine.

- Même pas la moindre petite demande d'étalage de crème solaire ? insista l'Arachnide. Parce que je vois deux candidates, là-bas sur les transats à ta droite, qui en auraient bien besoin. Fichtre, on dirait des chipos qu'on a grillées au barbeuc !

- Ouais ben tant pis pour elles. C'est pas comme si Camus n'avait pas collé des affiches partout autour de la piscine pour rappeler les dangers du soleil.

- Il a fait ça ? J'ai pas fait gaffe.

- Oui Milo. Ton pote l'esquimau glacé a eu la bonne idée de prendre cette bienveillante initiative, qui ne fiche pas du tout la trouille aux gamins. A tel point que l'autre jour, j'ai un gosse qui est venu me voir en chialant parce que son grand frère lui avait dit qu'il avait une tumeur au milieu du menton. Sauf que c'était du chocolat.

- Ah ben c'était pas grave alors ! Mais c'est embêtant si ça fait peur aux petits… J'en toucherai deux mots à Camus.

- Oui, ce serait bien venu, approuva Kanon en tournant la tête vers son talkie qui venait de biper depuis la table à côté.

- Tu ne réponds pas ? s'étonna Aphrodite.

- Si c'était urgent, nos cosmos auraient déjà vibré, répondit le concerné.

- D'ailleurs, je pige pas pourquoi ton frangin nous oblige à utiliser ces gadgets à la noix, fit remarquer Milo en haussant des épaules.

- C'est pour faire plus naturel, expliqua le cadet gémellaire. Il paraît que tous les campings du coin ont investi dans ce genre de matériel. Et puis, j'en connais qui s'éclatent bien avec ça. Y a même un ou deux p'tits malins qui s'acharnent à me faire des blagues à la con.

- Ah oui, je vois le genre ! s'exclama le Poissons. L'autre jour, j'ai surpris Dohko en train de demander avec son plus bel accent anglais si une certaine « Tess T. Culls » (1) se trouvait parmi les clients du bar, parce qu'elle était attendue à la réception. Il a bien dû répéter le nom deux ou trois fois avant de comprendre pourquoi tout le monde riait à gorge déployée.

- Pauvre Dohko ! compatit le gardien du Huitième. Toutes ses années à méditer au pied de sa belle cascade ne l'avaient pas préparé à affronter ce genre d'épreuves. Et vous avez une idée de qui peut être l'auteur de ces sympathiques petits canulars ?

- Hum… Perso, mes soupçons se portent fortement sur Jamian, affirma Kanon. Des jeux de mots aussi élaborés ne peuvent qu'être la signature d'un humour britannique.

- Oh toi, t'as une dent contre les sujets de Sa Majesté ! T'as toujours pas digéré ton combat conte la Wyverne ?!

- Pas du tout, Milo ! Ça n'a absolument rien à voir ! Et si y'en a un qui devrait avoir du mal à encaisser ce souvenir, c'est lui et pas moi.

- Pas faux. C'est vrai que tu l'as bien fait monter au septième ciel, l'animal. Avec efficacité et panache. D'ailleurs, je suis certain que sans l'intervention du Very Big Boss, Rhadamanthe serait toujours en orbite.

- Exactement ! approuva l'aspirant cosmonaute.

- Bon sur ce, Aphro, tu viens piquer une tête ? Après tout, on est tout de même là pour ça, rappela Milo en faisant tourner ses bras par-dessus ses épaules en guise d'échauffement.

- Yes my lord ! approuva le Douzième gardien en déposant avec précaution sa serviette sur un transat.

- Alors bonne baignade ! Et n'oubliez pas que je suis là au cas où. Non parce que Milo, je t'ai vu nager l'autre jour et franchement, t'es pas encore prêt pour les JO.

- Attends une ou deux semaines, et je te mettrai la raclée au cinquante mètres ! » asséna le futur champion juste avant d'exécuter un superbe plongeon.

Kanon recula d'un bond pour éviter d'être atteint par la moindre éclaboussure, l'ex-Dragon des mers ne supportant pas d'être mouillé contre sa volonté. Vieux traumatisme laissé par un séjour carcéral particulièrement humide. Puis il se dirigea vers la table et le parasol où il avait pris l'habitude de déposer ses affaires pour vérifier son talkie, au cas où. Il saisit l'appareil dans sa main droite, choisit le canal désiré et approcha ses lèvres du micro :

« Kanon pour Saga.

- Oui Kanon, répondit aussitôt le premier Gémeaux. Qu'y-a-t-il ? A toi.

- T'as essayé de m'appeler y a cinq minutes ?

- Négatif. A toi.

- OK. Je m'en doutais. Alors à plus. Je reprends la surveillance de la piscine.

- Reçu ! Tout va bien là-bas ? A toi.

- Oui, RAS.

- OK. A plus tard. Terminé ! »

Kanon reposa son talkie en réfrénant la pensée moqueuse qu'il sentait poindre dans l'hémisphère le plus taquin de son cerveau. Son frère était vraiment tatillon sur tout. Même le vocabulaire radio devait y passer. Bah tant qu'il n'en faisait pas usage pour le mode télépathique, cela restait acceptable. Sachant qu'au final, les petites manies de Saga n'étaient pas si terribles. D'ailleurs, s'il voulait être tout à fait honnête, il pouvait presque confesser que celles-ci lui avaient manqué pendant son exil aquatique. Enfin dans une certaine mesure en tout cas.

Sur cette preuve flagrante d'amour fraternel, Kanon remit ses lunettes de soleil sur son nez, et entreprit de poursuivre sa ronde de surveillance autour de la piscine. Lorsqu'il passa devant les clientes au teint d'écrevisse mentionnées par Milo, il apprécia la discrétion que lui accordaient ses Ray-Ban. C'est vrai qu'elles étaient vraiment très rouges, et qu'elles allaient probablement regretter de s'être abandonnées comme ça aux rayons d'Apollon. Tant pis pour elles.

Après tout, même lui pensait à protéger sa peau. Enfin disons qu'il avait un aîné particulièrement protecteur qui le lui rappelait chaque matin. « Kanon, t'as mis de l'écran total sur ton nez ? Kanon, t'as pris tes lunettes de soleil ? Et ta casquette, tu as oublié ta casquette ! ». Ah… Saga est sa tatillonnerie.

Sauf que non, la casquette, il en était hors de question ! Aucun couvre-chef ne viendrait jamais plus masquer sa superbe chevelure. Il avait trop donné avec le casque de son écaille, et celui des Gémeaux, il le portait sous son bras. Alors une casquette, c'était nyet !

En terminant son treizième tour, Kanon fit de nouveau escale à la table où se trouvait son quartier général pour boire une grande gorgée de Coca. Sans sucres, le Coca. Encore un coup de Saga. Le risque de diabète et tout ça. Et c'est lorsqu'il revissait le bouchon sur le goulot de sa bouteille qu'il fut certain de le voir.

Tout juste sorti de l'eau, il se séchait à l'abri d'un parasol. Ces cheveux blonds. Ces larges épaules. Ce dos musclé. Cette attitude fière et supérieure. Il l'aurait juré sur son armure et sur son écaille, cet homme était la Wyverne. Sauf qu'une telle chose était impossible. Que ferait-il ici ? Et surtout, comment aurait-il pu s'approcher à ce point sans que son cosmos eût trahi sa présence ? Non, il devait divaguer. Forcément.

« Eh Kanon, ça va ? T'as vu un fantôme ou quoi ? s'enquit Milo qui venait de s'extirper du bassin pour s'asseoir sur le rebord de la piscine.

- Quoi ? balbutia le maître-nageur en reprenant ses esprits.

- Ben je sais pas, tu fais une drôle de tête !

- Non, c'est ta façon de nager. Je suis impressionné ! Tu pourras bientôt quitter ta bouée ! D'ailleurs, elle est où ? Faut que je la récupère pour les gamins.

- Ha ha, très drôle ! T'es jaloux, c'est tout ! Ou tu commences à avoir la trouille, je sais pas. J'hésite.

- La trouille de quoi ? Que tu te noies quand tu voudras faire la course contre moi ?

- Bon Kanon, t'as gagné ! Toi, moi, dans quinze jours, dans cette piscine. Je te prends au cinquante mètres nage-libre. Et on verra qui de nous deux aura besoin d'une bouée !

- Comme tu veux, Milo. Mais prépare-toi à accepter la défaite. Ça risque de pas être facile pour toi.

- Je ne perds jamais, Kanon. Tu m'entends ? JA-MAIS !

- Faut bien une première à tout ! Nouvelle vie, nouvelles règles !

- On verra ! Et en attendant, moi j'ai la dalle. Ça creuse, la natation. J'vais aller voir si Aldé a pas quelque chose pour moi dans ses frigos.

- Ça marche ! Mais fais gaffe à ce que tu manges quand même. J'me demande si t'as pas un peu trop abusé du gras et du sucre, toi, ces derniers temps.

- Aucun risque. J'ai un corps parfait et une condition physique tout aussi parfaite. Et surtout, huit ans de moins que toi, je te rappelle.

- Trop facile ça, Milo. Allez, va donc t'empiffrer de tartines ! J'en ai assez entendu pour aujourd'hui !

- Je t'en rapporte une, si tu veux ! Tu préfères rillettes ou Nutella ?

- Hors de ma vue, Milo ! »

Le Scorpion déguerpit en riant, une serviette nouée autour de la taille. Kanon le suivit du regard, un large sourire sur les lèvres à la perspective de sa victoire. Certaine. Pauvre Arachnide, il allait tomber de haut. En espérant qu'il ne ferait pas un plat. Parce que ça pouvait faire mal.

Milo lui fit un signe de la main en ouvrant le portillon de la piscine, et ne remarqua pas l'homme qui se tenait de l'autre côté. La tête baissée et le regard masqué par des lunettes noires, ce visiteur qui remettait ses mocassins − oui des mocassins – pouvait facilement passer pour un touriste ordinaire. Mais Kanon, lui, le reconnut aussitôt. Cette fois-ci, il n'avait plus le moindre doute. Surtout lorsque l'homme retira ses lunettes pour lui adresser un clin d'œil. Doré.

ooOoOoOoo

Mû du Bélier referma l'écran de son ordinateur portable dernier cri − un Apple PowerBook, leur Déesse n'avait pas lésiné sur les dépenses – et sourit de satisfaction. Le tableau des réservations pour la période estivale se remplissait peu à peu, et les demandes arrivaient chaque jour plus nombreuses par la poste ou par téléphone. Ce qui rendait la tâche qu'on lui avait attribuée de plus en plus fastidieuse. Remplir les détails de chaque dossier sur un tableur informatique n'était pas une mission particulièrement valorisante intellectuellement parlant, mais Saga et Camus lui avaient fait comprendre que c'était une étape obligatoire à la bonne gestion d'un établissement comme le leur. Alors Mû se pliait à cet exercice sans se plaindre, tout en réfléchissant à un procédé qui lui permettrait d'en optimiser la réalisation.

Il avait entendu parler de la création récente par des chercheurs du CERN d'une sorte de plateforme universelle permettant d'échanger toutes sortes d'informations de manière instantanée : le World Wide Web. Il ne devrait donc probablement pas être bien compliqué d'utiliser cet outil pour permettre aux futurs campeurs de compléter directement leurs dossiers en suivant un format adapté. Et le tour serait joué. Plus de double saisie inutile. Gain d'efficacité garanti. Enfin, on n'en était visiblement pas tout à fait encore là. Mais Mû était convaincu que bientôt, ce réseau international – que certains appelaient l'Internet – serait au cœur de leur vie et de leur quotidien, comme une sorte de cosmos accessible à tous. A deux ou trois petits détails près.

Galvanisé par ses réflexions futuristes, le Premier gardien sortit de son bureau confiant et déterminé. Il descendit les quelques marches qui le séparaient de la réception du camping et ouvrit la porte pour pénétrer dans l'arène. Un brouhaha multilingue envahit aussitôt ses oreilles, dans lequel il n'eut aucun mal à déceler un mélange d'impatience et d'agacement. Plusieurs groupes de touristes attendaient de pouvoir s'entretenir avec les deux agents présents à l'accueil, ces derniers étant aux prises avec un couple de retraités français pour l'un, et hollandais pour l'autre.

« Jeune homme, vous ne semblez pas très attentif à ma requête ! Mon épouse et moi-même voudrions simplement changer d'emplacement. Celui que vous nous avez attribué est beaucoup trop proche du bar. Nous ne supportons plus les cris du disc-jockey.

- Toutes mes excuses, Monsieur, et soyez assuré de ma totale attention », s'amenda Shaka de la Vierge dans un français quasiment parfait. En voilà un qui ne s'était pas assoupi pendant les enseignements de Camus du Verseau et de Misty du Lézard, contrairement à un certain disc-jockey aux ascendances scorpionesques.

« D'ailleurs, poursuivit le Sixième gardien, sachez que je comprends pleinement votre revendication, les dissonances en provenance du débit de boissons susnommé causant des altérations dans l'enracinement de la conscience de Bouddha dans le corps de votre humble serviteur ».

Le vieil homme en sandales cligna des paupières d'incompréhension, puis reprit son propos pour ne pas perdre le fil de ce pour quoi il était venu.

« Très bien, mais vous allez pouvoir nous déménager, oui ou non ?

- Bien entendu, mon cher Monsieur. Je vous propose l'emplacement 413, qui se trouve à mi-chemin entre le portail d'accès à la plage et les sanitaires B2. Celui-ci devrait convenir davantage à votre tranquillité.

- Merci beaucoup. Cela me semble idéal, en effet. Quand pourrons-nous déplacer notre caravane ?

- Dès à présent, Monsieur. L'emplacement 413 est actuellement inoccupé.

- Alors c'est parfait ! Je vous remercie et je vous souhaite une excellente journée, jeune homme, conclut le client ravi d'avoir été entendu.

- Pareillement, Monsieur. Que toutes les choses sacrées soient protégées. Ommm, Paix, Paix, Paix » ajouta Shaka en joignant ses mains en prière devant lui.

Le français satisfait sourit poliment à son bienfaiteur et se retourna vers son épouse qui attendait derrière lui.

« Alors, c'est bon, on va pouvoir déménager ?

- Oui, chérie. Tout est réglé.

- Tant mieux ! Et qu'a voulu te dire ce charmant jeune homme en te saluant de cette manière ?

- Je n'en ai pas la moindre idée. Mais ça avait l'air gentil. »

Mû observa le couple de touristes quitter la réception, heureux de constater que son ami Shaka semblait avoir retrouvé un certain goût pour les interactions sociales. Puis il reporta son attention sur Aiolos qui paraissait en bien plus mauvaise posture avec son couple de hollandais.

Le Bélier aiguisa son cosmos pour mieux saisir le contenu de la conversation, sa maîtrise du néerlandais lui permettant d'en comprendre les détails. Car Aiolos et lui se trouvaient être les seuls chevaliers d'Or à pratiquer la langue de Rembrandt. Lui, parce qu'il était parfaitement polyglotte, ses aptitudes mentales l'ayant transformé en véritable éponge à dialectes. Et Aiolos, parce qu'une mission au Pays-Bas l'avait jadis conduit à s'initier aux charmes de cette "jolie" langue germanique.

Mû comprit rapidement que le Sagittaire avait besoin d'un soutien, la diplomatie n'étant plus vraiment son fort depuis son retour parmi les vivants. Il s'approcha donc de son homologue et prit la parole sur un ton calme et enjoué.

« Messieurs-dames, en quoi pouvons-nous vous aider ? (ndla : le dialogue ci-dessous a été traduit en français, pour notre bien-être à tous)

- Nous voulons voir le directeur !

- Il sera ravi de s'entretenir avec vous, mais voyons d'abord si nous ne pouvons pas satisfaire votre demande sans faire appel à lui, poursuivit le Tibétain avec son plus beau sourire.

- Votre collègue ici présent ne semble pas partager votre point de vue, puisqu'il s'acharne à refuser de prendre en compte nos revendications.

- Il s'agit probablement d'un malentendu. De quoi avez-vous besoin précisément ? »

Aiolos leva les yeux en l'air à la perspective d'entendre à nouveaux les plaintes de ces deux touristes capricieux, et laissa vagabonder ses pensées. Pensées qui rencontrèrent rapidement celles de Saga des Gémeaux, dont le bureau se trouvait à l'étage juste au-dessus.

« Que se passe-t-il, Aiolos ? s'enquit télépathiquement le premier jumeau. Je perçois de la contrariété dans ton esprit.

- Rien de grave, répondit le Sagittaire. Juste des clients aux desiderata un peu compliqués. Mais Mû vient de prendre le relai. Tout devrait donc bientôt être réglé.

- En es-tu sûr ? Camus est avec moi, il peut descendre pour vous apporter son soutien, si besoin.

**Soupir télépathique du Verseau. Ses talents de diplomate lui collaient décidément à la peau.**

- Non, ce n'est pas nécessaire, affirma Aiolos. D'ailleurs Mû vient de mettre fin à son échange avec les deux enquiquineurs qui semblent enfin satisfaits.

- Aiolos, je ne te permets pas de parler de nos clients en ces termes ! s'offusqua le directeur adjoint du Zodiaque.

- Pardon, Saga, marmonna de mauvaise grâce le Neuvième gardien. Si on ne pouvait plus râler tranquillement en silence, cette expérience estivale allait vite devenir infiniment compliquée.

- Excuses acceptées, mon ami. Et si tout est rentré dans l'ordre, je te laisse reprendre le travail. A plus tard, Aiolos.

- A plus tard, Saga. »

Le Sagittaire salua le couple de touristes qui repartait avec le sourire et remercia Mû pour son intervention. Ce dernier lui rétorqua que c'était la moindre des choses, et se dirigea vers la sortie pour se ressourcer avec un peu de silence. La réception était un lieu beaucoup trop bruyant pour ses ondes cérébrales à la sensibilité exacerbée.

Le Bélier fit quelque pas à l'ombre des pins maritimes, les mains croisées derrière le dos. Une douce brise imprégnée d'iode et de soleil lui caressa le visage et il ferma les yeux pour mieux apprécier l'instant. Une soudaine perturbation dans l'équilibre du cosmos vint toutefois rompre ce moment de quiétude pourtant bien mérité. Une altération presque imperceptible, mais qui ne pouvait pas échapper à la perception paroxysmique du Premier gardien. Et lorsqu'il souleva ses paupières, Mû aperçut un homme aux cheveux blonds et à la carrure imposante qui s'éloignait du camping discrètement.

ooOoOoOoo

Milo jeta sa serviette en papier imbibée du gras de son beignet dans une poubelle, et passa sur ses lèvres la pointe de son index. Index qu'il lécha ensuite avec gourmandise afin de ne pas gaspiller le moindre soupçon de sucre glace. Il raffolait vraiment des beignets préparés par le Taureau. Ce gars-là était un chef, et il comptait bien le convaincre de poursuivre l'exploitation de ses talents culinaires à leur retour au Sanctuaire.

Une fois devant la grande porte vitrée de la réception, le Scorpion se figea pour jeter un œil à son reflet. Kanon disait vraiment n'importe quoi lorsqu'il sous-entendait qu'il avait pris du poids. Son corps était absolument parfait, comme tout le reste de sa personne. Enfin, s'il faisait abstraction de ses nombreux défauts.

En pénétrant dans les locaux, Milo salua Shaka et Aiolos qui profitaient d'un moment de tranquillité pour ne rien faire. La Vierge fermait les yeux, probablement pour méditer ou peut-être pour dormir – on ne pouvait jamais savoir – et le Sagittaire effleurait le tissu de son bandana, perdu dans ses pensées. Milo s'égara alors dans une courte réflexion concernant les goûts vestimentaires de son aîné, qui finalement semblaient assez raccord avec l'air du temps. Enfin pour les fans de rock et de métal en tout cas, et pour ceux qui n'avaient rien contre les cyclistes roses fluo. Le moqueur avisé passa ensuite de l'autre côté du guichet sans déranger davantage ses deux camarades, et s'engouffra dans l'escalier qui menait au bureau de Saga.

Arrivé face à la porte, Milo prit un instant pour tenter de remettre sa chevelure en ordre et éliminer les dernières traces de sucre glace éparpillées sur son T-shirt. La perspective de consulter l'ancien Pope ne le rendait pas particulièrement nerveux, mais il venait de détecter la présence de Camus.

« Salut, Saga ! Bonjour, Camus ! La forme ? s'enquit-il en pénétrant dans l'office.

- Bonjour, Milo, répondit le Gémeaux en relevant les yeux du gros registre qu'il tenait ouvert devant lui.

- Bonjour, Milo, reprit Camus en s'écartant du bureau.

- Saga, t'as deux minutes à m'accorder, s'il te plaît ? J'ai besoin de te parler d'un truc.

- Cela ne peut pas attendre cet après-midi ? Camus et moi n'avons pas terminé de vérifier la comptabilité.

- Mais j'en ai vraiment pas pour longtemps ! Vous pourrez vous remettre à vos calculs dans cinq minutes maxi. Ah et Camus, avant que j'oublie, Kanon m'a dit de te dire qu'il fallait que t'enlèves les affiches que t'as collées autour de la piscine. Elles foutent la trouille aux gamins.

- Quelles affiches ? s'étonna Saga en relevant un sourcil.

- Camus t'expliquera ! Bon et alors, je peux te parler oui ou non ?

- Puisque tu es là et que tu sembles fort pressé de d'entretenir avec moi, vas-y, je t'écoute, concéda l'ex-chevalier tyrannique reconverti en directeur dévoué.

- Voulez-vous que je vous laisse ? proposa le Verseau, qui ne souhaitait pas participer à une conversation qui ne le concernait pas.

- Non, tu peux rester, ça me dérange pas, précisa le Scorpion.

- Oui, reste, Camus, s'il te plaît. Comme ça nous pourrons nous remettre au travail juste après. Alors, Milo, je t'en prie, quelle est la raison de ta visite ?

- Alors vous savez que je suis en charge de l'animation festive du camping. Les apéros, les soirées, et tout ça. Sachant qu'Aiolia me donne de temps en temps un coup de main pour les jeux apéros, lorsque j'ai besoin d'un assistant pour m'aider dans l'organisation. Vous vous rendez peut-être pas compte, mais c'est du boulot de préparer les jeux, de distribuer les accessoires qui peuvent parfois être nécessaires. Sachant qu'il faut trouver de nouvelles idées tous les jours. Et pour les soirées, c'est encore pire. Il faut une bonne sono, des lumières, et puis des CD à la mode, évidemment.

- Bon, où veux-tu en venir, Milo ? le coupa Saga, qui commençait déjà à s'impatienter. Deux minutes qu'il avait dit…

- Attends, j'y viens ! Je disais donc… Il faut de la bonne musique, et surtout, renouveler les concepts, sinon les clients finissent par se lasser. J'ai donc pas mal réfléchi à tout ça ces derniers jours, et j'en ai conclu que j'avais besoin de nouveaux équipements.

- De quel genre d'équipements parles-tu ? questionna le directeur à la longue chevelure bleue qui devenait curieux.

- Une nouvelle sono, un nouveau jeu de lumières stroboscopiques, et un dispositif de karaoké.

- Karao quoi ?! s'exclama Saga.

- Karaoké. Attends, t'en as jamais entendu parler ? Saga, faudrait p'têtre que tu sortes un peu de temps en temps, sans vouloir te vexer !

- Je n'ai pas le temps ! J'ai des responsabilités, moi, figure-toi ! se défendit le rabat-joie. Mais tu connais ça, toi, le kara-koké, Camus ?

- Karaoké, corrigea le Scorpion.

- Oui Saga, répondit le Verseau. C'est un terme qui provient d'une combinaison des raccourcis kara du mot japonais karappo, qui signifie "vide", et oke pour ōkesutora, qui veut dire "orchestre". Il s'agit donc d'une façon divertissante de chanter, en suivant les paroles sur un écran.

- Quelle précision, Camus ! Je n'aurais pas dit mieux moi-même.

- Merci Milo.

- Très bien, mais en quoi consiste un dispositif de kara-oké ? insista Saga qui n'était toujours pas certain de comprendre.

- Oh c'est trois fois rien, rétorqua le Scorpion. En gros, il faut un écran de télévision assez grand pour être vu de loin, un ou plusieurs micro, un lecteur de CD et un magnétoscope pour synchroniser les paroles qui s'affichent à l'écran avec la musique, tu sais comme pour les sous-titres d'un film.

- Et j'imagine que tout ça ne se trouve pas au supermarché du coin ?

- Eh ben non ! D'où la suite de ma requête. J'ai entendu parler d'un salon spécialisé dans l'animation, qui se tiendra à Paris la semaine prochaine, et je voudrais donc y aller afin d'acheter tout ce dont j'ai besoin pour la saison estivale. Car tu ne voudrais pas que les clients se plaignent de la qualité de nos animations, hein ?

- Évidemment que non ! Tout doit être irréprochable dans le camping de notre Déesse ! s'emporta celui qui avait fait le serment de garantir cette irréprochabilité.

- Et combien tout cela va-t-il coûter ? s'enquit Camus, à qui l'on n'avait tout de même pas confié la responsabilité de la comptabilité pour rien.

- Ben je sais pas trop… Mais c'est certain que la qualité a un prix.

- Bon, j'en ai assez entendu. Milo, j'accède à ta demande. Rends-toi à ce salon parisien pour acheter ce dont tu as besoin, en y mettant le prix qu'il faudra.

- Merci Saga ! Je te revaudrais ça ! s'enthousiasma le Scorpion.

- Pas la peine. Je ne fais que mon devoir. Et Camus, tu l'accompagnes.

- Quoi ?! s'écria le Français, surpris par la déclaration de son aîné. Mais Saga, je n'ai pas le temps voyons ! La semaine prochaine, je dois me rendre chez l'expert-comptable pour valider les derniers éléments dont nous avons parlé tous les deux.

- Eh bien tu avanceras ton rendez-vous d'un jour ou deux. De toute façon, nous avons presque terminé nos vérifications, les documents dont tu as besoin seront donc prêts plus tôt que tu ne l'avais prévu. Et je pense que tu seras ravi de pouvoir veiller à la pertinence des dépenses de Milo.

- Et tu pourras m'aider avec le français ! se réjouit l'apprenti DJ. Non, parce que j'ai pas beaucoup progressé depuis notre arrivée ici, et je dois bien avouer que c'est pas encore vraiment ça.

- Mais enfin, Saga, tu pourrais pas l'accompagner toi-même ? insista Camus, sans trop y croire non plus.

- Hors de question ! Mon emploi du temps et mes responsabilités ne me permettent en aucun cas de quitter le Zodiaque. Donc vous partez tous les deux, fin de la discussion.

- Entendu, Saga, finit par concéder le Verseau.

- Super ! Une virée entre potes, comme au bon vieux temps ! s'exclama le Scorpion. Bon je vous laisse. J'avais pas dit que ça prendrait deux minutes ?

- Si. Sauf que ça fait plus de dix minutes que tu nous as interrompus, précisa Saga en chevalier tatillon. Kanon ne faisait pas toujours preuve de mauvaise foi non plus.

- Ah mince ! Désolé. Mais ça en valait la peine, non ? Allez, à plus les gars ! Et Camus, ça va être top, tu vas voir ! »

Camus sourit discrètement à Milo lorsque celui-ci quitta la pièce, puis se rembrunit aussitôt. La perspective de ce voyage ne l'enchantait absolument pas. Parce qu'il n'en avait ni l'envie, ni le temps. Le travail avant tout. Mais surtout, parce qu'il avait peur.

Peur de se retrouver seul avec son ami, sans la présence indiscrète des cosmos des autres chevaliers du Sanctuaire. Car depuis leur résurrection, ils n'avaient jamais eu l'occasion de se voir en tête à tête loin de toute oreille inquisitrice, et n'avait donc jamais eu la possibilité de parler sérieusement. Et quelque part, le Verseau était convaincu que c'était très bien comme ça. Mais quand serait-il la semaine prochaine ? Quand serait-il si Milo commençait à vouloir discuter, à lui poser des questions ? A lui demander des explications au sujet de son sacrifice pour Hyoga, de sa traîtrise qui n'en était pas une ? Au sujet de ses silences ? Camus n'avait pas la moindre idée de comment il réagirait, et il n'avait pas envie d'y réfléchir. Parce que songer à tout cela lui rappelait la raison de son mutisme. La raison pour laquelle il n'avait jamais eu ni la force ni le courage d'engager une véritable conversation avec le Scorpion depuis leur retour à la vie. Parce qu'il était amoureux de son meilleur ami depuis toujours, et qu'il ne lui avait jamais dit.

ooOoOoOoo

Shaka de la Vierge enroula un voile de soie autour de ses épaules nues et s'installa en tailleur sur le sol de sa canadienne. La porte, ouverte, donnait sur le sentier de sable qui menait vers l'océan, et de là où il se trouvait, il pouvait distinguer la dune. Majestueuse, intemporelle, mais pourtant si fragile.

Il saisit la tasse posée sur le plateau devant lui, et but une gorgée du breuvage qu'il venait de préparer avec soin. Il avait laissé au Sanctuaire la plupart des substances psychotropes qu'il avait pris l'habitude de consommer depuis son retour à la vie – enfin, à sa vie humaine en tout cas – pour ne conserver que celle qui était devenue indispensable à l'ouverture de ses chakras. Une tisane composée de Psilocybe semilanceata qu'il avait lui-même cueillis lors de ses nombreuses escapades mystiques.

Car depuis son sacrifice devant le Mur des Lamentations, Shaka n'était plus capable de trouver par lui-même le chemin qui le menait à Bouddha. A ce moment-là, lorsque ses camarades et lui avaient donné leur vie – encore – pour leur Déesse et pour l'Humanité, quelque chose avait brisé son âme et avait fait de lui un homme différent. Cette terrible réalité, à laquelle il avait été confronté dès l'apparition de nouvelles molécules d'air dans ses poumons, l'avait anéanti. Alors il avait cherché une solution, un moyen de continuer à être celui qu'il avait toujours été. L'homme le plus proche des Dieux. Et il n'avait trouvé de salut que dans l'illégalité et le psychédélisme. En même temps, certains diraient qu'une telle dérive était probablement inéluctable eu égard à la décoration de la Sixième maison. Mais ceci était un tout autre sujet.

Une fois sa tisane terminée, Shaka se positionna en Lotus pour réciter son premier mantra. Mais à l'ouverture de son cinquième chakra, un sursaut dans son énergie vitale lui fit soulever une paupière. Il venait de distinguer très clairement une aura familière. Une aura qu'il avait jadis côtoyée dans les tréfonds du royaume d'Hadès, et qui cherchait aujourd'hui à se camoufler à seulement quelques kilomètres de là. L'aura de Rhadamanthe de la Wyverne, Spectre de l'étoile céleste de la férocité et l'un des trois Juges des Enfers.

Notes:

A suivre...

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 4 : Golden Eye, Tina Turner, 1995. Sérieusement, vous ne trouvez pas que cette chanson va trop bien à Rhadamanthe ? La Wyverne ne ferait-il pas un excellent James Bond ?

Notes :
(1) Cette blague de mauvais goût n'est pas de moi (pour une fois) mais de Bart Simpson. Elle figure d'ailleurs dans le "top-10 des meilleurs appels de Bart à la Taverne de Moe".

Abréviations:
MNS : Maître Nageur Sauveteur.
CERN : Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire, située à quelques kilomètres de Genève, en Suisse (et à cheval sur la frontière franco-suisse)

Chapter 5: Come Out and Play

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada (je vais arrêter de m'excuser, mais le cœur y est)

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Huit jours plus tard, soit le jeudi 11 juin, sur une sublime plage des Landes

Shura du Capricorne regardait fixement l'océan devant lui, en se concentrant sur les vagues qui naissaient et disparaissaient selon un rythme régulier mais une portée erratique. Une alliance parfaite de constance et d'inconstance. En bref, un parfait résumé de sa vie. Car tous au Sanctuaire le considéraient comme un modèle de fidélité et de droiture, alors qu'en réalité il n'était que... Qu'était-il exactement ? Incertitude. Dissimulation. Mensonge ?

Non, il manquait sans doute d'indulgence envers lui-même. Après tout, il avait toujours eu tendance à porter des jugements radicaux, et sa propre personne n'échappait pas à la sévérité de son courroux. Parce que s'il voulait faire preuve d'un minimum de discernement dans son analyse, il ne pouvait ignorer ne pas être le seul parmi ses pairs à se trouver dans une situation compliquée. La plupart de ses camarades d'infortune étaient revenus à la vie avec un sacré passif sur le dos. C'était juste que depuis près de deux mois, son passif à lui s'affichait chaque jour devant ses yeux.

Finalement, Shura regrettait le temps où il devait user de tout un panel d'arguments pour convaincre son meilleur ami de délaisser ses bouteilles pour sortir prendre l'air. Tout était tellement plus facile. Pas de tentation. Moins de pensées parasites. Moins de doutes.

Alors qu'aujourd'hui… Por el amor de la Diosa, pourquoi Angelo devait-il être aussi beau ?! Pourquoi devait-il sortir de l'eau là juste devant de lui, la peau gorgée de soleil et les muscles tendus par l'effort que sa demi-heure de nage venait d'imposer à son corps si parfait ? Pourquoi devait-il marcher dans sa direction, en glissant ses doigts de cette manière dans ses cheveux pour les plaquer en arrière ? Et surtout, pourquoi devait-il avoir ce sourire ? Ce sourire pour lequel Shura serait resté aux Enfers, et ce sans le moindre doute, si on lui avait simplement donné le choix.

« Pourquoi tu viens pas te baigner ? »

Et cette voix... qu'il avait tant de fois entendu crier son nom dans les rêves interdits qui habitaient ses nuits.

« Shura, c'est quand même pas moi qui vais te faire la leçon pour vanter les bienfaits du sport et t'alerter sur les dangers de la glandouille ?

- J'ai pas envie Angelo, c'est tout.

- Si c'est parce que t'as pas fini de digérer tes tapas du déjeuner, faut pas t'inquiéter ! Kanon sera là pour te ranimer si besoin. Après tout, la gamine lui a pas payé sa formation de sauveteur machin-chose pour des prunes. Sachant que l'emploi d'un tel qualificatif pour Kanon me fait quand même doucement rigoler. Sauveteur, sans déconner ? Cette vie-là réserve décidément bien des surprises.

- C'est bon, t'as terminé ?

- Ouais. Et alors, tu m'as pas répondu : tu digères ou tu dis rien ?

- Très fin.

- On se refait pas, reconnut l'Italien en se couchant sur la serviette qui jouxtait celle de l'Espagnol.

- T'as pris la place d'Aphrodite.

- Et alors ? Il aura qu'à s'en trouver une autre ! Et puis c'est ici que j'avais laissé mon futal. Et de toute façon, Aphro est toujours occupé à jouer dans les vagues. Un vrai poisson dans l'eau. Sans mauvais jeu de mot. Mais arrête de vouloir changer de sujet ! Pourquoi tu restes planté comme ça sur ta serviette ?

- Il fait trop chaud pour bouger.

- Justement Shura ! Une baignade, ça fait baisser la température du corps ! »

Alors j'en aurais décidément bien besoin ! Mierda, Angelo, arrête de me regarder comme ça !

« Peut-être tout à l'heure, Angelo.

- En attendant, t'en veux une ? » rétorqua le Cancer en tendant au Capricorne une cigarette qu'il venait d'extirper du paquet enfoui dans la poche arrière de son jean.

Ce dernier approuva d'un hochement de tête, et avança sa main pour saisir l'objet tendu par son ami. Il l'observa ensuite se contorsionner pour atteindre le sac posé de l'autre côté de la serviette qui n'était donc pas la sienne, probablement à la recherche d'un briquet. Encore un supplice de plus pour l'Espagnol, car Angelo, en bon Italien de son état, ne portait que des slips de bain. Assez petits de surcroît.

« Aphro doit bien avoir un feu quelque part dans tout son bordel ! maugréa l'ancien Masque de Mort en fouillant sans scrupules dans les affaires du Douzième gardien.

- Mon sac ne contient pas de bordel ! s'offusqua le propriétaire du contenant en question. Chaque chose est à sa place, ou en tout cas, était à sa place avant que tu ne glisses tes sales pinces dedans !

- Oh pardon, j'avais pas vu que t'étais revenu, ma p'tite Sirène.

- Allez, file-moi mon sac, Angie, avant de mettre du sable partout !

- Angie ? s'étonna le Cancer tandis qu'il rendait l'objet de sa quête à son propriétaire.

- Oui, ça, c'est pour la p'tite Sirène », répliqua Aphrodite en tendant son briquet au Capricorne. Briquet qu'il avait trouvé instantanément. Chaque chose à sa place…

« Et puis comme je n'ai plus le droit de t'appeler Lolo, je dois bien me rabattre sur autre chose.

- Ouais, ben je me demande si je préférais pas Lolo ! », protesta l'impatient en approchant sa main de la cuisse de son voisin de serviette pour quémander ce qu'il n'avait pas su trouver.

Shura contint un sursaut en sentant les doigts d'Angelo effleurer sa peau, et céda l'objet convoité. Puis il tira une longue bouffée sur sa cigarette pour étouffer le moindre embryon de pensée. Oui, à cet instant, il se devait de contrôler son esprit pour ne pas le laisser s'égarer dans des réflexions qui ne le menaient nulle part. Après tout, cela faisait plus de dix ans qu'il parvenait à ignorer la vérité de ses sentiments, alors s'adapter à cette nouvelle configuration n'était probablement qu'une simple question de temps. Sauf que s'il voulait faire preuve de la lucidité qui le caractérisait d'habitude, le temps ne jouait sans doute plus en sa faveur aujourd'hui. Car chaque jour passé au Zodiaque en présence du Cancer rendait le supplice du Capricorne toujours plus insoutenable.

« Et en parlant de Sirène ! »

L'exclamation inopinée d'Aphrodite apporta un salut inespéré à Shura, au moins pour le moment. Et ce dernier s'empressa de reporter son attention sur le Poissons qui migrait de quelques pas pour s'adresser au second Gémeaux tout juste sorti de l'eau.

« Kanon, c'est pas ton ancienne collaboratrice là-bas, avec le bikini blanc ? Superbe, soit dit en passant.

- La fille avec la planche de surf ?

- Ah oui. Désolé, chacun s'attarde sur les détails qui lui paraissent les plus significatifs. Mais c'est bien de cette charmante personne que je parle. Alors, c'est Thétis oui ou non ?

- Je sais pas trop. A cette distance, difficile à dire. Et puis, si c'était elle, j'aurais probablement dû ressentir sa présence.

- Eh bien tes yeux comme ton cosmos ont certainement besoin d'une petite révision, parce que cette belle inconnue nous fait signe et court dans notre direction.

- Eh, Kanon ! Salut, comment tu vas ?! s'exclama la jeune femme en arrivant vers le groupe des chevaliers d'Athéna.

- Et nous, on pue ou quoi ?! s'agaça le Cancer en enfonçant dans le sable le reste de sa cigarette.

- Angelo, ton mégot !

- Ah merde, Shura, t'as des yeux sur les côtés ou quoi ? maugréa le fautif en récupérant l'objet de son délit.

- Thétis ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? questionna l'ancien Marina sur un ton exagérément enthousiaste.

- Je me suis mise au surf, comme tu vois, expliqua-t-elle en levant la planche qu'elle serrait entre ses doigts. Les gars ont fini par me convaincre ! »

Kanon fronça les sourcils et porta son regard vers l'océan. Il parvenait bien à distinguer des surfeurs parmi les vagues, mais impossible de reconnaître qui que ce fût. Décidément, sons cosmos n'était-il plus aussi affuté qu'auparavant, et ses yeux commençaient-ils à le trahir ? Non, impossible ! Ce léger manque de perspicacité était dû au soleil et aux embruns. Oui, voilà. Évidemment. Un quelconque déclin dans le niveau de ses capacités ferait trop plaisir à Milo pour être acceptable. D'ailleurs, heureusement que le Scorpion venait de partir pour Paris avec son pote le Congélateur Portable, sinon nul doute qu'il aurait déjà eu droit à une bonne salve de moqueries.

« Isaak sera super content de te voir ! poursuivit la Sirène en replantant la pointe de sa planche dans le sable doré.

- Vraiment ? s'étonna l'ex-Dragon des Mers qui demeurait lucide quant aux sentiments qu'il savait avoir générés chez ses anciens partenaires subaquatiques.

- Hum, désolé de vous interrompre mais… Bonjour Thétis ! Je me présente à nouveau, dans l'hypothèse – peu probable – où tu en aurais besoin : Aphrodite des Poissons, gardien de la Douzième maison du Zodiaque, et professeur d'aquagym au Zodiaque. L'un des plus beaux campings des environs, avec, peut-être, celui dans lequel vous avez élu domicile. Le Poséidon, si je ne me trompe pas ? Assez prévisible comme nom, sans vouloir me moquer. Même si nous sommes plutôt mal placés pour critiquer un manque quelconque d'originalité.

- Pardon Aphrodite, je suis infiniment impolie de ne pas t'avoir salué, s'excusa la jeune femme. Bonjour à toi ! Non, je ne t'ai pas oublié, bien entendu ! Et tu as parfaitement raison : le camping dans lequel nous travaillons porte effectivement bien ce nom. Nom que nous n'avons pas choisi, même si cela peut paraître difficile à croire.

- Voilà, et nous, on pue toujours ! Elle commence à me gonfler celle-là ! s'offusqua Angelo qui ne supportait pas de faire de la figuration.

- Désolé de te décevoir, réagit Shura en plongeant ses doigts dans le sable humide à ses pieds, mais tu n'as peut-être pas laissé un souvenir impérissable aux représentants du Dieu des Océans lors de leurs dernières visites au Sanctuaire. En même temps, pour ça, il aurait fallu que t'acceptes de sortir de ton temple plus de cinq minutes. On récolte ce que l'on sème, Angelo !

- Bla bla bla ! Une mémoire courte n'empêche pas d'être poli ! » ajouta le vexé en se levant d'un bond de sa serviette pour se planter devant la représentante du clan Solo et déclarer d'une voix forte et assurée :

« Angelo du Cancer, autrefois plus connu sous le nom de Masque de Mort ! Enchanté, Signora !

- Angelo, quel savoir-vivre ! ironisa Aphrodite.

- Bonjour, balbutia Thétis, surprise par cette subite interruption. Nous n'avons effectivement jamais été présentés. Enfin il me semble.

- Faut croire que non, sinon vous vous en rappelleriez ! affirma le Quatrième gardien, dans un excès de confiance en soi typiquement masculine.

- Probablement », répondit sobrement la Sirène, en notant dans son esprit les qualificatifs « vantard » et « soupe au lait » à côté de la case « chevalier d'Or du Cancer ».

Kanon poursuivit la conversation en se focalisant sur ce nouveau sport de glisse pour lequel les Généraux des Mers semblaient s'être pris de passion. Autant ne pas aborder de sujet qui fâche… Jusqu'à ce que le groupe de surfeurs les rejoignît, Isaak du Kraken et Io de Scylla en tête, suivis de quelques pas par Baian de l'Hippocampe et Caça des Lyumnades. Caça des Lyumnades qui paraissait méconnaissable dans son short de bain multicolore aux motifs étonnants. L'ancien Marina se concentra un instant pour tenter d'identifier la nature du logo bizarre qui apparaissait sur la cuisse droite. C'était quoi au juste ? Un requin ? Un dauphin ? Ah ben non, c'était un babouin (1).

« Thétis, tu fraternises avec l'ennemi maintenant ?! s'écria le gardien du pilier de l'Océan Arctique. Kanon n'avait donc pas commis d'erreur de jugement. Son ancien protégé n'était effectivement pas enchanté de le voir.

- Bonjour Isaak, enchaîna le Gémeaux sans se départir ni de son assurance ni de son apparente sérénité. Moi aussi ça me fait plaisir. Comment te portes-tu ? Tout va bien au Poséidon ?

- Bonjour Kanon. Oui, tout va très bien. Je ne te retourne pas la question.

- Eh gamin, fais attention à ce que tu dis ! Et puis c'est une manie chez vous, l'impolitesse ? On vous a pas appris à dire bonjour à tout le monde, à vous autres les calamars ? s'énerva Angelo qui avait atteint ses limites dans l'acceptation de son insignifiance.

- Nous n'avons pas de leçon à recevoir d'un crabe de ton espèce ! rétorqua Caça en pointant un doigt crochu dans la direction de l'Italien.

- Voyons, Messieurs, aucune raison d'être désagréables les uns envers les autres, tempéra Aphrodite. Nous sommes tous visiblement en repos aujourd'hui, alors pourquoi ne pas essayer de profiter de cette belle journée de soleil tranquillement tous ensemble ?

- Et que proposes-tu, Chevalier des Poissons ? questionna Io de Scylla sur un ton inquisiteur.

- Je ne sais pas ? Un match de foot ? suggéra le Suédois qui venait de voir un ballon traverser son champ de vision.

- Sérieusement ? Tu nous proposes de faire un match ? Contre vous ? Ici et maintenant ? s'amusa Isaak avec un sourire dédaigneux.

- Et pourquoi pas, mini-poulpe ?! T'as peur de prendre une raclée ? asséna le Cancer en félicitant télépathiquement son ami le Poissons pour cette suggestion qui venait de réveiller son penchant le plus compétiteur.

- Certainement pas ! Je craindrais plutôt de vous infliger des blessures. A vos âges, c'est pas déconseillé de jouer au ballon ? Faudrait pas risquer une rupture du col du fémur ou un lumbago.

- Kanon, c'était déjà un sale gosse comme ça quand tu le fréquentais, ou ça lui est venu plus tard ?

- La mauvaise éducation, c'est un mal qui s'acquiert dès le plus jeune âge, Angelo. Va donc te plaindre à Camus !

- Laisse mon Maître en dehors ça, sale traître ! s'emporta le Kraken.

- Ancien Maître, rectifia l'Italien. Je te rappelle que c'est pas toi qui as obtenu l'armure du Cygne, mais ton copain la pleureuse.

- Je te permets pas de parler de Hyoga comme ça ! Il vaut douze chevaliers tels que toi !

- Bon, et ce match alors, on le commence ou pas ? trancha le Capricorne (sans mauvais jeu de mot).

- Je vais chercher un ballon ! déclara Aphrodite. Essayez de ne pas vous étriper en attendant. Thétis, je les confie à ta garde.

- Entendu, approuva la jeune femme. Ils ne broncheront pas. N'est-ce pas les gars ? Nous sommes entre personnes civilisées, en temps de paix et sans rancœur liée à de quelconques affrontements passés.

- Tu parles ! maugréa Isaak en jetant sa planche de surf sur le sable à ses pieds.

- Général du Kraken ! Un peu de retenu ! Sois digne du Dieu que tu sers !

- Pardon, Thétis. Mais…

- Tsut ! Isaak ! » le coupa la Sirène avec la fermeté du Général qu'elle n'était pourtant pas. Encore un exemple flagrant d'inégalité homme-femme jusque dans les rangs des plus hauts dignitaires des armées divines.

« Tu devrais plutôt commencer à réfléchir à votre technique de jeu, poursuivit la stratège aguerrie. Personnellement, je pense qu'il ne faudrait pas sous-estimer la capacité offensive de vos adversaires, et la nature du terrain devrait vous inciter à opter pour un schéma tactique avec un attaquant de pointe… » (ndla : par respect pour l'équité du jeu, le reste de ce dialogue a été écourté. Merci pour votre compréhension).

ooOoOoOoo

Algol de Persée s'amusait à construire des statues de sable, qu'il observait se disloquer lentement sous les assauts répétés de la marée. Il souriait de satisfaction en songeant à la bien meilleure longévité qui caractérisait ses statues à lui, lorsqu'un cri strident lui fit relever la tête.

Jamian du Corbeau porta ses mains en visière sur le haut de son front pour observer l'origine de ce rugissement bestial, et se retourna vers son camarade qui venait de se mettre debout.

« Je crois qu'Angelo a marqué, constata simplement le Britannique.

- Eh ben comme ça, il sera peut-être mieux luné ce soir à la cantine !

- Non mais regarde-le, il célèbre son but comme s'il venait de marquer en finale de l'Euro ! Sachant que ça risque pas d'arriver cette année, puisque sa chère Squadra Azura n'a même pas réussi à se qualifier (2).

- Sérieux ? Alors ça veut dire qu'on n'aura pas à supporter l'hymne italien en boucle pendant quinze jours ? Mais c'est une excellente nouvelle ça, Jamian !

- Ravi de t'avoir si facilement contenté, Algol. Par contre, j'espère que t'as rien contre le God Save the Queen, parce que l'Angleterre joue ce soir son premier match contre le Danemark, et l'Écosse enchaînera demain contre les Pays-Bas. Alors tu te doutes que je compte bien regarder tout ça à la télé du camping. Enfin, si le patron me fout la paix deux minutes. Parce que ces jours-ci, Saga est sans arrêt sur mon dos. Il paraît que quelqu'un lui aurait dit que j'utiliserais les talkies pour faire des blagues de mauvais goût. Comme si c'était mon genre…

- Oui, comme si c'était ton genre, en effet, ironisa le chevalier au bouclier maléfique. Et t'en fais pas pour l'hymne britannique : j'irai bouquiner dans ma canadienne. Bon et sinon, ça se passe où l'Euro cette année au fait ?

- En Suède. Aphrodite risque donc d'être en émoi, répondit l'homme qui parlait à l'oreille des corbeaux en plus de parler au micro des talkies.

- Ah mince ! Pourvu que les suédois se fassent sortir dès le premier tour, sinon ça va devenir imbuvable.

- T'inquiète pas, ils sont dans notre groupe, et vu que la France s'y trouve aussi, ils vont se faire éjecter direct ! Eux et ces pauvres Danois qui ont été repêchés à la dernière minute. Fichue guerre de Yougoslavie (3).

- Tu t'intéresses à la géopolitique, toi maintenant ? s'étonna le dresseur de Méduse.

- Non, mais la Yougoslavie avait une bonne équipe. Et franchement, le Danemark, footballistiquement parlant, c'est pas la panacée ».

Un nouveau hurlement associé à un juron typiquement transalpin vint interrompre la conversation des deux chevaliers d'Argent.

« Nouveau but ? interrogea Algol en se rapprochant de l'océan. Le football, il n'en avait en réalité strictement rien à faire.

- Non, mais on dirait que Kanon vient de manquer la cage adverse alors qu'Angelo se trouvait tout seul face au but. Et du coup, on a droit au retour du Masque de Mort en mode hystérique.

- Et après ça, on dira que le sport est bon pour la santé. Tu me permettras d'en douter ! Au moins en ce qui concerne la santé mentale de certains », conclut le chevalier Persée en plongeant la tête la première dans une vague.

Jamian du Corbeau observa son ami s'éloigner en nageant et consulta sa montre. Il lui restait quatre heures pour se mettre en condition avant le début du match. Pile le temps nécessaire pour retourner au camping, enfiler une tenue acceptable et ingurgiter une bière ou deux.

ooOoOoOoo

Kanon des Gémeaux posa ses mains à plat sur ses cuisses pour reprendre son souffle. Le football n'était pas un sport de tout repos. Ou alors les autres disaient vrai : il se faisait vieux. Bah un peu de sport et une meilleure hygiène de vie suffiraient probablement à le remettre en forme. Sauf que qui disait hygiène, disait sevrage alcoolique, ce qui n'était absolument pas envisageable. Tant pis, il miserait tout sur le sport. Tiens, il n'aurait qu'à se mettre au surf. Tenir debout sur une planche ne devait certainement rien avoir de bien compliqué. Surtout si un type comme Caça y parvenait sans se manger une méduse en pleine face.

« Bien joué les gars ! finit-il par déclarer en se redressant vers ses partenaires.

- Ouais, on les a littéralement explosés ! affirma le Cancer en tapant dans la main du Gémeaux. Même si t'as pas mal vendangé devant le but. Faudra travailler ce pied gauche, Kanon !

- J'y penserai, concéda le droitier.

- Par contre, les mecs, je voudrais pas jouer les rabat-joie, mais vous êtes sûrs qu'on a gagné ? Parce que les quatre porteurs d'écaille là-bas me semblent étonnamment joviaux pour des adversaires supposés accablés par la défaite, fit remarquer Aphrodite en pointant vers les personnes concernées un doigt toujours parfaitement manucuré malgré les nombreux buts qu'il venait d'arrêter.

- Ben c'est que les sardines doivent pas savoir compter ! constata Angelo sur un ton catégorique.

- Quoi qu'il en soit, je pense qu'il est temps pour nous d'aller saluer nos opposants, proposa le Capricorne qui savait raisonner autant en terme footballistique qu'en terme diplomatique.

- Ouais, t'as raison ! Le fairplay sportif, c'est un sacerdoce ! ajouta l'Italien, qui n'avait aucun mal à digérer la mauvaise foi. Et bien joué Shura ! T'as planté un très beau pointu du droit ! Bellissimo ! »

En prononçant ces mots, Angelo fit claquer sa main contre les fesses de l'Espagnol en signe d'approbation virile et sportive. Le contact de ces doigts sur sa peau ne dura qu'un instant, et fut heureusement atténué par le tissu de son short, mais Shura se sentit plonger dans un puits sans fond. Un puits duquel il était certain de ne jamais pouvoir s'échapper, car son supplice en ce monde serait éternel.

Espace Bar-Restaurant du camping Le Zodiaque, en fin d'après-midi

Misty du Lézard déposa son dernier plateau sur la grande desserte située à l'arrière du restaurant, et poussa un profond soupir. Il venait enfin de terminer la mise en place des tables en préparation du repas du soir, et il n'avait plus qu'une seule idée en tête : avaler un café.

Il n'aurait jamais imaginé qu'un poste de serveur pût être à ce point exigeant. Et encore, il pouvait personnellement compter sur ses capacités de chevalier pour l'aider dans ses tâches quotidiennes, ce qui n'était pas le cas du commun des mortels.

Après avoir accroché son tablier au porte-manteau vissé à l'arrière de la porte battante de la cuisine, Misty quitta la terrasse pour rejoindre le bar. Il y retrouva Aldébaran du Taureau qui conversait avec Dohko de la Balance et Jamian du Corbeau. Ce dernier s'était visiblement apprêté pour la soirée, puisqu'il arborait un très beau T-shirt à l'effigie de la Reine d'Angleterre ainsi qu'un superbe cycliste aux couleurs de l'Union Jack. Cycliste que le Lézard considéra néanmoins d'un regard dédaigneux, Jamian ne rendant pas honneur à cet accessoire incontournable de la mode actuelle.

Le Français se dirigea ensuite vers celle qui était aujourd'hui devenue sa meilleure amie et qui portait le débardeur avec la classe de Lady Di : Shaina de l'Ophiuchus.

« Bonsoir beauté, tu servirais pas un petit café à ton chevalier préféré ?

- Salut Misty ! Alors, t'as cassé combien d'assiettes aujourd'hui ? se renseigna la jeune femme en plaçant une grande tasse en-dessous du percolateur. Car elle connaissait suffisamment son ami pour savoir que petit café signifiait grand café, bien noir et sans sucre.

- Pas la moindre, figure-toi ! rétorqua le prétendu maladroit.

- Avec ou sans tricherie ?

- Avec, tu me connais, avoua-t-il en délivrant un clin d'œil. Pourquoi se priver de nos capacités pour exercer ce second métier que nous n'avons pas vraiment choisi ?

- Parce qu'on t'avait laissé le choix pour le premier, peut-être ? souligna l'Italienne en déposant la tasse de café, remplie à ras bord, devant son camarade d'infortune.

- Non, en effet. Alors je n'ai pas d'excuse, et je dois donc admettre que je ne suis qu'un tricheur. En même temps, c'est pas à mon âge avancé que je vais changer.

- Arrête un peu ! T'as quoi ? Vingt ans, à tout casser ?

- Vingt-et-un ! Le Onze octobre prochain. J'ai commencé à me renseigner pour trouver une bonne crème anti-rides.

- Alors on a le même âge, andouille ! Et tu crois que j'ai besoin de me badigeonner le visage pour avoir une allure acceptable ?

- Mais toi, tu es toujours parfaite, ma chère. Ce qui n'est plus mon cas ! Mon passage chez Hadès a laissé des traces. Regarde la peau sous mon menton, elle pendouille !

- N'importe quoi ! Misty, tu délires ! Dis tout de suite que tu ressembles à Dohko ! Version grande cascade, j'entends.

- Qu'est-ce que j'ai encore fait ? s'écria la Balance qui venait d'entendre prononcer son nom.

- Rien du tout, mon chou ! rétorqua l'Ophiuchus qui avait visiblement décidé de faire fi de toute barrière générationnelle entre le patron du bar et elle-même. Bon Misty, poursuivit la jeune femme en rivant ses grands yeux verts dans ceux de son vis-à-vis, arrête un peu tes idioties et prends deux minutes pour te regarder dans une glace. T'es beau comme un Dieu !

- Tu le penses vraiment ?

- Oui, je le pense.

- Mais attends, à quel Dieu tu fais référence ? Parce que je veux pas dire, mais certains sont tout de même particulièrement vilains. Regarde Héphaïstos par exemple.

- Encore une ânerie ! Il n'était que boiteux, je te rappelle !

- Ah bon ? Tu en es certaine ?

- Absolument ! Faudra réviser tes classiques, ma poule (ndla : un comble pour un lézard). Alors fin de la discussion : t'es beau, point barre. Tu veux un autre café ?

- Quelle heure est-il ? interrogea celui qui affichait à présent un large sourire satisfait.

- Presque dix-sept heures.

- Alors non merci, sinon je n'arriverai pas à dormir. Je ne m'autorise jamais aucun excitant après cinq heures de l'après-midi.

- Tu rigoles ou quoi ?! faillit s'étouffer Shaina en avalant le café bien serré qu'elle venait de se servir. Car en parfaite italienne, la caféine coulait sur elle comme la pluie sur le toit de sa canadienne. Enfin sauf en cas de gros orage, évidemment.

- Non, pourquoi ?

- Oh pour rien. Mais tu sauras que l'alcool est un puissant excitant. Donc…

- Donc… je rectifie mon propos : jamais aucun aliment ni boisson contenant caféine, théine, gingembre et tutti quanti, après dix-sept heures.

- Gingembre et tutti quanti ? Vraiment ? renchérit la jeune femme en relevant un sourcil.

- Ah non, pardon. Je dois également rayer cet ingrédient de ma liste. Comme tous les autres aphrodisiaques, dont je n'ai pourtant pas besoin, hein. Mais autant rester prudent. Bon eh bien en définitive, il ne me reste plus que la caféine et la théine à éradiquer, si je comprends bien.

- Tout à fait ! Et du coup… Voudrais-tu un petit remontant ? Parce que Dohko vient de dénicher une grappa, dont tu me diras des nouvelles !

- Qu'est-ce que je viens de dénicher ?! s'exclama le Septième gardien qui laissait décidément traîner ses oreilles partout.

- Par la Déesse ! Il est toujours comme ça, ton patron ?

- Oui, Misty. Toujours. Et encore, t'es loin d'avoir tout vu ! » révéla l'Ophiuchus en se retournant pour saisir la bouteille de grappa que la Balance avait hissé tout en haut du bar. Probablement en ayant eu besoin de faire usage d'un tabouret.

 

A suivre…

Notes:

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 5 : Come Out and Play (Keep 'Em Separated), the Offspring, 1994.
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(1) Caça porte un superbe short de bain de la marque au singe LC Waïkiki, très en vogue en France à cette époque, et qui était de *toute beauté* (je sais de quoi je parle, j'en avais dans ma penderie !).

(2) Je fais ici référence à l'Euro de football 1992, dont la phase finale s'est déroulée en Suède du 10 au 26 juin, et qui a été remporté – à la surprise générale – par le Danemark.

(3) Pour la petite histoire (qui s'inscrit toutefois ici dans la grande), l'équipe du Danemark ne devait pas participer à la phase finale et a été repêchée peu de temps avant le début de la compétition pour remplacer celle de Yougoslavie, exclue en raison de la guerre qui avait commencé un an plus tôt, et qui l'avait devancée d'un petit point au classement dans le groupe 4 des éliminatoires.

Chapter 6: Baby One More Time

Notes:

Bonjour,
Voici la suite de cette histoire avec, vous vous en doutez, le chapitre 6.
Bonne lecture.

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais les âneries que je leur fais faire et dire ne sont que de moi.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Le Globe Trotter Café, un bar sympa dans un village sympa des Landes, en tout début de soirée (et toujours le jeudi 11 juin 1992)

Kanon des Gémeaux plongea ses lèvres dans la mousse fraîche de la bière qu'il venait de commander, et ferma les yeux. Il voulait apprécier les bienfaits que ce moment exerçait sur son mental surmené. Un bambin tombé à l'eau par-ci, un bip de talkie par-là. On ne lui accordait jamais une minute de répit. Que ce fussent les clients, son bien-aimé frangin ou ses chers camarades en armure, il les avait tous en permanence sur le dos. Alors de temps en temps, Kanon avait besoin de s'accorder un peu de tranquillité et surtout, il avait besoin de solitude. Et comme il avait depuis longtemps laissé tomber l'idée de se ressourcer dans un cachot miteux façon retraite monacale, il s'était reporté sur ce café qu'il avait trouvé par hasard, au détour de l'une de ses nombreuses échappées nocturnes.

Oui, ce soir, l'ancien Marina avait besoin de calme, surtout après les événements de l'après-midi. Ce match de foot l'avait éprouvé d'une manière inattendue, et il ne parvenait à digérer ni son manque de souffle sur le terrain ni son manque d'adresse devant les cages. Vraiment, il pouvait louer Athéna pour l'absence opportune du Scorpion, car ce dernier ne se serait sûrement pas privé de ressasser le spectacle peu glorieux de sa prestation pendant des lustres.

Cette pensée l'incita à songer à celui qui avait pris une place étonnamment importante dans sa vie, de pair rédempteur à véritable ami. Il se demanda alors comment se déroulait son séjour à Paris. Milo comptait probablement utiliser cette opportunité pour visiter quelques unes des discothèques les plus réputées de la capitale, avec l'idée d'accumuler les conquêtes. Est-ce que cela le rendait jaloux ? Oui, bien entendu. Et peut-être pas uniquement dans le sens qu'il aurait fallu.

Mais en dépit de cette jalousie mal placée, Kanon reconnaissait facilement que le Scorpion avait bien raison de vouloir en profiter. Après tout, on n'avait qu'une vie. Enfin, en temps normal en tout cas. Sauf que le Gémeaux oubliait un détail important. Milo n'était pas parti seul à Paris. Camus était avec lui, et en tout état de cause, un séjour avec le réfrigérateur en titre du Sanctuaire ne devait pas être une douce partie de rigolade.

Bon sachant qu'il était sans doute un peu trop sévère avec le Verseau. Car si Milo l'avait désigné comme meilleur ami depuis toutes ces années, c'était que ce dernier ne devait pas être si désagréable à supporter au quotidien. Ou alors, il présentait des attraits insoupçonnés allant au-delà de sa capacité à exercer la fonction de climatisation portative, fort utile par temps de canicule.

Oui, Kanon avait parfaitement conscience d'avoir toujours été injuste avec le Français. Et s'il voulait être honnête avec lui-même, il savait pertinemment d'où provenaient sa défiance et ses nombreux a priori. Isaak et l'état déplorable dans lequel se trouvait l'adolescent lorsqu'il s'était échoué sur le sol du Sanctuaire sous-marin. Kanon avait tout de suite désigné Camus comme l'unique responsable de ce gâchis monumental. Car malgré la profonde attraction qu'il avait aussitôt ressentie chez le garçon pour celui qui était alors son Dieu de tutelle, il n'avait jamais cessé de penser qu'Isaak aurait fait un très grand Chevalier d'Athéna.

Alors cet après-midi, lorsque celui qu'il avait jadis pris sous sa protection l'avait ouvertement qualifié de traître, Kanon aurait pu l'accepter sans broncher, puisque en définitive, ce n'était que la stricte vérité. Mais qu'Isaak eût tenu ces propos tout en chantant les louanges de Camus du Verseau, ça, Kanon avait vraiment eu du mal à l'encaisser. Pourtant il n'avait rien dit, et il avait joué son match comme si de rien n'était. Après tout, il n'était pas non plus considéré comme l'un des plus grands dissimulateurs de tous les temps totalement sans raison. Même si on en rajoutait sûrement un peu sur l'étendue de ses capacités.

Tout ça pour dire qu'il n'était finalement pas surprenant que ses aptitudes footballistiques en eussent été altérées. Mais le point positif dans cette histoire, c'était qu'à l'issue de cette intermède sportive pour laquelle il était bien incapable de désigner un vainqueur – seul Angelo semblait avoir suivi l'évolution du score et étant donné sa propension à la partialité et à la mauvaise foi, on pouvait douter de la conclusion qu'il en avait tirée – Isaak était venu lui serrer la main et s'était excusé. Et pour l'ex-Dragon des Mers, cela valait toutes les victoires du monde.

Et puis de toute façon, ils étaient tous tombés d'accord sur la nécessité de disputer une revanche. A quatre contre quatre, la confrontation n'était pas suffisamment représentative des forces en présence pour parvenir à une réelle conclusion. Donc il y aurait un match retour, en effectif complet : onze contre onze, et sur un véritable terrain. Il ne restait plus qu'à définir le lieu et la date. Et la liste des joueurs, aussi.

La tâche du sélectionneur auto-désigné de l'équipe du Sanctuaire en la personne d'Aphrodite des Poissons – galvanisé par la tenue du Championnat d'Europe de football dans sa mère patrie – ne s'annonçait certainement pas de tout repos. Par contre, le choix des joueurs serait beaucoup plus aisé pour l'équipe adverse, dont les effectifs se limitaient à six Marinas et sept Guerriers Divins. Deux remplaçants tout au plus. Et encore, à condition que tous les employés du Poséidon fussent partants pour chausser les crampons. Mais ceci ne concernait en rien Kanon des Gémeaux, tout ancien Dragon des Mers qu'il fût.

Pour terminer ses réflexions sur cette journée bien remplie, Kanon songea un instant à Thétis. Il avait été ravi de revoir la Sirène, avec qui il avait partagé nombre de moments agréables pendant les années de son service sous-marin. La jeune femme n'avait jamais exprimé le moindre ressentiment à son égard, ce qu'il ne comprenait d'ailleurs pas vraiment. Certaines personnes présentaient visiblement de meilleures dispositions que d'autres à la bonté et au pardon.

Ils avaient échangé un long moment tous les deux une fois la partie de football terminée, en abordant un vaste panel de sujets, depuis la marque qu'ils avaient choisie pour leur talkies jusqu'au palmarès des Tongs d'Or. Mais Thétis, en tacticienne experte entièrement dévouée à son vénéré Dieu, s'était attachée à ne dévoiler aucun élément crucial. La stratégie avant tout. Elle avait toutefois suffisamment choisi ses mots pour clairement faire comprendre qu'elle trouvait l'idée de ce concours totalement ridicule. Néanmoins, les décisions de Julian étaient celles de Poséidon, et demeuraient donc en tant que telles irrévocables.

Et puis quelque part à mi-chemin entre les tongs et les talkies, Kanon avait discrètement interrogé Thétis au sujet des Spectres. Car depuis leur résurrection générale, les Chevaliers d'Athéna et leurs anciens ennemis ne s'étaient côtoyés qu'à une seule occasion, lors du congrès inter-sanctuaires que les Dieux avaient décidé d'organiser tous les quatre ans, chaque année suivant la tenue des Jeux Olympiques d'été. Ce qui remontait donc déjà à trois ans.

La Sirène avait répondu que Julian, Sorrento et les trois Juges s'étaient rencontrés à plusieurs reprises au cours des douze derniers mois, dans l'intention de mettre en place des échanges interculturels. Mais aucun de ces entretiens n'avait abouti. Le monde sous-terrain était bien trop différent du leur pour permettre d'organiser ne serait-ce que la moindre petite partie de pêche.

Le Gémeaux n'avait de ce fait obtenu aucune information pour expliquer la présence de celui qu'il était certain d'avoir vu une semaine auparavant dans l'enceinte du Zodiaque. Surtout que depuis, il avait appris que Shaka et Mû avaient eux aussi détecté cette présence importune. Il n'en savait donc pas plus, et cette incertitude commençait à le rendre dingue.

Que faisait Rhadamanthe de la Wyverne à se pavaner en toute impunité au bord de son bassin ? A nager dans l'eau de sa piscine ? A se sécher à l'ombre de ses parasols ? Et tout ça, en bombant le torse et en exhibant les muscles de son dos et ses abdominaux. Les abdominaux de Rhadamanthe, qu'il savait parfaitement dessinés pour les avoir effleurés lors de leur dernier combat, lorsque son Surplis avait volé en éclats.

Les abdominaux de Rhadamanthe ?! Kanon se redressa sur son siège et interpela le barman pour commander une nouvelle bière. S'il en était au point de laisser son esprit vagabonder du côté de l'anatomie de la Wyverne, c'est qu'il n'avait pas encore suffisamment étanché sa soif. Qu'il s'interrogeât sur le pourquoi de son clin d'œil, passe encore, mais hors de question de fantasmer sur son corps de Dieu grec.

Sur son corps de Dieu grec ?!

Kanon saisit la pinte qui venait d'apparaître devant lui et se l'enfila cul-sec.

« Besoin d'un autre verre ? »

Le Gémeaux faillit recracher la dernière gorgée de sa bière et se retourna en priant sa Déesse pour que cette voix ne fût pas celle qu'il était certain d'avoir reconnue.

« Wyverne ! parvint-il à bredouiller.

- Bonsoir Kanon des Gémeaux, rétorqua le Juge d'un air grave.

- Mais qu'est-ce que tu fous là ?!

- Je t'ai suivi, évidemment.

- Sérieux ?

- Je ne sais pas. Cela te plairait que ce soit le cas ?

- Que ?... Quoi ?!

- Pardon : humour britannique. Je ne suis pas ici pour te suivre toi, mais pour suivre le match. Pure coïncidence.

- Le match ? s'étonna le guerrier d'Athéna.

- Danemark - Angleterre. La partie commence dans dix minutes.

- Ah oui. Sans intérêt.

- Tout est question de point de vue. Mais tu ne m'as pas répondu. Tu veux un autre verre ?

- C'est toi qui offres ?

- Bien entendu. Sinon je ne te le proposerai pas.

- Alors dans ce cas… »

Kanon fit volte-face pour s'adresser une nouvelle fois au barman :

« Une autre pinte, s'il vous plaît ! Et pour ce monsieur derrière moi, ce sera…

- Scotch double malt. On the rocks.

- Oh pardon, je vois qu'on n'a pas les mêmes valeurs, toi et moi.

- Tu te trompes. J'apprécie beaucoup la bière. Mais pas celle-là.

- T'aimes pas les blondes ?

- Si, mais pas les françaises.

- C'est vrai que ce ne sont pas les meilleures. Sauf quand on a soif.

- Encore une fois, tout est question de point de vue, Kanon.

- Alors à ton point de vue, Wyverne ! »

Kanon leva son verre et le porta à ses lèvres tandis que Rhadamanthe exécutait strictement les mêmes gestes. Un silence presque religieux s'étira entre les deux hommes, ce qui permit au Grec de préparer la suite de son discours. Car il était inconcevable qu'il laissât filer son inattendu vis-à-vis sans obtenir une explication.

« Alors Rhadamanthe…

- Tiens, tu as retrouvé mon prénom ?

- On t'a pas appris que c'était impoli de couper la parole ? rétorqua aussitôt le Gémeaux.

- Si. Comme de nommer quelqu'un par son seul patronyme.

- Tu veux toujours avoir le dernier mot, c'est ça ?

- Non, je ne le veux pas. Je l'ai toujours, c'est tout. Comme lors de mes combats.

- Comment ça ? s'enquit Kanon, qui sentait venir l'entourloupe.

- Ceci n'est pas le sujet pour l'instant. Et tu as raison : je t'ai honteusement interrompu dans ton propos. Alors continue, je t'en prie.

- Merci.

- De rien.

- Donc je disais… Qu'est-ce que tu fais vraiment là ? Je veux dire, à part regarder une rencontre de football sans intérêt.

- Je suis en mission pour mon vénéré Maître.

- C'est-à-dire ? Tu pourrais être plus précis ?

- Mon Souverain bien-aimé a eu vent de la compétition absurde à laquelle ont décidé de se livrer Athéna et Poséidon, et nous a donc envoyés mes frères et moi, ainsi que certains de nos serviteurs les plus fidèles, pour enquêter sur vos agissements. Car un comportement aussi insensé ne peut que dissimuler de sombres desseins.

- Attends, vous nous suspectez de comploter dans votre dos ?

- C'est exactement ça, déclara Rhadamanthe en faisant tourner son scotch dans le fond de son verre.

- Ridicule !

- C'est ce que je viens de dire. Vos agissements sont ridicules, et donc forcément suspects.

- Non, c'est votre paranoïa qui est d'une absurdité sans nom ! Faut pas chercher midi à quatorze heures ! Cette histoire de camping et de palmarès à la noix n'est certainement pas la meilleure innovation divine du dernier millénaire – en même temps, nos patrons respectifs n'ont-ils jamais eux la moindre bonne idée ?

- Modère ton langage, Kanon des Gémeaux !

- Oh là, tout doux ! Pas la peine de monter sur tes grands chevaux ! Mais je retire la fin de ma phrase, car je vois bien que ça t'énerve.

- Parfait. Alors Kanon, poursuis, s'il te plaît.

- Donc cette histoire de camping et de concours de pacotille n'est certes pas une idée des plus heureuses, mais ça n'a rien de répréhensible, en tout cas en ce qui nous concerne. Ma Déesse pense sincèrement que cette expérience permettra de resserrer nos troupes et de nous ouvrir sur le monde extérieur. Et pour ce que j'en ai vu pour l'instant, je dois bien avouer qu'elle n'a probablement pas tort.

- Je vois. Je te remercie pour ta sincérité, Kanon. Et sois assuré que je reporterai tes propos à mes frères ainsi qu'à mon Souverain.

- Cool. Mais y'a tout de même un truc que je pige pas et que je voudrais clarifier, si tu me le permets.

- Lequel ?

- Vous faites quoi de vos journées, tes frangins, tes sbires et toi ?

- Mon Souverain nous a confié la mission de reprendre la gestion d'un hôtel non loin du Zodiaque et du Poséidon.

- Quel hôtel ? Tu m'intéresses. Parce que je commence à bien connaître les environs.

- L'Elysion.

- Sans déconner ? manqua de s'étouffer le Gémeaux en entendant le nom de cet établissement cinq étoiles, le plus luxueux de toute la région.

- Oui, je sais. J'ai été choqué moi aussi. Ce nom est scandaleusement blasphématoire pour un lieu réservé à vous autres, les humains.

- Merci. C'est gentil ! Surtout n'efface pas cet air dédaigneux de ton visage.

- Pardon, je ne voulais pas te vexer, s'amenda la Wyverne.

- Évidemment… Et puis chez toi, c'est plus ou moins naturel, non ?

- De quoi parles-tu ?

- De ce côté méprisant et arrogant.

- L'arrogance est la vertu des forts, Kanon.

- Tout est question de point de vue. Et c'est pas moi qui l'ai dit ! D'ailleurs, pour en revenir à ce que tu sous-entendais tout à l'heure, au début de notre petite conversation. Tu penses réellement avoir eu le dernier mot lors de notre combat ?

- Bien entendu.

- Mais comment peux-tu paraître à ce point convaincu ?

- Parce que c'est la stricte vérité, affirma le Juge des Enfers sur un ton chirurgical.

- Mais bordel, t'étais pas là ou quoi ? Rappelle-moi qui c'est qui a explosé l'autre en particules interstellaires ?

- Celui qui s'est par ce geste donné la mort, et qui de ce fait, a perdu le combat.

- Non mais quel culot !

- Tu t'emportes, Kanon des Gémeaux.

- Et tu m'emmerdes, Rhadamanthe de la Wyverne !

- On m'avait dit que tu étais colérique et inconstant. Je constate que ces caractéristiques sont authentiques.

- Quoi ?! s'exclama le détenteur de tous ces vilains défauts. Qui ? Dis-moi qui t'a dit ça ?!

- Ton aîné, Saga des Gémeaux. Je te rappelle qu'il a un temps été à mon service. Impardonnable infamie ! Pardon, ces deux derniers mots m'ont échappé.

- Attends, tu es en train de me dire que mon frère et toi avez parlé de moi derrière mon dos ?

- C'était un élément primordial de notre collaboration : obtenir des informations sur les chevaliers d'Athéna qui étaient toujours en vie pour protéger leur Déesse.

- Et que t'a dit d'autre mon bien-aimé frangin ? Bordel, il va m'entendre celui-là ! ne put s'empêcher de maugréer le remonté cadet.

- Que tu étais aussi un homme extrêmement fort et courageux. Ce que je n'ai pu que vérifier lors de notre confrontation, et ce malgré ta défaite.

- Non mais arrête avec ça ! » s'exclama celui qui se sentait tout de même flatté par les propos de l'homme qui commençait pourtant à lui taper sur les nerfs.

« Et puis Rhadamanthe, tu sembles oublier un détail fondamental, s'empressa d'ajouter l'intérimaire le plus gradé de toute la chevalerie. J'étais sans armure lors de mon dernier assaut.

- Certes Kanon, mais cela n'altère en rien les arguments que je t'ai présentés. En cherchant à me détruire, tu t'es donné la mort, reconnaissant ainsi ton incapacité à venir à bout de moi. Et donc, tu as perdu le combat. Vérité irréfutable.

- Irréfutable ? Irréfutable ?! s'écria l'énervé.

- Pardonnez-moi, Monsieur, mais pourriez-vous baisser d'un ton, s'il vous plaît ? se permit d'interrompre le barman, avec la plus grande précaution malgré tout, ce client lui semblant un peu trop exaspéré pour ne pas être susceptible.

- Oui, oui, bien entendu ! » s'excusa le fautif avant de poursuivre plus calmement.

« Bon, Wyverne ! On n'arrivera à rien comme ça tous les deux. Je te propose donc une revanche. Tu sais jouer au football ?

- Évidemment. Je suis d'origine anglaise, je te rappelle.

- On organise un tournoi prochainement. Format classique : onze contre onze, stade réglementaire. Toi et tes Spectres n'avaient qu'à faire une équipe. Et on verra qui de nous deux viendra à bout de l'autre !

- J'accepte volontiers ta proposition. J'attends la confirmation du lieu et de la date.

- Parfait ! approuva le Gémeaux.

- Parfait ! reprit la Wyverne.

- Alors je te dis à bientôt, Rhadamanthe ?

- Oui, à bientôt, Kanon.

- Et bon match !

- Merci. »

Sur ce dernier échange presque courtois, Kanon quitta le café où il était venu chercher de la quiétude, et où il avait trouvé… il ne savait trop quoi. Un sentiment étrange habitait son esprit, mêlant une bonne dose d'agacement à une profonde excitation. Cette entrevue s'était avérée éminemment instructive, et ce sur bien des points. Et surtout… et c'était probablement le plus important, Rhadamanthe de la Wyverne n'avait pas eu le dernier mot. Et Kanon comptait bien sur ce match de football pour rappeler à son ennemi d'antan qui était sorti vainqueur de leur dernier combat.

Il ne lui restait donc plus qu'à travailler son jeu de jambes, et à convaincre ses homologues de participer à ce tournoi dont il venait d'organiser la tenue. Après tout, ils avaient déjà tous donné leur accord pour participer à leur revanche contre les Marinas, enfin pour ceux qui étaient au courant de ce petit détail. Alors jouer un tournoi en entier, ce n'était pas tellement plus compliqué. Juste un ou deux matches supplémentaires. Tout dépendrait du nombre de participants. Et pour les chevaliers qui n'avaient pas encore été informés de ces événements footballistiques… Il s'agirait de se montrer convaincant. Mais pour ça, Kanon des Gémeaux saurait trouver les arguments. Toutes sortes d'arguments.


Un peu plus tard cette nuit-là, dans une boîte de nuit parisienne

Milo du Scorpion observait la jeune femme assise en face de lui. Une mèche blonde venait de passer devant ses yeux tandis qu'elle tournait la paille de son cocktail dans le fond de son verre, et elle la replaça délicatement derrière son oreille. Elle lui sourit et il la trouva particulièrement belle. Milo l'avait abordée avec son assurance habituelle, et ils avaient accroché dès les premiers mots qu'ils avaient échangés. Car le hasard faisant effectivement parfois bien les choses, son inconnue d'une nuit était étudiante en chimie. Spécialité : les poisons neurotoxiques. Une beauté empoisonnée qui ne manquait pas de répartie et qui aurait probablement plu à Camus. Enfin, si ce dernier avait accepté d'oublier ses maudites habitudes de couche-tôt, lève-tôt, je-préfère-un-bon-bouquin-à-une-virée-entre-potes.

Camus…

Ils avaient globalement passé une bonne première journée tous les deux, même s'ils n'avaient pas beaucoup discuté pendant leur long trajet en train jusqu'à Paris. Milo s'était pourtant promis d'utiliser cette opportunité pour aborder certains sujets qu'il savait compliqués pour eux, mais qu'il jugeait primordiaux. Car le Scorpion avait parfaitement conscience que leur amitié ne tiendrait plus longtemps s'ils s'obstinaient à se taire de cette manière. Un jour ou l'autre, il devrait se résoudre à parler.

A parler des choix du Verseau et de ses silences.

A parler de combien il avait été anéanti par sa mort qu'il n'avait jamais eu ni la volonté ni la force d'accepter. A parler de la colère qui l'avait submergé et qu'il n'avait pas su contenir, au point de haïr le soleil de se lever chaque jour alors que Camus n'était plus là. A parler de ce qu'il avait ressenti lorsqu'il l'avait vu reparaître devant lui dans le temple de la Vierge, si semblable à lui-même et pourtant tellement différent.

Oui, Milo avait besoin de parler, un besoin viscéral, pour effacer la douleur qui lui avait alors vrillé les tripes et qui s'était ancrée en lui pour ne plus jamais le quitter. La douleur d'avoir perdu son meilleur ami, son frère d'arme, son confident. Et la douleur, peut-être plus grande encore, de ne pas l'avoir compris.

Car Milo n'avait pas su lire en lui cette nuit-là. Cette nuit maudite qui les avait vu s'affronter dans un combat fratricide dont il ne parvenait pas à effacer le souvenir. Cette nuit de cauchemar où il avait soumis celui qui partageait sa vie depuis toujours au venin de son Aiguille Écarlate. Cette nuit de honte où il avait voulu tout oublier de l'homme qui se trouvait pourtant au cœur de son existence.

Et depuis cette nuit-là, le silence s'était abattu entre eux, bien plus cruel que les mots prononcés par colère et par haine. Et depuis ce matin-là, lorsqu'il était revenu à la vie accablé par le doute et par la culpabilité, Milo n'avait pas trouvé le courage d'affronter Camus pour lui demander pardon et pour essayer de comprendre. Comprendre pourquoi il s'était sacrifié pour son disciple sans lui avoir accordé la moindre explication, en le laissant tout seul.

Alors Milo s'était contenté d'agir comme à son habitude, en mettant en pratique ce dans quoi il avait toujours excellé. Faire ce que l'on attendait de lui. Faire semblant. Faire comme si tout allait bien. Et vivre, pour combler le vide.

Et le vide, il l'avait comblé, grâce à la profonde amitié qu'il avait tissée avec Kanon, bien qu'elle fût teintée de rivalité et d'une certaine forme d'ambiguïté. Mais aussi, il devait le reconnaître, d'une façon bien moins respectable, en multipliant les expériences d'une seule nuit avec toutes sortes de partenaires, alors qu'il avait la certitude de ne jamais être satisfait. Parce qu'une seule personne pouvait le rendre vivant à nouveau. Le chevalier Camus du Verseau, son meilleur ami depuis toujours, qu'il était pourtant sur le point de perdre à cause de sa lâcheté et de son silence.

Milo releva les yeux vers la jeune femme qui l'observait sans parler, et lui accorda son plus beau sourire. Puis il la prit par la main pour l'entraîner vers la sortie de la discothèque.

Combler le vide. Pour ne plus être seul. Jamais.


Le lendemain matin, dans la chambre d'un hôtel parisien

Milo ouvrit les yeux et se tourna sur le côté. Un bruit caractéristique en provenance de la salle de bain lui fit comprendre pourquoi celle qui avait partagé son lit n'était plus là. Il se remit sur le dos et cligna des paupières.

Il avait apprécié faire l'amour avec elle. Elle lui avait donné du plaisir, et il avait l'impression de l'avoir satisfaite. Mais comme à chaque fois, cela n'avait pas suffi pour apaiser sa nuit.

Toujours le même cauchemar, toujours la même douleur. Et le froid. Semblable à celui qui l'avait submergé lorsqu'il avait pénétré dans le Onzième temple ce soir-là et qu'il avait serré son corps sans vie entre ses bras.

Milo passa une main sur son visage, comme pour effacer ce souvenir qu'il ne supportait plus. Il se promit alors de tout faire pour parler à Camus d'ici la fin de leur séjour. Il trouverait un moyen, n'importe lequel, quitte à le traîner en boîte contre sa volonté pour se bourrer la gueule avec lui.

Mais en attendant, les chiffres inscrits en rouge sur le radio-réveil lui indiquaient qu'il était temps pour lui de se lever. Surtout s'il voulait rejoindre Gabrielle dans la douche pour lui faire l'amour une dernière fois. Gabrielle… C'était un joli prénom. D'habitude, il ne préférait pas savoir. Mais cette nuit, il avait eu envie de connaître l'identité de celle avec qui il avait essayé d'oublier.

Et après, il la laisserait partir pour aller le retrouver.

A suivre…

Notes:

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 6 : Baby One More Time, Britney Spears, 1998.

Chapter 7: Wonderwall

Notes:

Bonjour,

Je reprends enfin la publication de cette histoire sur ce site. Pour information, le dernier chapitre posté sur ffnet est le chapitre 20. Je rattrape donc mon retard ici très lentement.

Ce chapitre me tient particulièrement à cœur. Le ton est moins humoristique que d'habitude, mais j'espère qu'il vous plaira malgré tout.

Bonne lecture.

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Pendant ce temps, dans une autre chambre au même étage du même hôtel parisien

Camus sent ses mains qui cherchent à le toucher, ses lèvres qui cherchent à l'effleurer. Et ce corps tout entier qu'il voudrait avoir la force de rejeter, mais qu'il attire contre lui comme pour être certain de ne plus pouvoir fuir. Sa bouche s'approche de la sienne, son souffle s'égare contre sa peau. Et Camus se met à trembler.

L'autre le caresse, lui murmure des mots qu'il ne veut pas entendre. Mais sa voix le transperce et pénètre son âme. Camus se mord les lèvres. Non, il ne peut pas. Ils ne doivent pas. Pas ici. Pas comme ça. Pourtant l'autre le serre plus fort, ses doigts remontent le long de ses flancs et se referment derrière sa nuque. Il l'embrasse.

Camus ne réagit pas. Il ne peut pas réagir. Mais l'autre approfondit son baiser. Il ne sait plus qui il est. Il se perd. Il oublie. Tout. Tout à l'exception de sa bouche. Sa bouche qui le presse et qui s'offre. Alors il cède, et il s'abandonne à celui qu'il n'a jamais pu s'empêcher d'aimer. Celui qui commence à lui faire l'amour tandis qu'il plonge dans l'azur de ses yeux. Les yeux de son meilleur ami.

Les yeux de Milo.

ooOoOoOoo

Camus ouvrit les yeux en cherchant à reprendre son souffle. Il passa une main sur son torse qu'il sentit bouillant sous ses doigts. Son corps entier le brûlait, le consumait à un degré tel qu'il voulut hurler, mais son cri mourut dans sa gorge. Il cligna des paupières et sentit des larmes glisser le long de ses joues. Il ne chercha pas à les effacer : à quoi bon ? Il savait depuis longtemps avoir perdu le contrôle de ses sentiments et de ses désirs. Alors il déplaça ses doigts depuis le haut de sa poitrine jusqu'au bas de ses abdominaux, lentement, pour caresser sa peau. Pour trembler encore un peu.

Toujours le même rêve, toujours la même obsession. Et le brasier, ardent, dans lequel il se perdait chaque jour davantage, parce que jamais il ne pourrait serrer le corps de Milo entre ses bras.

Il se leva et se dirigea vers la salle de bain. Il avait besoin de prendre une douche. Glaciale.

ooOoOoOoo

La salle du petit-déjeuner était déjà assez animée, ce qui signifiait qu'il était affreusement en retard. Camus pesta contre l'origine de son contre-temps et s'approcha du buffet. Il se servit un café. Dans son état, le thé ne lui serait d'aucune utilité. Et il se dirigea vers les tables réparties à l'autre bout du salon.

Milo s'était déjà installé à l'une d'elle, ce qui confirmait qu'il s'était vraiment oublié. Absolument inadmissible.

« Ça va Camus ? Bien dormi ? » s'enquit le Scorpion en appuyant sa question d'un sourire lumineux.

Camus ravala sa salive et s'assit brusquement.

« Ouh là, ça n'a pas l'air ! Toi, t'as encore eu des insomnies !

- Bonjour, Milo ! Non, pas du tout. J'ai passé une très bonne nuit. Mais je constate que je suis en retard, et tu sais ce que je pense du manque de ponctualité.

- Ouais, et tu sais que je m'en fous. Alors respire un bon coup, et profite de ton café. Tiens, t'as pris un café ? remarqua le Grec en haussant un sourcil.

- Oui », répondit simplement le Français, sur un ton plus incisif qu'il ne l'aurait voulu. S'il était évident qu'il ne pouvait pas s'étendre sur la raison ayant motivé le choix de son breuvage matinal, il se devait de retrouver son calme. Il poursuivit donc d'une voix beaucoup plus proche de la neutralité qui le caractérisait.

« Je sais que tu n'es pas du genre à t'offusquer pour un simple retard, mais je te présente mes excuses malgré tout.

- Excuses acceptées.

- Et toi, tu as passé une bonne nuit ?

- Ça peut aller, même si j'ai pas beaucoup dormi.

- Tu m'en vois désolé », déclara le Verseau en replongeant dans son café, pour satisfaire son besoin urgent de caféine, mais aussi pour masquer le pincement de lèvres que la réponse de son ami venait de provoquer. Car il le connaissait assez pour savoir qu'il n'avait probablement pas passé la nuit tout seul.

Camus balaya la pensée parasite qui venait d'envahir son esprit, et reprit son propos comme si de rien n'était.

« Peux-tu me rappeler à quelle heure nous devons nous rendre au salon, s'il te plaît ?

- Ben je sais pas trop… Je crois que l'accueil des visiteurs commence à dix heures. Donc étant donné qu'il est tout juste neuf heures, on pourra sûrement arriver là-bas pour l'ouverture. Ça me permettra d'être le premier sur les bons plans. T'en penses quoi ?

- Entendu. Alors je monte finir de me préparer, affirma le Français en se levant de sa chaise.

- Déjà ? Mais t'as rien avalé ! Camus, il faut manger ! C'est important, le petit-déjeuner.

- Je sais, mais je n'ai pas faim. On se retrouve dans quinze minutes à la réception ?

- Ça marche. Mais y'a pas le feu au lac non plus ! On en a pour à peine une demi-heure de métro, enfin si je me base sur l'itinéraire que tu m'as présenté hier.

- C'est juste. Alors disons rendez-vous dans vingt minutes. Ça me laissera le temps de regarder les infos.

- Ben voilà ! Et moi j'en profiterai pour regarder… ben je sais pas. Les dessins animés ? Parce qu'à part les programmes pour gamins, je vois pas ce que je pourrais piger à la télé dans ta langue compliquée.

- Tu te sous-estimes, Milo. Et quoi qu'il en soit, je ne suis pas convaincu que ce type de programmes soit adapté pour un bon apprentissage. J'ai entendu dire que certaines émissions pour enfants présentaient des contenus abrutissants et violents (ndla : oui… avec de vilains animés japonais, plein de sang et de larmes, et de beaux chevaliers avec de longues chevelures colorées. Pardon, je m'égare là) .

- Ah mince. Ben tant pis. Je m'occuperai en lisant le journal. J'aime bien celui que tu m'as montré hier à la gare. Tu sais : l'é-qui-peuh .

- Oui, ce sera déjà un bon début. A tout de suite Milo ! » conclut le Verseau en quittant la table sans se retourner.

Oui, ce matin, Camus n'avait pas faim. Mais tandis qu'il s'engageait dans les escaliers pour regagner la chambre où il avait passé une nuit agitée, il ne put s'empêcher de penser au sourire de Milo. Car même s'il en crevait de l'intérieur, il ne pouvait nier être heureux de partager à nouveau du temps avec lui. Alors il se surprit à promettre de tout faire pour tenter d'arranger les choses entre eux, quitte à accepter de suivre son ami partout où il le voudrait.


Dans une discothèque du deuxième arrondissement, le soir-même

Le dos appuyé contre le bar, Camus se tenait droit, une vodka orange serrée entre les doigts. Il trempa ses lèvres dans l'alcool amer et froid et cligna des paupières. Milo dansait au milieu de la piste et attirait à lui toutes sortes de regards, de toutes sortes de personnes. Le Grec avait essayé de le convaincre de l'accompagner, mais le Français avait émis un refus catégorique. Il n'avait pas encore ingurgité suffisamment d'alcool pour se soumettre à ce genre d'exercices.

Le Verseau s'accorda une nouvelle gorgée de vodka, et comme il la sentait couler dans sa gorge, il repensa à la journée qu'ils avaient partagée. Milo semblait satisfait de ce qu'il avait vu et des achats qu'il avait faits, et avait quitté le salon sans le moindre regret.

Au moment de prendre le métro pour retourner à leur hôtel, le Scorpion avait clairement fait comprendre par une grimace digne d'un gosse de tout juste huit ans que c'était une option qui ne lui convenait pas. Hors de question pour lui de remettre un orteil dans cette boîte de sardines qu'il avait trouvée beaucoup trop étriquée pour sa carrure imposante. Un rapide coup d'œil à la file d'attente des taxis les avait ensuite incités à opter pour un trajet à pieds. Après tout ils n'en avaient que pour une petite heure de marche, voire moins s'ils accéléraient le pas. Enfin dans la limite de l'acceptable, puisqu'ils étaient tout de même ici incognito. Et peu après leur départ, des trombes d'eau s'étaient abattues sur eux. Les a priori sur la météo parisienne n'étaient donc pas toujours complètement surfaits.

Ils avaient donc poursuivi leur périple sous l'averse, sans se soucier de l'eau qui imprégnait leurs vêtements et leurs cheveux. Après un quart d'heure sans parler, Milo avait fini par rompre ce silence qui s'acharnait décidément entre eux, pour dire combien il aimait marcher sous la pluie. Il avait alors poursuivi son propos en expliquant que s'il appréciait à ce point ce genre de circonstances, c'était parce que cela lui rappelait ce jour où gamins, ils avaient échappé à la surveillance de leurs maîtres respectifs pour partir explorer les environs du Sanctuaire tous les deux. Il s'était mis à pleuvoir des cordes et ils étaient revenus trempés jusqu'aux os, ce qui leur avait valu de se faire pincer et de recevoir une bonne correction par Saga. Un Saga qui portait toutefois encore les cheveux bleus, heureusement pour eux.

Camus n'avait lui aussi jamais pu effacer ce souvenir de sa mémoire, puisque c'était ce jour-là qu'il avait compris qu'il était amoureux.

« Ça va, tu t'ennuies pas trop à picoler tout seul ? »

La voix du Scorpion fit tressaillir le Verseau qui, perdu dans ses pensées, ne l'avait pas vu quitter la piste. Mais il n'en montra rien, et répondit à son ami de sa voix grave et toujours impassible.

« Non, j'observe. Je ne suis que rarement venu dans un lieu comme celui-ci, alors je me nourris de ce que je vois.

- Ah ouais, t'étudies quoi !

- En quelque sorte.

- Ben te torture pas trop les neurones non plus. On n'est pas vraiment là pour ça !

- Certes, approuva l'analyste consciencieux.

- Bon et justement, tu reprends une vodka ? Moi j'ai besoin d'un autre verre. Tout ça m'a donné soif !

- Je le conçois. La danse me semble être une activité physique particulièrement éprouvante.

- C'est clair ! Bon mais tu veux boire un coup, oui ou non ?

- Volontiers, concéda le Français en terminant son verre.

- Toujours une vodka orange ?

- Oui. Merci, Milo.

- De rien. Mais attention : la prochaine, c'est pour toi ! Je compte pas te rincer la tronche toute la soirée non plus. »

Camus accorda un sourire contenu à son ami pour cette répartie qu'il jugea légitime, et tendit le bras pour saisir la vodka qu'il venait de commander. Le service était rapide dans cet établissement, ou alors c'est que le barman avait le Scorpion à la bonne. Ce dernier leva son verre, un rhum coca – il avait horreur de l'alcool de pomme de terre – et délivra un clin d'œil au Français.

« Ah y'a pas à dire, ça fait quand même du bien ! s'exclama le Grec en reposant le rhum dont il venait de réduire de moitié la contenance. Et toi ça va ? Tu apprécies ta vodka ? Tu la trouves à ton goût ou tu préfères celle de ta chère Sibérie ?

- La flaveur n'est pas exceptionnelle, mais je m'en contenterai. Et puis je suis de toute façon loin d'être un expert. Je ne bois que rarement de l'alcool lorsque je suis chez moi.

- Ben oui, chez toi… reprit Milo d'un air évasif, avant de continuer sur un ton beaucoup plus enthousiaste. Mais je comprends : le boulot avant tout ! Je te reconnais bien là, tiens. Et en parlant de boulot… Je dois dire que je suis plutôt satisfait des achats qu'on a effectués aujourd'hui. Je vais tout déchirer cet été avec le matos qu'on a commandé !

- Tant mieux.

- D'ailleurs, tu viendras ?

- Où ça ?

- A mon premier karaoké !

- Pour quoi faire ?

- Devine ? Pour faire des claquettes, pardi ! s'exclama le Scorpion que le haussement de sourcils du Verseau incita à poursuivre. Ben non évidemment… Pour chanter !

- Hors de question, Milo ! rétorqua le chevalier des Glaces sur un ton tout à fait caractéristique des combattants de son ordre.

- Pourquoi ? Je suis certain que tu ferais un malheur avec ta voix de crooner.

- Ma voix de quoi ?! faillit s'étouffer le supposé charmeur. Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu dis n'importe quoi !

- Non, Camus. Je sais que tu as un très joli organe, renchérit le têtu. Tu ne le mets pas suffisamment en valeur, voilà tout.

- Ah oui ? Alors j'aimerais bien savoir à quelle occasion tu as pu juger de la qualité de mon organe , comme tu dis.

- Huit novembre mille neuf cent quatre-vingt-quatre. Pour mes dix-huit ans. T'avais un peu trop abusé de ta vodka sibérienne, justement. Tu t'en rappelles pas ?

- Absolument pas, nia honteusement le chanteur démasqué.

- Menteur ! s'insurgea le Scorpion. J'étais là, et moi j'ai pas oublié… J'ai jamais rien oublié, Camus. Mais c'est pas grave, poursuivit Milo avant qu'un silence gênant ne s'installât entre eux. T'en fais pas, tu viendras chanter si tu veux, et si t'en as envie ! De toute façon, ça risque de pas casser trois pattes à un canard. Sans vouloir blesser ton disciple.

- Pourquoi dis-tu cela ? s'étonna le Onzième gardien sans relever le caractère douteux du jeu de mots qui venait d'associer l'anatomie d'un palmipède à son élève bien-aimé.

- Ben j'ai jamais animé de karaoké, et je suis pas sûr que je sois vraiment doué pour ça. D'ailleurs, j'ai parfois l'impression que personne n'apprécie la qualité de mon travail au Zodiaque.

- Encore une fois, tu te sous-estimes. Tu fais un travail plus qu'acceptable, sois-en convaincu, affirma le Verseau sur un ton qu'il voulait réconfortant mais qui ne l'était pas.

- Merci, Camus. C'est gentil, reconnut malgré tout le DJ en détresse.

- De rien, Milo. »

Camus s'accorda un instant pour profiter du sourire que son ami lui adressait avant de porter son verre à sa bouche. La mention de cet épisode lointain au cours duquel il s'était laissé aller à pousser la chansonnette lui avait donné soif, et il termina son verre. Il proposa alors à Milo de passer une nouvelle commande, puisque ce dernier venait d'absorber la dernière goutte de son rhum coca.

Les deux chevaliers se concentrèrent ensuite sur leurs boissons respectives et un silence relatif s'étira entre eux. Relatif car ils se trouvaient tout de même dans une discothèque entièrement soumise aux rythmes effrénés de l'Eurodance. D'ailleurs Camus devait reconnaître qu'il restait profondément perplexe lorsqu'il prenait le temps d'écouter les paroles de certaines de ces chansons.

« Camus, je peux te poser une question ? finit par déclarer le Scorpion.

- Bien entendu, se contenta de répondre le Verseau.

- T'as vraiment oublié lorsque t'avais chanté Joyeux Anniversaire en français pour moi, le jour de mes dix-huit ans ?

- Non, avoua simplement le concerné.

- OK. Tant mieux. »

Milo observa alors le verre qu'il tenait dans sa main, puis releva les yeux vers son ami pour poursuivre son propos avant qu'il ne changeât d'avis.

« Et tant qu'on en est à se remémorer de vieux souvenirs… Est-ce qu'on pourrait parler de ce qu'il s'est passé le jour de ta mort ? La première. Et de ce qu'il s'est passé ensuite. »

Voilà. Ils en était donc finalement arrivés là.

« De quoi voudrais-tu parler exactement ? s'enquit le Onzième gardien d'une voix assurée qui ne reflétait en rien le sentiment douloureux qu'il sentait remonter le long de sa colonne.

- Pourquoi t'es parti comme ça ?

- C'est-à-dire ?

- Pourquoi t'as laissé Hyoga remporter le combat sans même essayer de lutter ?

- Tu te trompes, Milo ! s'exclama Camus en resserrant ses doigts autour de son verre. Mon disciple a simplement été le plus fort ce jour-là, parce que sa cause était juste et qu'il a su atteindre le Septième sens pour venir à bout de moi.

- Arrête tes salades ! Je suis convaincu que tu t'es sacrifié dans le seul but d'achever son enseignement que t'avais pas eu le temps de terminer.

- Et quand bien même, Milo, cela ne te regarde pas ! Hyoga était mon élève, il était sous ma responsabilité ! Je ne pouvais pas lui permettre de continuer sa quête sans lui avoir appris tout ce que je savais. Je l'aurais envoyé à la mort, et une telle chose était pour moi inacceptable. Pas après avoir perdu Isaak.

- Évidemment que tu pouvais pas laisser Hyoga traverser ton temple sans rien faire ! Mais pourquoi tu m'as rien dit ? Et pourquoi t'as pas cherché un autre moyen ? Bordel, t'avais pas besoin de crever pour ça !

- Ma mort était à mes yeux inéluctable. Il n'y avait pas d'autres alternatives.

- Conneries ! Bien sûr qu'il y en avait ! Si tu m'en avais parlé, on aurait trouvé une solution. Tous les deux.

- Non, je ne crois pas.

- Nous y voilà, Camus. Est-ce que tu vas enfin avoir le courage d'exprimer le fond de ta pensée ?!

- De quoi parles-tu, Milo ?

- Tu m'as jamais cru capable de te comprendre. De comprendre ce qu'était devenue ta vie depuis que t'avais commencé l'enseignement de tes disciples. Parce que t'as jamais eu confiance en moi, et que finalement, j'ai jamais réellement eu d'importance dans ton univers. Et c'est d'ailleurs pour ça que tu m'as abandonné ce jour-là : parce que je n'étais rien pour toi !

- Comment oses-tu prononcer ces mots ?!

- Pourquoi, ils te choquent ? T'acceptes pas de les entendre parce qu'ils te mettent face à la réalité ?! La réalité de ce que j'ai toujours représenté pour toi : un gamin un peu idiot qui te permettait de te changer les idées en réchauffant ton foutu cœur de glace !

- Milo, ça suffit ! Tu dis n'importe quoi !

- Alors prouve-moi le contraire, Camus ! Dis-moi ce que je représente pour toi ! Je veux l'entendre de ta bouche !

- Je ne peux pas, concéda le Verseau en commençant à trembler.

- Parce que tu sais que j'ai raison ! Camus, regarde-moi : si tu me parles pas aujourd'hui, je changerai pas d'avis, et on en restera là. C'est vraiment ce que tu veux ?

- Ce que je veux ne compte pas.

- Et ce que je veux moi ? Camus, est-ce que ça t'intéresse ? Est-ce que ça t'a jamais intéressé ?

- Arrête, Milo, ça suffit !

- Oui, nous sommes bien d'accord tous les deux pour une fois : ça suffit ! »

Et Milo porta son verre à sa bouche pour le boire d'une seule traite avant de partir sans se retourner.

Camus ne réagit pas, se contentant de regarder Milo s'éloigner de lui. Encore une fois, il avait tout gâché. Milo lui avait donné sa chance et il n'avait pas su la saisir. Mais comment aurait-il pu ?

Le Français baissa les yeux sur sa vodka qu'il trouva glacée entre ses doigts. Il reposa son verre sur le comptoir et s'en commanda deux autres.

ooOoOoOoo

Milo s'appuya contre le rebord du lavabo et regarda son reflet dans le miroir crasseux qui lui faisait face. Pourquoi Camus s'obstinait-il à vouloir garder le silence ? Pourquoi n'était-il pas capable de lui donner la moindre explication ? Milo ne demandait pas grand-chose. Il voulait juste comprendre. Juste savoir. Savoir s'il s'était toujours bercé d'illusions quant à la nature de leur amitié et à ce qu'elle représentait pour eux. Pour lui .

Milo lui avait laissé la parole. Il lui avait donné l'occasion de dire sa vérité, et Camus l'avait balayée d'une réplique glaciale dont il avait le secret. Je ne peux pas. Foutaise ! On pouvait toujours. Tout était question de volonté. Et d'envie.

En quittant les toilettes, Milo tomba sur l'une des jeunes femmes avec qui il avait dansé un instant auparavant. Il lui proposa d'aller discuter, elle accepta avec un sourire, et ils se dirigèrent vers une banquette isolée pour obtenir un peu de tranquillité. Son inconnue était très belle, et elle le jugeait visiblement à son goût elle aussi. Milo ne tarda pas à plonger ses lèvres dans son cou, pour oublier et essayer de combler le vide. Le vide que l'absence de Camus avait créé.

Camus qu'il venait pourtant d'abandonner, après lui avoir déversé une partie de sa colère sans même chercher à savoir s'il en avait été blessé.

Camus qui accepterait peut-être encore de lui parler s'il essayait de l'approcher à nouveau.

Alors Milo salua la jeune femme qu'il avait abordée pour les mauvaises raisons, et regagna le bar qui avait été le théâtre de leur dernière dispute.

En arrivant sur les lieux, il fut soulagé de constater que Camus était toujours là. Il buvait une vodka, et étant donné le nombre de verres vides qui s'étalaient devant lui, il ne s'était pas contenté d'une seule. Son ami tenait son verre entre ses doigts, et de là où il se trouvait, Milo pouvait distinguer la glace se former contre la paroi. Le Scorpion sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Camus semblait si triste. A cet instant, et peut-être pour la première fois de sa vie, Milo put lire la détresse de du Verseau et celle-ci lui déchira les entrailles. Mais malgré la peine, profonde, qui s'affichait sur ses traits, Milo ne put s'empêcher de trouver Camus incroyablement beau.

Alors il s'approcha de lui, et au lieu de lui parler, il le tira par le bras pour l'entraîner sur la piste de danse. Il fut d'abord surpris de sa réaction, car Camus ne le rejeta pas. Puis ils se plantèrent tous les deux parmi les danseurs, et les yeux rivés l'un à l'autre, ils commencèrent à bouger.

Ils ne se souciaient pas de la musique ni des inconnus qui s'agitaient autour d'eux. Ils se contentaient de danser sans prononcer un mot. Milo acceptait de se taire parce qu'il venait de comprendre qu'il en avait trop dit. Il avait été égoïste en essayant d'imposer ses sentiments à son meilleur ami sans lui laisser une réelle chance de pouvoir s'expliquer. Il n'avait fait que donner libre cours à sa colère et à sa propre douleur, sans s'inquiéter des conséquences que ses paroles exerceraient sur lui. Car Camus n'était pas le monstre insensible que certains au Sanctuaire voyaient en lui. Et cela, Milo en avait la certitude parce que malgré tout le monceau d'horreurs qu'il venait de lui jeter au visage, il connaissait son ami. Il le connaissait et il tenait à lui. Infiniment.

Milo s'approcha de Camus et serra son corps contre le sien. Il l'enveloppa de son cosmos qu'il déploya à peine, juste suffisamment pour le recouvrir d'un voile tiède et doux. Il voulait le réconforter comme il le faisait parfois lorsqu'ils étaient gamins, et que Camus lui permettait de le toucher. Il plaqua sa main dans son dos, mais au lieu de la laisser là, il la fit descendre le long de sa colonne et l'arrêta sur son bassin. Il le serra plus fort et ils continuèrent à danser.

Le Verseau se sentait bien comme ça, entre les bras du Scorpion. Son cosmos l'apaisait, le rassurait. Il se sentait à l'abri. Il se sentait vivant. Et même s'il ne pouvait plus voir ses yeux, parce que Milo venait de poser sa tête contre son épaule, il s'accrochait au souffle que ce dernier perdait dans le creux de son cou.

Des sensations familières commencèrent alors à animer son corps, et les images de son rêve lui revinrent à l'esprit. Combien il pouvait désirer cet homme, qui imprégnait sa marque au plus profond de son âme et de son être. Combien il aurait voulu s'abandonner à lui, lui céder tout ce qu'il était, s'il le lui avait permis. Et à cet instant, Camus ne pensa plus qu'à une seule chose : les lèvres de Milo parcourant sa peau pour venir emprisonner sa bouche.

Sauf que Milo ne le désirait pas. S'il le serrait de cette manière contre lui, ce n'était que par pitié. Parce qu'il avait perçu la peine dans laquelle ses mots l'avaient plongé, et qu'il ne pouvait pas accepter de l'y abandonner. Parce que Milo était son ami, et qu'il le resterait en dépit de ce qu'ils avaient traversé et malgré les silences que le Verseau leur imposait.

Alors Camus cessa de bouger et s'écarta brusquement de lui. Milo le regarda sans comprendre et tendit son bras pour le toucher. Mais Camus le lui saisit et cria pour lui permettre d'entendre le son de sa voix malgré la musique qui hurlait autour d'eux.

« Je suis fatigué. Est-ce qu'on pourrait rentrer, s'il te plaît ? »

Milo acquiesça sans un mot, et ils quittèrent ensemble la discothèque. Une fois sur le trottoir, ils marchèrent quelques pas avant d'appeler un taxi. A cette heure-ci de la nuit, il n'était ni trop tard ni trop tôt pour devoir attendre plus de cinq minutes avant de voir une voiture s'arrêter. Ils montèrent dans le premier véhicule qui stoppa devant eux, et Milo indiqua l'adresse de leur hôtel au chauffeur.

Ils restèrent silencieux pendant toute la durée de la course, et n'ouvrirent la bouche que pour demander leurs clefs à la réception. Une fois dans l'ascenseur, ils ne prononcèrent toujours pas le moindre mot, mais leurs regards demeurèrent ancrés l'un à l'autre. Finalement cette nuit, ils avaient peut-être réussi à sauver leur amitié.

Arrivés dans le couloir les menant à leurs chambres, ils marchèrent lentement côte à côte et leurs doigts s'effleurèrent. Camus se figea devant sa porte et se tourna vers Milo. Il voulut ouvrir la bouche pour lui demander pardon, parce que pour la première fois de sa vie, il s'en sentait capable, mais Milo lui coupa la parole pour l'embrasser.

Camus resta d'abord sans bouger, les bras tendus le long du corps et les yeux ouverts pour regarder Milo qui lui, avait les yeux fermés. Ses lèvres restèrent closes parce qu'il ne pouvait pas croire que ce qu'il vivait était réel. Mais lorsqu'il sentit la langue de Milo caresser sa bouche, il répondit à son baiser, d'abord timidement puis d'une manière plus sensuelle. Leurs langues se trouvèrent alors pour s'enrouler l'une autour de l'autre avec empressement et envie, comme s'ils avaient toujours su que ce moment finirait par arriver. Puis Milo reprit son souffle, rompit leur étreinte et recula d'un pas. Il sourit à Camus et continua dans le couloir pour rejoindre sa chambre. Camus se retourna en silence, enfonça sa clef dans la serrure et l'ouvrit. Il pénétra dans la pièce et referma la porte derrière lui.


Le lendemain en début d'après-midi, Gare Montparnasse

Il n'y avait pas foule sur le quai. Camus était en avance, et il cala son dos contre un pilier pour patienter. Milo serait bientôt là. Ils s'étaient donné rendez-vous un quart d'heure avant le départ de leur train, ce qui lui laissait vingt minutes à attendre, selon l'horloge qui trônait à l'entrée du hall de gare.

Camus croisa les bras sur sa poitrine et ferma les yeux. Le mal de tête qui l'avait assailli dès son réveil avait heureusement disparu grâce aux deux aspirines qu'il s'était octroyées, mais il n'avait pas les idées claires pour autant. Les souvenirs de leur soirée se bousculaient dans sa tête, et il était incapable de raisonner avec lucidité. Leur ballade sous la pluie. Le sourire de Milo. La discothèque. L'alcool. Beaucoup trop d'alcool. Leur dispute. Les mots. Douloureux. Atroces. La piste de danse. Lui, entre ses bras. Son souffle contre son cou. Leurs doigts si proches. Et son baiser.

En ouvrant les yeux ce matin, Camus avait d'abord cru à un rêve. Encore un. Puis il avait effleuré ses lèvres de ses doigts et il s'était souvenu. Ce baiser était réel. Il pouvait encore sentir la bouche de Milo contre la sienne.

Qu'allaient-ils se dire ? Comment réagiraient-ils ? Seraient-ils différents ? Autant de questions qui s'étaient avérées inutiles, puisque lorsqu'il avait rejoint Milo pour le petit-déjeuner, celui-ci l'avait accueilli comme si de rien n'était. Alors Camus en avait conclu qu'il ne s'était rien passé. Ce baiser ne signifiait rien puisque Milo semblait l'avoir déjà oublié.

Les raisons de ce trou noir pouvaient être multiples. L'alcool. Les regrets. La honte. Mais quelle importance ? Le résultat restait le même : ce baiser n'avait jamais existé. Et Camus avait fini par se convaincre qu'il en était beaucoup mieux ainsi.

A la fin de leur petit-déjeuner, le Scorpion avait annoncé vouloir se rendre chez un disquaire réputé dont il avait noté le nom. Il avait besoin de renflouer son stock de CD et de vinyles, et les trois heures qu'ils avaient devant eux avant le départ de leur train lui laissaient tout le temps nécessaire pour ça. Camus en avait alors profité pour traîner dans plusieurs librairies, et renflouer ses stocks à lui.

Et tandis qu'il marchait entre les allées chargées de nouvelles et de romans, il ne pensait à rien d'autre qu'à leur baiser. A combien il avait été heureux pendant ce court instant. A combien il s'était senti vivant. Mais il ne pouvait aussi s'empêcher de chercher à comprendre. Pourquoi Milo l'avait-il embrassé ? Était-ce par pitié ? Par curiosité ? Par désir ? Par… amour ? Cette question l'obsédait et finirait par le rendre fou s'il ne parvenait pas à obtenir un semblant de réponse.

« Je suis pas en retard, si ? »

Décidément, le Verseau devrait remédier à cette nouvelle habitude de se laisser surprendre.

« Non, Milo. Pile à l'heure ! répondit Camus en s'écartant de son pilier. Tu as trouvé ce que tu cherchais ?

- Oui, au-delà de toutes mes espérances !

- Tant mieux.

- Et toi ?

- Non, pas vraiment. Mais j'ai quand même acheté deux romans qui devraient me faire passer de bons moments.

- Je vois. Si t'aimes, tu pourras m'en passer un ? J'ai plus rien à bouquiner depuis des lustres.

- Très volontiers.

- Bon, on monte ? Je sais pas toi, mais moi je suis HS. Je vais tomber comme une masse dès les premiers tours de roues.

- Moi aussi je suis fatigué, mais j'aimerais tout de même pouvoir lire un peu.

- Quel courage ! Je sais pas comment tu fais.

- Question d'habitude.

- Sans doute. Bon allez, en voiture ! »

Une fois confortablement installé dans les banquettes de la première classe – Saori Kido était une réincarnation aimante et généreuse – Milo s'enfonça contre le dossier de son siège et ferma les yeux. Peu après le départ, il les rouvrit pour observer Camus qui était assis en face de lui. Son ami s'était déjà plongé dans son premier ouvrage et lisait paisiblement. Le Scorpion déploya brièvement son cosmos pour venir effleurer celui du Verseau. Ce qu'il put y lire le rassura, car à cet instant, Camus se sentait bien. Alors Milo rabaissa ses paupières, puis sombra dans le sommeil. Mais il garda sa dernière pensée pour le nouveau souvenir qu'il partageait avec son meilleur ami.

Celui de leur baiser.


A suivre…

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 7 : Wonderwall , Oasis, 1995. Et si vous jetez un œil aux paroles, vous comprendrez pourquoi cette chanson convient si bien à Camus, et à Milo aussi d'ailleurs (enfin c'est mon avis en tout cas).

Notes:

Alaiya, si tu passes par ici, tu reconnaîtras ta patte pour l'emploi du présent. C'est quelque chose que j'ai toujours beaucoup apprécié dans tes écrits, alors voilà.

Chapter 8: All That They Want

Notes:

Bonjour,

Au programme de ce chapitre : retour au Camping, arrivée des Bronzes et préparation d'un certain tournoi de football (désolée).

Bonne lecture.

 

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais les idées à la noix sont de moi.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Dimanche 21 juin, Camping Le Zodiaque, au cœur des Landes françaises

Ikki du Phoenix marchait les mains bien enfoncées dans les poches de son short. Il arpentait les allées du Zodiaque pour se familiariser avec ce lieu qu'il ne connaissait pas et qui pour l'instant ne l'inspirait pas vraiment.

Ses amis et lui étaient arrivés deux jours plus tôt directement en provenance de Tokyo, où ils venaient de terminer leur année universitaire. Shiryu avait fini major de promo, et ce malgré le double cursus philosophie-mathématiques qu'il poursuivait. Hyoga se plaisait de plus en plus à étudier l'environnement et le climat. Shun avait validé sa deuxième année de médecine haut la main, et lui-même avait obtenu des résultats tout à fait satisfaisants à ses derniers examens. Il n'aurait jamais imaginé se prendre un jour de passion pour quoi que ce fût dans la vie, mais il devait reconnaître que potasser le montage et le démontage des moteurs d'avions ne lui déplaisait pas. Surtout maintenant qu'il ne lui restait plus qu'une année à tirer pour obtenir son diplôme.

Finalement, seul Seiya en avait un peu bavé ce semestre, une note éliminatoire obtenue en Gymnastique Rythmique l'ayant contraint à se soumettre à la délicate épreuve des rattrapages. En même temps, cette discipline n'était pas sa matière de prédilection, mais tout étudiant en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives − STAPS pour les intimes (1) − se devait de pratiquer un panel d'activités diverses et variées.

A cette pensée, Ikki sourit par anticipation à l'idée de montrer à quelques uns de ses congénères en armure la vidéo que Shun avait faite de Seiya un ruban rose à la main. Nul doute que les plus moqueurs apprécieraient, comme un certain Angelo du Cancer pour ne citer que lui.

Mais le Phoenix considérait que son cadet avait bien mérité un tel châtiment. C'était le prix que Pégase devait payer pour avoir passé l'année à faire des blagues lourdes et immatures. Une moustache de chat dessinée au marqueur par-ci, le capuchon d'une salière dévissé par-là. Peut-être qu'après cet acte de malveillance vengeresse, le plus jeune de la bande finirait-il par comprendre le message ? Ou peut-être pas.

Ikki ravala le petit rire sadique qui naissait dans sa gorge et pivota dans l'allée à sa gauche. Il tomba nez à nez avec une canadienne en perdition qui donnait l'impression d'avoir plutôt mal supporté le dernier orage. Il remercia alors Saga des Gémeaux, qui dans son inattendue mansuétude leur avait attribué à son petit frère et à lui une luxueuse caravane, signe que l'ancien Pope les avait probablement à la bonne. Surtout que d'autres n'avaient pas été aussi bien traités. Certes Shiryu et Shunrei, en jeune couple tout juste mis en ménage, avaient hérité d'un niveau de confort en tout point identique au leur, mais Hyoga et Seiya devaient se contenter d'une tente double assez rudimentaire bien qu'elle fût pourvue d'un auvent.

Un niveau d'équipement toutefois largement plus acceptable que celui qui avait été accordé à Angelo, Shura et Aphrodite, qui devaient chacun se satisfaire d'une minuscule canadienne. Ce qui ne semblait pas logique lorsque l'on considérait la carrure des trois individus concernés, bien plus imposante que celle des deux jeunes Bronzes, même si Seiya avait fini par prendre une bonne dizaine de centimètres ces dernières années. Ces trois chevaliers d'Or-là n'étaient visiblement pas dans les petits papiers de Saga.

En même temps, Ikki n'avait pas du tout envie de s'apitoyer sur le sort du Poissons. Car à peine étaient-ils arrivés au Zodiaque que ce dernier leur était tombé dessus avec son histoire d'équipes de football.

Le Phoenix avait été enrôlé de force en tant qu'ailier droit dans l'équipe de Kanon des Gémeaux pour en compléter le dispositif offensif, avec Aiolia sur la gauche et Angelo à la pointe. Shun avait quant à lui été assigné au poste d'arrière droit, en opposition à Shura. Et ce pauvre Shiryu se retrouvait défenseur central avec sa vieille connaissance Algol de Persée. Ces deux-là allaient encore en prendre plein la tronche. Et tout ça sous la direction d'un numéro dix incisif en la personne de Milo du Scorpion, soutenu par Kanon et Mû en milieux de terrain attentifs, avec Aldébaran en ultime rempart dans les buts. Infranchissables.

Bon en y repensant, Ikki ne s'en était finalement pas si mal tiré. Leur équipe avait du potentiel et saurait probablement faire preuve de panache, à la condition qu'aucun incident de parcours ne vînt obscurcir le tableau, comme un petit Seki Shiki Meikai Ha mal placé.

Donc oui, Ikki ne pouvait pas vraiment se plaindre non plus. Surtout par comparaison à Seiya et Hyoga qui se retrouvaient dans la seconde équipe du Zodiaque en compagnie de Shaka, Aiolos et Saga, qu'Aphrodite avait eu la drôle d'idée de placer en défense. Il n'osait même pas imaginer ce que le jeu collectif de ces trois-là allait pouvoir donner. Entre un Shaka presque constamment dans les vapes (pardon Bouddha, mais fallait bien voir la vérité en face), un Aiolos dépressif et un Saga égal à lui-même, ça n'allait pas être de la tarte. Surtout que d'après ce qu'il avait compris, aucun des trois n'étaient consentants pour s'adonner à la pratique du ballon rond.

Vraiment Ikki ne comprenait pas par quel raisonnement insensé Aphrodite avait pu pondre une composition à ce point chaotique. Ceci demeurait d'autant plus mystérieux que le Suédois s'était auto-sélectionné dans cette équipe, selon un schéma en 4-4-2 le plaçant en attaque en duo avec Seiya. Et pour compléter le tableau, le Poissons avait opté pour un milieu de terrain cent pour cent pingouins fondé sur Hyoga et Camus, épaulés par Dohko et Misty sur les côtés, et avait nommé Jamian arrière droit juste à côté de Saga, les Dieux seuls savaient pourquoi. Finalement, il n'y avait que le choix du gardien qui paraissait faire sens du point de vue du Phoenix, puisqu'il allait probablement être extrêmement compliqué de marquer un but à cette armoire de Cassios.

Ah si, quand même, un point fort de cette équipe résidait dans celui qui en avait été désigné comme capitaine : Dohko de la Balance. Car il ne faisait aucun doute que l'ancêtre au lifting le plus efficace jamais entrepris saurait galvaniser ses troupes le moment venu. Tout n'était donc peut-être pas perdu. Enfin sauf si emporté par son enthousiasme, Misty terminait à poil.

Ceci étant dit, Ikki avait tout de même eu du mal à encaisser les douze tours de stade que Kanon leur avait imposés la veille lors de leur premier entraînement. Courir en crampons en poussant un ballon n'était certainement pas la façon la plus douce de digérer huit heures de décalage horaire. Surtout que le second Gémeaux s'avérait être un coach particulièrement exigeant, pour ne pas dire carrément tyrannique. Bah tant que sa tignasse ne virait pas au gris, il n'y avait pas de raison de s'inquiéter non plus.

Néanmoins, un point turlupinait encore le Phoenix. Un aspect fondamental que son esprit acéré ne parvenait pas à cerner : la raison de l'organisation de ce tournoi de football. L'approche du dénouement du Championnat d'Europe (2) justifiait probablement en partie cet engouement footballistique. Surtout pour ce qui concernait Aphrodite, dont l'équipe nationale se retrouvait par le plus grand des hasards en demi-finale aujourd'hui. Mais un simple petit match entre chevaliers n'aurait-il pas suffi ? Pourquoi avoir mêlé Marinas, Guerriers Divins et autres Spectres dans cette histoire ?

Non, il était évident que ce tournoi servait un tout autre objectif. Comme la perspective d'exercer une revanche virile et sportive sur certains affrontements passés, sans éveiller le courroux du Very Big Boss qui leur avait interdit la moindre petite chamaillerie.

Alors pour clarifier tout ça, Ikki savait pertinemment à qui il allait devoir s'adresser : Kanon des Gémeaux. Car ce type-là était toujours impliqué dans les sales coups.

En continuant sa promenade, l'Oiseau éternel finit par arriver à ce qui allait devenir son quartier général pour les deux prochains mois : le bar du camping. Parce qu'il savait déjà qu'il aurait besoin de nombreux verres d'alcool pour l'aider à supporter cette saison estivale qui s'annonçait beaucoup trop agitée pour lui. Mais aussi parce qu'on lui avait attribué la fonction de serveur, en soutien de Shaina et sous la direction de Dohko.

Encore une fois, Ikki devait reconnaître qu'il avait eu de la veine en se retrouvant là, car travailler avec la belle Italienne au caractère de cochon allait sans nul doute être une expérience des plus intéressantes. Et puis il serait ainsi idéalement posté pour garder un œil sur son petit frère, ce dernier ayant été assigné à la préparation des gaufres et des crêpes dans la petite cahute située juste à côté du bar.

Donc oui, en définitive il ne s'en sortait pas trop mal. Au moins il ne devrait pas se coltiner à récurer les toilettes du camping. Contrairement à d'autres, comme Jamian, Ichi ou Cassios.

Une grimace de dégoût était sur le point d'étirer sa bouche lorsque des cris empreints d'une profonde excitation le sortirent de ses pensées. Seiya et Hyoga venaient de passer en courant devant lui, chacun portant une énorme bouée sous son bras.

« Salut Ikki, tu viens te baigner avec nous ?! lâcha le plus jeune en poursuivant sa course.

- Sans façons. Je dois aller m'acheter une brosse à dents.

- Tant pis pour toi ! Alors passe voir Shiryu ! Ils ont déjà commencé à bosser à l'épicerie du camping avec Shunrei. A plus ! »

Ikki observa ses amis franchir le portillon de la piscine sous le regard réprobateur de Kanon qui leur montra avec insistance les panneaux mentionnant l'interdiction de courir autour du bassin. Le Gémeaux allait probablement devoir se montrer d'une patience infinie avec le renfort qu'on lui avait imposé. Car Saori avait trouvé cela évident que son plus fidèle chevalier, celui qui l'avait tirée des griffes de si nombreux ennemis, se vît attribuer le rôle de sauveteur « officiel » du Zodiaque. Et c'était ainsi que Seiya avait été nommé maître-nageur en second aux côtés de Kanon, même si la natation ne demeurait pas sa spécialité.

A ce stade de ses réflexions, Ikki ne put s'empêcher de songer que ce poste aurait probablement mieux convenu à Hyoga, qui avait tant nagé pour aller retrouver sa Maman. Sauf que celui-ci s'était vu affecter à un autre genre de fonction qui convenait tout autant à ses talents personnels : la confection des glaces et des sorbets pour les clients du bar et du restaurant.

Et d'ailleurs, étant donné la chaleur étouffante qui régnait dans l'enceinte du camping en ce premier jour d'été, le Phoenix décida de repasser plus tard pour s'octroyer un petit rafraîchissement bien mérité par le biais d'un esquimau glacé.

Mais avant, il devait retrouver Shiryu à l'épicerie du camping pour obtenir ce dont il avait réellement besoin : six rouleaux de papier toilette triple épaisseur maxi douceur. Car Ikki était bien trop prévoyant pour avoir oublié sa brosse à dents, mais avait une peau beaucoup trop sensible pour se satisfaire du papier toilette fourni par sa Déesse. Aussi divin soit-il.


Seiya de Pégase posa sa bouée contre la porte de la première cabine de douche qu'il trouva, et se glissa avec précaution à l'intérieur pour ne pas la faire tomber.

Il avait acheté ce superbe flotteur le matin-même, dans l'une des nombreuses boutiques spécialisées en accessoires de plage et de piscine que l'on pouvait trouver dans le village voisin du Zodiaque. Il n'avait pas hésité longtemps avant de choisir celle qui lui conviendrait le mieux : une licorne. Car la perspective de passer son été à califourchon sur cet animal légendaire lui avait immédiatement beaucoup plu, sans vouloir manquer de respect à son ami Jabu. Jabu qui avait eu la malchance de se voir désigné par le sort pour demeurer au Sanctuaire avec Shion Geki et quelques autres. Certains chevaliers étaient décidément destinés à manquer tous les rendez-vous importants.

De son côté, Hyoga, qui l'avait accompagné dans son shopping, avait opté pour une bouée assez traditionnelle, toutefois agrémentée d'un joli petit liseré bleu. Seiya avait pourtant insisté pour qu'il jetât son dévolu sur un magnifique canard qui selon ses propres mots « lui tendait les bras ». Le Cygne s'était alors contenté de répondre par un haussement d'épaules dédaigneux avant de se diriger vers la caisse pour régler son achat.

Lorsqu'il se plaça sous le jet frais de la douche, Seiya soupira de bien-être et de joie. Il était absolument ravi de séjourner deux mois dans ce camping paradisiaque. D'abord parce qu'il ne connaissait pas la France et n'avait encore jamais eu la chance d'admirer l'Océan Atlantique. Ensuite parce qu'il pourrait passer du temps avec ses amis et sa Déesse sans les contraintes liées à leur fardeau universitaire. Ces six derniers mois à la fac lui avaient paru particulièrement difficiles, et il avait définitivement besoin d'un break.

Pourquoi son cursus lui imposait-il la pratique de sports pour lesquels il n'avait aucune affinité ni la moindre prédisposition ? Fichue épreuve de Gymnastique Rythmique qui lui avait valu de se coltiner les rattrapages ! Il fallait vraiment être tordu pour lui avoir fourré un ruban entre les doigts en lui demandant de tourner sur lui-même et de réaliser des figures compliquées, le tout avec élégance et en musique.

Non, son truc à lui, c'était la course à pied, les sports de combat et le football. Football qu'il allait d'ailleurs avoir le bonheur de pouvoir pratiquer pendant son séjour estival, grâce à ce tournoi amical que ses aînés avaient eu la bonne idée d'organiser. Surtout qu'Aphrodite avait comblé ses attentes en le nommant attaquant, ce qui lui permettrait de montrer toute l'étendue de son talent à ses amis et à sa Déesse.

Sa Déesse qui avait de plus pris l'excellente initiative de lui faire suivre la formation de Maître-Nageur-Sauveteur pendant qu'il se trouvait encore au Japon, dans le but de lui confier la tâche ô combien importante de surveillant de baignade au Zodiaque. La perspective de travailler à ce poste le rendait à la fois fier et enthousiaste, et ce d'autant plus qu'il aurait la chance d'être placé sous la supervision de Kanon, un chevalier pour lequel il avait gardé une profonde admiration depuis leur passage aux Enfers. Mince, venir à bout de Rhadamanthe de la Wyverne avec autant de panache n'était certainement pas donné à tout le monde. D'ailleurs, revoir ces deux-là s'affronter dans le cadre du tournoi de football à venir allait probablement valoir son pesant de cacahuètes.

Finalement, le seul hic dans cette nouvelle aventure résidait dans sa méconnaissance totale du français. Car contrairement à ses amis Shiryu et Hyoga qui maîtrisaient parfaitement la langue de Spirou (ndla : chacun a les références qu'il peut) , lui n'en parlait presque pas un mot. Son vocabulaire se limitait aux rudiments fondamentaux pour garantir sa survie comme « deux croissants s'il vous plaît » et « pourriez-vous m'indiquer les toilettes les plus proches ? ». Heureusement que son niveau d'anglais était suffisamment acceptable pour lui permettre de communiquer avec les clients qui fréquenteraient la piscine. En même temps, pas besoin d'être polyglotte pour pratiquer le bouche à bouche.

Avant de sortir de la cabine, Seiya se sécha sommairement et enroula sa serviette autour de ses hanches. En poussant la porte, il fit tomber sa bouée qu'il ramassa d'un mouvement du pied vif et maîtrisé. Et lorsqu'il la remettait sous son bras, il fut ébloui par le flash d'un appareil photo.

« Un petit sourire, Seiya !

- Shun ! Pas maintenant ! J'ai même pas eu le temps de me mettre un coup de peigne, râla l'ébouriffé.

- Parce que tu te coiffes d'habitude, peut-être ?! ironisa Andromède.

- Non. Mais c'est pas une raison ! Bon, je vois que tu comptes poursuivre la sale habitude que t'as prise cette année avec ton maudit appareil photo. J'espère au moins que t'as pas pris ton caméscope !

- Bien sûr que si ! Seiya, je veux tout immortaliser. Je veux garder une trace de tous ces moments fabuleux que la vie aura à nous offrir. C'est important pour moi, tu comprends ?

- Oui... Mais t'es pas obligé de mettre absolument tout sur pellicule non plus !

- Si. Je veux me souvenir de chaque instant.

- Ben écoute, au moins ça nous donnera l'occasion de passer des bons moments lorsqu'on regardera tout ça quand on sera vieux.

- Exactement ! Comme quand on visionnera la vidéo de ta belle chorégraphie sur le Lac des Cygnes avec ton ruban.

- Non, Shun, t'as quand même pas fait ça ?! s'exclama Pégase en laissant retomber sa bouée.

- Ben si ! Chaque instant de notre vie, je t'ai dit ! se justifia le paparazzi.

- Shun ! Il faut que tu détruises cette vidéo ! Si jamais Ikki tombe dessus, c'est une catastrophe !

- Ne t'inquiète pas, elle est en lieu sûr. Mon frère ne pourra jamais la trouver.

- J'espère bien… Sinon je suis un homme mort !

- Pourquoi tu serais un homme mort, Pégase ? s'enquit une voix nasillarde avec un fort accent britannique.

- Ah, Jamian ! Salut ! Qu'est-ce que tu fiches ici avec un seau et cette drôle de brosse ?

- Nettoyage des sanitaires. Tout le monde ne peut pas être le chouchou de la Déesse ! fit remarquer assez justement l'Écossais.

- Ce n'est pas une question de favoritisme, mais d'affinités et d'aptitudes, se défendit le chevalier préféré.

- Ouais, bien sûr ! Facile à dire quand on n'a pas à récurer les chiottes !

- C'est sûr que cela ne doit pas être évident comme travail, reconnut Shun en remettant son appareil photo autour de son cou. Tu as bien du mérite en tout cas !

- Merci, mais j'ai pas besoin de votre pitié ! Je me contente de faire le boulot qu'on m'a demandé.

- Ce qui est tout à ton honneur, Jamian ! insista Seiya en replaçant sa bouée sous son bras. Et au fait, on a entraînement ce soir ou pas ? Hier j'étais encore un peu dans les vapes à cause du décalage horaire, et je me rappelle plus trop ce qu'Aphrodite nous a dit.

- Non, pas d'entraînement ce soir. Par contre Aphrodite nous a tous convoqués au bar du camping à dix-neuf heures pour une réunion générale avant le coup d'envoi du match.

- Quel match ? questionna Andromède qui n'avait pas encore eu l'occasion de s'entretenir avec son ami le Poissons.

- Ben Suède – Allemagne, évidemment ! En demi-finale de l'Euro ! On voit que vous venez d'arriver tous les deux… C'est vraiment toujours les mêmes qui ont de la veine, tiens !

- Qu'est-ce que tu veux dire ? s'étonna Seiya qui ne s'était pas toujours considéré comme quelqu'un de particulièrement chanceux.

- Ben vous avez pas eu à vous coltiner les cris stridents et hystériques d'Aphrodite pendant les dix derniers jours ! J'vous promets que c'était inhumain.

- Ah oui, je vois !

- Non tu vois pas, Seiya ! rétorqua le charmeur de Corbeaux. Tu peux pas imaginer ce qu'on a dû endurer… Et je te jure que si Aphrodite n'était pas dans notre équipe, je m'en serais donné à cœur joie pour exercer ma vengeance contre lui à grands coups de crampons.

- La violence ne résout jamais rien, déclara Shun tandis qu'il plaçait son œil droit derrière le viseur de sa caméra. Un petit sourire, Jamian ? »

Le chevalier d'Argent n'eut pas le temps de se cacher derrière son seau que le clic de l'appareil résonnait déjà au cœur des sanitaires B6 du Zodiaque.


Shura fumait adossé contre le mur de la baraque à crêpes, tout en se mordillant l'intérieur des lèvres. Il était sous pression mais décidé, et surtout, il avait préparé avec soin la liste de ses arguments pour convaincre Aphrodite de la pertinence de sa requête.

L'entraînement de la veille avait fini de le convaincre : il ne pouvait pas rester dans la même équipe qu'Angelo.

Déjà, devoir le regarder courir en tenue de footeux s'était avéré compliqué pour lui à gérer, et ce dès le premier tour de terrain. Merde, depuis quand porter des protège-tibias rendait-il sexy à ce point ? C'est vrai quoi, Shura avait côtoyé son meilleur ami vêtu de son armure d'Or pendant la plus grande partie de sa vie, et jamais il ne s'était senti excité en le voyant porter ses jambières. Pourtant il s'agissait exactement du même genre d'équipement. Alors pourquoi ?!

Ensuite, si lors de leur premier entraînement Shura avait réussi à s'éclipser dans les cabines individuelles pour se doucher, il ne s'en était pas tiré à si bon compte après leur seconde séance. Angelo avait insisté pour qu'il cessât de « faire sa prude », arguant que la douche collective contribuait à la cohésion d'une équipe. Ce qu'avait aussitôt confirmé Kanon, en capitaine soucieux de maintenir une « bonne ambiance générale ». Résultat des courses : Shura s'était retrouvé sous la douche à poil, juste en face d'Angelo tout aussi à poil que lui. Autant dire que le Capricorne avait prié sa Déesse pendant toute la durée de son supplice pour que le Cancer ne fît pas tomber sa savonnette.

Donc oui, cette fois-ci sa décision était prise : il devait absolument changer d'équipe. Et tant pis si cela impliquait d'avoir à supporter la bonne humeur d'Aiolos et Saga réunis.

En rejoignant le bar, pile à l'heure du rendez-vous que leur avait donné Aphrodite, Shura retrouva ce dernier aux prises avec Algol. L'Argent au bouclier assassin, qui dix jours plus tôt prétendait n'avoir aucune appétence pour le football, tentait à présent de négocier une inversion de poste avec l'autre défenseur central de son équipe, aka Shiryu du Dragon. Shura ne se concentra pas suffisamment pour saisir la totalité des propos que les deux chevaliers étaient en train d'échanger, mais les mots « gaucher », « vision périphérique » et « fichue tête de mule » lui firent comprendre que le défenseur insatisfait n'avait probablement pas été entendu.

Cet entretien terminé, le Capricorne s'approcha du Poissons, confiant dans l'issue favorable de sa propre demande.

« Aphro, t'aurais deux minutes à m'accorder, s'il te plaît ?

- Ah non ! Ne me dis pas que tu veux changer de poste toi aussi ! s'exclama Aphrodite en balayant l'air devant lui d'un mouvement de bras irrité.

- Alors justement…

- Justement quoi ?!

- Eh bien je suis convaincu que j'exploiterais mieux mon potentiel si je jouais en attaque, asséna l'Espagnol avec toute la conviction accordée par son accent ibérique.

- Et alors ? Le dispositif offensif de ton équipe est au complet, et celui-ci me semble idéal. Donc tu restes en défense ! rétorqua le sélectionneur, catégorique.

- Justement… Je pense que le mieux serait que je change d'équipe.

- Et pour prendre la place de quel attaquant ? s'enquit le Suédois en haussant un sourcil. Car je te rappelle que l'autre équipe, qui se trouve être la mienne, dispose elle aussi d'une attaque au complet. Puisque pour ta gouverne, j'ai choisi un schéma tactique en 4-4-2.

- Oui, je sais, confirma le Capricorne en plissant des yeux pour affuter le tranchant de son discours. Je te propose donc de prendre ta place. Je pense que je serai parfait avec Seiya à ma gauche.

- Hors de question ! vitupéra Aphrodite.

- Et pourquoi donc ?

- Les caractéristiques de mon jeu ne conviennent pas à un poste de défenseur.

- Tu sous-estimes ta polyvalence ! De ce que j'en ai vu, tu pourrais occuper n'importe quelle position sur un terrain. Il suffirait que tu en aies envie, tenta d'argumenter le Dixième gardien.

- Ce qui n'est pas mon cas, Shura ! Jouer en défense ne m'intéresse pas, alors fin de la discussion ! conclut le Poissons en brandissant la paume de sa main devant le visage de son vis-à-vis pour renforcer le caractère définitif de ses mots.

- Aphrodite, il faut que je te parle ! les coupa Saga qui semblait particulièrement contrarié.

- Pardon, mais tu vois pas qu'on est en pleine discussion, là ?! s'agaça le détenteur d'Excalibur.

- Aphrodite, il faut que je te parle maintenant ! se contenta de répéter le Gémeaux sans un regard pour le Capricorne.

- Oui Saga, je t'écoute, acquiesça celui qui vouait toujours une admiration sans bornes à son ancien Pope bien-aimé. Shura, tu peux disposer. De toute façon, il me semble que nous avons terminé !

- Maldita cabezota ! (3) maugréa l'Espagnol en s'éloignant, passablement énervé.

- Je t'entends, Shura ! » s'insurgea Aphrodite qui, en fin connaisseur des jurons hispaniques, avait parfaitement compris le sens des ultimes paroles de son ami.

Le Douzième gardien se pinça l'arête du nez en soupirant – ciel que le poste de sélectionneur était ingrat et compliqué ! – avant de poursuivre sur un ton qu'il voulut plus doux.

« Bon, Saga, qu'y a-t-il ?

- Retire-moi tout de suite de cette sélection ridicule !

- Et pourquoi donc, je te prie ?

- Comment oses-tu me poser la question ? s'offusqua le Gémeaux. Cela me semble pourtant évident : parce que je n'ai pas de temps à perdre avec des choses aussi futiles que de jouer au football !

- Le football n'a rien de futile. Pour preuve, il canalise l'attention de millions – non pardon, de milliards – d'individus.

- Dont je ne fais pas partie ! Alors je réitère ma demande : trouve quelqu'un d'autre pour jouer à mon poste, ou Kanon et toi devrez vous contenter d'une seule équipe. Et d'ailleurs, je rectifie mon propos : ceci n'est pas une requête, mais un ordre ! » s'écria l'ex-Grand Pope avec un vague relent de penchant despotique.

En reconnaissant le haussement de ton caractéristique d'un départ en vrille de son aîné, Kanon se rapprocha du duo pour interrompre leur courtoise conversation.

« Saga, pourquoi tu t'énerves ? Tu sais que c'est pas bon pour toi.

- Kanon, je n'ai ni le temps ni la disposition pour écouter tes sarcasmes aujourd'hui ! Alors si tu n'as rien à dire de constructif, va donc voir ailleurs si j'y suis !

- Alors justement, ce que j'ai à dire est de la plus haute importance et devrait t'intéresser. Est-ce que j'ai toute ton attention ? s'enquit l'ancien Marina en plongeant ses yeux magnifiques dans ceux, tout aussi magnifiques, de son jumeau.

- Oui, tu l'as, déclara l'aîné que la prise de parole de son cadet sembla rasséréner.

- Aphrodite et moi avons parfaitement conscience de la charge que tu occupes et du temps que tu dois y consacrer. Nous ne remettons rien de tout cela en cause, sois-en assuré ». Kanon leva un doigt en l'air pour interrompre un « encore heureux » gémellaire, avant de poursuivre : « Mais nous pensons aussi que la participation à un tournoi sportif, surtout lorsque cela met en jeu une pratique collective, est un exercice idéal pour garantir et améliorer la cohésion d'un groupe. Et en ce sens, nous considérons la participation de tous comme primordiale.

- Ah oui, un peu comme des séances de Team Building ? le coupa Saga sur un ton définitivement apaisé.

- Exactement ! Donc, même si ta position de directeur adjoint du Zodiaque te prend beaucoup de temps et d'énergie, nous pensons réellement que tu ne peux pas rester à l'écart de ce que nous essayons de construire.

- Je comprends et je partage votre opinion. L'implication de tous est fondamentale ! » approuva le réfractaire qui s'était finalement montré facile à convaincre. Comme quoi, la tendance lunatique, content-pas content, parfois, ça pouvait s'avérer pratique.

« Je suis désolé de m'être emporté de la sorte, Aphrodite, ajouta le cyclothymique.

- Pas de problème, Saga. C'est déjà oublié.

- Et n'hésitez pas à me solliciter si vous rencontrez le moindre problème dans la réalisation de votre beau projet. Maintenant que j'en ai saisi l'importance, j'insiste sur la nécessité de tout mettre en œuvre pour petit un, assurer un entraînement et une préparation physique de qualité – Kanon, désolé de te le dire, mais tu es directement concerné.

- Euh, mais non ! balbutia l'incriminé, visiblement vexé.

- Si si, je te jure. Et pour petit deux, poursuivit celui que l'on n'arrêtait plus, garantir la victoire de l'une de nos deux équipes à ce tournoi. D'ailleurs, comment s'appelle ce tournoi ?

- Ben on lui a pas donné de nom, marmonna Kanon, toujours profondément contrarié par la pique de son aîné concernant son prétendu manque de condition physique.

- Alors il faut lui en trouver un ! Tiens, pourquoi pas : The Champions League ?! (4)

- Ça fait pas un peu pompeux ? fit remarquer l'ex-Dragon des Mers dans un élan inhabituel de modération.

- Non, moi je trouve ça parfait ! s'enthousiasma le Poissons. Je vais m'occuper de faire fabriquer des T-shirts !

- Très bonne initiative ! approuva le premier Gémeaux. Et n'oubliez pas, venez me voir si vous êtes confrontés à la moindre difficulté.

- Alors justement, Saga, puisque tu insistes sur ce point…

- Oui, Aphrodite ?

- Je dois bien reconnaître que deux joueurs de notre propre équipe ne semblent pas du tout impliqués. Pour preuve, ils n'ont pas participé à nos deux premières séances d'entraînement.

- Je n'y étais pas non plus, interrompit fort justement Saga.

- Certes, mais tu viendras aux prochaines, n'est-ce pas ?

- Bien entendu !

- Alors je poursuis. Les deux joueurs que je blâme sont Aiolos et Shaka. Il faudrait donc que tu les… comment dire ?... briefes sur l'importance de leur participation.

- Considère cela pour acquis. Aiolos et Shaka viendront au prochain entraînement, dussé-je user de mon Genrō Maō Ken pour cela !

- Euh, en venir à un tel extrême ne sera peut-être pas nécessaire non plus, suggéra Aphrodite.

- On verra ! Et sur ce, je vous dis bonne nuit !

- Tu ne restes pas pour regarder le match ? s'étonna le Douzième gardien.

- Quel match ?

- Non rien, laisse tomber, Saga, consentit le Suédois en masquant le profond désarroi généré par le manque d'intérêt de son aîné pour son équipe nationale. Par contre, tu ne peux pas partir maintenant, continua le déçu, car j'ai prévu un petit point tactique entre les membres de chacune de nos deux équipes.

- Alors dans ce cas, je vais me chercher un rafraîchissement au bar et je reviens. A tout de suite ! »

En regardant l'ex-Grand Pope se rapprocher du comptoir avec toute la prestance qui le caractérisait, Aphrodite se tourna vers Kanon et s'adressa à lui mentalement :

« Bien joué ! Je constate que tu n'as rien perdu de tes talents de manipulateur.

- Merci, Aphrodite ! » se contenta de répondre le concerné avec une ébauche de sourire torve sur les lèvres.


A suivre…

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 8 (légèrement transformé ici) : All That She Wants , Ace Of Base, 1992.

Notes:

(1) Je n'ai pas la moindre idée de s'il existe un cursus équivalent aux STAPS au Japon, mais tant pis !

(2) Pour rappel, je fais ici référence à l'Euro de Football 1992 qui s'est tenu en Suède du 10 au 26 juin de cette belle année, et qui a conduit au sacre inattendu du Danemark.

(3) Fichue tête de mule, en espagnol (ou un truc dans ce genre en tout cas).

(4) Alors pour celles/ceux qui s'intéresseraient au foot pour de vrai, je tiens à préciser qu'en juin 1992, la Champion's League ne s'appelait pas encore ainsi mais Coupe des Clubs Champions Européens. De là à suggérer que ce serait ce cher Saga qui aurait eu l'idée du nom en premier, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai pas ;-)

Bon et toujours pour celles/ceux que ça pourrait intéresser... Tous les matchs de football officiels mentionnés dans cette histoire dans le cadre de l'Euro 1992 sont véridiques et respectent le calendrier original.

Chapter 9: Smells Like Team Spirit

Notes:

Bonjour,

Pour info (et pour indiquer une certaine forme de contexte), ce chapitre ainsi que tous ceux mentionnant le tournoi de football ont initialement été publiés (sur ffnet) au cours du premier semestre 2023 (soit quelques mois après la défaite de l'équipe de France de football dans une certaine coupe du monde).

Bonne lecture.

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais les blagues de mauvais goût sont de moi.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Même jour, même lieu, même moment

Camus écoutait les conversations qui fusaient autour de lui, mais les mots glissaient sur sa personne sans parvenir à éveiller son intérêt. L'élimination de la France de la phase finale de l'Euro quatre jours plus tôt était sur toutes les lèvres, ce qui leur avait valu à Misty et à lui une bonne dose de moqueries. Seul Jamian avait fait profil bas, le sort des Anglais n'ayant pas été plus enviable que celui des Français.

L'autre sujet d'attention concernait bien entendu la tenue prochaine de ce tournoi de football inter-établissements touristiques, qui venait semble-t-il d'être baptisé « The Champions League » par un Saga subitement enthousiaste.

Un tournoi.

Franchement.

Encore une idée insensée, jaillie de l'esprit agité de l'autre meilleur ami de son meilleur ami : Kanon des Gémeaux.

De ce que Camus avait compris, cette brillante initiative trouvait son origine dans un match de foot improvisé sur la plage qui avait vu s'affronter quatre de ses camarades à un nombre identique de Généraux des Mers, dont son ancien disciple Isaak.

Camus n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer le jeune homme depuis leur arrivée dans les Landes, mais les nombreuses visites des représentants de Poséidon au Sanctuaire depuis leur résurrection leur avaient permis de retisser un lien proche de celui qui les unissait jadis. Avant l'accident. Avant la preuve flagrante de son échec. Enfin… la première.

Isaak était venu frapper à sa porte dès qu'il avait franchi l'enceinte du Domaine Sacré pour la première fois, et lui avait arraché les mots que le Verseau, rongé par la souffrance et la culpabilité, se savait incapable de prononcer. L'ancien apprenti avait alors pris dans ses bras celui qu'il n'avait jamais eu la force de renier, et l'espace d'un instant, Camus avait accepté d'oublier à quel point il avait fauté.

Alors aujourd'hui, Camus se réjouissait à l'idée de pouvoir bientôt retrouver Isaak. Il s'agissait d'ailleurs de l'un des seuls intérêts que revêtait ce tournoi à ses yeux. Celui-là et le fait de jouer aux côtés de Hyoga, puisque les deux chevaliers des Glaces avaient été désignés par Aphrodite comme milieux de terrain offensifs dans son schéma tactique. Une position dont le Verseau n'avait pas eu à se plaindre, et ce d'autant plus qu'elle lui épargnait de faire équipe avec Milo.

Dès qu'il avait appris le projet de Kanon et d'Aphrodite à son retour de Paris, Camus avait été pris de panique à l'idée de devoir jouer avec son ami. Car même s'il n'avait que peu pratiqué le football dans sa vie, il en connaissait les traditions et avait parfaitement conscience de ce qu'elles impliquaient. Célébrations d'après but avec démonstrations de fraternité virile allant de la simple accolade à la main aux fesses franche et appuyée. Mais surtout… Renforcement de la cohésion des joueurs dans les douches. Collectives. Et la perspective de se retrouver avec Milo, tous les deux entièrement nus dans l'enceinte d'un lieu clos et chaud, avait immédiatement donné des sueurs froides au Verseau.

Car depuis leur séjour parisien, la teneur érotique de ses rêves n'avait fait qu'empirer. Chaque nuit devenait plus intime et plus réelle, et chaque réveil, plus douloureux. Il ouvrait les yeux chaque matin les draps serrés entre les doigts, avec le souvenir des mains de Milo qui imprégnait sa peau et un désir insoutenable qui lui brûlait les reins. Un désir qu'il ne parvenait pas à contenir et contre lequel il ne pouvait plus lutter, jusqu'à devoir se mordre l'intérieur des joues pour ne pas hurler.

Pourtant, il s'était aussi juré de faire des efforts pour être moins distant avec le Scorpion, parce qu'il avait compris que ce dernier en avait besoin pour ne pas continuer à croire qu'il ne représentait rien.

Les mots que Milo lui avaient jetés au visage dans la discothèque hantaient toujours son esprit. Comment son ami avait-il pu imaginer qu'il ne comptait pas ? Qu'il n'avait jamais eu d'importance ? Alors même si Camus avait le sentiment qu'ils avaient réussi à sauver leur amitié cette nuit-là, il voulait s'assurer que Milo ne douterait plus jamais de combien il était essentiel dans sa vie.

Et comme parler restait toujours pour lui une option infiniment compliquée, il n'avait d'autres choix que de le lui montrer par ses actes. Et c'était pour cette raison que depuis huit jours, Camus acceptait tout ce que Milo lui proposait, dans la mesure où cela n'impliquait aucun contact physique ou visuel prolongé.

Dernière « contribution » en date : une séance cinématographique pour assister à la projection d'un film de Science Fiction américain. « Terminator 2 : Le Jugement Dernier ». Un chef-d'œuvre selon le Scorpion, un ennui sans nom selon le Verseau. Une Intelligence Artificielle mettant l'Humanité toute entière à ses pieds. Sérieusement ? Quoique… En y réfléchissant bien, ce n'était peut-être pas si absurde que ça. Enfin, heureusement que la bande son s'était avérée de qualité. Surtout que pour couronner le tout, Kanon s'était invité avec eux ce jour-là. Ce qui au final avait été un mal pour un bien puisque le Gémeaux s'était assis entre Milo et lui, évitant ainsi le moindre contact charnel inopiné.

Camus avait toutefois gardé un œil attentif du côté de l'ex-Dragon des Mers pendant toute la durée de la séance, non pas parce que l'intérêt que portait ce dernier à son meilleur ami lui paraissait beaucoup trop ambigu pour être honnête – et non, il ne s'agissait en aucun cas d'une certaine forme jalousie ( nlda : hum… mauvaise foi ? ) – mais pour s'assurer qu'il ne laisserait pas jaillir son cosmos, emporté par un élan d'enthousiasme.

Après la fin du film, les deux Grecs avaient convaincu le Français d'aller boire un verre, ce qui avait contraint Camus à assister impuissant à un débat stérile concernant le pourquoi de la défaite du plus vieux contre le plus jeune lors d'un cinquante mètres nage-libre endiablé. Une course d'anthologie selon les dires d'Aphrodite des Poissons, mais dont le Verseau n'avait pas eu la chance d'être le témoin. La comptabilité du Zodiaque restait dans ses priorités malgré tout.

Mais en dépit de toute sa bonne volonté, Camus ne pouvait nier que sa situation devenait chaque jour plus difficile et plus compliquée. Son amour non réciproque pour son meilleur ami le bouffait de l'intérieur, envahissait son quotidien, monopolisait son attention et brouillait ses pensées. Sans parler de son désir qu'il parvenait de moins en moins à contrôler. Ce désir qu'il sentait monter du plus profond de son être dès que Milo paraissait devant lui, et ce même lorsqu'il touchait quelqu'un d'autre. Ce dont le Scorpion ne se privait pas.

Depuis leur retour de Paris, il l'avait vu flirter avec plusieurs clientes toutes plus ravissantes les unes que les autres. Il l'avait vu s'approcher d'elles, leur murmurer des mots à l'oreille, soulever leurs cheveux pour plonger ses lèvres dans leur cou. Camus avait parfaitement conscience qu'à chacun de ces moments, il aurait dû s'en aller ou détourner les yeux. Mais il en avait été incapable. Et le pire dans tout ça, c'est qu'il avait la certitude que si la situation se présentait à nouveau, il n'agirait pas différemment.

Il ne comprenait pas pourquoi il s'infligeait un tel supplice. Il était probablement masochiste. Ou alors, il avait encore besoin de se persuader que ce qu'ils avaient partagé dans ce couloir cette nuit-là ne comptait pas. Que ce baiser, leur baiser ne signifiait rien. Qu'il n'avait jamais existé. Qu'il n'avait été qu'un rêve. Un de plus.

Il savait pourtant que depuis leur résurrection, Milo avait toujours agi ainsi. Il le savait parce qu'il n'était pas aveugle et qu'il n'était pas sourd, les commérages du Sanctuaire lui ayant même apporté un niveau de détails dont il se serait passé volontiers.

Il n'ignorait donc rien du goût de son meilleur ami pour les relations sexuelles fréquentes avec de multiples partenaires. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il avait fini par trouver le courage de lui parler des risques que son comportement pouvait lui faire courir, en insistant sur combien il était important de se protéger.

Sachant que pour voir le bon côté des choses, Camus n'était plus le seul aujourd'hui à veiller sur la santé de ses congénères. Depuis leur arrivée au Zodiaque, Aphrodite s'était senti investi d'une mission, bien avant de se plonger corps et âme dans sa fonction de sélectionneur : celle d'assurer la mise à disposition, à toute heure et sans restriction, de préservatifs, tout parfum et toute taille confondus. Il avait même fini par convaincre Saga d'installer un distributeur juste à la sortie du bar. Alors c'était déjà un souci de moins à gérer.

Considérant qu'il avait assez fait acte de présence à cette réunion stratégique dont il n'attendait de toute façon pas grand-chose – il savait que le jour J, ses coéquipiers seraient tous ingérables, enfin sauf son disciple bien-aimé évidemment – Camus se leva de sa chaise pour regagner l'intimité de sa caravane ( ndla : encore un chouchou ). Mais c'était sans compter sur son capitaine qui lui tomba dessus aussitôt.

« Hep hep hep ! Tu comptes aller où comme ça ? s'exclama Dohko en faisant pression sur son bras pour le contraindre à se rasseoir.

- Me coucher.

- Hors de question ! Nous devons parler tactique entre nous. Je veux dire entre les joueurs du Zodiaque 2.

- Du Zodiaque 2 ? s'enquit Camus qui n'avait pas été suffisamment attentif lors de la dernière demi-heure pour noter cette petite subtilité.

- Oui… Aphrodite et Kanon ont décidé d'appeler nos deux équipes respectivement Zodiaque 1 et Zodiaque 2, et on doit donc se coltiner le numéro deux, expliqua le Chinois, visiblement déçu.

- Ces numéros reflètent-ils une gradation dans le niveau footballistique ? fit mine de s'intéresser le Verseau.

- Ils ont juré que non, mais il n'empêche que c'est ce que tous nos adversaires vont penser.

- Alors, Dohko, il s'agira de leur montrer que c'est faux !

- Tu as raison, Camus ! Je savais que je pouvais compter sur ton esprit d'équipe et ton mental combatif ! s'enthousiasma le plus vaillant des double-centenaires jamais recensés ( ndla : exception faite de Yoda, mais comme il s'agit d'un Jedi, eh ben ça compte pas ).

- Bon, je peux aller me coucher, maintenant ?

- Non… Je t'ai dit que nous devions parler tactique.

- Est-ce absolument nécessaire ?

- Oui, ça l'est ! » insista la Balance en convoquant les autres membres de leur équipe par un sifflement si puissant qu'il faillit briser plusieurs verres.

Saga accourut en tirant Shaka et Aiolos par le bras, après avoir ordonné à Jamian de coller une seconde table à celle de Camus et de positionner plusieurs chaises tout autour. Le Corbeau s'exécuta sans broncher, aidé en cela par un Pégase toujours dévoué et un Lézard soucieux de maintenir l'intégrité du mobilier. Hyoga s'empressa de s'asseoir sur la chaise à côté de son maître en bousculant Misty au passage, ce dernier ayant eu l'audace de vouloir lui piquer sa place. Aphrodite les rejoignit en dernier et posa une fesse distinguée mais autoritaire sur le rebord de la table du Verseau.

« Alors les gars, j'espère que vous avez la niaque ! » s'écria Dohko pour tenter de motiver ses troupes.

Le silence qu'il reçut pour toute réponse lui fit comprendre à quel point cela n'était pas le cas.

« C'est pas grave, ça va v'nir ! encouragea le Vieux Maître à la jeunesse éternelle. Aphrodite, poursuivit ce dernier sur un ton toujours profondément enthousiaste, nous t'écoutons : quelles sont tes consignes ?

- Le plus important, c'est que chacun sache parfaitement ce qu'il doit faire. Tiens, par exemple, Camus, pour commencer… Ouh ouh, Camus, t'es avec nous ?! s'exclama le Poissons en claquant des doigts devant le visage du concerné. Non, parce qu'il faudrait tout de même que tu prennes la peine de m'écouter ! Sauf si tu es plus intéressé par ce qu'il se dit à la table d'à côté. Surtout, faut pas te gêner si tu veux changer d'équipe, hein !

- Non non, Aphrodite, je suis très bien ici avec vous ! Alors poursuis, je t'en prie, tu as toute mon attention, s'amenda le Verseau qui se redressa bien droit sur sa chaise pour masquer sa gène d'avoir ainsi été surpris à rêver du côté de la table d'un certain Scorpion.

- Très bien ! Alors je reprends ma petite illustration. Je disais donc : Camus, tu devras absolument marquer Milo à la culotte, car puisque vous occupez pratiquement le même poste et que tu le connais bien, stratégiquement parlant, ça nous sera utile si jamais le tirage au sort fait que nous devons jouer contre eux. Ça te paraît clair ?

- Limpide » répondit simplement le Français qui ne put s'empêcher de jurer intérieurement dans sa chère langue maternelle : « eh bien, me voilà empêtré dans une fort jolie panade ! » .


Camping Le Poséidon, au même moment

Les bras croisés et le dos plaqué contre le mur derrière lui, Albérich de Megrez observait ses coéquipiers – enfin ceux qui lui avaient été désignés comme tels – avec un mélange de curiosité et de mépris. Il les écoutait débattre au sujet des différents dispositifs tactiques qu'ils connaissaient ou prétendaient connaître, et s'amusait de constater à quel point ils avaient tous l'air complètement idiots.

Syd était probablement celui qui lui sortait le plus par les yeux, avec ses « croyez-en mon expérience » et ses « mais enfin, tout le monde sait que tous les grands clubs font comme ça ! » . Un leadership qu'il ne devait néanmoins qu'à l'absence de Siegfried, ce dernier n'ayant pu s'empêcher de rester en Asgard auprès de sa vénérée prêtresse.

Bud brillait par son absence, même si Albérich ne doutait pas un instant qu'il fût quelque part tapis dans l'ombre en train d'écouter les moindres détails de leur discussion. Hagen, Thor et Fenrir le laissaient comme toujours totalement indifférent. Quant à ces maudits porteurs d'écailles qui se croyaient si supérieurs à eux, ils étaient tous totalement sans intérêt, à l'exception peut-être de Sorrento de la Sirène qui semblait bien être le seul pourvu d'un cerveau.

Ah si, un autre de ses camarades trouvait tout de même grâce à ses yeux : Mime de Benetnash. Le guerrier d'Êta avait eu le cran et l'honnêteté de dire tout le bien qu'il pensait du football lorsque Isaak était venu mendier le soutien des Guerriers Divins pour constituer une équipe. Son refus de participer à ce tournoi ridicule avait donc été catégorique, et Albérich appréciait les avis tranchés surtout lorsqu'ils étaient argumentés.

Jugeant qu'il avait été suffisamment silencieux, Albérich coupa la parole à celui qu'il n'écoutait pas, sans même prendre la peine de décroiser les bras :

« Vous êtes tous des imbéciles et vous allez droit dans le mur, déclara-t-il sur un ton péremptoire.

- Comment oses-tu ?! s'exclama le Kraken en se ruant sur l'Asgardien pour le saisir par le col de son maillot.

- Calme-toi, Isaak, intervint aussitôt la Sirène. Laissons donc à Albérich la possibilité d'expliquer les raisons de son jugement.

- Merci, Sorrento, articula le guerrier de Delta tandis qu'il repoussait Isaak d'un mouvement de bras dédaigneux.

- T'as intérêt à avoir de bons arguments, Megrez ! vitupéra le Finlandais en relâchant sa prise.

- Ne t'en fais pas pour ça. Mes arguments sont irréfutables, et surtout, ils sont d'une simplicité déconcertante, ce qui devrait te permettre de les comprendre.

- Espèce de… !

- Suffit, Isaak ! s'exclama l'Autrichien. Écoutons ce qu'Albérich a à nous dire, dans le calme et la sérénité. »

Le gardien du Pilier de l'océan Arctique recula de plusieurs pas en serrant les poings, et le regard qu'il lança à celui qui venait ouvertement de l'insulter fit baisser la température de la pièce de plusieurs degrés. Ce qui au final n'était certainement pas plus mal.

« Vas-y Albérich, tu as toute notre attention, reprit Sorrento.

- Très bien. Vous vous focalisez depuis tout à l'heure sur le choix du meilleur dispositif tactique à appliquer : 4-4-2, 4-3-2-1, et je ne sais quoi encore. Cela n'a aucune espèce d'importance ! Ces discussions sont stériles car opérer de tels choix ne nous sera d'aucune utilité. Pourquoi ? Parce que notre équipe est composée de joueurs qui ne se connaissent pas et qui, surtout, ne s'apprécient pas.

- Je ne suis pas d'accord, objecta Io de Scylla. Il me semble que nous avons commencé à tisser des relations tout à fait cordiales ces dernières semaines.

- Alors c'est que tu es encore plus idiot que tu en as l'air, mon pauvre Io.

- Albérich ! Cesse immédiatement les provocations inutiles ! protesta Sorrento.

- Je vais essayer, mais tes ouailles ne me facilitent pas la tâche, assura l'agitateur. Je reformule donc mon propos : Io, je ne partage pas ton opinion. Notre collaboration dans le cadre de la mission que l'on nous a confiée, à nous autre Guerriers Divins d'Asgard, si elle se déroule d'une manière acceptable du fait de notre évidente bonne volonté, ne permet en aucun cas pas de nous connaître mutuellement ni même d'apprendre à nous apprécier. Nous souffrons donc en ce sens d'un désavantage majeur par rapport aux équipes que nous allons devoir affronter.

- Ça me fait mal de le dire, mais Megrez n'a pas tort, reconnut Caça des Lyumnades avec une pointe de dégoût dans la voix.

- Et qu'aurais-tu donc à proposer pour palier cette difficulté ? interrogea Krishna de Chrysaor sans se départir de la quiétude qui le caractérisait.

- J'envisage une approche en deux temps. Tout d'abord, notre problème provenant d'un manque de cohésion, il me semble évident d'y répondre en altérant la cohésion de nos adversaires. Cela ne devrait pas être bien compliqué, au moins du côté des deux équipes du Sanctuaire.

- Comment sais-tu qu'ils ont constitué deux équipes ? l'interrompit Baian du Cheval des Mers.

- Parce que déjà, étant donné leur effectif largement supérieur au nôtre, cela me semble être une absolue évidence. Et ensuite, parce que j'ai mes sources. Mais je reviendrais sur ce point dans une minute. Je disais donc que nous aurions tout intérêt à faire voler en éclat la bonne entente – probablement assez relative malgré tout – régnant au sein des chevaliers d'Athéna, et pour cela, il me semble que nous avons deux cibles toutes trouvées.

- Lesquelles ? s'enquit Syd sur un ton sec traduisant son agacement à voir Albérich monopoliser ainsi l'attention.

- Kanon et Saga des Gémeaux. Puisque étant donné leurs passés respectifs, nous n'aurons probablement aucun mal à raviver certaines tensions et ressentiments. Surtout que par chance, ils se trouvent chacun dans une équipe différente.

- Et comment comptes-tu t'y prendre, s'il te plaît ? questionna Hagen de Merak.

- Ne t'inquiète pas pour ça, je trouverai un moyen. Et j'arrive là au second point de la stratégie que je vous propose. Nous devons connaître avec précision l'approche tactique que nos adversaires comptent mettre en place, afin d'adapter notre propre jeu en fonction. Et pour vous prouver que nous en avons les moyens, poursuivit-il avant d'être une nouvelle fois interrompu, j'ai déjà quelques informations à vous soumettre. Informations que j'ai obtenues grâce à un espion que j'ai placé depuis plusieurs jours au Zodiaque.

- Un espion ? s'étonna Sorrento en relevant un sourcil.

- Oui, un habitant du coin que j'ai facilement réussi à convaincre de travailler pour moi. La surveillance du Zodiaque n'étant pas très consciencieuse, il n'est pas difficile pour quelqu'un sans cosmos de pénétrer dans l'enceinte du camping et de s'y promener en toute impunité. Ces idiots ne contrôlent même pas les bracelets donnant accès à leur piscine ! ajouta le Guerrier de Delta avec un petit rire sournois.

- Très bien, et quelles sont donc ces informations que tu prétends avoir recueillies, Machiavel ? répliqua Isaak.

- L'équipe de Kanon jouera avec trois attaquants, dont Angelo du Cancer en pointe et Ikki du Phoenix juste derrière lui sur sa droite. Pour le troisième, mon informateur n'a pas su me donner de nom, mais m'a indiqué qu'étant donné le surpoids dont celui-ci semble être la victime, il ne devrait poser aucun problème.

- Alors ça doit être Aiolia ! Je l'ai aperçu l'autre jour à la plage, et le Lion a bien forci depuis notre dernière visite au Sanctuaire, précisa Caça avec un sourire narquois laissant apparaître ses dents pointues.

- Et as-tu pu récolter des renseignements sur la seconde équipe ? questionna Sorrento.

- Oui. Leur milieu de terrain sera composé pour moitié de vieilles connaissances de ton camarade le balafré énervé. Son ancien maître, tellement incompétent qu'il a été incapable de le garder sous sa coupe, et celui sans qui il n'aurait jamais trahi sa Déesse pour rejoindre votre camp de guerriers amphibies. Du coup, Isaak, j'ai le plaisir de t'annoncer que tu seras probablement notre meilleur atout pour affronter cette équipe. Enfin, si tu arrives à assumer une telle charge, bien entendu.

- Va te faire voir, Megrez ! rétorqua simplement le concerné.

- Des questions ? continua le stratège.

- Pas pour l'instant, déclara la Sirène. Nous devons réfléchir à tes propositions.

- Si vous aviez un minimum de bon sens, ce serait déjà tout réfléchi. Mais faites à votre guise. Albérich de Megrez se tient à votre entière disposition, si besoin. »

A ces mots, le guerrier de Delta quitta la pièce sans prêter attention aux insultes qui fusaient dans son dos.


Retour au bar du Zodiaque

Aphrodite regarda sa montre et fit comprendre à ses coéquipiers qu'il était temps de mettre un terme à leur première réunion tactique. Puis il se leva, massa son fessier engourdi, et se dirigea vers Kanon qui s'entretenait toujours avec les membres de son équipe à lui.

« Psit, Kanon, il ne reste plus que quinze minutes avant le début du match. Alors abrège !

- OK, Aphro, t'inquiète, je gère ! rétorqua le second Gémeaux en se mettant debout. Bon les gars, on a terminé de discuter tactique pour aujourd'hui ! Mais que tout le monde reste ici, j'ai encore deux ou trois trucs à vous dire », poursuivit-il en s'adressant cette fois-ci à l'ensemble des chevaliers présents sur la terrasse du bar.

Camus du Verseau souffla de lassitude tandis qu'il se rasseyait sur sa chaise. Il avait cru, à tort, être enfin libéré (délivré).

« Bon, première chose, reprit le suppléant à la Troisième maison du zodiaque, pour ceux qui auraient pas encore compris, on aura donc deux véritables adversaires lors de notre prochaine bataille.

- Tournoi. Kanon, il s'agit d'un tournoi. D'un tournoi de football, rappela Aphrodite.

- Oui, pardon. Lors de notre prochain tournoi , se corrigea l'étourdi. Donc je poursuis. Nous aurons deux types d'adversaires. Une première équipe constituée d'un subtil mélange de Marinas et de Guerriers Divins, ce qui ne devrait pas nous poser énormément de problème. Parce que petit un ( ndla : oui, Kanon aussi peut être pointilleux… il n'est pas le jumeau de Saga pour rien non plus ), nos p'tits Bronzes les ont déjà pratiqués et ce, sans trop de difficultés…

- On voit bien que c'est pas lui qui s'en est pris plein la tronche, murmura Seiya à l'oreille de Shun qui était assis à sa droite et qui resta silencieux.

- … et petit deux, je vois pas comment ils vont faire pour réussir à courir après un ballon sans s'arracher les yeux.

- C'est clair qu'avec Megrez dans leur équipe, ils sont plutôt mal barrés, les vikingos-calamars ! », agréa Angelo en écrasant le reste de sa cigarette dans le cendrier devant lui. Il sentait les yeux noirs de Shura pointés sur sa personne, alors autant ne pas titillé l'ire du Capricorne en balançant son mégot par terre.

« Par contre, poursuivit Kanon d'une voix soudainement plus grave, il me semble que nous devrons être beaucoup plus vigilants en ce qui concerne l'autre équipe à laquelle nous devrons faire face : celle des Spectres.

- Je pense que nous partageons tous ton opinion, mon ami, déclara Mû en se levant de sa chaise pour asseoir son propos ( ndla : paradoxe ? ). Ces adversaires seront certainement beaucoup plus difficiles à cerner et plus coriaces dans leur jeu, sans parler de leur bonne cohésion qui sera sans le moindre doute un de leur point fort.

- Ça c'est sûr que quand tu vois les lèche-bottes que sont les sous-fifres de Rhadamanthe, la Wyverne risque pas d'avoir de rébellion dans ses troupes ! remarqua Angelo tandis qu'il portait son verre de whisky à sa bouche.

- Surtout si on prend en compte le caractère du bonhomme ! intervint le Scorpion. Non mais sans déconner, c'est une machine ce type. Un vrai robot, comme dans Terminator ! Hein, Kanon, tu trouves pas ?

- C'est vrai que sous un certain angle, t'as probablement pas tort, Milo.

- Un peu que j'ai raison ! Et attends une seconde… Oh je tiens un truc génial là ! Kanon, je te jure, tu vas adorer ! Va falloir qu'on fasse gaffe, parce qu'on va devoir affronter Le Wyvernator !

- C'est grandiose, vraiment, ironisa le second jumeau. Merci, Milo, pour cet élément stratégique primordial.

- De rien, Kanon.

- C'est bien beau tout ça, les enfants, interrompit Dohko de la Balance qui commençait à trépigner sur sa chaise, mais il faudra aussi se méfier de Minos qui peut être particulièrement vicieux, et d'Éaque qui s'appuiera à coup sûr sur sa vitesse.

- Je vois pas comment le vieux peut être au courant de ces détails, étant donné qu'il les a pas beaucoup côtoyés aux Enfers, non ? constata froidement le Phoenix en s'adressant à son camarade de bonne humeur, le Cancer.

- Qu'est-ce que tu veux, le colibri : c'est toujours les mêmes qui ont le beau rôle ! Foutue injustice ! s'indigna le plus farouche des Calimeros zodiacaux ( ndla : et là, vous l'avez, l'image d'Angelo avec une jolie coquille d'œuf sur la tête ? Pardon… vous avez le droit de me détester ! Et moi, je crois que je vais devoir terminer cette histoire depuis le fin fond de Yomotsu ).

- Certes, vous avez tous parfaitement raison, coupa le Poissons, mais je vous propose d'aborder ces différents points lors d'une prochaine réunion, parce que là, l'heure tourne ! Kanon, tu poursuis, s'il te plaît ?

- Entendu, Aphrodite. Ensuite, deuxième chose que je voulais vous rappeler : il y aura aussi deux équipes de mecs normaux, hein. Fallait bien les laisser participer pour se la jouer plus naturel .

- Et d'où viennent ces malheureux suicidaires ? interrogea Milo en ingurgitant la dernière poignée de chips qui restait dans le saladier devant lui.

- Ce sont des employés des campings La Belle Bleue et L'Apollon , qui se trouvent juste un peu plus au nord le long du littoral.

- Dis donc, Shiryu, ils sont férus de mythologie dans le coin, on dirait, chuchota Seiya à l'oreille de son ami qui était assis à sa gauche et qui approuva d'un discret mouvement du menton.

- Et pour rebondir sur ton choix de vocabulaire, Milo, continua l'ancien Dragon (des Mers), ces participants ne sont pas suicidaires puisque nous allons jouer nor-ma-le-ment. J'insiste sur ce point : pas de cosmos, pas de vitesse paroxysmique, pas de force surhumaine. Les mots clefs de ce tournoi seront : mesure et modération. Nous sommes des mecs ordinaires, qui jouons au foot comme des mecs ordinaires. OK ?!

- Ben on va s'faire chier ! désapprouva l'Italien.

- Et puis comment ferons-nous si nos adversaires utilisent leur cosmos ? Nous serons bien obligés de répliquer, suggéra Aiolos qui visiblement ne dormait pas encore.

- Bonne question, merci de l'avoir posée ! Alors c'est très simple : la participation à ce tournoi n'a pu être validée qu'à la seule condition d'approuver la non utilisation du cosmos. Chaque capitaine, Sorrento tout comme Rhadamanthe, a d'ailleurs signé un document attestant de leur agrément à ce point fondamental.

- Alors c'est que t'es plus naïf que t'en as l'air, Kanon ! protesta Angelo. On peut pas faire confiance à un type comme Le Wyvernator ! asséna le râleur en gratifiant le Scorpion d'un clin d'œil.

- Blague à part, renchérit le Capricorne, je partage l'avis d'Angelo : il me paraît difficile de faire confiance à nos adversaires sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, d'ailleurs.

- Alors là, je vous coupe tout de suite : ils n'auront pas le choix. Et vous savez pourquoi ? Parce que Zeus ne le permettrait pas ! Je vous rappelle que le Very Big Boss a été très clair à ce sujet : plus de batailles, plus de combats. La paix pendant mille ans, qu'il a dit. Sinon, couic ! ajouta Kanon en imitant le tranchant d'une lame contre la peau de son cou. Retour à trois pieds sous terre général. Alors, y'a pas de débat ! C'est clair ?

- Si tu l'dis, maugréa le Cancer.

- Bon, vous avez des questions ? Parce que je vois Aphrodite qui s'agite. »

Aphrodite qui se tenait sur la pointe des pieds pour allumer le poste de télévision fixé au-dessus du comptoir, juste à côté des bouteilles préférées du patron.

« Eh Aphrodite, que je te prenne pas à grimper sur mon bar pour arriver à tes fins ! s'indigna la Balance en accourant vers le Poissons. Tiens, il y a un tabouret juste là, si tu en as besoin.

- Non pas la peine, mais merci quand même, rétorqua le Suédois en reposant ses deux pieds à plat sur le sol avec un sourire satisfait. Par contre, tu peux me dire où tu as caché la télécommande, s'il te plaît ?

- De l'autre côté du comptoir, tiroir à gauche de l'évier. »

Aphrodite tendit le bras d'un mouvement leste et gracieux pour sortir l'objet convoité du tiroir, et changea de chaîne pour afficher le canal de diffusion du match de la soirée.

« Moi, j'ai une question ! s'exclama Angelo – encore lui.

- Oui ? répliqua le second Gémeaux sur un ton laissant poindre une très légère note d'agacement.

- Y'aurait pas moyen qu'on se passe de ces fichus protège-tibias ? Parce que je sais pas vous, mais moi, ces machins, ils me grattent comme pas permis, et comme de base, ben ils nous servent à rien, hein, ben j'me disais qu'on pourrait probablement faire sans !

- Je suis totalement d'accord avec Angelo ! », s'écria Shura sur un ton exagérément enthousiaste. Et comme ça, j'arrêterais peut-être de fantasmer .

« Hors de question ! Vous avez pas compris ce que je vous ai dit ou quoi ? Nous sommes des mecs ordinaires qui jouons au football de manière ordinaire . Alors on garde les protège-tibias !

- Mais Kanon… insista le Cancer.

- SILENCE ! s'écria Aphrodite en montant le son de la télévision. Que tout le monde se taise, c'est l'heure de l'hymne national Suédois ! »

Et le silence se fit.


A suivre…

Merci de m'avoir lue.

Référence pour le titre du chapitre 9 : Smells Like Teen Spirit , Nirvana, 1991. Toutes mes excuses pour ce jeu de mot pourri m'ayant conduit à remplacer Teen par Team. Mais j'ai pas pu résister !

Notes:

Pour rappel, le match si cher au cœur d'Aphrodite correspond à la demi-finale de l'Euro 1992 entre l'Allemagne et la Suède.

Chapter 10: La Fièvre

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais je suis la seule à blâmer pour le ballon rond et les jeux de mots abscons.

Bonne lecture.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Lundi 29 juin, un terrain de foot, quelque part dans les Landes

Saori Kido, réincarnation moderne et attentive de la Déesse Athéna, observait ses chevaliers donner le meilleur d'eux-mêmes. Un profond sentiment de fierté gonfla ses poumons à la vision de ces valeureux combattants qui défendaient une nouvelle fois les couleurs de l'amour et de la justice. Même si aujourd'hui, ils le faisaient en courant après une grosse balle.

Son projet semblait être une totale réussite. Ses troupes étaient soudées comme elles ne l'avaient plus été depuis longtemps, et ambroisie sur le nectar, ses chevaliers semblaient heureux. Enfin à quelques petites exceptions près. Mais le moment n'était pas à la morosité. Elle songerait à cela plus tard. Saori ne doutait pas de parvenir à apporter le bonheur à tous les membres de sa chevalerie, quitte à user de certaines ficelles divines dont seuls les olympiens avaient le secret.

En regardant Aphrodite s'emparer du ballon, elle remercia intérieurement le Poissons d'avoir adhéré au projet de Kanon avec autant d'enthousiasme. Pourtant, elle-même n'avait pas été spontanément emballée lorsque le Gémeaux était venu lui soumettre son idée. Mais elle s'était facilement laissée convaincre par les arguments et la verve de celui qui lui avait sauvé la vie face au Dieu des Océans. Elle lui avait alors donné carte blanche pour l'organisation de ce tournoi, en prenant à sa charge les conséquences que cela aurait sur le fonctionnement du Zodiaque. Trouver des solutions et s'adapter à toutes sortes de circonstances étaient devenus l'une de ses spécialités. En tout cas, il s'agissait de qualités que lui attribuaient la plupart de ses professeurs à Tokyo.

Et le jeu en valait visiblement la chandelle. Cohésion, esprit d'équipe, émulation étaient devenus les maîtres-mots du camping ces deux dernières semaines. Alors cela méritait probablement quelques ajustements de postes et d'emplois du temps. Surtout que pour faciliter les choses, un nombre important de vacanciers s'était pris de passion pour suivre l'évolution des deux équipes de leur camping dans ce tournoi qui avait recueilli en quelques jours une notoriété inattendue dans tous les environs. Engouement que Saga des Gémeaux avait rapidement trouvé exploitable d'un point de vue commercial, en proposant fanions, banderoles et T-shirts aux couleurs du Zodiaque et de la « Champions League ». Tout bénéfice, quel qu'il fût, était toujours bon à prendre.

Et puis Athéna devait reconnaître que la partie la plus humaine de sa divine personne appréciait aussi de voir évoluer des joueurs de talent. La jeune femme avait développé un goût particulier pour le football depuis son enfance et l'époque où elle espionnait Seiya et ses camarades lorsqu'ils jouaient au ballon dans le parc de l'orphelinat. Surtout qu'aujourd'hui, certains des joueurs impliqués dans cette compétition s'avéraient extrêmement doués.

Pour preuve, le match auquel elle était en train d'assister, opposant le Zodiaque 2 au Poséidon, était tout à fait palpitant. Les actions étaient nombreuses, le jeu travaillé et efficace, et les buts, absolument somptueux. Entre le retourné acrobatique de Seiya et le superbe coup-franc d'Isaak, il y avait de quoi marquer les esprits. Et le suspense était aussi au rendez-vous, puisque à cinq minutes de la fin de cette première confrontation, les deux équipes n'étaient toujours pas parvenues à se départager.

Une dernière action fit lever la Déesse de son siège. Le ballon des adversaires venait de terminer sa course dans les filets du Zodiaque. Malgré la confusion qui régnait dans la surface, Saori n'eut aucun mal à identifier l'auteur du but qui donnait la victoire aux joueurs du Poséidon : Albérich de Megrez qui, surgi de nulle part, avait déjoué la défense de ses chevaliers pour tromper Cassios d'un fort joli coup de pied.

ooOoOoOoo

Dohko de la Balance releva la tête juste à temps pour voir le ballon s'enfoncer dans le fond des filets. Mais d'où était donc sorti Albérich pour marquer un but pareil ? Il l'avait pourtant gardé à l'œil pendant toute la durée de la partie, mais là, il devait avouer que le petit Megrez l'avait bien eu.

Fidèle à lui-même, le guerrier de Delta célébra son but avec toute la modestie qui le caractérisait, ce qui ne manqua pas d'irriter les plus impulsifs joueurs du Zodiaque, Seiya de Pégase en tête bien entendu.

L'ex-Vieux Maître, dans un élan de sagesse et de calme digne de ses plus belles années cascadiennes, intervint juste à temps pour séparer les deux belligérants, évitant ainsi le début d'une bagarre qui aurait pu faire voler en éclats leur si fragile couverture de joueurs-normaux-jouant-comme-des-mecs-normaux. Et sur ces entrefaites, l'arbitre siffla la fin de la partie.

Aphrodite trépigna de mécontentement, puis respira un grand coup afin de retrouver son self-control. Un chevalier de son rang se devait de rester digne en toutes circonstances. Il avait su accepter avec honneur la défaite de sa chère équipe de Suède en demi-finale de l'Euro, alors la contreperformance du jour ne pouvait pas être plus difficile pour lui à digérer. Il s'approcha donc de ses coéquipiers et s'adressa à eux sur un ton réconfortant et qu'il voulut malgré tout enthousiaste.

« Bien joué, les gars ! On s'est bien battu, mais on a bêtement craqué sur la fin.

- Peut-être, mais n'empêche qu'on aurait mérité de gagner ! s'exclama Hyoga en remontant ses chaussettes sur le haut de ses protège-tibias.

- C'est clair ! Le but d'Albérich est venu de nulle part, et franchement, on ne pouvait rien faire, reconnut Aiolos que l'implication footballistique des derniers jours semblait avoir un peu ragaillardi.

- Tu as parfaitement raison, consentit Saga en tapant sur l'épaule de son ancien rival à la position popale. Nous n'avons rien à regretter : notre défense a été irréprochable, malgré un peu de laisser-aller sur la droite, précisa le Gémeaux en fusillant du regard un certain Corbeau qui sembla s'enfoncer dans le sol de plusieurs centimètres.

- Saga, je te trouve bien sévère avec Jamian, contesta Dohko qui, en bon capitaine, ne souhaitait stigmatiser personne. Nous avons tous très bien joué, et ne devons notre défaite qu'à un malheureux petit instant d'égarement. Les aléas du sport.

- Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ton raisonnement, déclara Camus en resserrant le lien de la queue de cheval qui avait contenu sa superbe chevelure pendant les quatre-vingt dix dernières minutes. Je suis même personnellement convaincu que la victoire de nos adversaires ne doit strictement rien au hasard.

- Évidemment ! Albérich a fait preuve d'antijeu tout au long du match ! vitupéra Seiya dont la rancune à l'égard du guerrier de Delta n'avait jamais faibli depuis la Bataille d'Asgard.

- Certes, concéda le Verseau, mais le comportement d'Albérich n'explique pas tout.

- Que veux-tu dire par-là ? interrogea Saga qui ne doutait pas un instant des capacités d'analyse du plus perspicace de ses cadets.

- Je trouve simplement assez étonnante la faculté qu'ont eue nos adversaires à anticiper les moindres de nos mouvements.

- C'est vrai qu'on aurait dit qu'ils s'attendaient à chacune des combinaisons que nous avions préparées, remarqua Dohko en se grattant le menton.

- Ouais, ben mon retourné, ils l'ont pas vu venir, celui-là ! s'écria Seiya en brandissant un poing rageur devant lui.

- Exactement, approuva Camus. Et pourquoi ? Parce que cette action était totalement improvisée.

- Sous-entendrais-tu que nos opposants connaissaient tous les détails de notre tactique de jeu ? s'enquit Aphrodite qui commençait à comprendre.

- Oui, c'est ce que je crois, en effet.

- Mais enfin, mon Maître, comment auraient-ils fait ? s'étonna Hyoga que la clairvoyance du Verseau rendait toujours profondément admiratif.

- Je ne sais pas, mais je compte bien trouver une explication, répondit le chevalier des Glaces avec un regard qui en disait long sur le degré de sa détermination ( ndla : attention, jeu de mots ! ).

- Oui, nous devons absolument éclaircir ce mystère, et ce avant que nos camarades du Zodiaque 1 ne rencontrent ces fieffés tricheurs ! s'emporta Saga, qui depuis son second retour à la vie ( ndla : ou plutôt troisième, si on compte sa rapide réapparition devant le Mur des Lamentations ? Voire quatrième, si sa résurrection du troisième film doit être prise en considération, ou peut-être même cinquième avec Soul of Gold ? Enfin bref… depuis son retour à la vie quoi ) ne supportait plus la duperie.

- Fieffé quoi ?! Hyoga, ça veut dire quoi, ce charabia ? questionna le jeune Pégase, peu familier du vocabulaire désuet utilisé par l'ancien Pope.

- Il me semble que Saga veut ici préciser qu'il considère nos adversaires comme des bons gros tricheurs.

- Ah ben il pouvait pas juste dire ça comme ça ! Honnêtement… maugréa de mauvaise grâce le Japonais.

- Camus, poursuivit le premier Gémeaux, je te confie la mission d'élucider cette épineuse question.

- Entendu, Saga. J'essaierai de m'y employer, consentit le Verseau.

- Et toi, Shaka, tu ne dis rien ? Que penses-tu de tout cela ? » interrogea Dohko que les silences de son riverain zodiacal laissaient toujours fortement dubitatif.

La Vierge, qui dès la fin du match s'était assis en tailleur sur le terrain après avoir retiré chaussettes, protège-tibias et crampons, ouvrit les yeux et s'exprima d'une voix claire et douce :

« Où le miel est répandu, les mouches se rassemblent. »

Aucun de ses coéquipiers ne trouva de mots pour répondre à cette divine répartie, et un silence pieux s'empara de la portion de pelouse occupée par les footballeurs d'Athéna. Enfin jusqu'à ce qu'Aphrodite se mît subitement à hurler.

« Misty ! Non, garde ton maillot pour les prochains matchs ! Mince, tu sais combien il coûte ?! »

Le Poissons partit en courant dans la direction du Lézard qui était en train de se déshabiller pour céder son T-shirt à Io de Scylla, ce dernier semblant plus que ravi de profiter d'un gros plan sur l'anatomie abdominale de son généreux adversaire.

Ce départ impromptu clôtura la réunion de fin de match qui avait été improvisée sur le terrain, et les différents joueurs se dispersèrent. Camus et Hyoga rejoignirent Isaak pour le féliciter de sa victoire. Saga se rapprocha d'Aiolos pour le rassurer une nouvelle fois sur la qualité de son jeu défensif. Et Jamian s'éloigna autant qu'il put de Saga afin d'être certain de ne subir aucun châtiment de la part de celui qui lui flanquait toujours une peur bleue.

Et à quelques mètres de là, un homme transpirait à grosses gouttes assis dans les gradins. Il ne s'était pas levé depuis le coup de sifflet final et regardait droit devant lui, les doigts crispés sur le tissu de son short. Un homme qui était simplement venu assister au match de ses futurs adversaires dans le cadre de ce tournoi de football inter-établissements touristiques dans lequel il s'était engagé avec sa bande de copains, et qui avait finalement assisté à… il ne savait trop quoi. Un homme dont une seule et unique pensée tournait en boucle dans son esprit depuis près de dix minutes :

« Ces mecs-là ne sont pas humains ! ».


Trois heures plus tard, même complexe sportif, autres joueurs

Ikki observait ses coéquipiers le dos calé contre le mur du vestiaire en se demandant ce qu'il faisait là. Pourquoi avait-il accepté de se laisser embarquer dans cette histoire insensée de tournoi ? Ah oui : parce que malgré tout le mal qu'il pouvait dire de l'ancien Dragon des Mers, il l'aimait bien, cet idiot. Et il devait reconnaître que Kanon se donnait du mal pour réussir à galvaniser l'ensemble de ses troupes. Mêmes si certains n'avaient nullement besoin d'adjuvants extérieurs pour exacerber leur enthousiasme.

Milo et Aiolia étaient remontés comme des pendules grecques que l'on aurait dopées au coucou suisse. Angelo avait activé le mode Masque de Mort - le retour , avec un regard qui sous-entendait un second volet encore plus sanglant que le premier. Et même les plus sages parmi eux semblaient entièrement absorbés par les discussions d'avant match. Shiryu, Algol, Shun et Mû palabraient stratégie, à grands renforts de « toi tu fais ci - toi tu fais ça - ah bon, mais on n'avait pas dit que je devais plutôt faire comme si ? - ah non non pas du tout ! » . Et Aldébaran essayait toujours d'accrocher ses protège-tibias taille XXXXL autour de ses mollets, en approuvant d'un mouvement de menton chaque parole prononcée par son ami le Bélier.

Finalement, tous exhalaient une énergie et une rage de vaincre à faire pâlir d'envie les coachs des plus grandes équipes européennes. Une ferveur qui paraissait d'ailleurs beaucoup trop exagérée pour ce qui ne devait être qu'un simple match de football. Oui, tous ses coéquipiers semblaient prêts à en découdre dans le cadre d'une rencontre supposément pacifique, mais qui ressemblait plutôt à un deuxième round d'une bataille ayant jadis impliqué arcanes destructrices, armures ancestrales et cosmos paroxysmiques. Tous sauf un.

Shura du Capricorne, qui ne partageait pas l'exaltation collective d'avant-match à la hauteur de ce qu'il aurait dû, et ce parce qu'il était concentré sur un tout autre sujet. Le fessier d'Angelo du Cancer qui venait de se mettre debout, et qui sautait sur place tel un crabe que l'on aurait jeté dans une marmite d'amphétamines.

Sur cette dernière réflexion qui le rendit profondément perplexe, Ikki reporta toute son attention vers son capitaine dont la voix se mit à résonner avec autorité dans la petite salle chargée de sueur et de testostérone.

« Allez les gars, c'est LE moment ! On va leur montrer à ces Spectres de seconde zone qui sont les patrons du ballon rond ! Vous êtes avec moi ?!

- Oui ! s'écrièrent Milo et Aiolia en se frappant la poitrine dans un élan d'agressivité guerrière.

- J'ai pas bien entendu… Vous êtes avec moi ?! » répéta Kanon en tapant dans ses mains.

En réponse à cette ultime injonction, un cri bestial dans une langue qui avait un jour dû être de l'italien fit trembler les murs du vestiaire, répandant une onde de choc depuis le cœur des Landes jusqu'aux tréfonds de la plaine de Yomotsu.

Tous les joueurs se dirigèrent alors en courant vers le terrain pour rejoindre leurs adversaires qui se trouvaient déjà sur la pelouse. Chacun se positionna à sa place, à l'exception de Kanon qui s'avança vers le rond central pour saluer l'arbitre et le capitaine de l'équipe de l'Elysion. Rhadamanthe de la Wyverne qui l'attendait avec un visage impassible, les bras croisés sur la poitrine. Les deux hommes se toisèrent du regard sans échanger un mot, puis se serrèrent la main à s'en briser les phalanges. Mais juste avant de libérer les doigts de son rival, le Troisième Juge se figea et délivra un superbe clin d'œil au Gémeaux.

ooOoOoOoo

Dire que le match était tendu allait bien au-delà de l'euphémisme. L'air au-dessus de la pelouse était devenu si électrique que le moindre contact pouvait déclencher un incendie. Et au milieu de tout cela, un homme se décomposait petit à petit. L'arbitre, qui en vingt-cinq années de carrière n'avait jamais assisté à un match comme celui-ci. Chaque tacle faisait craquer des os, chaque bousculade démettait des articulations, et pourtant, les joueurs continuaient à courir comme si de rien n'était.

Mais le pire ne se trouvait pas là. Non, le pire résidait dans le regard que lui jetait l'un des joueurs de l'équipe toute de noir vêtue. Un joueur aux longs cheveux gris retenus en chignon, mais arborant une frange qui rappelait étrangement celle d'un certain chien anglais à poil long dans une vieille série d'animation ( ndla : vous avez reconnu ? non ? alors c'est que je suis trop vieille… je vous laisse donc taper 'pollux manège enchanté' dans votre moteur de recherche préféré, vous devriez comprendre de quoi je parle – et pardon Minos pour cette comparaison si peu flatteuse, mais bon… sérieux, c'est quoi cette frange ?! ). Un joueur dont le regard doré transperçait l'arbitre dès que celui-ci faisait mine de porter la main à sa poche pour dégainer un carton. Bref, un joueur qui foutait profondément la trouille.

Et dans les gradins, certains spectateurs commençaient à trépigner d'agacement face à la tournure que prenait la partie.

« Non mais c'est pas vrai ! C'est quand que l'arbitre va enfin se décider à siffler ?!

- Seiya, calme-toi ! T'emporter n'aidera en rien nos amis.

- Facile à dire pour toi, Hyoga. Mais reconnais tout de même que l'arbitre se moque de nous ! T'as vu le tacle de Valentine ? Il a failli découper Shun en deux !

- Tu exagères un peu, mais il est vrai que cette action aurait mérité une sanction », approuva le Cygne en léchant la vanille de son cornet.

Pégase considéra son camarade avec étonnement. Il ne l'avait même pas vu se lever de son siège pour aller chercher une crème glacée.

« Mince, Hyoga, comment tu fais pour manger dans un moment pareil ? Moi, je pourrais rien avaler ! Et puis, tu l'as trouvé où, ton esquimau ?

- Ce n'est pas un esquimau mais un cône glacé. J'en ai mis quelques uns dans mon sac pour le goûter.

- Ah oui, pratique le coup du congélo portatif ! reconnut le plus jeune des deux Bronzes. J'aurais dû demander l'option réfrigération au vieux Kido, tiens.

- Tu n'aurais pas pu résister plus d'une demi-journée au froid glacial de Sibérie.

- Pas faux. Et sinon, t'as quels parfums dans ta glacière-à-dos ?

- Chocolat, vanille, et pistache.

- Pistache ! s'exclama le chevalier ailé dans un accès incontrôlé de gourmandise. Tu peux m'en filer un, steuplé ?

- Je croyais que tu ne pouvais rien avaler ? s'étonna Hyoga en léchant à nouveau son cornet.

- Ouais ben finalement, un peu de fraîcheur pourra probablement pas me faire de mal !

- Alors tiens, concéda le chevalier des Glaces en offrant l'un de ses précieux desserts à son ami.

- Merci Hyoga ! » se réjouit Seiya en arrachant sans la moindre délicatesse le papier qui protégeait son goûter réfrigéré.

Le Japonais plongea aussitôt ses lèvres dans la crème qui commençait à fondre doucement, avant de se mettre à crier, affublé d'une jolie moustache verte qui venait d'apparaître juste au-dessous de son nez :

« Non mais M'sieur l'arbitre, va vraiment falloir faire quelque chose, là ! »

A quelques sièges sur la droite, Shaka observait attentivement le match en fermant les yeux ( ndla : oui, les Vierges sont des êtres paradoxaux ), assis à côté de Saga qui commentait calmement les actions en ponctuant son propos de violents soubresauts ( ndla : oui, les Gémeaux sont des êtres ambivalents ). Soubresauts qui provoquaient systématiquement des sursauts terrifiés de la part de Jamian du Corbeau. Aiolos s'était installé sur le gradin juste en dessous de celui de Saga, et jouait avec son bandana rouge qu'il faisait claquer entre ses doigts. Et Camus tendait l'oreille pour tenter d'intercepter les détails provenant des conversations d'un groupe de Marinas-Guerriers Divins adjacent. Une activité qui lui demandait un peu de concentration, ce qui présentement l'arrangeait plutôt bien, puisque cela lui permettait de détourner son esprit de ce qui occupait chaque rouage de ses pensées.

Milo en short, chaussettes et protège-tibias, courant sur le terrain. Milo remontant son T-shirt sur ses abdominaux et sur son torse pour essuyer la sueur qui coulait de son front. Milo se penchant en avant pour resserrer les lacets de ses crampons.

Un cri en provenance de la surface de réparation spectrale vint toutefois interrompre la profonde concentration du Français. Un cri accompagné d'une superbe roulade dont seuls les italiens avaient le secret ( ndla : désolée pour cette digression empreinte de rancune personnelle teintée d'une très légère dose de mauvaise foi) . Mais un cri qui fut bientôt suivi d'un puissant coup de sifflet.

« Ah ben quand même ! s'écria Dohko de la Balance tandis qu'il se levait de son siège, l'agacement du plus âgé des chevaliers n'ayant rien à envier à celui du plus jeune.

- Qui a fait la faute ? s'enquit Aphrodite en posant une main en visière au-dessus de ses yeux. J'ai oublié de prendre mes lunettes de soleil, et avec la luminosité de fin de journée, je ne vois rien du tout.

- Gordon. Il me semble qu'il a taclé Angelo dans la surface, précisa Aiolos en remettant son bandana autour de sa tête.

- Ah ah ! Alors ça veut dire pénalty ! Enfin un semblant de justice ! », approuva avec enthousiasme le mini-Sagittaire qui venait d'engloutir la pointe chocolatée de son délicieux cornet.

Sur le terrain, Milo s'approcha de l'arbitre pour s'emparer du ballon, et se dirigea d'autorité vers le point de pénalty. Angelo protesta en affirmant qu'on ne trouvait jamais de meilleur bourreau que la victime ayant subi le préjudice. Ce à quoi Ikki répliqua une phrase assez peu châtiée qui commençait par le mot « foutage » et se terminait par le mot « gueule ». Kanon approuva le choix du tireur, et le Cancer partit râler dans son coin.

Le Huitième gardien déposa le ballon sur la marque blanche à ses pieds et recula de trois pas. Puis il prit son élan pour frapper.

Dans les gradins, Camus observait la scène avec attention. Un pénalty marqué dans ces conditions, à dix minutes de la fin du match alors que le score était resté vierge depuis la mise en jeu, serait probablement synonyme de victoire. A moins que cela ne relançât la partie, car avec le football, on n'était jamais sûr de rien ( ndla : et non, là, je ne suis pas en train de pleurer en repensant à un certain match de finale de Coupe du Monde que je n'avais pas encore vu en écrivant ces lignes pour la première fois; non non, absolument pas – bruit de mouchoir qu'on froisse et qu'on lance rageusement dans une poubelle ). Le Verseau plissa des yeux pour tenter de masquer le sentiment de stress qu'il n'était nullement censé ressentir, et se retint juste à temps pour ne pas bondir de son siège lorsque le ballon s'incrusta dans la lucarne adverse.

Devant les cages de l'équipe de l'Elysion, Milo du Scorpion célébra son but en sautant dans les bras de Kanon des Gémeaux et d'Aiolia du Lion. Puis il s'écarta de ses amis pour pointer un index vainqueur dans la direction de Rhadamanthe de la Wyverne avant de s'adresser à lui d'une voix froide et détachée :

« Hasta La Vista, Baby ! ».


Une ambiance survoltée et festive régnait dans le vestiaire de la première équipe du Zodiaque. Les joueurs étaient joyeux et célébraient leur victoire en se congratulant et en chantant les airs que Dohko leur avait enseignés.

Parmi eux, un chevalier se sentait particulièrement satisfait : Milo, qui avait offert le but libérateur à ses coéquipiers et à sa Déesse, et qui avait de surcroît réussi à capter l'attention de son meilleur ami. Le milieu de terrain victorieux n'avait eu aucun mal à remarquer que Camus l'avait observé pendant toute la durée de la partie, et l'intérêt du Français pour son jeu de jambes et son adresse footballistique le rendait d'autant plus heureux. Alors il profitait de cet état d'allégresse bien mérité en prenant tout son temps pour se déshabiller tranquillement.

Une fois débarrassé de tous ses vêtements et de ses protège-tibias ( ndla : oui, je sais, je fais une légère fixette sur les protège-tibias ! Mea culpa ), le Scorpion se dirigea vers les douches pour retrouver ses compagnons. Aphrodite les y avait rejoints et se tenait appuyé contre le mur à l'entrée, la paume de sa main droite reposant nonchalamment contre le haut de sa hanche. Le Poissons, qui se considérait investi d'une mission de coaching universel du fait de sa position de sélectionneur officiel du Zodiaque, félicitait ses homologues pour la prestation qu'ils avaient fournie tout en profitant du spectacle. Autant de chevaliers dénudés au mètre carré était une opportunité que le Douzième gardien, en esthète accompli, ne pouvait nullement ignorer.

Milo se plaça sous le jet de la douche que venait de libérer Angelo, à quelques centimètres de Kanon qui terminait de rincer sa longue chevelure bleue encore imprégnée de shampoing. Le Cancer saisit la serviette que lui tendit aussitôt le Capricorne et s'en servit pour se sécher vigoureusement les cheveux. Au grand dam de l'Espagnol qui aurait préféré qu'il s'empressât de la nouer autour de sa taille.

Aphrodite balaya l'air devant lui pour dissiper la buée qui commençait à lui masquer la vue, et prit la parole sur un ton enjoué et convaincu :

« Bon, au risque de me répéter : bravo les gars, vous avez vraiment bien joué !

- Merci, Aphro ! Je crois qu'on peut effectivement être assez fiers de nous ! approuva le second Gémeaux en s'écartant du filet d'eau qui finissait de couler depuis le pommeau au-dessus de sa tête.

- Un peu qu'on peut être fiers ! renchérit Angelo en enroulant enfin sa serviette autour de ses hanches. N'en déplaise à ces maudits spectres !

- Que veux-tu dire par-là ? questionna Milo tandis qu'il s'enduisait le corps de savon.

- J'ai entendu le grand Blond discuter avec ses deux frangins démoniaques lorsqu'on retournait au vestiaire, et selon eux, l'attentat de Gordon contre votre humble serviteur ne méritait pas le pénalty qu'on nous a octroyé.

- Et alors ? Ce point de vue n'engage qu'eux. La décision de l'arbitre reste la seule qui fasse foi, et celle-ci m'a paru sans la moindre équivoque, répliqua Aphrodite.

- Ben c'est justement ce que remettent en cause les trois autres affreux infernaux. Ils sont persuadés que Kanon a soudoyé l'arbitre pour nous avantager, étant donné que – et là je cite la grande saucisse Britannique mot pour mot – « son passé de scélérat rend quasiment certain l'usage d'un comportement aussi fourbe ».

- Quoi ?! Non mais quelle espèce de connard ! s'époumona l'incriminé qui quitta les lieux en hurlant ( ndla : pardon pour la vulgarité, mais bon… Kanon vient d'être profondément blessé dans son orgueil ).

- Kanon, attends ! tenta vainement le Scorpion, en manquant de glisser sur le carrelage recouvert de savon.

- Euh… On lui dit qu'il est parti à poil là, ou pas ? fit remarquer le Poissons.

- Clairement, Aphro, je crois pas que ce soit la plus grande de ses priorités, là, tout de suite, maintenant ! reconnut fort justement le Cancer avec un petit rire vicieux.

- Mince, il courait où comme ça, Kanon ? Il avait l'air furax ! s'enquit Aiolia qui revenait tout juste des toilettes.

- Et surtout, il était à poil, insista Aphrodite.

- Il est parti dans le vestiaire de nos adversaires pour défendre son honneur qu'il a jugé bafoué, à juste titre d'ailleurs, expliqua Shura avec tout le bon sens qui le caractérisait.

- Et Kanon a bien raison de vouloir rétablir la vérité ! Ce pénalty était amplement mérité. L'autre maniaque m'a carrément cisaillé dans la surface ! Bon après, je dois reconnaître que je maîtrise assez bien l'art de la roulade, ce qui peut toujours s'avérer utile pour influencer certaines décisions, avoua l'Italien dans un élan assez inhabituel de bonne foi.

- Comment ça son honneur a été bafoué ? quémanda le Lion qui ne comprenait toujours pas.

- On t'expliquera plus tard, Aio ! Bon les gars, filez-moi une serviette, je vais essayer de le rattraper. Je sais pas vous, mais moi je le sens assez mal sur ce coup ! s'exclama l'Arachnide soucieux pour son ami dont il sentait le cosmos subir des prémices de sursauts.

- Ne t'inquiète pas, Milo, le rassura le Capricorne. Kanon est loin d'être un idiot. Il sait qu'il n'a pas le droit de s'emporter et il sera capable de se contrôler. Laissons-le s'expliquer avec son ancien adversaire. De toute façon, ils ont probablement certaines choses à régler.

- T'as sûrement raison, mais je préfère quand même rester sur mes gardes, ajouta le Scorpion en se dirigeant vers le vestiaire après avoir saisi la serviette tendue par Aiolia.

- Bon tout ça est bien joli, mais… vous n'avez vraiment rien remarqué ? poursuivit Aphrodite en s'écartant du mur contre lequel il était toujours appuyé.

- Oh toi, t'as encore une idée tordue derrière la tête ! constata Angelo en ramassant le flacon de shampoing abandonné par le Gémeaux. Mouvement qui déclencha un signal d'autocongratulation dans le cerveau du Capricorne, ravi d'avoir eu le réflexe de tendre une serviette à l'Italien.

- Absolument pas, Angie. Juste une petite parenthèse d'ordre purement anatomique pour détendre un peu l'atmosphère.

- C'est bien ce que je disais : une idée tordue derrière la tête ! Mais vas-y, Aphro, approfondis donc le fond de ta pensée, puisque tu viens de titiller notre curiosité.

- Alors si tu insistes… Il est sacrément bien équipé Kanon, vous trouvez pas ?

- Affirmatif, approuva le Cancer sur un ton purement factuel.

- Et du coup… Est-ce que vous pensez que Saga a des mensurations identiques ?

- Aphrodite, ils sont jumeaux. Homozygotes. Donc oui, ils sont strictement identiques. Sur tous les plans », précisa Shura qui avait toujours exprimé un intérêt prononcé pour les sciences, de l'arithmétique à la génétique.

Cette assertion eut l'air de satisfaire le Poissons qui se réfugia un instant dans un silence contemplatif et songeur.

« Aphro, enlève tout de suite ce sourire malsain de ta bouche !

- Oh ça va, Angelo ! Si on ne peut même plus fantasmer tranquille ! » ( ndla : pardon… Oui, c'est mal, je sais ! ).

OooOooO

Kanon pénétra dans le vestiaire de l'Elysion telle une furie s'abattant sur sa malheureuse victime. Il ne prêta pas la moindre attention au groupe de Spectres qui se rhabillaient en silence, et se dirigea directement vers le cosmos de celui qu'il voulait étriper de ses mains.

Valentine, Queen et Sylphide le considérèrent d'un regard stupéfait et se levèrent aussitôt du banc sur lequel ils étaient assis. Ils se devaient de protéger leur vénéré maître contre l'agressivité de l'homme qui lui avait déjà par une fois ôté la vie, même si celui-ci se trouvait aujourd'hui dans une tenue des plus singulières.

« Où comptes-tu aller comme ça, Gémeaux ?! » s'écria la Harpie.

Le concerné ne répondit pas et poursuivit sans se retourner pour pénétrer dans les douches où Minos et Éaque manquèrent de se décrocher la mâchoire en le voyant arriver.

« Que fais-tu ici, chevalier des Gémeaux ? souffla le Garuda après avoir refermé la bouche. Et surtout, pourquoi une telle animosité à notre égard ?

- Je n'ai absolument rien contre toi, c'est ton connard de frangin que je suis venu voir !

- Comment oses-tu t'adresser à l'un des Trois Juges des Enfers de la sorte ?! s'exclama le Griffon en s'interposant entre le chevalier et son cadet.

- Minos, Éaque, et vous tous : laissez-nous ! ordonna Rhadamanthe en nouant une serviette autour de ses hanches.

- Maître, je ne crois pas qu'il soit judicieux de vous laisser seul avec cet…

- Silence, Valentine ! Je vous ai demandé de sortir, alors sortez !

- Puisque telle semble être ta décision… Venez, vous-autres ! Vous avez entendu votre Juge : il souhaite rester seul, alors vous n'avez plus rien à faire ici ! » proclama Minos en se dirigeant vers le vestiaire avec Éaque et tous les Spectres derrière lui.

Valentine hésita encore un instant avant de finalement quitter les lieux en proférant une volée d'insultes à l'encontre de celui qui avait osé traiter son maître bien-aimé de… Il ne voulait même plus y penser !

« Kanon, maintenant que nous sommes seuls tous les deux, de quel sujet souhaites-tu t'entretenir avec moi ? s'enquit Rhadamanthe sur un ton calme et froid.

- Oh… arrête avec ta putain de politesse ! Et pour commencer, retire tout de suite cet air supérieur de ta bouche !

- Pourquoi tant d'agressivité, chevalier ?

- Tu sais très bien pourquoi ! Comment as-tu osé ? Tu n'as donc aucun respect ?

- Je n'ai de respect que pour mes frères et mon vénéré Souverain. Ainsi que pour les hommes que je juge dignes de le recevoir.

- Ce qui n'est pas mon cas ?

- Kanon, tu as trompé et trahi un Dieu, et ceci demeure un comportement intolérable à mes yeux.

- Et vouloir soumettre l'Humanité à votre tyrannie, ça t'évoque quoi ? Un modèle de dignité et de bienveillance, peut-être ?

- Je n'ai pas à porter de jugement sur les décisions de mon Maître.

- Ah c'est facile ça, de se planquer derrière son supérieur ! Rhadamanthe, tu n'es donc pas capable de décider par toi-même ? Tu n'as donc aucun libre-arbitre ? Sans vouloir faire de mauvais jeu de mot ( ndla : il est un peu tiré par les lacets de crampons celui-là, désolée… ).

- Non. On ne m'a pas octroyé les mêmes faiblesses qu'à vous autres les hommes.

- Parce que le libre-arbitre est une faiblesse, maintenant ?! Laisse-moi rigoler ! Mais j'ai pas envie de philosopher avec toi ! Je suis venu te dire une chose et une seule : je n'ai soudoyé personne ! Notre victoire, nous ne la devons qu'à la qualité de notre jeu et à notre combativité.

- Je n'en ai jamais douté, Kanon, déclara Rhadamanthe en se rapprochant de son vis-à-vis.

- J'ai changé, Wyverne ! Je ne suis plus l'homme que j'étais jadis, et… Quoi ? Non mais qu'est-ce que tu viens de dire ?

- J'ai dit : je n'ai jamais douté de ton intégrité dans le cadre de la partie de football que nous venons de disputer.

- Alors pourquoi avoir balancé que j'avais payé l'arbitre pour nous faire gagner ? Angelo t'a entendu parler avec Minos et Éaque tout à l'heure.

- Simple supputation infondée pour apaiser une déception passagère.

- Tu te fous de ma gueule ?!

- Non. Je me contente d'exposer des faits. Même les êtres supposément parfaits peuvent éprouver des moments d'égarement.

- Attends, t'es en train de me faire des excuses ?

- Absolument pas. Je reconnais simplement une erreur de jugement.

- Évidemment ! Le Grand Rhadamanthe de la Wyverne ne peut pas se rabaisser à faire amende honorable ! s'emporta l'ancien Dragon des Mers en plantant un doigt rageur dans le torse de son rival.

- Ne me touche pas, Kanon !

- Pourquoi ? T'as peur que je te fasse exploser comme la dernière fois ?

- Non, pas du tout.

- Alors vas-y, défends-toi ! On n'a pas le droit de se combattre avec nos cosmos, mais rien ne m'empêche de te foutre mon poing dans la gueule ! Alors réagis ! »

Kanon approcha une nouvelle fois sa main de la poitrine du Troisième Juge, mais celui-ci lui saisit le bras pour le bloquer dans son geste. Le Gémeaux releva alors les yeux pour les plonger dans ceux de Rhadamanthe et le regard de la Wyverne le transperça. Son ennemi le fixait sans la moindre expression sur son visage, mais ses yeux dégageaient quelque chose d'indescriptible. Une force, une confiance, une détermination qu'il n'avait connues chez aucun adversaire, et contre lesquelles Kanon se sentit subitement incapable de lutter. Et tandis qu'il ne pouvait libérer ses yeux de l'emprise de celui qu'il était venu affronter, ce dernier fondit sur sa bouche pour l'embrasser.

Kanon accepta son baiser sans comprendre. Il y répondit comme s'il l'avait toujours attendu, comme s'il en avait toujours eu envie. Mais comment pouvait-il permettre une telle chose ? Rhadamanthe de la Wyverne, le demi-Dieu qu'il avait jadis anéanti en se donnant la mort, l'homme qui venait de l'insulter par le biais d'une simple erreur de jugement, était en train de l'embrasser, et lui, se laissait faire sans émettre la moindre petite protestation ?

Kanon se dégagea enfin, considéra celui qui se tenait devant lui avec toujours le même regard impassible qu'il ne put s'empêcher de trouver magnifique, et lui délivra une gifle monumentale. Puis il se retourna et quitta les douches de l'Elysion sans prononcer un mot.

Les lèvres du Troisième Juge se courbèrent alors très légèrement, témoignant d'un sentiment humain qu'il n'était nullement censé éprouver. Mais comment rester de marbre face à cet homme qu'il voyait s'éloigner après l'avoir défié lui, Rhadamanthe de la Wyverne, Spectre de l'étoile céleste de la férocité ? Cet homme qui était venu l'affronter entièrement nu et dont il ne se priva pas d'admirer le superbe fessier. Enfin jusqu'à ce que ce dernier le masquât derrière la serviette qu'il avait saisie au vol juste avant de déserter les lieux.

OoOOoO

Kanon poussa la porte du vestiaire de son équipe d'un coup sec, et se retrouva nez à nez avec Milo qui tentait de glisser ses orteils dans l'une de ses claquettes en sautant à cloche-pied.

« Ah, t'es déjà revenu ?! J'étais sur le point de te rejoindre pour vérifier que tout allait bien. »

Le Gémeaux ne répondit pas et se rua dans les douches.

« Kanon, ça va ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Il ne s'est RIEN passé ! » s'époumona celui qui se sentait à présent profondément vexé. Merde, il avait laissé Rhadamanthe l'embrasser. L'embrasser, bordel !

« Et foutez-moi la paix, j'ai besoin d'être seul ! » ajouta le Gémeaux en se débarrassant de la serviette derrière laquelle il avait eu la chance de pouvoir dissimuler l'état insensé dans lequel ce fichu baiser l'avait plongé.

Personne n'osa poser la moindre question additionnelle, et le chevalier blessé dans son orgueil ouvrit le robinet de la première douche qu'il trouva pour se placer sous un jet d'eau froide.

Kanon avait besoin d'une douche glaciale pour se calmer et pour apaiser sa colère. Sa colère contre Rhadamanthe, mais aussi sa colère contre lui-même pour s'être ainsi laissé emporter par un sentiment qu'il était incapable de définir et qu'il ne parvenait pas à accepter. Mais surtout, il avait besoin de cette eau glacée pour faire baisser la fièvre. La fièvre que le Troisième Juge venait d'inoculer au plus profond de son âme et qui se répandait maintenant dangereusement dans ses veines.


A suivre…

Merci de m'avoir lue.

Référence pour le titre du chapitre 10 : La Fièvre , Suprême NTM, 1995.

Notes:

(1) Comme vous l'aurez remarqué, je suis dans cette histoire la version du manga concernant l'identité du sauveur de la Déesse lors du dénouement de l'Arc Poséidon. Désolée Seiya-nounet, mais rendons à Kanon ce qui est à Kanon.

(2) Le "Hasta la vista, Baby" prononcé par Milo à l'intention du Wyvernator est une référence à la célèbre réplique d'Arnold Schwarzenegger dans Terminator 2.

(3) Je tiens à préciser que dans ma tête, les trois Juges des Enfers sont frères, et Rhadamanthe est le plus jeune. J'ai conscience qu'il s'agit probablement d'une déformation fanfictionnelle, puisque dans la mythologie, seules Rhadamanthe et Minos sont frères (enfin il me semble).

Chapter 11: Nothing Else Matters

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais pour le reste : mea culpa.

Bonne lecture.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Bar du Zodiaque, le soir-même, vers 22h38 (oui, c'est très précis)

Son casque de DJ calé entre son oreille et son épaule, Milo préparait le prochain enchaînement selon l'ordre établi sur sa setlist. Une setlist qu'il avait toutefois dû préparer un peu à l'arrache, puisque quelques heures auparavant, il courait en crampons au beau milieu d'un stade.

Il retira le vinyle qui venait de s'immobiliser sur la partie droite de sa platine pour le remplacer par celui qu'il avait choisi dans la grosse pile à ses pieds. Il laissa filer la musique du précédent morceau encore un peu, puis d'un mouvement agile de son index il lança le nouveau, tout en guettant la réaction de son public.

Les premières notes de Rythme Is A Dancer s'élevèrent des enceintes disposées aux endroits les plus stratégiques de la terrasse, et un sourire satisfait étira les lèvres du Scorpion. Les clients semblaient apprécier sa sélection musicale, certains abandonnant même la dégustation de leurs cocktails pour rejoindre la piste de danse. Snap était définitivement une valeur sûre en ce début d'été.

Ce subit élan d'enthousiasme contraignit Shaina de l'Ophiuchus à débuter un slalom dont elle se serait pourtant bien passé, déclenchant dans le même temps un frisson électrique à l'extrémité de ses doigts. Le contrôle de ses pulsions destructrices atteignit son paroxysme lorsqu'elle dut éviter un client excité qui venait de bondir de sa chaise en hurlant un « hiii, j'adore cette chanson ! » , et elle poussa un ouf de soulagement intérieur quand elle parvint enfin au comptoir. Elle y rejoignit ses amies Geist et June, arrivées l'après-midi même au Zodiaque de leur mission humanitaire en Somalie.

June avait mis à profit cette expérience pour effectuer son stage de troisième année de médecine – la jeune femme ayant choisi de s'orienter dans la même voie professionnelle que son ancien compagnon d'infortune – le tout sous la supervision de Geist qui dirigeait la mission pour le compte de la Fondation Graad.

L'héritière Kido avait depuis plusieurs années déjà décidé de dédier une partie de sa fortune au soutien des populations les plus démunies, et une section entière de son organisation se consacrait à la mise en place d'interventions humanitaires aux quatre coins du globe. Plusieurs chevaliers avaient accepté de s'impliquer dans ces projets après leur résurrection, parmi lesquels Geist avait été l'une des premières à se porter volontaire. Shaina et Marine l'avaient accompagnée sur différentes missions, lorsque leurs obligations envers le Sanctuaire leur permettaient de le quitter, et l'Italienne était donc ravie de retrouver son amie aujourd'hui.

Shaina déposa son plateau sur le bar, et se retourna vers les deux femmes-chevaliers qui discutaient tranquillement avec Shun, Hyoga et Seiya, en sirotant des margaritas.

« Tout se passe bien, les filles ? Je vois que Dohko vous a déjà fait profiter de son incroyable talent. Plutôt étonnant, vous trouvez pas ?

- Totalement bluffant, tu veux dire ! s'exclama la brune en faisant tourner son cocktail dans le fond de son verre. Ces margaritas sont absolument délicieuses.

- Et vous avez encore rien vu ! s'enthousiasma Seiya tandis qu'il terminait son demi pomme-kiwi. Le maniement du shaker devient une véritable prouesse artistique dans les mains du Vieux Maître !

- Ouais, un peu comme toi avec un ruban ! ajouta Hyoga après avoir avalé une gorgée de sa vodka Orangina ( ndla : vous n'avez jamais goûté ? Eh bien moi non plus ! )

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire de ruban ? s'enquit aussitôt l'Ophiuchus juste avant d'interpeler Dohko afin de passer sa commande. Car même si elle était débordée, il était inconcevable qu'elle laissât filer une information pareille sans obtenir une petite explication.

- Hyoga ! s'offusqua le chevalier ailé en frappant l'épaule de celui qui prétendait être son ami. T'aurais pas pu la boucler ?!

- Désolé, ça m'a totalement échappé ! s'amenda le Cygne qui étouffa un rire empreint d'une bonne dose de mauvaise foi.

- Alors, Seiya, cette histoire de ruban ? insista Geist dans la ferme intention de poursuivre l'inquisition initiée par sa meilleure amie.

- Ah ça ? C'est trois fois rien… Non, c'est vraiment pas grand-chose, et en définitive, ça ne présente même aucun intérêt.

- Ça me paraît très intéressant, au contraire ! N'est-ce pas, Shaina ?

- Tout à fait, Geist ! approuva l'Italienne en disposant de nouveaux verres sur son plateau.

- Je suis flatté de l'intérêt que vous me portez, les filles, vraiment. Mais franchement, ça n'en vaut pas la peine !

- Permets-nous de nous forger notre propre opinion, déclara l'ancienne pensionnaire de l'Ile Maléfique sur un ton catégorique. Alors, Seiya, de quoi s'agit-il exactement ? Me dis pas que tu t'es récemment pris de passion pour la GRS ?!

- Et pan, dans l'mille ! s'exclama Hyoga en reculant d'un pas pour éviter de nouvelles représailles en provenance du chevalier vexé.

- Ouais bon, ça va ! Aucune raison d'en faire tout un plat ! Mon cursus impose la pratique de disciplines sportives multiples et variées, dans le but honorable de défendre l'éclectisme au sein de l'enseignement de l'éducation physique. Alors voilà. Pas de quoi fouetter un chat ! Ni un cygne d'ailleurs. Hein, Hyoga ? Non, parce que niveau petit pas de danse, je crois que t'as pas vraiment de raison de la ramener !

- Oui, mais moi, je n'ai jamais eu besoin de m'encombrer d'accessoires pour mettre en valeur toute la grâce de mes mouvements.

- Oh mais je suis certaine que Seiya a dû déborder d'enthousiasme et d'application avec un ruban à la main ! affirma Geist sans prendre la peine de masquer le petit rire moqueur qui étirait ses lèvres. D'ailleurs, c'est dommage que personne n'ait pensé à immortaliser ce grand moment d'élégance et de souplesse.

- Alors justement… »

Hyoga n'eut pas la possibilité de poursuivre son propos, Seiya ayant plaqué une main rageuse contre la bouche de celui qu'il venait de rayer sans scrupules de la liste de ses meilleurs amis.

« Qu'est-ce qui se passe, ici ?! grommela Ikki en arrivant près du bar, un grand plateau chargé d'une dizaine de verres vides entre les mains.

- Rien du tout, s'empressa de rétorquer Shun. Autant ne pas impliquer son grand frère dans cette discussion qu'il aurait certainement un peu trop apprécié.

- Alors pourquoi les deux autres idiots se chamaillent comme des gosses ? Dohko, trois whisky coca, deux rhums arrangés, une vodka pamplemousse, un Cosmopolitan, une tequila, deux bières et deux jus d'ananas, s'il te plaît !

- Purée, ils ont une sacrée descente les autres, ce soir ! remarqua le Maître es cocktail depuis l'autre côté du comptoir.

- Qu'est-ce que tu veux ? Ça, c'est la fièvre de la victoire ! Kanon et Angelo sont totalement déchaînés et ils ont sacrément soif ! Bon, mais vous m'avez pas répondu : pourquoi est-ce que Hyoga a son index enfoncé dans l'œil de Seiya pendant que cette andouille essaie de l'étrangler ?

- Ah ça, faut pas faire attention ! La frustration d'avoir perdu leur match, peut-être ? mentit Shun en plongeant les yeux dans le fond de sa margarita.

- Mouais… Bon, Shaina, ça t'embêterait d'arrêter de papoter avec tes copines et de te remettre au boulot ? La table six attend toujours sa commande !

- Oh ça va, Ikki ! Je prenais juste deux minutes, répliqua l'Italienne en haussant les épaules.

- Ben on n'a pas l'temps ! Est-ce que j'ai l'air de m'la couler douce, là, tout de suite, maintenant ? Non ! Alors y'a pas de raison que je sois le seul à trimer !

- OK, pas la peine de t'énerver ! Qu'est-ce que tu peux être soupe au lait quand tu t'y mets ! maugréa l'Ophiuchus en quittant le comptoir avec son plateau.

- Hein ?! Soupe au quoi ?! Non mais, qu'est-ce que tu viens de dire ?! »

Ikki s'empara de sa nouvelle commande et emboîta le pas de sa collègue de service avec la ferme intention d'obtenir un éclaircissement lexical.

Shun ne put se retenir de sourire en observant son grand frère s'éloigner. Shaina et lui semblaient s'entendre à merveille et leur collaboration promettait de faire quelques étincelles. Il reporta ensuite son attention sur celle qui avait partagé ses années de souffrance sur l'Ile d'Andromède.

Il était ravi de revoir June après ces trop nombreux mois de séparation. La jeune femme poursuivait ses études en Grèce, ce qui ne lui permettait pas de profiter de sa présence autant que ce qu'il aurait voulu. Et il comptait donc bien utiliser l'opportunité de cette saison estivale pour rattraper un peu le temps perdu. Enfin, si le planning de son amie le lui permettait. Car June avait été désignée pour assister Shaka et Aiolos à la réception du camping, ce qui ne s'annonçait pas comme la plus reposante des missions.

Mais en attendant, il se devait d'immortaliser leurs retrouvailles. Alors il plaça le viseur de son appareil photo contre son œil droit, et il saisit sur sa pellicule le merveilleux sourire que June lui offrit sans même y prêter attention.

« Ah oui, attention les filles, Shun est devenu un véritable paparazzi ! Il mitraille à tout va avec sa caméra ! fit remarquer Seiya en s'écartant enfin de Hyoga.

- Je vois ça, reconnut le Caméléon en replaçant une mèche de ses longs cheveux derrière son oreille. Mais cela ne me dérange pas.

- Ça, c'est parce qu'il t'a pas encore pris en photo au saut du lit ou avec un morceau de salade coincé entre les dents !

- Pfou, alors là t'en rajoutes, Seiya ! s'offusqua Andromède.

- Non pas du tout ! Bon c'est pas tout ça, mais… Hyoga : on a une mission !

- Ah mince, moi qui croyais que tu allais m'oublier cinq minutes ! déclara le Cygne visiblement déçu.

- Hors de question ! Et puis t'as intérêt à faire profile bas avec moi, après la trahison que tu viens de commettre !

- Oh ça va, hein ! Pas la peine d'en rajouter non plus ! Bon, et c'est quoi cette prétendue mission ?

- Nous devons aller chercher Shiryu ! Il ne peut pas ne pas être ici avec nous.

- Alors là, je vous souhaite bon courage ! affirma Shun en tournant la molette de son appareil ( ndla : oui, n'oublions pas que nous sommes en 1992, hein ). Shunrei et lui sont allés se coucher, et lorsqu'ils sont venus me dire bonsoir tout à l'heure lorsque j'étais encore à la baraque à crêpes, ils ne semblaient pas du tout enclin à partager un moment convivial avec nous.

- Quoi ? T'aurais donc pas confiance en mon grand pouvoir de persuasion ?! Franchement, Shun, je suis déçu ! Allez Hyoga, viens avec moi ! On va sortir Shiryu de sa caravane, ou je ne m'appelle plus Seiya de Pégase ! »

Les deux Bronzes quittèrent la terrasse au pas de course ( ndla : sans mettre les bras en arrière malgré tout ; nul besoin de secourir une princesse en détresse en cette belle soirée d'été ), et croisèrent une Shaina décidée qui revenait en courant près du comptoir, comme si elle avait une armée de Spectres à ses trousses.

« Bon, je crois que j'ai réussi à le semer, mais mince, Ikki est sacrément coriace !

- Ne te réjouis pas trop vite, ma belle. Je le vois qui te guette depuis l'autre côté de la terrasse pendant qu'il prend sa commande. Et vu le regard qu'il te jette, il a pas l'air d'humeur cordiale, constata Geist en terminant la dernière goutte de sa margarita.

- Merda ! Oh et puis zut ! Il a qu'à pas être aussi susceptible celui-là aussi !

- Perso, je le trouve plutôt mignon, avec son sale caractère.

- Tu parles ! On voit bien que c'est pas toi qui dois te le coltiner tous les jours !

- Arrête, t'es pas si à plaindre que ça ! Ikki est sûrement d'une compagnie des plus charmantes, sous ses faux airs de bad boy.

- Mouais… j'ai besoin de plus de temps pour juger, rétorqua l'Italienne. Et toi alors ? Le poste que t'ont attribué Saga et notre vénérée Déesse te convient-il ?

- Je pouvais pas espérer mieux ! Surveillant de baignade, pour une nana qui a passé le plus clair de son temps toute seule sur une île, c'est absolument parfait. Et puis mes collaborateurs ne sont pas les plus désagréables à côtoyer au quotidien.

- C'est vrai que t'es pas tombée sur les plus moches ! Kanon est carrément bien foutu.

- Et Seiya n'est pas mal non plus ! Ça faisait des siècles que je l'avais pas vu, et comment dire ? Il est devenu…

- Un homme.

- Exactement ! Oh mais excuse-moi, j'aurais pas dû dire ça.

- Pourquoi ?

- Ben Seiya… Enfin, tu vois bien de quoi je veux parler.

- Alors Geist, je t'arrête tout de suite. Seiya est adorable et nous nous apprécions mutuellement, mais je ne ressens plus rien pour lui depuis longtemps. Je suis têtue mais pas désespérée non plus.

- OK. Je prends note.

- Ah… Est-ce que ce serait une très légère pointe d'intérêt que je viens de voir briller dans le fond de ton œil droit ?

- Je sais pas… J'ai besoin de plus de temps pour juger, déclara la brune en délivrant un clin d'œil à son amie.

- Shaina, ton Gin Fizz et ton Cuba Libre pour la huit ! les interrompit Dohko, en transe derrière son comptoir.

- Merci, mon chou ! T'es un amour !

- Je sais, Bellisima ! »

Shaina s'empara de sa commande et se dirigea vers la table qui attendait ses boissons avec impatience, tandis que Geist et June profitaient du départ d'un groupe de clients pour s'installer à leur place.

Comme il se retrouvait seul, Shun décida de rejoindre ses aînés pour participer à leur débriefing footballistique. En arrivant à la grande table qu'ils occupaient avec la plus grande indiscrétion, il dégaina une nouvelle fois son appareil et activa le flash. L'éclair lumineux qui jaillit eut pour écho un cri de protestation en provenance d'un Kanon déjà passablement éméché. Car pour une raison qu'Andromède jugeait obscure étant donné l'issue du match qu'ils avaient disputé, son capitaine semblait d'humeur particulièrement chafouine depuis leur retour des vestiaires.

Le jeune Bronze ignora cette marque de mécontentement à son égard, et tira une chaise depuis la table voisine qui – on se demande bien pourquoi – avait été désertée. Il choisit de s'installer à côté d'Aphrodite qui l'accueillit avec un grand sourire ravi. Ce dernier porta ensuite son cocktail – un Cosmopolitan – à ses lèvres, puis le reposa avec délicatesse avant de prendre la parole d'une voix claire et assurée.

« Alors, Camus, as-tu appris quelque chose d'intéressant lors de ta petite séance d'espionnage de cet après-midi ?

- Oui », se contenta de répondre le concerné dont l'attention venait de se reporter sur un tout autre sujet. Car une jeune femme magnifique s'était hissée sur l'estrade où Milo avait ses platines, attirant aussitôt l'intérêt du DJ et provoquant de ce fait un frisson incontrôlé le long de l'échine du Verseau.

« Et donc ?... Pourrais-tu développer, s'il te plaît ? » insista le Poissons.

Camus cligna des paupières pour effacer les images qui s'insinuaient déjà dans sa tête, et commença à parler avec le ton neutre et impassible qui le caractérisait.

« Nos soupçons sont confirmés : les joueurs du Poséidon connaissent la tactique de nos deux équipes en détail, et ce grâce à la présence d'un espion qui a pu assister à tous nos entraînements.

- Abjecte vilénie ! vociféra Saga en bondissant de sa chaise. Nous devons identifier cet infâme individu et lui infliger la sentence qu'il mérite ! »

Tous les chevaliers écarquillèrent les yeux en réaction au subit haussement de ton du Premier Gémeaux, et tremblèrent d'effroi en constatant l'apparition d'une toute petite mèche grise juste au-dessus de ses yeux.

Kanon voulut sonder l'esprit de son jumeau pour tenter de l'apaiser, mais un manque de précision causé par un probable excès d'alcool le fit se retrouver dans les pensées d'Angelo qui l'envoya bouler. Devant l'inefficacité de l'intervention gémellaire, Aiolos se leva à son tour et posa une main ferme sur le bras de Saga, ce qui fit aussitôt disparaître la couleur honnie de la chevelure de l'ancien pope.

« Mes amis, inutile de céder à la colère, poursuivit le Bélier en invitant Saga et Aiolos à se rasseoir. La personne concernée n'a probablement pas souhaité nous nuire en premier lieu. N'est-ce pas, Camus ?

- Tout à fait. Je dirai même qu'elle n'est finalement qu'une victime. Une victime de la manipulation d'Albérich qui, cela ne vous étonnera probablement pas de l'apprendre, se trouve être l'instigateur de cette sournoise entourloupe. Sachant que pour couronner le tout, j'ai également appris que ce dernier comptait semer la discorde au sein de nos deux équipes, en exacerbant certaines rancunes que nous pourrions éprouver à l'encontre de Kanon et de Saga.

- Non mais n'importe quoi ! J'vois pas pourquoi Saga et moi pourrions être des objets de discorde ! s'écria le Second Gémeaux que l'abus d'alcool ne rendait pas particulièrement perspicace.

- Eh ben mon pauv' vieux, intervint le Cancer, j'crois que va falloir y aller mollo sur le rhum arrangé de Dohko, parce que des raisons de vous en vouloir, on pourrait en trouver des caisses !

- Dixit le type qui tapissait les murs de sa maison avec les tronches de ses victimes ! rétorqua l'ancien Dragon des Mers. Et mon rhum me convient parfaitement, Monsieur le buveur de whisky à bulles dégueulasses !

- Voyons, voyons, tâchons de considérer tout ceci sereinement et de revenir au sujet qui nous préoccupe, tempéra le Premier gardien. Il me semble relativement aisé pour nous de déjouer les plans d'Albérich. Tout d'abord, nous n'avons qu'à faire évoluer notre tactique de jeu.

- Ou même ne pas en avoir du tout ! proposa Jamian, que les longues discussions stratégiques n'intéressaient pas.

- Oui, très bonne idée ! approuva Algol dans un élan de fraternité argentesque.

- Balivernes ! s'offusqua Saga sur un ton malgré tout plus apaisé que celui de sa précédente intervention. Il ne peut y avoir de beau jeu sans un minimum de préparation, et sans beau jeu, point de victoire.

- Écoutez, en définitive, ce n'est peut-être pas une mauvaise idée, déclara Camus finalement ravi de pouvoir détourner ses pensées de l'objet de son supplice, la main droite de Milo venant de trouver refuge dans la chevelure de son admiratrice.

- Que veux-tu dire par-là ? s'enquit Shura dans un soudain regain d'intérêt pour leur conversation. Car le Capricorne avait lui aussi besoin de se concentrer sur quelque chose de concret, Angelo venant d'abandonner la contemplation de son bourbon pour celle d'un groupe de touristes suédoises en train de s'installer trois tables à côté.

- Eh bien, poursuivit le Verseau, je pense que nous commençons à connaître suffisamment nos jeux respectifs pour ne pas avoir à préparer quoi que ce soit. Donc voici ce que je vous propose. Lors du prochain match qui opposera l'une de nos deux équipes à celle du Poséidon, ce qui selon toute vraisemblance et en considérant le tableau des confrontations du tournoi, devrait concerner l'équipe de Kanon dans le cadre de la première demi-finale, vous n'aurez qu'à jouer au feeling, sans véritable stratégie. Kanon, t'en penses quoi ?

- Pfou ! Baaah... M'en fous.

- Merci, Kanon, pour l'acuité de ton analyse, observa Camus d'une voix blanche. Les autres, un avis ?

- La préconisation d'un déni stratégique semble un peu inattendue de ta part, Camus, mais tout bien considéré, je partage ton point de vue : il s'agit probablement de la meilleure solution, approuva Mû en terminant son jus d'ananas. Mais je ne voudrais pas parler au nom de mes coéquipiers.

- Je suis d'accord, se contenta d'ajouter le Capricorne en basculant sa tequila.

- Ça me va à moi aussi, agréa Aiolia, et je suis prêt à parier que ça conviendra aussi à Milo. Angelo, Shun, Algol, qu'en pensez-vous ? »

Persée et Andromède approuvèrent avec enthousiasme, et le Cancer ne répondit pas, trop occupé qu'il était à soutirer quelques rudiments de vocabulaire suédois à son ami le Poissons.

« Alors je crois que tout est réglé, conclut Camus en tapotant sa vodka du bout de son index pour l'agrémenter de deux ou trois glaçons supplémentaires.

- Non, pas tout à fait ! protesta Saga en étrécissant les yeux. Nous n'avons pas tranché au sujet du sort à réserver à Albérich. Car nous ne pouvons le laisser impuni, n'est-ce pas ?

- Tu te fourvoies, mon ami, objecta la Vierge en déposant son jus d'ananas juste à côté de celui du Bélier. L'eau ne reste pas sur les montagnes, ni la vengeance dans un grand cœur.

- Heiiin ?! Qu'est-ce qu'il a dit, Bouddha ?! s'enquit Kanon tandis qu'il retournait son verre de rhum pour tenter d'en absorber la toute dernière goutte.

- Il me semble que Shaka suggère que nous en restions là, expliqua Mû qui était passé maître dans l'art d'interpréter les propos du plus sibyllin des protecteurs divins. Ce qui est sans le moindre doute la décision la plus raisonnable. Ne crois-tu pas, Saga ?

- Si, tu as probablement raison », finit par consentir l'ancien Pope en tentant d'étouffer les « Balivernes ! Deux ou trois tacles bien placés, et ce maudit rouquin ne nuira plus jamais à personne ! » que son double maléfique – ragaillardi par le rhum arrangé de Dohko – lui susurrait à l'oreille.

« Saga, tout va bien ? Tu ne sembles pas totalement convaincu, insista le Sagittaire qui percevait le trouble dans l'esprit de celui qui avait longtemps été son meilleur ami.

- Oui, tout va bien, ne vous inquiétez pas. Et si, je me rallie pleinement à votre décision. Les propos de Shaka sont les plus sages, comme toujours » conclut le Premier Gémeaux en repoussant son verre de rhum avec le dos de sa main. La prochaine fois, il se contenterait d'un jus d'abricot.

« Bon, et pour notre match contre l'Elysion, alors ? Qu'est-ce que vous nous conseillez de faire pour tenir tête aux Spectres ? Puisque en toute logique, nous devrions les affronter en demi-finale, interrogea Jamian que la perspective d'un tel affrontement ne rendait pas particulièrement enthousiaste.

- Rester solides en défense me semble primordial, répondit Mû. Il faudra aussi vous méfier des accélérations d'Éaque et des interventions de Minos, toujours extrêmement dangereuses.

- Et je vous recommanderais aussi de tenir Rhadamanthe à l'œil ! ajouta le Lion. Car c'est lui le chef d'orchestre dans cette équipe. Kanon, tu confirmes ?

- Plaît-il ? bafouilla l'ancien Marina tandis qu'il se contorsionnait pour tenter d'attraper le verre de rhum abandonné par son aîné, le tout sans ne plus prêter le moindre intérêt à leur conversation.

- Rhadamanthe. Tu confirmes que c'est lui le meneur de jeu de l'Elysion ? »

En entendant le nom de sa Némésis prononcé haut et fort, Kanon se saisit du verre de son jumeau qu'il avala d'une seule traite, avant de prendre la parole sur un ton incertain.

« Rhadamanthe ?! Pfou… Qu'est-ce qu'il y connaît… Bon alors, QUESTION ! Qu'est-ce qu'il y connaît au footbaaal, Rhadamanthe ? Réponse : RIEN ! Il y connaît RIEN !

- Kanon, t'es sûr que ça va ? s'inquiéta Aiolia.

- Évidemment qu'ça va ! Et je sais très bien ce que j'dis ! Le Wyvernatooor, il y connaît rien au foot. La preuve, il supporte l'équipe des Rosbifs !

- Hum, alors c'est-à-dire que là, Kanon, je me dois de pondérer ton propos, tenta d'argumenter le Corbeau, sans terminer sa phrase néanmoins, un regard légèrement carmin en provenance de Saga lui ayant subitement donné envie de la boucler.

- Eh bien c'est vrai que vu sous cet angle, et considérant la piètre prestation de l'Angleterre dans le cadre de l'Euro, Kanon n'a peut-être pas tout à fait tort, constata Aphrodite enfin débarrassé d'Angelo qui venait de s'exiler trois tables un peu plus loin pour commencer à pratiquer son suédois. Cela dit, poursuivit le Poissons, si on part là-dessus, nous ne devrions probablement pas écouter les conseils de Camus non plus, les résultats de la France n'ayant pas été beaucoup plus glorieux.

- Comment ça ?! Qu'ouïs-je ? Qui ose parler des Bleus avec aussi peu de considération ?! s'offusqua un nouvel arrivant à la voix cristalline.

- Ah, Misty, bienvenue parmi nous ! s'exclama le Douzième gardien. Je t'en prie, prends une chaise et rejoins-nous.

- Merci, mais il nous en faudrait deux. Aldébaran arrive lui aussi. Nous venons de terminer au restaurant et nous avons terriblement soif !

- Alors nous allons passer commande ! Je constate de toute façon que la plupart de nos verres sont vides. Les amis, vous reprenez tous la même chose ?

- Non ! Pour moi, ce sera un jus d'abricot », s'empressa de préciser Saga. Autant ne pas tenter le diable une seconde fois.

Aphrodite leva son index avec grâce et autorité pour appeler Ikki qu'il avait aperçu en train de s'affairer à une table voisine. Le Phoenix soupira de lassitude et envoya un message mental à son aîné indiquant qu'il allait devoir attendre cinq minutes. Message qui fit hausser un sourcil au Poissons, ce dernier n'appréciant pas l'usage des vulgarités en dehors de certaines circonstances qui n'étaient pas réunies ici.

Sur ces entrefaites, Seiya et Hyoga reparurent sur la terrasse, visiblement bredouilles. Shun leur fit signe aussitôt et les deux Bronzes les rejoignirent à leur table. Seiya n'avait donc pas réussi à convaincre Shiryu d'abandonner la tranquillité de sa caravane pour venir s'encanailler avec eux. Shun ne put s'empêcher de se sentir déçu. Il aurait tant aimé poursuivre cette soirée avec tous ses amis. Une prochaine fois, peut-être ? Les occasions ne manqueraient probablement pas durant le bel été qui s'annonçait à eux.

Et en attendant, Andromède empoigna son appareil photo pour capturer un nouvel instant qu'il jugeait important. Une part significative de la chevalerie se trouvait ici rassemblée, alors cela valait bien encore un autre petit cliché. Et tant pis pour les cris de protestation que l'usage de son flash provoqua au sein des protecteurs d'Athéna.

Les discussions footballistiques étant enfin terminées, chacun poursuivit les conversations qu'il jugeait les plus opportunes, certains choisissant de s'isoler pour tenter d'obtenir un peu de tranquillité.

Shaka et Mû s'installèrent à une table munis de leurs nouvelles bouteilles de jus de fruits, et après un silence imprégné de calme et de modération, le Bélier décida de reprendre la parole.

« Alors, Shaka, comment vas-tu ?

- Je vais bien, Mû. Merci pour ta considération.

- Mais encore ?

- Mon esprit est apaisé et mon corps accueille la perspective de chaque jour avec mansuétude et reconnaissance. Cela répond-il à ta question ?

- Non, Shaka, pas tout à fait. Je voudrais savoir comment tu vas. V raiment . »

La Vierge releva les yeux, qui pour une fois n'étaient pas masqués par ses paupières baissées, et les plongea dans le regard bienveillant du Tibétain.

« Shaka, n'aie pas peur. Je pense qu'il est temps pour toi de te confier. Cinq années, cela me paraît suffisamment long. Personne ne devrait avoir à supporter le châtiment que tu sembles vouloir t'infliger.

- Je ne m'inflige rien. Je me contente d'essayer de vivre malgré l'importance de ce que j'ai perdu.

- Je ne suis pas sûr de comprendre. Qu'as-tu perdu exactement ?

- Mû, j'apprécie infiniment l'intérêt que tu me portes, mais tu ne peux rien pour moi.

- Comment peux-tu être catégorique à ce point?

- Parce que l'homme que je suis aujourd'hui n'est plus celui que tu as connu. Et cet homme-là ne mérite pas qu'on s'intéresse à lui.

- Je ne suis pas d'accord. Et donc je te repose ma question : que te manque-t-il à présent qui te conduise à croire que tu es devenu un homme différent ?

- Il me manque l'essentiel de ce qui constituait ma vie. L'essence de ma conscience. Le fondement de mes pensées. Car depuis que j'ai rouvert les yeux dans mon temple ce matin-là, au lendemain de notre ultime sacrifice, le silence a empli mon âme et le vide a submergé mon cœur. J'ai perdu la foi et Bouddha a cessé de m'écouter. Il m'a oublié et aujourd'hui, je ne suis plus digne ni de lui, ni de notre Déesse. Ni de vous.

- Mais enfin, qu'est-ce que tu racontes ?

- Mû, ne te fatigue pas. Comme je te l'ai déjà dit : tu ne peux rien pour moi.

- Et encore une fois : je ne suis pas d'accord. As-tu vraiment tout essayé ?

- Au-delà de ce que tu peux imaginer.

- Alors tu n'as pas le droit d'abandonner ! Shaka, il faut que tu aies confiance en toi. Tu retrouveras la voie que tu crois avoir perdue. Et si tu le veux, je serai là pour t'y aider.

- Mais comment ?

- Si tu acceptes ma présence, je pourrais me joindre à tes séances de méditation. En joignant nos deux cosmos et en synchronisant l'ouverture de nos chakras, nous parviendrons peut-être à rétablir l'enracinement de la conscience de Bouddha dans ton esprit.

- Tu serais prêt à te soumettre à ce genre d'exercices ? Mû, tenter d'ancrer son âme à une conscience extérieure peut s'avérer particulièrement éprouvant.

- Cela ne m'effraie pas. Et puis, j'ai toujours envié ta capacité à pénétrer ce monde que je ne connais pas. Alors, es-tu d'accord pour essayer ?

- Je crois que oui.

- Parfait. Je suis certain de notre réussite, Shaka. »

La Vierge ferma les yeux et resta un instant silencieux avant de rouvrir les paupières et de sourire à celui qui venait de lui offrir son aide.

« Merci, Mû. Du plus profond de mon âme ».

oOoOOoOo

A quelques tables de là, Marine et Aiolia discutaient tranquillement, bientôt rejoints par Aldébaran qui n'avait supporté les élans vocaux de ses congénères que le temps de recevoir sa bière. Après s'être assuré de ne pas interrompre de manière importune un tête-à-tête amoureux, le Brésilien se saisit d'une chaise bien trop petite pour lui et s'adressa à ses amis de sa voix grave et chaleureuse.

« Encore merci à toi, Marine, de nous avoir donné un coup de main ce soir au restaurant ! Avec notre match d'aujourd'hui dans les jambes et dans les oreilles, nous n'aurions pas pu tenir le rythme sans ton soutien.

- Teuh-teuh-teuh, je suis certaine que vous vous en seriez très bien sortis sans moi !

- Peut-être, mais l'humeur de Misty aurait été bien plus déplorable. Alors rien que pour ça, reçois ma plus profonde gratitude !

- Écoute, si j'ai pu te paraître utile, je vous proposerai volontiers mon aide une autre fois.

- C'est gentil, mais ne te sens pas obligée non plus, insista le Taureau. Tes journées doivent être tout aussi éprouvantes que les nôtres, et tes nerfs probablement mis à rude épreuve.

- Détrompe-toi. Les enfants sont absolument adorables.

- Mon propos ne concernait pas les petits, Marine, rétorqua Aldébaran en soulevant son sourcil.

- Alors je te rassure également sur ce point : Angelo n'est pas aussi insupportable que ça au quotidien. Je dirai même qu'il peut se comporter de manière tout à fait cordiale quand il veut.

- Pas trop cordiale non plus j'espère, hein ? s'enquit Aiolia, plus pour le principe que pour souligner une réelle inquiétude concernant un quelconque excès de cordialité de la part de son riverain zodiacal. Car le Lion était pleinement convaincu du non intérêt de sa moitié pour le chevalier du Cancer.

- Non, mon chéri. Angelo est un parfait gentleman.

- Alors là, n'exagère pas trop ou je vais vraiment finir par devenir jaloux ! s'amusa le Félin.

- Mais sinon, poursuivit Aldébaran qui ne souhaitait pour rien au monde assister aux prémices d'une pseudo scène de ménage, comment ça se passe entre Angelo et les bambins ?

- Eh bien aussi surprenant que cela puisse paraître, il ne s'en sort pas si mal ! Oui, passées quelques incartades au début imputables à un manque d'expérience combiné à une ou deux légères erreurs de jugement, maintenant tout va pour le mieux. Il semblerait même qu'il soit devenu la coqueluche de certains gamins, qui réclament avec insistance les histoires de tonton Angelo .

- Étonnant, en effet ! constata le colosse. Moi qui craignais qu'il en traumatise quelques uns, je vois que mes appréhensions n'étaient pas légitimes. J'en suis très heureux.

- Oui, tu peux être pleinement rassuré. Angelo semble s'être découvert une nouvelle vocation.

- Marine, tu reconnais la musique !? les coupa subitement Aiolia en caressant l'épaule de sa compagne. C'est cette fameuse chanson, celle que tu aimes tant et que tu m'as fait écouter l'autre jour ! »

La femme-chevalier se concentra un instant sur l'introduction de guitare acoustique qui s'élevait depuis les enceintes, et un large sourire illumina ses traits. Il s'agissait effectivement de cette nouvelle ballade de Metallica qu'elle trouvait si belle. Aiolia se leva alors de sa chaise pour saisir Marine par la main et l'attirer vers la piste de danse, en remerciant intérieurement son ami le Scorpion d'avoir suivi sa recommandation musicale. Car il n'y avait rien de tel qu'un slow en amoureux pour conclure merveilleusement une soirée.

Aldébaran observa ses amis s'éloigner, un profond sentiment de bonheur lui gonflant la poitrine. Ces deux-là étaient heureux, et rien que pour cette raison, Zeus mériterait de recevoir sa reconnaissance éternelle. Le Taureau décida ensuite qu'il était temps pour lui d'aller se coucher. Il termina en une seule gorgée la moitié restante de la pinte qu'il tenait toujours dans sa main, et après avoir salué l'assemblée des présents, pour ceux qui pouvaient encore le voir, il quitta la terrasse pour regagner son mobil-homme. Car aucun hébergement toilé ni aucune caravane n'avaient pu convenir à l'imposant gabarit du Deuxième gardien.

oOoOOoOo

Milo fixait la piste de danse avec un sourire témoignant d'une réelle satisfaction. De la satisfaction éprouvée à l'issue d'une mission accomplie, mais pas que. L'état de béatitude qui se dégageait des cosmos d'Aiolia et de Marine était une récompense bien plus appréciable que les cris endiablés d'une foule de danseurs déchaînés. Au moins certains parmi eux semblaient avoir accepté l'idée d'être heureux.

Cette pensée conduisit le Scorpion à reporter son attention sur le Verseau qui terminait son verre en feignant d'écouter les discussions que son disciple partageait avec ses amis. Et Milo ferma les yeux.

Les silences de Camus étaient toujours là, une bonne vieille engueulade n'étant pas suffisante pour avoir fait de lui un incorrigible bavard, mais ce séjour à Paris avait tout changé. Car Milo avait fini par comprendre, ou en tout cas par se laisser convaincre, qu'il tenait une place non négligeable dans la vie de son ami. Une place suffisamment importante pour que ce dernier acceptât de bousculer ses habitudes afin de passer du temps avec lui et de partager certaines de ses lubies, quitte à endurer la torture par l'ennui et la superficialité.

Le Grec avait bien perçu toute la détresse du Français devant les assauts répétés du Terminator lors de leur dernière séance de ciné, mais à ce moment-là, le grand égoïste qu'il était persuadé d'être n'avait pu s'empêcher de se sentir heureux. Parce que Camus n'était pas venu dans cette salle obscure et non climatisée de surcroît dans le seul but d'apprécier la prouesse technologique que représentaient le morphing combiné à l'animation 3D, mais bien pour partager quelque chose avec lui. Et peut-être même pour tenter de lui prouver encore un peu plus qu'il faisait véritablement partie de sa vie.

Milo rouvrit les yeux et ne put réfréner le pincement douloureux qu'il sentait s'insinuer le long de sa colonne. Depuis leur résurrection, il avait été obsédé par l'idée de comprendre pourquoi Camus l'avait laissé, alors qu'en définitive, il n'avait jamais cherché à le comprendre lui . Camus ne l'avait pas abandonné cette nuit-là. C'était lui qui l'avait laissé partir, ou en tout cas, qui n'avait pas su le ramener vers lui lorsqu'ils étaient revenus à la vie.

Mais ce baiser avait tout changé. Ce baiser qu'il lui avait imposé sans se poser de questions, parce qu'il ne voulait pas obtenir de réponses. Ce baiser lui avait fait comprendre, non pas qu'il était amoureux, parce que cela, Milo l'avait toujours su, mais qu'il désirait Camus du plus profond de son âme. Il désirait chaque fragment de son être, chaque centimètre de sa peau, alors même qu'il avait parfaitement conscience que ses sentiments ne le mèneraient nulle part. Parce que Camus ne s'intéressait pas à ces choses-là. Camus n'était pas comme ça. Il n'était pas comme lui. Il était différent. Tellement différent. Et ce baiser lui en avait apporté la preuve dont il n'avait pourtant pas besoin. Puisque s'il ne l'avait pas rejeté, Camus n'avait pas cherché à poursuivre leur étreinte lorsqu'il s'était détaché de lui, et surtout, il n'avait pas cherché à comprendre pourquoi il l'avait embrassé. Et le lendemain, ce baiser n'existait déjà plus. Ils l'avaient tous les deux oublié, parce qu'il ne signifiait rien et qu'il n'aurait jamais dû être.

Sauf que Milo était incapable d'oublier. Il ne pouvait pas oublier le contact de ses lèvres, ce qu'il avait ressenti lorsqu'elles avaient caressé les siennes, ce qu'il avait cru possible. Et ce qui l'obsédait chaque nuit davantage parce qu'il savait que rien de tout cela ne lui serait jamais accessible.

Camus porta sa vodka à sa bouche et lorsque ses lèvres effleurèrent son verre, Milo détourna les yeux pour plonger ses lèvres à lui dans le cou de son admiratrice.


A suivre…

Merci de m'avoir lue.

Référence pour le titre du chapitre 11 : Nothing Else Matters , Metallica, 1992.

Notes:

Rythme Is A Dancer , Snap, 1992 (un grand classique de l'époque).

GRS: Gymnastique Rythmique et Sportive (rebaptisée simplement Gymnastique Rythmique en 1998).

Merci à Alaiya pour sa petite suggestion scénaristique faisant référence aux célèbres pas de danse de Hyoga.

Dans son insondable réflexion mentionnant de l'eau sur une montagne, Shaka reprend a priori une citation de Bouddha.

Pour ceux qui n'auraient pas reconnu ou qui n'auraient pas la réf, le "Qu'est-ce qu'il y connaît… Bon alors, QUESTION ! Qu'est-ce qu'il y connaît au footbaaal, Rhadamanthe ? Réponse : RIEN ! Il y connaît RIEN !" est une référence à l'une des innombrables scènes culte de La Cité De La Peur, une comédie familiale de Les Nuls (1994). Pour savourer l'original, je vous invite à saisir "la cité de la peur question rick hunter" dans votre moteur de recherche préféré. Enjoy :).

Chapter 12: Freed From Desire

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais le reste n'est malheureusement que de moi.

Bonne lecture.

Chapter Text

Bar du Zodiaque, le même soir, aux environs de 23h30 (cette fois-ci, c'est beaucoup moins précis)

Aphrodite des Poissons observait les attitudes de ses congénères avec curiosité et tendresse, deux sentiments qu'il savait exacerbés par l'alcool et l'amertume de son cocktail. Il fit tourner son verre entre ses doigts, puis le porta lentement à ses lèvres tandis que les dernières notes de Nothing Else Matters se répandaient sur la terrasse. Il observa Marine et Aiolia quitter la piste de danse les doigts entrelacés et visiblement très amoureux, et reporta ensuite son attention sur Milo.

Le DJ semblait assez satisfait de l'effet exercé par ce morceau tant sur son ami le Lion et sa charmante fiancée que sur la jeune femme qui venait d'enrouler ses bras autour de son cou. Ce soir, le Grec allait probablement encore allonger la liste de ses conquêtes. Si le Suédois n'avait pas été convaincu de bénéficier d'un pouvoir de séduction largement supérieur, les succès du Scorpion auraient pu éveiller chez lui une très légère pointe de jalousie. Mais la perfection ne pouvait souffrir d'aucune forme de vilénie, alors Aphrodite ne pouvait se rabaisser à se sentir jaloux.

Et puis l'attitude de Milo semblait déjà perturber certains plus que de raison. Ou en tout cas, la raison d'un chevalier en particulier commençait à en être suffisamment affectée pour ne pas échapper à la perception avisée du Poissons.

Aphrodite cligna des paupières et projeta son aura vers celle de Camus qui ne réagit même pas à l'intrusion. Soit la consommation d'alcool du Français avait déjà dépassé une limite qui échappait à son habituel niveau de maîtrise, soit la détresse de ce dernier lui faisait assez baisser sa garde pour qu'il omît de verrouiller ses pensées. Car ce fut bien de la détresse qu'Aphrodite parvint à détecter lorsqu'il sonda l'esprit de son impassible voisin. Oui, à cet instant, Camus était malheureux et Aphrodite n'avait aucun mal à deviner pourquoi.

Ce constat conduisit le Poissons à détourner les yeux vers Shura qu'il savait rongé par le même genre de sentiments. Car si Aphrodite venait seulement de comprendre que Camus était amoureux, cela faisait des années qu'il savait ce que le Capricorne éprouvait pour leur ami le Cancer. Il l'avait compris cette nuit-là, en lisant la souffrance dans le regard de Shura lorsqu'il avait vu Angelo revêtir son Surplis. Shura en était fou amoureux. Raide dingue. Complètement accro. Oui, il avait Angelo dans la peau, et s'ils n'avaient pas été tous les deux ses meilleurs amis, une telle situation l'aurait probablement beaucoup fait rigoler. Sauf que… ben non. Alors même s'il avait pris conscience de tout cela depuis longtemps, Aphrodite faisait comme si de rien n'était. Parce qu'il avait la certitude que c'était ce que Shura voulait. Faire comme s'il ne ressentait rien et comme si rien n'avait changé. Alors que tout était forcément différent.

« Tu sembles bien préoccupé, chevalier des Poissons ! »

Aphrodite releva ses paupières vers le regard méditerranéen qui le sondait avec insistance et sourit à celui qui venait de le prendre en flagrant délit de compassion amoureuse.

« Misty ! Tu tombes à pic ! Je crois que j'ai besoin de quelqu'un pour m'accompagner : je n'ai plus aucune goutte d'alcool pour étancher ma soif.

- Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? C'est ma tournée ! Je serais prêt à tout pour voir disparaître ce petit air triste de ta bouche.

- Merci pour ta sollicitude, mais ce n'est en aucun cas de la tristesse que tu peux lire sur mes superbes lèvres. Simplement la déception d'avoir terminé mon verre avant que quelqu'un ne me propose de le remplir à nouveau. Déception que tu viens toutefois d'effacer à l'instant.

- Tu m'en vois ravi ! Mais tu ne m'as pas répondu : que voudrais-tu pour te satisfaire ?

- Si peu et tellement à la fois ! Mais ceci n'est probablement ni l'heure ni l'endroit. Et puis finalement, je crois que je viens d'avoir une idée.

- Ah oui ? Laquelle ? susurra le Français à l'oreille du Suédois.

- Je pense qu'il est temps pour la plupart d'entre nous de déserter les lieux pour investir un territoire plus discret et plus sauvage. Je propose de terminer la soirée sur la plage ! »

A ces mots, Aphrodite se leva de sa chaise pour s'adresser à ceux qu'il jugeait dignes de les accompagner, en portant son dévolu en priorité sur Camus et Shura. Parce qu'il était effectivement le moment pour ces deux-là de s'éloigner de l'objet de leur supplice respectif. Surtout qu'il venait de voir Angelo égarer ses doigts sur la cuisse de l'une de ses sublimes compatriotes.

oOOoOOo

En voyant ses derniers compagnons de boisson s'éloigner discrètement – Angelo l'ayant définitivement abandonné au profit de l'une des jeunes femmes qu'il tentait de séduire dans un gloubi-boulga linguistique anglo-scandinavo-tant-pis-je-parle-avec-les-mains – Kanon des Gémeaux commença à suspecter l'émergence d'une entourloupe. Il décida donc de rattraper le jeune Seiya de Pégase qui trottait vers la sortie du bar en compagnie de Shun, June et Geist, afin de glaner un complément d'informations.

« Eh, gamin ! Vous êtes partis où, comme ça ?

- Sur la plage. Aphrodite a proposé de terminer la soirée là-bas. Tu veux te joindre à nous ?

- Ben ça dépend. Vous avez pris des munitions ?

- Plaît-il ? s'étonna le Bronze dévoué qui ne voyait pas à quoi pourraient leur servir de tels artifices.

- Ben d'la bibine ! Non, parce qu'il est même pas encore minuit, alors faudrait pas que nos gosiers s'assèchent !

- Je crois que Misty et Aphrodite ont réussi à soutirer quelques packs de bières à Dohko avant de quitter la terrasse.

- Ah ben on va pas aller loin avec ça ! »

Kanon amorça un subit changement de trajectoire pour s'arrêter par le comptoir et héler Dohko afin qu'il lui cédât deux bouteilles. Bouteilles qu'il demanda à la Balance d'ajouter à son ardoise personnelle. Ardoise qu'il n'avait toutefois aucunement l'intention de rembourser. Mince, sa bien-aimée Déesse lui devait bien ça après tout. Et ainsi rassuré sur le fait qu'il ne crèverait pas de soif, le Gémeaux entreprit de rejoindre ses congénères en courant très légèrement de travers.

En chemin, il souhaita un « bonne nuit » mental à son jumeau, qui lui répondit en le priant de ne pas faire de bruit lorsqu'il viendrait se coucher, car le lendemain, il avait un rendez-vous important. Ce à quoi le plus jeune rétorqua un « t'inquiète pas frérot, je serai discret comme une plume virevoltant sous le vent », ce que le plus vieux cautionna sans trop y croire non plus.

A l'orée de la terrasse, Kanon dépassa Hyoga et Camus qui semblaient en grande discussion. Le Russo-Japonais tentait visiblement de convaincre son vénéré professeur de les accompagner sur la plage en usant d'arguments qui parurent assez singuliers à l'ancien Dragon, puisque ceux-ci impliquaient une histoire de chansons entonnées autour d'un feu de camp. En entendant le « spasiba » précédé d'un « youpi » triomphal, Kanon déduisit que le mini-freeze avait finalement réussi à convaincre le grand maître esquimau.

Arrivé sur le sable, le gardien du Troisième s'incrusta d'autorité entre ses homologues du Douzième et du Dixième. En observant le glaçon du Onzième prodiguer des consignes au Cygne ( ndla : attention à la contrepèterie ) pour allumer un feu – ce qui semblait somme toute assez paradoxal – Kanon se fit la réflexion qu'il était l'unique représentant des maisons zodiacales d'indice inférieur à dix. Réflexion qui l'incita à conclure qu'il avait urgemment besoin de boire un coup.

Dans un élan de galanterie qui lui était assez inhabituel eu égard à l'heure tardive, le Gémeaux proposa à June et Geist de goûter à l'un de ses breuvages. Mais lorsqu'il vit sa bouteille de whisky partir dans les pattes de Pégase, il regretta aussitôt son excès de générosité. Heureusement qu'il s'était gardé la meilleure rien que pour lui. Parce que le petit rhum arrangé de Dohko, il était pour bibi.

Les discussions s'orientèrent bientôt vers les deux matchs de football disputés quelques heures plus tôt, ce qui poussa Kanon à doubler les rations de son rhum. Il était toujours hanté par le regard de la Wyverne dont l'éclat doré tournait en boucle dans son esprit fatigué. Et encore, s'il n'y avait eu que ses yeux, il aurait pu gérer. Mais il y avait aussi ses mains, ses lèvres, son torse, et ses abdominaux. Par Athéna, pourquoi Rhadamanthe, en plus d'avoir ce regard torrido-démoniaque devait-il avoir en sus une musculature de Dieu grec ?!

En sentant une chaleur honteusement délicieuse se propager dans le bas de son dos, Kanon décida de reporter son attention sur ses congénères zodiacaux. Après tout, il était aussi un peu là pour ça.

Misty et Aphrodite semblaient s'entendre à merveille, ce qui au final ne l'étonnait pas du tout. Shun et June papotaient comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des lustres, ce qui devait probablement être le cas. Shura ne parlait à personne et squattait la bouteille de bourbon qui avait fini par arriver entre ses doigts. Hyoga tentait d'éveiller l'entrain de son maître bien-aimé qui ce soir donnait l'impression d'être particulièrement bougon. Et Seiya ruminait toujours sa défaite, ce qui semblait beaucoup amuser Geist.

En considérant celle qui lui avait été désignée comme nouvelle subalterne, Kanon se dit que Saga avait été plutôt bien avisé pour une fois. La jeune femme était tout à fait à son goût, et paraissait d'une compagnie des plus agréables. Mais… elle n'avait pas des muscles en acier ni un regard à vous donner envie de brûler en Enfer jusqu'à la fin des temps. Et merde ! Fichue Wyverne à la plastique scandaleusement tentatrice !

L'ancien Marina se mordit l'intérieur des joues en pestant contre lui-même et contre sa nouvelle obsession. Il devait trouver quelque chose pour se distraire. Une réflexion philosophique, un calcul ésotérique. Une idée à la noix. Un truc, n'importe quoi. Il songea un instant engager la conversation avec Shura, mais le coup d'œil incendiaire que ce dernier lui jeta lorsqu'il fit mine de vouloir lui reprendre sa bouteille l'en dissuada. Et c'est alors que le Grec se mit à chanter.

« Mince, Kanon, c'est pas parce que Camus et Hyoga ont allumé un feu que tu dois te sentir obligé de jouer des cordes vocales ! protesta Aphrodite.

- Ben quoi ? J'ai plutôt un bel organe ! Et pis, c'est pas moi qu'ai eu l'idée ! C'est bébé phoque ! se défendit le choriste.

- Qui ça ?

- Personne, laisse tomber !

- Cela dit, intervint le Cygne qui s'était visiblement reconnu dans les propos du Gémeaux, Kanon n'a peut-être pas une mauvaise idée. Nous pourrions chanter tous ensemble. Après tout, c'est un peu la tradition autour d'un feu de camp.

- Certainement pas ! rétorqua le Poissons. On n'est pas en colonie !

- Et puis, pour une fois que Dohko n'est pas là, on ne va tout de même pas lui voler la vedette, poursuivit Misty qui n'avait aucune envie de pousser la chansonnette.

- Vous êtes qu'une bande de mous du g'noux !

- Je ne vois pas le rapport, Kanon ! s'offusqua Aphrodite. Et pour ta gouverne, mes genoux ne souffrent d'aucun défaut, comme tout le reste de mon anatomie ( ndla : Non mais ! ).

- Et si on jouait plutôt à quelque chose ? proposa Seiya de Pégase qui commençait à s'ennuyer.

- Oh oui, bonne idée ! s'enthousiasma le chevalier d'Andromède. Pourquoi pas à Action ou Vérité ?

- Ça pourrait être intéressant, en effet, approuva Misty qui anticipait déjà le potentiel de ce genre de démarches étant donné l'heure tardive et la quantité d'alcool ingurgitée par certains.

- Pourquoi pas ? obtempéra Aphrodite. Mais nous devons tous participer !

- Hors de question, déclara simplement le Verseau.

- Allez, mon maître, on va bien s'amuser !

- Hyoga, j'ai dit non !

- Pourquoi ? T'as des choses à cacher, l'manchot porteur de cruche ?!

- Non, Kanon. Et pour ta culture personnelle, sache que la Sibérie se trouvant au niveau du cercle polaire arctique, on n'y croise aucun manchot, mais seulement des pingouins.

- Roh, Camus ! Mais t'essaies de faire de l'humour ! Tu devrais picoler plus souvent ! ironisa le Gémeaux.

- Bon mais alors, on joue oui ou non ?! s'impatienta le Poissons. Shura, je suppose que toi non plus, tu ne souhaites pas te joindre à notre petite activité ?

- Tu supposes bien, en effet », confirma le Capricorne en buvant une nouvelle gorgée de whisky.

Le jeu débuta aussitôt et contraignit certains à divulguer plusieurs détails croustillants. Hyoga révéla ainsi qu'Isaak et lui avaient parfois eu l'audace de verser un filet de vodka dans la tisane de leur maître afin de profiter d'un repos nocturne significativement plus long. Camus s'indigna du comportement de ses disciples, mais ne put s'empêcher de culpabiliser un peu en se disant que la sévérité de son enseignement les avait poussés à user de ce genre de stratagèmes.

Seiya préféra l'action à chaque fois que son tour vint, ce qui le conduisit à exécuter tout un tas de gages aussi originaux que ridicules. Cela dit, l'imitation de Shion qu'il fut amené à réaliser resterait probablement un certain temps dans les annales, ne serait-ce que pour mentionner les deux bigorneaux qu'il avait eu l'idée de se coller sur le front pour figurer les points de vie popaux.

Shun opta pour un fin dosage d'actions et de révélations qui ne le mirent à aucun moment dans l'embarras, au même titre que June et Geist qui eurent l'intelligence de trouver comment botter en touche la plupart du temps.

Kanon eut la langue bien pendue même si aucun des mots qui sortirent de sa bouche ne contenait la moindre once de vérité. Et Aphrodite et Misty ne dévoilèrent rien de véritablement compromettant. En même temps, ces deux-là n'avaient plus vraiment quoi que ce fût à cacher.

Au bout d'une heure de jeu, la majorité des présents commença à bâiller ou à carrément piquer du nez, et tous décidèrent de reprendre la direction du camping.

Tous à l'exception de deux chevaliers qui restèrent assis sans bouger, les yeux rivés sur l'océan.

« Tu rentres pas avec les autres ? questionna Shura en tirant sur la cigarette qu'il venait de porter à sa bouche.

- Non, répondit Camus sans élaborer.

- Pas envie de dormir ?

- Pas envie de rêver ».

Shura s'accorda quelques secondes supplémentaires pour assouvir son vice avant d'écraser son mégot dans le sable à ses pieds. Il en déposa les restes dans le paquet vide qu'il gardait spécialement à cet effet - hors de question pour lui d'encombrer la plage avec davantage de déchets. Puis il but une nouvelle gorgée de whisky, Kanon ayant fait preuve de suffisamment de mansuétude pour ne pas vouloir rapporter sa seconde bouteille avec lui.

« C'est pas facile, hein.

- Je ne vois pas de quoi tu parles ».

Le Capricorne tourna la tête dans la direction du Verseau qui scrutait toujours les vagues sans bouger, mais le frémissement qu'il put déceler dans son cosmos lui fit comprendre que ce dernier savait exactement à quoi il venait de faire référence.

« Je sais pas pour toi, poursuivit Shura, mais en ce qui me concerne, le plus dur c'est de faire comme si je ressentais rien. De faire comme si j'en avais rien à foutre de le voir toucher quelqu'un d'autre, alors que j'en crève de l'intérieur.

- Question d'habitude. Crois-en mon expérience. »

Camus finit par détourner les yeux de l'océan pour affronter le regard de Shura qui sous la pâleur de la lune lui parut encore plus sombre que d'habitude.

« Ça fait longtemps ?

- Que quoi ?

- Que tu as compris. Pour moi.

- Après la mort de Shaka. Lorsqu'on a affronté Mû, Milo et Aiolia. Camus, à ce moment-là, ta souffrance m'a renvoyé la mienne en plein visage.

- Pourtant moi, je n'ai rien remarqué cette nuit-là. A ton sujet.

- Je voudrais surtout pas te vexer, mais il me semble que t'as jamais été particulièrement doué en ce qui concerne l'analyse des sentiments humains.

- Touché, concéda le Verseau.

- Mais rassure-toi, j'en ai parlé à personne, si jamais tu te poses la question.

- Merci pour ta discrétion. Et toi, quelqu'un d'autre est au courant ?

- Je sais qu'Aphrodite a compris, mais il fait comme s'il ne savait rien. C'est un type bien, tu sais, en plus d'être un chevalier infiniment perspicace.

- Je n'en ai presque jamais douté.

- Et toi alors ? Camus, comment tu fais pour gérer ?

- Je ne gère pas, justement. Et je peux même ajouter, puisque nous semblons avoir engagé une conversation franche et sans détour, que je m'enfonce chaque jour un peu plus.

- Que veux-tu dire par-là ? »

Camus bascula la tête en arrière pour contempler les étoiles, même s'il avait depuis longtemps abandonné l'idée de pouvoir y trouver des réponses. Il regrettait déjà les mots qu'il venait de prononcer. A moins que cette discussion ne fût précisément ce dont il avait besoin.

Il expira profondément, se redressa vers l'avant, puis tendit le bras vers Shura pour lui emprunter sa bouteille. Le whisky, il avait ça en horreur, mais au point où il en était ce n'était plus qu'un malheureux détail sans importance. Il en but plusieurs gorgées, avant de reprendre la parole d'une voix blanche en replongeant les yeux vers l'océan.

« Le pire, pour moi, ce sont mes rêves. Chaque nuit, je peux sentir ses mains qui me touchent et ses lèvres qui m'effleurent. Je peux sentir son odeur, la chaleur de sa peau, le souffle de sa bouche dans mon cou. Et chaque matin, je crois devenir fou. Parce que même après avoir ouvert les yeux, mon corps croit qu'il est toujours là. Avec moi, contre moi, en moi. Et je ne contrôle plus rien. Parce que je me sens vivant. Parce que j'oublie tout le reste. Et parce que… c'est tellement bon. »

Camus abaissa ses paupières dans une tentative absurde d'effacer son trouble et sa gêne. Ses paroles lui brûlaient la gorge et ravivaient des sentiments contre lesquels il ne se sentait plus capable de lutter.

« Camus…

- Non, Shura, ne dis rien. Je n'ai pas envie de t'entendre me juger.

- J'en ai pas l'intention. Et puis, comment est-ce que je le pourrais ? Perso, ce que tu vis, je le supporte au quotidien. Dès que je vois Angelo… Tellement d'images se bousculent dans ma tête. Merde, je peux même pas te dire ce que je m'imagine faire avec lui ! Fichu désir à la con !

- Le désir est l'essence même de l'homme. L'effort par lequel il s'efforce de persévérer dans son être.

- Elle est bien bonne celle-là ! Tu l'as sortie d'où ?

- Spinoza. J'ai essayé de trouver des réponses.

- Et alors ? Satisfait ?

- Non.

- Donc j'en reviens à ce que je disais tout à l'heure : c'est pas facile.

- Je crains de ne plus être en mesure de te contredire, Shura.

- Écoute, c'est déjà ça. Et je peux te poser une question ?

- Je t'en prie.

- Pourquoi tu dis rien à Milo ?

- Et toi, pourquoi tu ne dis rien à Angelo ?

- Parce que j'en ai ni la force ni le courage. Et qu'accessoirement, il est cent pour cent hétéro.

- Tu en as déjà parlé avec lui ?

- De son orientation sexuelle ? Non. Enfin, disons qu'on n'a jamais directement abordé le sujet.

- Alors, comment tu peux paraître à ce point convaincu ?

- J'en sais rien. Et puis est-ce que ça changerait vraiment quelque chose au final ? C'est mon meilleur pote, un frère d'arme ayant accepté de vouer sa vie à la protection d'Athéna et de l'Humanité. Et non, je te laisserai pas faire le moindre commentaire sur ce point.

- Loin de moi cette idée.

- Enfin tout ça pour dire qu'hétéro ou non, finalement ça n'a pas beaucoup d'importance. Je devrais pas ressentir tout ce que je ressens pour lui. Point barre. C'est pas la même chose pour toi ?

- Si, partiellement.

- Comment ça, partiellement ?

- Tout ce que tu viens de décrire fait écho à ma propre situation, bien entendu. Sauf que dans mon cas, j'ai au moins une certitude de plus : Milo ne m'aime pas.

- Il faut toujours se méfier de nos certitudes, Camus.

- Et c'est toi qui dis ça ?

- Écoute, ces cinq dernières années m'ont conduit à revoir un peu certaines de mes convictions, justement.

- Lesquelles ?

- Déjà, le sens même de notre existence. Des protecteurs en armure sans plus personne à protéger ça porte à s'interroger sur l'intérêt de nos petites vies.

- Il nous reste encore nos idéaux. Et n'oublie pas le palmarès des Tongs d'Or !

- Camus ! Tu sais que t'es pas désagréable quand tu picoles un peu !

- Il paraît.

- Alors fais-toi plaisir ! Ce soir, c'est Kanon qui régale ! »

L'Espagnol désigna la bouteille de whisky au Français qui se résigna à la porter une nouvelle fois à sa bouche. Puis il la rendit à son vis-à-vis qui se donna la peine de la terminer. Les deux chevaliers restèrent ensuite un long moment sans parler, avec le bruit des vagues comme seul point d'ancrage dans la réalité.

Camus cligna des paupières avant de passer une main lasse sur son visage. Les mots que Shura et lui venaient d'échanger se bousculaient dans sa tête. Rien de tout cela n'était facile. Le Capricorne avait raison. Et si son homologue semblait à ce point avisé, peut-être pourrait-il apporter des éléments de réponses à certaines de ses propres interrogations ?

« Shura, je peux te poser une question à mon tour ?

- Évidemment.

- Comment tu fais pour canaliser tes sentiments ? Pour contenir les effets que ceux-ci exercent sur ta psyché et sur ton intégrité physique ? Pour évacuer les tensions qu'ils entraînent ?

- J'essaie de trouver des partenaires consentants. »

Devant l'absence de réaction du Verseau, le Capricorne jugea opportun de préciser son propos.

« Je baise, quoi.

- J'avais compris.

- Et toi ?

- Je me débrouille.

- Tout seul ?

- La plupart du temps. Je te rappelle que je n'ai jamais été très doué pour les interactions sociales, quelles qu'elles soient.

- Oui, mais tout de même ! Merde, Camus, ça fait combien de temps que t'as pas tiré un coup ?

- Suffisamment longtemps pour préférer ne pas apporter de réponse à ta question.

- J'en suis désolé.

- Ce n'est pas nécessaire. Et puis de toute façon, je ne sais pas si cela m'apporterait une forme quelconque de soulagement.

- Si, si, je te jure !

- Shura, tu comprends pas. C'est Milo que je veux. Et personne d'autre.

- Je comprends parfaitement, au contraire ! Mais Camus, tu peux pas continuer comme ça. Enfin, après tout ce que tu viens de me dire, il me semble évident que le choix de l'abstinence totale ne te convient plus vraiment. Faut que tu te trouves quelqu'un.

- Tu te portes volontaire ?

- Que dices ?!

- Rien du tout, oublie. Nouvelle piteuse tentative humoristique. Le whisky ne m'aide pas à peaufiner mon style.

- Tentative très réussie, au contraire ! Tu m'as pris au dépourvu, c'est tout. Mais sinon, oui.

- Oui quoi ?

- Après tout pourquoi pas ?

- Pourquoi pas quoi ? insista le Verseau qui craignait d'avoir parfaitement compris.

- On est dans la même merde tous les deux. On a les mêmes frustrations, les mêmes envies. Les mêmes besoins.

- On a surtout bu plus que de raison ! Shura, réfléchis un peu… Ça ne serait définitivement pas une bonne idée.

- Réfléchir ? Justement, je crois que j'en ai ma claque de réfléchir ! Je sais pas si c'est l'alcool, notre discussion ou le bruit des vagues, tiens. Ouais rien à voir, mais avoue quand même que ce bruit de va-et-vient incessant s'incruste facilement dans la tête.

- Certes, agréa le Verseau.

- Et puis franchement, qu'est-ce qu'on risque ? On n'est même pas vraiment amis. Enfin c'est vrai quoi, avant cette nuit, on n'avait jamais pris la peine de discuter tous les deux.

- Ce qui était probablement une erreur. Converser avec toi m'a été une expérience des plus agréables.

- Merci ! Alors tu vois ! Camus, on n'a rien à perdre. Au pire, demain on fera comme s'il s'était rien passé. Après tout, toi et moi on a l'habitude d'occulter certains aspects de nos vies, non ?

- C'est juste, Shura. Mais… »

Camus ne put terminer sa phrase car Shura venait de prendre son visage entre ses mains, son regard attestant de toute la conviction qu'il semblait vouloir placer dans son geste. Le Verseau remarqua alors que le Capricorne avait des yeux en amande que ses longs cils rendaient particulièrement hypnotiques. A moins que cette impression ne provînt des trop nombreuses gorgées d'alcool qu'il avait eu la faiblesse d'accepter de consommer ? Mais que cet effet fût artificiel ou simplement conjoncturel, il demeurait infiniment réel, et Camus ne réagit donc pas lorsque Shura commença à l'embrasser.

Le contact de ses lèvres sur les siennes lui parut tout d'abord singulier, puis une vague de sensations inattendues se répandit le long de sa colonne. Ce baiser, Camus croyait ne pas en avoir envie, mais son corps était en train de lui faire comprendre à quel point il avait tout faux.

Shura dégagea ses mains de la mâchoire de Camus puis s'écarta de lui tant pour reprendre son souffle que pour s'accorder un instant de réflexion. Après tout, il n'était pas à l'abri d'avoir commis une profonde erreur de jugement. Son vis-à-vis l'observait sans bouger et sans la moindre expression sur son visage. Shura connaissait l'impassibilité légendaire du Français, mais ce manque total de réaction avait tout de même de quoi déstabiliser. Pourtant, la sensation n'avait pas été désagréable. Cette bouche, même si elle n'était pas celle qu'il rêvait de voir dévorer sa peau, présentait une saveur acceptable malgré tout. Shura passa sa langue sur ses lèvres pour la goûter à nouveau, mais fut interrompu dans son analyse par les lèvres du Verseau.

Le Verseau qui venait d'accepter les arguments du Capricorne. Il ne pouvait pas continuer comme ça, à se convaincre qu'il ne ressentait rien, à ignorer ce que son corps lui répétait inlassablement depuis des mois, depuis des années. Persister dans la voie qu'il pensait avoir choisie ne le menait nulle part et ne rimait à rien, même si en prendre pleinement conscience aujourd'hui lui vrillait les entrailles. Parce qu'accepter ce qui lui semblait maintenant être une évidence revenait à tirer définitivement un trait sur ce qu'il avait encore envie de croire possible.

Mais à cet instant, tandis que Shura le regardait comme personne ne l'avait plus regardé depuis longtemps, Camus comprit qu'il avait besoin d'autre chose. Il devait arrêter de réfléchir, s'abandonner à ce qu'il cherchait à taire depuis trop longtemps. Et surtout, il voulait oublier, lâcher prise, pour tenter de vivre à nouveau.

Alors Camus reprit les lèvres de Shura pour prolonger leur baiser, et la raison du Verseau céda pour de bon à la force de conviction du Capricorne lorsque ce dernier le tira en arrière pour l'étendre sur le sable avec lui.

A une centaine de mètres de là, un chevalier s'arrêta subitement de marcher, foudroyé par une douleur insupportable qui venait de frapper sa poitrine. Milo regardait droit devant lui, sans croire à ce que ses yeux ne voulaient pas voir. Il aurait aimé pouvoir se convaincre qu'il était en train de faire erreur, que dans l'obscurité, il était facile de prendre une personne pour une autre. Mais il n'en fut pas capable, car la souffrance ravageait déjà son cœur dont il ne resterait bientôt plus rien.

Il était venu sur la plage avec celle qui l'avait choisi pour terminer la nuit. Une idée de la jeune femme qui n'avait pas déplu au Scorpion, le sable pouvant procurer d'intéressantes sensations. Et puis il avait vu ses camarades revenir au camping une demi-heure plus tôt tandis qu'il rangeait ses platines, alors il savait qu'ils ne pourraient choquer personne ni être dérangés. Sauf que le Grec avait clairement manqué de perspicacité. Deux chevaliers n'étaient pas rentrés. Deux chevaliers étaient restés sur la plage. Deux chevaliers qui s'allongeaient maintenant sur le sol sans cesser de s'embrasser.

Milo cligna des paupières et laissa échapper un sourire en songeant que pour une fois, Camus acceptait de lui donner raison. Il ne s'intéressait pas à lui comme lui l'aurait voulu et il ne l'aimait pas. Par contre, même dans cette situation, le Verseau trouvait encore le moyen de le contredire un peu. Camus n'ignorait rien du désir amoureux. Il avait simplement choisi de le porter sur quelqu'un d'autre que lui. Finalement Milo en était heureux car rien ne comptait plus à ses yeux que le bonheur de son meilleur ami. Mais Shura avait intérêt à comprendre à quel point il était chanceux.

Milo serra les doigts de sa compagne entre les siens et lui murmura à l'oreille que d'autres avaient visiblement eu la même idée avant eux. Ils quittèrent alors la plage et retournèrent au camping en restant silencieux. Le Scorpion raccompagna la jeune femme devant l'entrée de sa tente, puis déposa un baiser sur ses lèvres avant de lui souhaiter de passer une bonne nuit. Celle-ci ne put s'empêcher de se sentir déçue mais comprit qu'il était inutile pour elle d'insister. Ce soir, son beau DJ ne l'aimerait pas parce que ce soir, son beau DJ était profondément malheureux.


A suivre…

Merci de m'avoir lue.

Référence pour le titre du chapitre 12 : Freed From Desire , Gala, 1996.

Et non, ce choix n'a strictement rien à voir avec la Coupe du Monde de foot. Et c'est la vérité vraie en plus ! Car pour celles et ceux qui l'auraient oublié ou qui ne l'auraient jamais su, ce tube des 90's était devenu l'hymne des Bleus pendant le Mondial 2022 au Qatar.

Chapter 13: Lovefool

Notes:

Bonjour,

/! Rappel !\ Cette histoire est classée E pour les raisons suivantes : un langage assez peu châtié et la possible mention ou l'éventuelle description d'actes sexuels explicites (principalement yaoi) dans certains chapitres (sans parler du fait que les protagonistes font plein de choses mauvaises pour la santé comme fumer, picoler et manger trop gras, trop salé, trop sucré).

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais pour le reste : j'aimerais bien savoir qui me met toutes ces idées à la noix dans la tête !

Bonne lecture.

Chapter Text

Quatre jours plus tard, aux abords du même terrain de football, toujours quelque part dans les Landes

Albérich de Megrez était furieux. Il ne s'était pas senti envahi par une telle rage depuis que l'autre hippie au tatouage de dragon avait fait voler en éclats ses projets de gloire et de domination juste en se foutant à poil ( ndla : je décline toute responsabilité quant à la validité de cette analyse concernant la conclusion de l'affrontement entre le guerrier de Delta et le chevalier du Dragon ; cela dit, les combats de Shiryu n'ont-ils pas tous terminé ainsi ? Eh ben si ). Il balança son maillot qu'il ne pouvait de toute façon plus voir en peinture à la figure de Baian qui le regarda avec des yeux de merlan frit, et sortit du vestiaire en claquant la porte derrière lui.

Deux - zéro ! Ils avaient perdu leur demi-finale sur un score sans appel et sans être parvenus à inquiéter leurs adversaires à aucun moment de la partie. Pourtant Albérich croyait avoir tout prévu. Il connaissait la stratégie de ses opposants sur le bout des doigts, maîtrisait leur positionnement à la perfection. Mais cela n'avait servi à rien. Pourquoi ? Parce que le traître repenti et ses fichus acolytes zodiacaux avaient joué de manière complètement improvisée sans obéir au moindre schéma tactique. Ajoutés à cela un manque cruel de combativité de la part de ses coéquipiers et une absence totale de rigueur en défense, et la catastrophe devenait quasiment inéluctable.

Le Lion, pourtant loin d'être dans un état de forme optimal, avait profité d'une erreur de marquage pour ouvrir le score à la demi-heure de jeu, et le but du Capricorne dans les dernières minutes du temps réglementaire était venu anéantir leurs tous derniers espoirs d'égalisation.

Donc même si le reconnaître lui donnait envie de transformer chacun de ses prétendus camarades en statues d'améthyste contre lesquelles il aurait été ravi de déchaîner sa rage, Albérich ne pouvait le nier : les chevaliers du Sanctuaire leur avaient donné une leçon de football et leur avaient infligé une défaite nette et sans bavures. Enfin s'il faisait abstraction des nombreux tacles, coups de coude et autres cisaillages éhontés dont il avait été la victime. Sans parler des regards meurtriers que certains lui avaient jetés depuis les gradins. S'il n'avait pas été certain d'avoir fait preuve de la plus grande discrétion pour introduire son espion dans les rangs du Zodiaque, Albérich aurait pu croire que les protecteurs d'Athéna soupçonnaient quelque chose. A moins qu'il eût été trahi par son propre infiltré ? Une question à laquelle l'héritier de la grande famille de Megrez ne manquerait pas de trouver une réponse, car un esprit aussi vif et affûté que le sien ne pouvait accepter ne serait-ce que l'idée d'avoir été l'objet d'une vulgaire entourloupe.

En atteignant le coin du bâtiment délabré dans lequel les imbéciles qui lui avaient servi de coéquipiers s'interrogeaient toujours sur les raisons de leur défaite, Albérich tomba nez à nez avec le guerrier d'Êta. Les bras croisés sur la poitrine et le dos appuyé contre le mur derrière lui, celui qui n'avait pas souhaité prendre part à leur petite joute footballistique le considérait en silence avec un sourire narquois.

« Garde tes sarcasmes pour toi, Benetnash ! », lança l'énervé à l'encontre de son compatriote avant même que ce dernier n'eût ouvert la bouche.

Le concerné ne répondit pas et se contenta de regarder Albérich s'éloigner sans se départir de son sourire. Et il souriait encore lorsque Sorrento fit irruption devant lui.

« Ne t'inquiète pas, mon ami, déclara l'Asgardien d'une voix tranquille. Albérich est peut-être en colère et profondément vexé, mais il est bien trop intelligent pour vouloir provoquer les chevaliers d'Athéna encore davantage. Il va déferler sa rage contre une douzaine de pauvres branches, et après, il se sentira mieux.

- Si tu le dis. Après tout, tu le connais mieux que moi, reconnut la Sirène.

- Et puis, je crois qu'il a compris que titiller l'ire de nos anciens ennemis n'était pas dans son intérêt s'il souhaitait profiter de quelques années de vie supplémentaires.

- Il est vrai que les tacles du Cancer et du Phoenix n'ont laissé la place qu'à bien peu d'ambiguïté.

- Certes, approuva le guerrier Divin. Toutefois, ces actes de représailles vengeresses demeuraient dans le cours du jeu, si je puis m'exprimer ainsi. Mais personnellement, je ne pense pas que ce soit cela qui incite le plus Albérich à la pondération.

- A quoi songes-tu, Mime ?

- Comme je n'étais pas sur le terrain avec vous, j'ai pu étudier en détail les comportements des uns et des autres, et il m'a paru évident que certains parmi la garde rapprochée d'Athéna ne portaient pas mon cher concitoyen dans leur cœur.

- Comme qui ? s'enquit l'Autrichien.

- Saga des Gémeaux, pour ne citer que lui. Je pense qu'il pourrait l'étrangler de ses mains.

- A ce point ? ajouta le Marina en étouffant un rire.

- Oui, Sorrento, à ce point. Mais Saga est lui aussi un homme intelligent, donc Albérich devrait pouvoir survivre.

- Espérons-le. Car je ne peux nier que même si ton ami - pardon, ton compatriote, se corrigea aussitôt la Sirène - est un peu caractériel, il est devenu un maillon essentiel au bon fonctionnement du Poséidon, et j'aimerais autant ne pas avoir à me passer de ses services.

- Alors souhaitons que l'aîné des Gémeaux parvienne à contenir ses élans destructeurs. Cela dit, je ne suis pas inquiet. Saga donne l'impression d'avoir définitivement abandonné son côté le plus obscur ( ndla : Dark Vador, sors de ce corps ! ).

- Il semblerait en effet que le passage par le Royaume d'Hadès ait eu un impact plutôt bénéfique sur les protecteurs de la Déesse les plus impulsifs, poursuivit le Général. Pour preuve, Kanon a su rester de marbre face aux provocations d'Isaak qui ne l'a pourtant pas épargné tout au long de la partie, ce dont je me réjouis.

- Aurais-tu pardonné à celui qui a trahi ton Dieu ? s'étonna le guerrier d'Êta.

- Certainement pas. Kanon a cessé d'exister pour moi depuis longtemps, et le fait de le côtoyer à nouveau aujourd'hui n'y change rien. Non, c'est le sort d'Isaak qui me préoccupe. J'aimerais qu'il parvienne à tourner la page et à alléger son cœur de la colère qui le ronge. Voilà tout.

- Je comprends, approuva l'Asgardien. Mais sinon, et afin de s'éloigner de ce sujet qui, je le sens, imprègne un parfum de tristesse dans ton aura bienveillante, as-tu pu apprécier la partie que vous avez disputée malgré la défaite ?

- Disons que cela m'a dégourdi les jambes. Et toi, la prestation que nous avons délivrée a-t-elle été à ton goût ?

- Tu sais que le football n'éveille en moi qu'une profonde indifférence. Néanmoins, certains détails m'ont tout de même paru intéressants à relever.

- Puis-je me permettre de te demander lesquels ? interrogea la Sirène.

- Bien entendu. Tu sais que je n'ai presque plus aucun secret pour toi, précisa Mime en décroisant les bras.

- Certes, mais poursuis, je t'en prie.

- Aurais-je suscité ton intérêt ?

- Toujours, Mime. Alors ?

- Eh bien, en observant attentivement le comportement des chevaliers d'Athéna sur le terrain et en sondant leurs cosmos endormis, j'ai pu déceler une certaine forme de tension chez plusieurs d'entre eux.

- Vraiment ? Pourtant j'ai trouvé nos adversaires particulièrement soudés.

- Sorrento, je ne fais pas référence à ce genre de tension , précisa le blond vénitien en s'écartant du mur derrière lui.

- Mime, sous-entendrais-tu que certains seraient… amants ?

- Non. Ce que je sous-entends c'est que certains aimeraient bien le devenir ou prolonger leur affrontement avec certains de leurs adversaires.

- Vraiment ? Alors tu te doutes probablement de la nature de ma prochaine question.

- Qui sont les chevaliers concernés ?

- Évidemment.

- Shura du Capricorne, Angelo du Cancer et Milo du Scorpion. Ah et ton ami le Dragon des Mers, aussi.

- Mime, s'il te plaît ! Ne te montre pas désagréable, le coupa le protecteur de l'Atlantique Sud.

- Pardon. Et Kanon des Gémeaux, se reprit le fautif.

- Intéressant, en effet. Et sur qui ceux que tu viens de nommer auraient-ils jeté leur dévolu ?

- Cela, vois-tu, c'est une information que je préfère garder pour moi.

- En es-tu sûr ? Tu sais pourtant que si je le souhaite, je pourrai trouver le moyen de te faire parler, murmura l'Autrichien en s'approchant du guerrier Divin.

- Et c'est précisément pour cette raison que je préfère ne pas dévoiler toutes mes cartes aujourd'hui, rétorqua Mime en stoppant le rapprochement de son vis-à-vis d'une main autoritaire plaquée contre sa poitrine.

- Dois-je comprendre qu'il faudra que je patiente un peu avant de pouvoir assouvir ma curiosité ?

- Exactement.

- Mais pas trop longtemps non plus, j'espère ? Car il ne serait pas impossible que je reporte mon attention sur un autre sujet.

- Tiens donc ! Et puis-je savoir lequel ? s'étonna le défenseur d'Odin sur un ton plus sec que ce qu'il aurait voulu.

- Oh mais y-aurait-il une très légère pointe de jalousie dissimulée dans ta question, Mime ?

- Absolument pas. De la curiosité tout au plus. A chacun son tour de jouer les inquisiteurs, Sorrento.

- Je vois. Dans ce cas, et pour satisfaire en partie à ta requête, sache que j'ai été ravi de revoir aujourd'hui celui que nous avons tous les deux jadis combattu.

- Shun d'Andromède, le coupa le guerrier d'Êta.

- Oui, Shun d'Andromède, approuva le Marina.

- Et alors, quelle impression notre ancien adversaire t'a-t-il laissée ?

- Cela, vois-tu, c'est une information que je préfère garder pour moi » déclara la Sirène avec un sourire amusé sur les lèvres.


Une heure plus tard, dans les gradins du même terrain de football

Après un passage rapide par les douches où il avait célébré la victoire avec ses coéquipiers en feignant enthousiasme et allégresse, Milo avait pris place dans les tribunes pour assister à la seconde demi-finale de la Champions League . Les coudes posés sur les cuisses et le menton calé dans le creux de ses mains, il observait ses camarades sans vraiment les voir, toute son attention n'étant dirigée que sur l'un d'entre eux. Camus du Verseau, qui offrait une prestation tout à fait satisfaisante au milieu du terrain, même si Milo n'en avait en réalité strictement rien à faire.

Car depuis l'autre nuit, le Scorpion n'avait qu'une seule image en tête lorsqu'il observait son ami, et à vrai dire, à chaque fois qu'il fermait les yeux. Shura et Camus en train de s'embrasser. Shura et Camus en train de retirer leurs vêtements. Shura et Camus en train de faire l'amour. Il s'infligeait même la torture de s'imaginer la scène avec précision. La bouche du Capricorne parcourant la peau du Verseau, leurs doigts se caressant tour à tour pour finir entrelacés, leurs deux corps n'en faisant plus qu'un. Et Camus mordant l'épaule de Shura pour ne pas crier son nom.

Milo passa une main sur son visage pour tenter d'effacer la vision qui incrustait ses rétines. Peine perdue. Pourquoi son cerveau s'acharnait-il à vouloir lui imposer tout ça ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement accepter la réalité sans avoir à s'en représenter les moindres détails ?

Pourquoi Camus était-il tombé amoureux d'un autre que lui ?

Parce que Camus était forcément tombé amoureux. Il ne pouvait en être autrement. Parce que le Verseau n'était pas comme lui. A vouloir s'envoyer en l'air avec n'importe qui juste pour se perdre dans l'oubli et prendre son pied. Car c'était bien aussi de cela qu'il était question. Malgré tous ses défauts, Milo ne pouvait pas avoir le culot de le nier. Il aimait coucher avec toutes ces femmes – et ces hommes quelques fois – parce qu'il aimait le sexe. Étreindre, toucher, caresser, trembler, prendre du plaisir et en donner. Ces instants d'abandon qui lui donnaient l'illusion d'avoir envie d'exister. Mais Camus était différent. Alors Camus était forcément amoureux.

Milo aurait voulu se contenter d'être heureux pour son ami. Il aurait voulu ne pas avoir la faiblesse de se montrer jaloux. Sauf qu'il n'en était pas capable. Pourquoi Camus avait-il choisi le Capricorne à sa place ? Qu'est-ce que l'Espagnol avait de plus que lui ? Une culture générale plus développée ? Davantage de conversation ? Un meilleur sens de l'humour ?( ndla : un plus gros... non, pardon, j'ai rien dit ! mais avouez que vous y aviez pensé vous aussi ! non ? ) Ils n'étaient même pas amis, ne se fréquentaient pas, n'avaient jamais rien partagé tous les deux. Enfin, à l'exception de cette nuit-là.

D'ailleurs, c'était peut-être là que tout avait commencé ? Mais oui. A présent, cela lui paraissait même tellement évident. Camus et Shura étaient amants depuis longtemps. Une quasi certitude qui permettait d'expliquer tant de choses. La distance que Camus avait placée entre eux depuis leur retour à la vie. Leur incapacité à retrouver ce qu'ils avaient pourtant partagé pendant des années. Pendant toute leur existence. L'indifférence de Camus lorsqu'il l'avait embrassé à Paris et la rapidité avec laquelle il semblait l'avoir oublié.

Comment avait-il pu être aveugle à ce point ? Parce qu'il était trop amoureux lui-même pour ne pas voir ? Ou parce qu'il n'était tout simplement qu'un idiot ?

Milo se frotta une nouvelle fois le visage pour essayer de se calmer. Il se connaissait suffisamment pour savoir qu'il en avait besoin. Car s'il ne faisait rien, cette colère sourde qu'il sentait monter en lui donnerait bientôt à ses yeux une teinte qui ne pourrait que lui apporter des ennuis. Alors il devait trouver une distraction pour se changer les idées. Trouver quelqu'un avec qui parler et qui serait capable de supporter voire d'apprécier ses babillages sans importance. Bref, il avait besoin de Kanon.

Un rapide coup d'œil sur sa gauche l'incita à se lever brusquement. Trop plongé dans ses pensées, il n'avait pas remarqué qu'Angelo et Shura s'étaient installés à ses côtés. Shura qui fixait le terrain sans parler, les yeux rivés sur Camus, évidemment. Probablement à songer à ce qu'ils avaient fait l'autre nuit, et à ce qu'ils referaient encore et encore.

Milo resta un instant debout sans bouger, les poings serrés pour ne pas être tenté de titiller son index. Une immobilité qui provoqua un flot de protestations de la part d'Aiolia et de Marine qui se trouvaient assis juste derrière lui. Parce qu'un mètre quatre-vingt cinq et un peu plus de quatre-vingt-dix kilos ( ndla : ben oui, la muscu, le nutella, tout ça… ), ça ne passaient pas vraiment inaperçus non plus. Il s'excusa d'un vague mouvement de main tout en cherchant Kanon du regard. Et heureusement pour lui, il le repéra juste trois rangées plus bas.

Il entreprit de le rejoindre aussitôt, en demandant pardon à tous ceux que son déplacement impromptu obligea à se lever. Une fois à destination, il s'incrusta entre le Gémeaux et le gars qu'il n'avait jamais vu et qui était assis à côté de lui. Enfin, à bien le regarder, le Scorpion se fit la réflexion que ce visage assez disgracieux lui disait peut-être vaguement quelque chose. Et c'est lorsque l'inconnu ouvrit la bouche pour protester contre l'intrusion qui le forçait à bouger, que Milo le reconnut. Des dents aussi pointues, il n'en avait vues qu'une seule fois, en la personne de Caça des Lyumnades, défenseur du Pilier de l'Océan Arctique et grand manipulateur mental de son état.

Une fois confortablement assis, Milo s'étonna du manque de réaction de Kanon à son arrivée. Celui-ci semblait totalement absorbé par le match de football qui se jouait quelques mètres plus bas. Le Scorpion ne s'en offusqua pas. Après tout, son ami et capitaine s'était particulièrement investi dans l'organisation de ce tournoi. Il n'était donc pas surprenant qu'il se prît de passion pour la partie dont l'issue désignerait le nom de leur futur adversaire en finale. Mais bon, que Kanon regardât les joueurs évoluer avec un tel degré de concentration avait tout de même de quoi déconcerter. Et puis la bouche ouverte et ce regard niais, c'était pour quoi ? Non, quelque chose ne tournait pas rond.

OoOooOoO

Ce ballon qui roulait sur la pelouse exerçait sur lui un pouvoir hypnotique. Cette balle aux motifs pentagonaux qui passait de pieds en pieds, effleurant parfois une tête ou une poitrine, c'était tout de même vachement… Non en réalité, Kanon n'en avait strictement rien à faire de ce maudit ballon noir et blanc. Parce que depuis le coup de sifflet arbitral ayant lancé le début de la partie, une seule chose présentait un intérêt à ses yeux : Rhadamanthe de la Wyverne et la manière dont son short moulait son fessier.

Merde.

Il était vraiment dans la merde.

Et tout ça pour un pauvre petit baiser de rien du tout. A peine de quoi remuer un cœur de midinette.

Bon, OK, peut-être plus une bonne grosse pelle du genre de celle à vous faire rouler les yeux dans les orbites. Au point où il en était, autant accepter de voir la vérité en face. Si l'on pouvait à la rigueur encore débattre concernant l'identité de celui qui avait remporté leur premier affrontement, enfin à condition d'avoir une tendance certaine à la mauvaise foi, il n'y avait aucune raison de tergiverser aujourd'hui. Round two : Wyverne wins. Une victoire tellement écrasante que Kanon se surprenait déjà à imaginer le scénario de leur prochaine confrontation. Un scénario qui impliquait le mur d'un vestiaire, son corps plaqué contre ce dernier, et une paire de mains se faufilant entre ses …

« Par la Déesse, Kanon, t'es sourd ou quoi ?! »

Ledit Kanon sursauta comme si son jumeau venait de le réveiller au matin d'une soirée trop arrosée à l'aide d'un grand seau d'eau, et tourna des yeux furibonds vers son ami le Scorpion.

« Non mais ça va pas d'hurler comme ça, Milo !

- Ben ça fait trois fois que je t'appelle et que tu lèves même pas un sourcil. A force, j'ai cru que t'étais en train de nous faire une attaque d'apoplexie. Et là, je parle pas d'un nouvel arcane de ton invention.

- Très fin. Je vois que t'es en grande forme !

- Ce qui ne semble visiblement pas être ton cas ! C'est notre victoire qui t'a mis dans un état pareil ? Sérieux, t'avais la bouche ouverte et un regard que si j'étais pas ton pote, je qualifierais volontiers de complètement idiot.

- Merci pour ta sollicitude. Vraiment.

- Ben écoute, de rien. Mais alors, qu'est-ce que t'as ?

- Je suis peut-être un peu fatigué, c'est tout, mentit le Gémeaux. Même si pour une fois, il aurait préféré que cette excuse insensée – lui, fatigué, vraiment ?! – ne fût que la stricte vérité.

- C'est vrai que le gamin n'y est pas allé de mains mortes avec toi.

- Isaak s'est contenté d'occuper son poste comme il avait tout intérêt à le faire.

- Si tu l'dis. Alors dans ce cas, je vois plus qu'une seule explication ; c'est que comme je m'acharne à te le faire comprendre depuis notre arrivée ici : mec, tu te fais vieux ! » conclut le plus jeune des deux Grecs en maltraitant l'épaule de son aîné d'un coup de poing affectueux.

Kanon répondit en plantant un coude amical dans les côtes de son cadet, qu'il remercia intérieurement pour l'avoir si efficacement détourné de l'objet de son supplice.

OooOOooO

A quelques mètres de là, un autre chevalier feignait un profond intérêt pour le football en maudissant sa destinée. Shura du Capricorne, qui pestait contre lui-même pour avoir marqué un but somptueux lui ayant valu de recevoir une énorme main au cul en guise de célébration de celui qui figurait au cœur de ses fantasmes les plus fous. Par tous les Dieux, pourquoi Angelo devenait-il démonstratif à ce point dès qu'il enfilait des crampons ?!

Mais malgré son infortune, l'Espagnol avait parfaitement conscience de ne pas se trouver dans la pire des situations. Finalement, coucher avec Camus était probablement la meilleure décision qu'il avait prise au cours des trois derniers mois. Car sans cela, il serait certainement au bord de l'implosion.

Et puis, ils avaient passé un bon moment tous les deux. La gêne et la maladresse des premières caresses avaient rapidement laissé la place à des étreintes plus appuyées et à des baisers plus voraces. Camus était un bon amant, et Shura ne se considérait pas trop mal non plus. Enfin, s'il se fondait sur les retours qu'il avait pu recevoir de ses précédents partenaires. Oui, Shura avait apprécié faire l'amour avec le Français, sentir sa peau frémir sous ses doigts, son sexe pulser contre le sien. Il avait aimé lorsque Camus lui avait abandonné son corps, et que lui-même lui avait cédé le sien. Ils n'avaient presque pas parlé, à peine échangé des murmures, mais ces quelques instants avaient suffi à faire illusion. A lui faire croire qu'il pouvait oublier. Un peu.

Enfin jusqu'à ce satané but et cette fichue main au cul.

Maudit soit le destin. Et maudit soit le Cancer, qui se trouvait assis juste à côté de lui, une cigarette coincée entre les lèvres, à regarder ce match de football dont lui-même se foutait éperdument. Ce maudit Cancer qu'il ne pouvait pourtant s'empêcher d'aimer comme un fou.

OooOooO

Mal installé sur l'un des sièges hautement inconfortables où ils avaient pris place en sortant des vestiaires, Angelo bâillait à s'en décrocher la mâchoire. Pourtant, l'affiche de cette seconde demi-finale semblait assez prometteuse, au moins sur le papier. A gauche, une équipe zodiacale motivée pour rejoindre ses camarades en finale. A droite, une équipe spectrale désireuse de prendre sa revanche contre les chevaliers d'Athéna, encore une fois.

Sauf que pour l'instant, il ne se passait pas grand-chose. Le score n'avait pas bougé d'un iota depuis le coup d'envoi, restant aussi virginal que la Déesse Athéna ( ndla : pardon, c'est lourd, mais… non, c'est juste lourd ; désolée ! ), et les occasions de but n'étaient pas nombreuses. Saga et Aiolos bétonnaient la défense sans que les représentants des Enfers ne parvinssent à en trouver la faille, et ni Seiya ni Aphrodite n'avaient réussi à faire trembler les filets. Résultats : aucun tir cadré, et un paquet de Camel sans filtre ( ndla : ben ouais, il est hard-core Angelo ) pour moitié vidé de son contenu.

D'ailleurs, pour lutter contre l'endormissement auquel il était sur le point de succomber, Angelo cala une nouvelle cigarette entre ses lèvres et l'alluma aussitôt. Il tira une longue bouffée qu'il trouva infiniment salvatrice, puis expira la fumée en se pinçant l'arête du nez.

Non, vraiment, y avait pas photo : c'était vachement plus intéressant quand c'était eux qui chaussaient les crampons. Pour preuve, la raclée qu'ils avaient infligée deux jours plus tôt aux joueurs de l'Apollon. Six - zéro, et encore, parce que le Cancer avait su faire preuve d'une étonnante mansuétude pour ne pas inscrire douze buts à lui tout seul. Oui, en toute objectivité et sans vouloir fanfaronner ( ndla : non, pas du tout le genre de la maison !), le jeu de l'équipe Une du Zodiaque – tout n'était-il du reste pas simplement dit dans le nom ? – était d'une qualité footballistique largement supérieure.

D'ailleurs, même contre une équipe capable d'offrir une prestation plus à la hauteur de leurs capacités, ses coéquipiers et lui avaient délivré un spectacle de toute beauté. Les joueurs du Poséidon n'avaient rien pu faire contre la solidité de leur défense et la puissance de leur attaque. Bon certes, lui-même n'avait pas marqué, la faute à ce foutu Megrez qui ne l'avait pas lâché de toute la partie, mais contre lequel il s'était copieusement défoulé. En voilà un qui aurait la marque de ses crampons incrustée sur les mollets pendant un bon bout de temps. Mais Aiolia avait fini par trouver le chemin des filets. Et puis surtout, Shura avait inscrit un but libérateur qui avait achevé leurs adversaires avec presque autant d'efficacité que ne l'aurait fait le tranchant de sa lame. Une frappe de loin, imparable et somptueuse, qu'ils avaient célébrée avec fierté et virilité.

Bon, il lui avait mis une main au cul, et alors ? C'était un grand classique dans le football ! Un but, une accolade, un bisou, une main au cul. Point barre. Pas de quoi épiloguer.

Alors pourquoi Angelo ne pouvait-il plus penser à autre chose qu'aux fourmillements délicieux qui avaient électrisé sa colonne lorsqu'il avait senti les muscles de Shura se contracter sous ses doigts ? Pourquoi ne parvenait-il pas à oublier la sensation exquise du tissu de son short tendu contre sa peau lorsqu'il avait libéré le Capricorne de l'emprise de ses bras ? Sans déconner. Il avait chopé la trique. Une bonne grosse érection. Pourquoi ? Comment ? Bordel, c'était juste un but ! D'accord, un but magnifique, mais un but magnifique marqué par son meilleur pote ! Merde. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Rien du tout. Ça ne voulait rien dire du tout ! Sauf qu'il avait besoin de baiser.

Voilà.

Évidemment.

Angelo se racla la gorge en se redressant sur son siège – mince il commençait vraiment à avoir mal au cul sur ce fauteuil en béton – et entreprit de scanner les gradins de son regard affûté. Il repéra rapidement une supportrice du Zodiaque qui lui parut à son goût et lui délivra un sourire ravageur.

Oui, il avait juste besoin d'assouvir ses pulsions.

Tout cela ne voulait rien dire d'autre.

Absolument rien.

Et tout cela n'avait surtout strictement rien à voir avec cette sorte de papillonnement étrange qui commençait à tourmenter sa poitrine.

OooOOooO

Bon et le match dans tout ça, me direz-vous ? ( ndla : oui, là, c'est moi qui reprends le fil de cette histoire, parce que si on devait compter sur Angelo pour commenter la partie, et ben on resterait marron ). Alors pour celles et ceux d'entre vous que cela pourrait intéresser, l'équipe de Dohko, Camus et Aphrodite a perdu. La défense sans faille mise en place par Saga et Aiolos a finalement été vaincue par une attaque fulgurante du Garuda juste avant le coup de sifflet final. Ben ouais. Ballot. C'est Kanon qui va être content de retrouver la Wyverne en finale !

Et sur ce :

To be continued…


Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 13 : Lovefool , The Cardigans, 1996.

Chapter 14: Get In The Ring

Notes:

Bonjour,

Au programme aujourd'hui : le dénouement du tournoi de foot ! (enfin... la fin du supplice footballistique quoi XD)

Bonne lecture.

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, le football à son inventeur (tiens, c'est qui d'abord ?), et le camping aux campeurs.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Le lendemain, samedi 4 juillet, sur le même terrain de football landais en fin d'après-midi (terrain sec, ciel partiellement voilé, 28 degrés centigrades)

Les spectateurs n'en croyaient pas leurs yeux. Le jeu offert par les participants à la finale de la Champions League était absolument somptueux. Les plus connaisseurs s'extasiaient devant la vitesse et la technicité des actions, dont nombre de footballeurs professionnels auraient pu vouloir prendre de la graine. Les autres admiraient le talent et la qualité physique de ces athlètes hors normes qui n'étaient pourtant que de simples employés de camping ( ndla : rah… si tous ces braves gens savaient ). Et certains – hommes et femmes confondus – se contentaient de fixer le terrain sans mot dire ( ndla : et avec un léger filet de bave au coin des lèvres. Non ? Si ? Ben oui, quand même, hein… Mettons-nous un peu à leur place ! ), hypnotisés par le ballet qu'offraient toutes ces magnifiques chevelures colorées.

Athéna, entourée de sa garde rapprochée, Saga et Aiolos à sa droite, Shaka à sa gauche, encourageait ses chevaliers en agitant un fanion. Hyoga, Seiya et Jamian s'égosillaient sous la houlette de Dohko qui dévoilait avec maestria l'intégralité de son carnet de chants de supporters. Misty et Aphrodite arboraient deux superbes T-shirts confectionnés par le Poissons lui-même et sur lesquels était dessiné le sceptre de leur Déesse flanqué de deux magnifiques roses rouges ( ndla : toute ressemblance avec le logo d'un certain groupe de hard rock cher à mon cœur et à celui d'une lectrice qui – j'en suis sûre – se reconnaîtra, n'est absolument pas fortuite et pleinement assumée ). Et Camus observait le match en silence, les bras croisés sur la poitrine en tentant de se concentrer sur le déroulé de la partie plutôt que sur la vision de Milo et Shura courant côte à côte.

Comme si sa vie n'avait pas déjà été assez compliquée comme ça. Comme si son esprit avait eu besoin de davantage de confusion. Comment avait-il pu se laisser aller de cette manière dans les bras du Capricorne ? Certes, ces quelques instants d'abandon lui avaient été agréables. Affirmer le contraire eût été faire preuve d'un niveau de mauvaise foi dont le Verseau ne pensait pas être coutumier. Mais au-delà du plaisir charnel et de la satisfaction d'avoir évacué un trop-plein de frustrations (ndla : alerte, euphémisme !) , que cela lui avait-il apporté ? Ses rêves n'en demeuraient pas moins réels, et les caresses du Scorpion lui paraissaient toujours plus prégnantes à chacun de ses réveils. Et maintenant, son esprit s'égarait entre les souvenirs de la bouche de Shura parcourant sa peau et l'espoir insensé de la voir un jour remplacée par les lèvres de Milo.

Un cri en provenance du groupe de choristes dans lequel s'époumonait son disciple – décidément, où étaient passées la pondération et la retenue qu'il lui avait enseignées ?! – le sortit enfin de sa rêverie. Aiolia venait d'effleurer la cage adverse après l'exécution d'un retourné acrobatique à la virtuosité digne de celle du Roi Pelé. Une action qui conduisit Marine de l'Aigle à bondir de son siège, emportée par un élan de fierté amoureuse. La jeune femme s'excusa pour cet excès d'enthousiasme et reprit sa position assise aux côtés de ses compagnes chevaliers. Compagnes qui n'étaient toutefois pas en reste niveau encouragements, Shaina délivrant un florilège de bons mots italiens qui auraient pu faire rougir Angelo lui-même.

Et sur le terrain, l'intensité des combats allait crescendo. Parce qu'il n'était plus vraiment question de football. Chevaliers d'Athéna et Spectres d'Hadès se livraient une bataille acharnée pour le contrôle du ballon, comme si le sort de l'Humanité tout entière avait été lié à celui de cet insignifiant objet.

Un coup de sifflet incita les joueurs à s'immobiliser : la main levée de l'arbitre venait d'indiquer le début de la mi-temps.

Score : 0-0. La Guerre Sainte du Ballon Rond était encore loin de révéler l'identité de ses vainqueurs.

OooOOooO

Kanon fut le premier à s'engager dans le couloir à la sortie des vestiaires. Les mots qu'ils venaient de prononcer pour remotiver ses troupes l'avaient ragaillardi lui-même, et il se sentait prêt à délivrer une leçon de football aux joueurs de l'Elysion.

Milo et les autres le rejoignirent bientôt, et tandis que toute l'équipe se mettait en ligne pour se diriger vers le terrain, les Spectres pénétrèrent à leur tour dans le corridor avec Rhadamanthe à leur tête.

En arrivant à la hauteur de son rival, le Troisième Juge toisa Kanon du haut de son monosourcil, ce à quoi l'ancien Dragon des Mers répondit par un sourire qu'il voulut carnassier avant de se décider à ouvrir la bouche :

« Au fait, je t'ai pas demandé : tu t'es pas trop gratté la joue après notre dernière entrevue ?

- Non.

- Je vois, t'as encore la mémoire courte.

- Pas du tout.

- Alors tu souffres probablement de mémoire sélective.

- Non plus.

- Ah oui, évidemment. Pardon. Tu fais juste preuve de ton habituelle mauvaise foi.

- Absolument pas. Mais puisque tu sembles vouloir insister, sache que j'ai grandement apprécié le contact de ta caresse, Kanon », lâcha la Wyverne avant de s'éloigner vers la pelouse sans un regard pour le Gémeaux.

« Ma quoi ?! » s'offusqua le Grec, ébahi.

Les crampons cloués au sol par la sidération, Kanon ne se remit en mouvement que lorsque Angelo lui hurla avec la délicatesse qui le caractérisait de se remuer l'arrière-train ( ndla : bon ok, Angelo ne s'est pas exactement exprimé en ces termes, mais autant essayer de rester polie – pour une fois ). Il pénétra alors sur le terrain en courant, obnubilé par une pensée parasite qui venait de surgir dans son esprit de Machiavel.

La Wyverne était un malin. Et un vicieux de surcroît. Il avait tout prévu. Il connaissait l'impulsivité du Gémeaux, et n'avait donc eu aucun mal à deviner que des accusations de tricherie suffiraient à le mettre hors de lui. Ensuite, il n'avait eu qu'à attendre et à laisser faire. Kanon s'était emporté, et Rhadamanthe avait enfoncé le clou de la plus intelligente des façons. Un regard, un baiser, et un rival déstabilisé pour leur prochaine confrontation.

Toutes ces heures à fantasmer, à laisser des images tordues se frayer un chemin dans ses rêves et dans sa tête. Quel imbécile il avait été ! Mais la Wyverne n'allait pas s'en tirer à si bon compte. Oh que non ! Kanon n'avait pas dit son dernier mot et sa vengeance serait à la hauteur de sa colère et de sa frustration. Il n'avait pas dupé Poséidon lui-même et roulé toute son armée dans la farine pour se laisser retourner le cerveau par un type tout demi-Dieu qu'il fût, et même si ce dernier avait un...

« Bon, Kanon, tu te bouges le cul oui ou non ?! Réveille-toi, bon sang ! Merda ! C'est fini la mi-temps ! » ( ndla : ben voilà… ciao la politesse )

Le concerné sursauta et rejoignit Mû et Milo dans le rond central en remerciant le Cancer de lui avoir si efficacement remis les idées en place.

Une fois tous les joueurs en position, l'arbitre porta son sifflet à sa bouche et la partie reprit avec la même férocité que lors des quarante-cinq premières minutes. Attaques fulgurantes contre défenses infaillibles. Coups d'épaule dévastateurs contre tacles assassins. Aucun des deux camps présents sur la pelouse ne semblait prêt à céder du terrain.

Dans les tribunes, les spectateurs retenaient leur souffle ou clamaient avec ferveur leur allégeance à l'une des deux équipes. Enfin sauf Camus qui lui, se contentait de se mordre l'intérieur des joues en priant pour la fin de son supplice.

Au bout d'une demi-heure de jeu et de courses endiablées, aucune des deux formations n'avait encore réussi à marquer. Le dernier assaut des chevaliers d'Athéna, mené par un Ikki plus brûlant que la lave de son volcan, venait de se solder par un échec. La frappe supersonique du Phoenix avait heurté la barre transversale avant de s'envoler directement vers les cieux sous une flopée d'injures de l'Oiseau Éternel qui maudissait son manque d'acuité visuelle.

Un nouvel accessoire fut envoyé sur la pelouse pour remplacer celui qui était parti en orbite, et le gardien des Enfers en la personne de Stand du Scarabée Mortel s'en saisit pour le dégager d'un coup de pied puissant. Valentine réceptionna le ballon et l'expédia d'un geste vif comme l'éclair à son vénéré maître qui courait déjà vers l'avant. La passe arriva directement sur le pied gauche de Rhadamanthe qui le transféra à son pied droit d'une superbe roulette avant de reprendre sa course. La défense du Zodiaque s'adapta aussitôt, orchestrée par Shura qui venait de repérer Éaque esseulé sur le côté droit. Shiryu et Algol se positionnèrent en derniers remparts, le Dragon face au Garuda et la Méduse face à la Wyverne. Arrivé à l'entrée de la surface, ce dernier fit le choix de transmettre le ballon à Minos qui se trouvait en embuscade juste derrière lui. Le Griffon s'en sépara aussitôt au profit d'Éaque qui s'élança alors vers les buts d'Aldébaran. Fidèle à lui-même et à son sens aigu du sacrifice, Shiryu s'interposa pour stopper la course folle de son adversaire, mais un voile noir lui masqua subitement la vue. En se retrouvant ainsi aveuglé, le Dragon fut envahi par un profond sentiment d'angoisse qui le cloua au sol. Et avant de pouvoir réagir en intensifiant ses quatre ( ndla : hum… cinq ? six ? sept ? ) autres sens, il percuta violemment le Garuda qui n'avait pas anticipé un tel manque de combativité.

Le choc fut d'une violence inouïe, envoyant Shiryu valser dans les airs presque à la manière d'un pantin. Le Chevalier Divin ( ndla : ben oui, Armure Divine = Chevalier Divin, CQFD ) n'eut toutefois aucun mal à retrouver son équilibre pour retomber au sol sur ses deux pieds. Mais soucieux de ne pas mettre à mal la couverture qu'ils avaient eue pour consigne de respecter, il jugea opportun de poser un genou à terre en feignant une violente douleur à l'épaule.

Shun accourut vers lui aussitôt, inquiété par la sensation de mal-être qu'il avait pu déceler chez son ami. Shiryu, qui venait de recouvrer la vue, rassura son camarade promptement ainsi que le Capricorne qui l'avait contacté mentalement. Et alors qu'il s'apprêtait à se relever pour retourner à son poste, il entendit la voix de son Maître résonner dans sa tête :

« Vieux tigre appelle jeune poussin, vieux tigre appelle jeune poussin (ndla : spéciale réf à La Série Abrégée; j'avais trop envie de la placer, celle-là !).

- Qu'y-a-t-il, Maître ?

- Shiryu, que t'est-il arrivé ?

- Rien qui ne doive vous inquiéter, Maître.

- Mais encore ? Fiston, la dernière fois que j'ai senti autant de panique dans ton cosmos, c'est lorsque notre Déesse nous a annoncé son histoire de camping.

- Je ne suis pas sûr, Maître. Je crois… Enfin, pendant un court instant, disons que j'ai eu l'impression de…

- L'impression de quoi ? Mon petit, je te prierai d'abréger, car je te rappelle que tout le monde a plus ou moins les yeux braqués sur toi tandis que nous télépathisons (ndla : ben oui je télépathise, tu télépathises... Non ? Ça n'existe pas ? Ah bon).

- Eh bien tout à l'heure, j'ai le sentiment d'avoir soudainement perdu la vue.

- Vraiment ? En es-tu certain ? Tu ne sembles pas totalement convaincu. Shiryu, j'ai besoin de savoir.

- Pour quelle raison, mon Maître ? Avez-vous perçu quelque chose d'anormal vous aussi ?

- En effet. Mais j'attends ta réponse : es-tu en mesure de confirmer ce que tu viens de dire ?

- Oui, Maître. Pendant les quelques secondes qui ont précédé mon choc avec Éaque, le sens de la vue m'a bien été ôté.

- Très bien. Alors je crois savoir qui est responsable de cette tricherie abjecte.

- Qui ça, mon Maître ?

- Minos du Griffon, Premier Juge des Enfers et Spectre de l'Étoile Céleste de la Noblesse. Mais un sacré petit saligaud ! Il ne paie rien pour attendre, celui-là !

- Que comptez-vous faire, Maître ?

- Pour l'instant rien du tout. Nous verrons cela plus tard. Quant à toi, Shiryu, tu vas devoir rester à terre et suivre les instructions de l'arbitre. Parce qu'avec la châtaigne que tu viens de recevoir, impossible de te relever comme si de rien n'était sans éveiller les soupçons.

- Entendu, mon Maître, je comprends. Mais juste le temps de la partie alors, car j'ai promis à Shunrei que ce soir nous irions nous promener sur la plage tous les deux.

- Oui, mon petit. Juste le temps de la partie. Allez, va : repose un genou à terre et fais comme si tu souffrais le martyr. Mais n'oublie pas que comme toujours, je suis infiniment fier de toi.

- Merci, mon Maître. »

Sur ces entrefaites, deux secouristes accoururent sur la pelouse avec une civière sur laquelle ils entreprirent d'installer le jeune Bronze qui feignait la douleur avec talent. L'arbitre s'enquit de l'état de santé de ce joueur qui, il en était convaincu, passerait de nombreux mois sans pouvoir rechausser des crampons. Puis l'homme en noir glissa une main dans sa poche pour en sortir un carton aussi écarlate que l'Aiguille du Scorpion. Carton qu'il brandit au visage du Garuda.

Éaque contesta vertement en arguant qu'il n'était en rien responsable de cette malencontreuse collision, mais l'arbitre persista dans sa décision et l'expulsa du terrain.

Avant de quitter le gazon, le Népalais s'en prit à son aîné qu'il savait responsable de la gêne ayant amoindri les capacités de celui qu'il avait percuté. Minos se défendit en prétextant qu'étant donné l'évolution de la partie, aucune méthode ne pouvait être écartée pour les mener à la victoire. Argument que le Garuda ne voulut pas entendre – mince, il ne s'agissait tout de même que d'un simple match de football – et une violente dispute éclata entre les deux juges. Rhadamanthe intervint pour les séparer avant qu'ils n'en vinssent aux mains, d'inquiétants fils d'argent commençant à apparaître à l'extrémité des doigts du Griffon. Et Éaque s'éloigna finalement du terrain en marmonnant une volée d'insultes à l'encontre de celui qui l'avait fait sanctionner.

Pendant ce temps, Shura s'était emparé du ballon pour le placer à l'endroit que l'arbitre venait de désigner pour tirer le coup franc vengeur. Le Capricorne s'élança et frappa la balle avec force et précision en direction d'Angelo qu'il avait vu démarqué. Le Cancer comprit immédiatement le plan de son meilleur ami qu'il ne put s'empêcher de trouver bigrement malin, en plus d'avoir un cul superbement moulé par son short de footeux – merda, voilà qu'il recommençait à divaguer ! – et il accéléra sa course. Il intercepta le ballon à la limite du hors-jeu, s'élança comme s'il avait Hadès lui-même à ses trousses, et arriva seul face aux buts. Il ajusta son pied droit, jeta un coup d'œil rapide devant lui pour observer la position du gardien et tira. En pleine lucarne ! But !

La foule en liesse se leva et se mit à applaudir. Aphrodite hurla de sa plus jolie voix qu'Angelo était le plus fort et le plus beau de tous les siciliens ( ndla : ben ouais, faudrait pas exagérer non plus ), et Athéna trépigna d'allégresse en balançant son fanion que Saga reçut en pleine face.

Le panneau affichant le score vit enfin apparaître un numéro en son sein, et la partie reprit son cours pour les dix dernières minutes du temps réglementaire.

Sans attendre la fin de la célébration de leurs adversaires ( ndla : en même temps, avec Angelo, Kanon, Milo & Co, ils n'étaient pas rendus ), les joueurs de l'Elysion se positionnèrent pour la remise en jeu. Et alors que Rhadamanthe s'apprêtait à effectuer l'engagement, une sirène retentit dans tous les environs.

Une sirène qui fut bientôt suivie d'un épais nuage de fumée et d'une violente odeur de brûlé.

Un incendie venait de se déclarer dans la forêt de pins jouxtant le Poséidon.


Le lendemain, Camping Le Zodiaque

Athéna se tenait debout, noble et solennelle enveloppée de son aura divine, et ses protecteurs l'écoutaient avec attention et sagesse ( ndla : enfin pour certains d'entre eux en tout cas ). Elle venait d'exposer les événements des dernières vingt-quatre heures en en faisant un résumé concis mais précis. Et tout au long de son discours, elle avait insisté sur combien elle se sentait fière de ses chevaliers qui n'avaient pas hésité à tout abandonner pour voler au secours des touristes du Poséidon et de ses environs. La Champions League ne connaîtrait jamais le nom de ses vainqueurs, mais au fond, plus personne ne semblait considérer cela comme vraiment important ( ndla : enfin peut-être à une ou deux exceptions près, mais nous verrons cela plus tard ). Aucun blessé n'était à déplorer, et c'était bien la seule chose qui comptait.

Un chevalier en particulier s'était montré exceptionnellement courageux et devait au dire de la Déesse être salué. Aiolos du Sagittaire, qui avait bravé les flammes pour secourir une famille prise au piège dans un mini-van garé en bordure de la forêt aujourd'hui dévastée. Le Grec était arrivé sur les lieux bien avant les pompiers, alerté par les pleurs d'un enfant qui commençait à suffoquer au milieu des vapeurs toxiques. Et il l'avait sauvé lui, ses parents ainsi que leur petit fox terrier. Bref, le Sagittaire avait une nouvelle fois agi en héros, et Athéna souhaitait lui rendre hommage comme il le méritait.

Une fois la chose faite, la Divinité poursuivit son propos en expliquant qu'étant donné les circonstances, il lui paraissait inconcevable de ne pas venir en aide à leurs collègues du Poséidon. Certes, ils étaient concurrents dans le cadre du même palmarès, mais cette rivalité ne tenait plus dans le contexte actuel. L'incendie avait heureusement été rapidement maîtrisé, mais les dégâts matériels étaient importants et le personnel du Poséidon trop peu nombreux pour réaliser les travaux qui permettraient de maintenir le camping à flot. Après, Julian aurait probablement pu prendre la décision de fermer son établissement et d'abandonner la partie, mais tel était bien mal connaître l'héritier des Solos. Un choix d'ailleurs plébiscité par les vacanciers qui, tout danger étant à présent écarté, avaient insisté pour pouvoir continuer leur séjour presque comme si de rien n'était.

Alors Athéna, dans son infinie bonté, avait décidé d'envoyer trois de ses plus valeureux guerriers dans les rangs de leurs rivaux pendant toute la durée des travaux : Shura du Capricorne, Shun d'Andromède et Shaina de l'Ophiuchus ( ndla : et là je sais ce que vous allez me dire : en fait la Déesse s'est contentée de choisir des prénoms commençant par « Sh ». Non, vous n'aviez pas remarqué ? Eh bien vous avez parfaitement raison, parce qu'en réalité, on s'en balance !).

Cette annonce eut pour effet de générer un profond agacement chez Ikki du Phoenix qui, petit un, n'avait pas du tout envie de laisser son petit frère voler de ses propres chaînes aussi loin de son regard protecteur et avisé. Et petit deux, il allait perdre un soutien professionnel qu'il ne pouvait considérer autrement que précieux, même s'il s'était toujours bien gardé de partager cet avis avec l'intéressée. Oui, l'efficacité et la capacité de travail de l'Ophiuchus allaient lui manquer. Ça et seulement ça. Et surtout pas son sale caractère ni ce si joli sourire qu'elle avait pour lui de temps en temps.

Les autres approuvèrent, certains saluant la profonde mansuétude de leur Déesse, d'autres regrettant tout de même un peu son manque de compétitivité − mince, le trophée des Tongs d'Or aurait été si facilement à leur portée avec le Poséidon en dehors du jeu ! Et un chevalier salua avec une inhabituelle gratitude cette décision qui avait pourtant d'abord créé une étrange sensation de vide dans sa poitrine. Oui, pour la première fois depuis longtemps, Angelo allait devoir vivre sans la présence du Capricorne à ses côtés, mais finalement ce n'était probablement pas plus mal. Car comme ça, il arrêterait peut-être de fantasmer sur le superbe postérieur de son meilleur pote.

La réunion touchant à sa fin, Saga des Gémeaux prit la parole à son tour pour renouveler la confiance qu'il portait en chacun et saluer le dévouement de tous. Mais ses pensées étaient en réalité presque exclusivement dirigées vers un seul chevalier. Aiolos, dont il avait une nouvelle fois admiré l'altruisme et la générosité. Le Sagittaire avait toujours été ainsi : désintéressé, courageux, juste. Il valait tellement mieux que lui. Il aurait tellement mérité d'avoir une autre vie. Il aurait tellement mérité de ne pas faire l'erreur de le choisir pour ami.

Il aurait tellement mérité d'être aimé par un autre que lui.


Le Globe Trotter café, plus tard dans la soirée

Kanon poussa la porte de son bar préféré avec soulagement. Il avait dû faire preuve d'imagination pour trouver une excuse lui permettant de s'éclipser du camping en cette soirée de communion zodiacale, mais par tous les Dieux , à quel point il en avait besoin !

Les raisons qu'il avait de préférer la fuite étaient multiples, mais la première résidait dans ce qu'il avait pu percevoir plus tôt dans l'esprit de son jumeau. Car le lien qu'ils partageaient tous les deux ne lui permettait pas d'ignorer ce qu'il était le seul à avoir jamais su.

Saga était malheureux. Il l'avait toujours été, enfin sauf lorsque le Démon qui vivait en lui l'avait contraint à oublier. Il était malheureux parce qu'il était amoureux d'un homme qu'il avait de tout temps admiré et qu'il savait ne pas mériter. Un homme que l'Autre avait fait tuer et dont la mort n'avait cessé de l'obséder depuis.

Personne ne pouvait imaginer ce que Saga avait dû supporter pendant toutes ces années. Le dégoût et la colère qui déchiraient son âme dès qu'il revenait à lui et revivait l'horreur de ce qu'il savait avoir commis. Il avait le sang du Sagittaire incrusté sur les mains et l'ombre de ses yeux à jamais ancré dans la poitrine. Ces yeux qu'il aimait plus que tout et qui, ce soir-là, l'avaient regardé avec incompréhension et haine avant de le jeter dans l'oubli. Et pendant plus de treize ans, chacun de ses rêves avait été hanté par le souvenir de celui qu'il avait perdu et de ce qu'il avait détruit.

Kanon avait assisté à chacun de ces cauchemars impuissant. Il en avait été le témoin invisible et la douleur de son jumeau avait nourri ses propres ressentiments. L'Autre était responsable de tout. Il avait toujours été là, tapi dans l'ombre de leurs vies, à attendre le moment opportun pour venir les briser. Et lui, en cadet insignifiant, l'avait laissé faire, par lâcheté, par jalousie, par peur. Ou peut-être tout simplement parce qu'il n'avait jamais eu le choix.

Alors oui, ce soir, Kanon avait besoin de s'éloigner et d'oublier. Saga. Aiolos. Athéna. L'incendie. Le tournoi. Et… Rhadamanthe de la Wyverne.

Ce maudit Spectre qui avait essayé de le tourner en ridicule en utilisant contre lui l'attirance certaine qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. Parce que s'il avait maintenant accepté de ne plus se voiler la face concernant ce qu'évoquait chez lui son ancien ennemi, leur dernier échange avait conduit Kanon à remettre à plat un certain nombre de choses. Rhadamanthe s'était joué de lui, mais en agissant ainsi, la Vouivre s'était peut-être bien brûlé les ailes. Car sous ses remarques sarcastiques et son apparente indifférence, Kanon était convaincu d'avoir décelé autre chose. Son rival le désirait au moins autant qu'il le désirait lui-même. Certes, ce baiser l'avait ébranlé, secoué dans ses certitudes et dans ce qu'il croyait vouloir, mais il n'était pas tout seul dans cette histoire, et surtout, sa bouche n'était pas celle qui avait allumé le feu qui depuis incendiait ses reins.

« Bonsoir. »

Kanon serra le verre qu'il venait de terminer entre ses doigts. Comment avait-il pu imaginer qu'il parviendrait à se libérer de l'emprise de cet homme ?!

« Tu m'offres un verre ? Sans vouloir être impoli, il me semble que c'est ton tour. »

Le Gémeaux se retourna pour plonger dans ce regard qu'il s'était juré d'éviter comme la peste. Peine perdue.

« Rhadamanthe ! Cette fois-ci, je vais vraiment finir par croire que tu me suis.

- C'est en partie le cas, et à ce sujet, je te dois probablement un certain degré d'explication.

- Par le Sceptre Sacré de la Déesse ! le coupa le chevalier.

- Kanon, ne commence pas à blasphémer, s'il te plaît.

- Tout est − encore une fois − question de point de vue. Mais alors, cette explication ? insista le supposé profanateur .

- Si je t'avais effectivement suivi lors de notre première rencontre ici…

- Ah ! J'en étais sûr !

- Ce n'est pas le cas aujourd'hui, poursuivit sans (mono)sourciller le Britannique. Cet établissement m'a plu, et j'ai pris l'habitude de venir m'y divertir lorsque mes obligations m'en donnent la possibilité.

- Et donc tu veux me faire avaler que c'est totalement par hasard que tu rappliques dans mon bar favori précisément ce soir, et ce pile-poil en même temps que moi !

- Il s'agit en effet d'un événement complètement fortuit. D'ailleurs, je n'avais pas prévu de venir ici tout seul ; Éaque devait m'accompagner, mais il a été retenu au dernier moment.

- Mais bien sûr ! Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d'alu ! ( ndla : on a retrouvé le véritable auteur de la publicité pour le chocolat Milka ! Publicité qui fit un carton sur les écrans français quelques années plus tard )

- What ?!

- Rien, laisse tomber ! Mais dommage pour Éaque : j'aurais bien aimé recueillir son analyse concernant l'acte de bravoure auquel votre satané frangin s'est livré pendant la partie d'hier.

- Ne sois pas injurieux, Kanon des Gémeaux !

- Et toi, ne sois pas faux-cul, Rhadamanthe de la Wyverne ! Et reconnais tout de même que Minos n'a été qu'un sale con.

- Mon frère n'a pas agi de la plus heureuse des façons, mais jamais je ne me permettrai un tel jugement.

- Bah oui. Juge, mais pas trop quand même, hein ?

- Cela n'a strictement rien à voir. Et je te rappelle que tu n'as pas répondu à ma requête initiale.

- Qui était ? Non parce que là, tu m'as perdu.

- Tu me dois un verre.

- Tu bois quoi ? se contenta de répondre le Gémeaux.

- Comme la dernière fois, si tu t'en souviens. »

Kanon fit volte-face pour appeler le barman et commander un scotch double malt on the rocks – évidemment qu'il n'avait pas oublié – ainsi qu'un Cuba Libre, bien corsé sur le rhum, léger sur le cola.

Une fois servi, le Grec tendit son whisky à son vis-à-vis et leva son verre devant lui :

« A ta santé, Rhadamanthe, et à ma toute dernière victoire !

- De quelle victoire parles-tu ?

- Oh c'est pas vrai ! Tu vas pas recommencer ?!

- Le match a été interrompu avant la fin du temps réglementaire, continua le Juge en faisant tourner les glaçons dans le fond de son verre. Nul ne peut donc déterminer l'identité des vainqueurs.

- Tu m'emmerdes, tu le sais ?! vitupéra le chevalier d'Athéna.

- Voilà que tu redeviens discourtois. C'est regrettable, les grossièretés ne siéent pas à ta bouche.

- Laisse-ma bouche en dehors de ça !

- Kanon… morigéna la Wyverne en prenant une voix grave.

- Et ne prononce pas mon nom comme ça !

- Comme quoi ?

- Comme ça, là… Ah et puis merde ! En plus, je dois avouer que t'as pas tort pour une fois : en football, comme dans beaucoup d'autres choses, on ne peut jamais être sûr de rien tant que la partie n'est pas finie. Donc la Champions League restera probablement sans vainqueurs.

- Certes. Mais je demeurerai le seul et unique à être sorti victorieux de notre tout premier combat.

- Là, tu cherches vraiment les ennuis, Rhadamanthe ! admonesta le Gémeaux soucieux de reprendre le contrôle de la conversation.

- Aucunement. Je cherche avant tout à passer un moment cordial avec toi.

- Un moment cordial ? Tu m'en diras tant ! Et en quoi consiste un moment cordial à tes yeux ? Je suis curieux.

- Savourer un verre d'alcool de qualité. Échanger des opinions sur des sujets pertinents. Apprendre à se connaître un peu plus.

- Tu veux apprendre à me connaître ? Toi ?

- Oui. Pourquoi parais-tu étonné ?

- Je croyais que vous autres, les Spectres d'Hadès, ne portiez d'intérêt qu'à votre Dieu.

- Nous nous intéressons à tout ce qui mérite d'éveiller notre curiosité.

- Et tu me trouves donc méritant ? Tiens, t'aurais donc changé d'avis sur ma personne ? Car j'avais cru comprendre que tu ne me considérais pas digne de ton estime pour avoir trompé un Dieu.

- Je n'ai pas évoqué une telle chose. J'ai parlé de curiosité.

- On t'a jamais dit que la curiosité était un vilain défaut ?

- Tu joues sur les mots.

- Et toi, tu joues avec mes nerfs ! Et puis d'abord, qui te dit que ton envie d'échange et de partage est réciproque ?

- Personne, mais j'en suis convaincu, rétorqua simplement Rhadamanthe en portant son verre à sa bouche.

- Toujours ton insupportable assurance. Tu devrais te méfier, parfois on peut tomber de haut ! Mais puisque tu parlais tout à l'heure de savourer un verre d'alcool de qualité, s'empressa de poursuivre le Gémeaux pour changer de sujet, tu trouves le whisky à ton goût ?

- Oui. Je t'ai dit que l'endroit m'avait plu. La qualité du scotch y est pour beaucoup.

- Logique. Et l'incendie, alors ? Vous n'avez subi aucun dégât à l'Elysion ? Puisque si je me trompe pas, la partie la plus au sud du parc de votre hôtel ne se trouve pas bien loin du Poséidon.

- C'est exact. Mais − mon Souverain en soit loué − les flammes nous ont épargnés.

- En même temps, c'est pas comme si vous y étiez pas habitués…

- Kanon, tu te fourvoies. L'Enfer auquel tu sembles vouloir faire référence n'est pas le nôtre mais celui des Chrétiens.

- Ah oui. My bad ! Mes cours de mythologie et de catéchisme commencent à dater un peu. Cela dit, c'est bien un peu tout pareil. Au singulier ou au pluriel, c'est un endroit où on devrait pas avoir à mettre les pieds ! Et perso, je languis pas de retourner y faire une balade.

- Pourtant je pourrais te servir de guide.

- Mince, le grand Rhadamanthe qui fait de l'humour ! Pas mal !

- Merci. Je prends cela pour un compliment.

- C'en est un. Et alors, par quoi tu commencerais ?

- Que veux-tu dire par-là ?

- Eh bien, qu'est-ce que tu voudrais me montrer en premier au cours de cette visite ? Tu penses que l'antre de la Wyverne pourrait être à mon goût ?

- L'antre de quoi ?! faillit s'étouffer le Juge.

- Arrête, me dis pas que tu n'y avais pas pensé ! Rhadamanthe, assez tourné autour du pot : je sais ce dont tu as envie, ajouta le Grec avec un sourire enjôleur.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Vraiment ? Alors je vais t'aider à comprendre : tes lèvres sur les miennes, ça te rappelle quelque chose ?

- Bien entendu.

- Mais encore ? Rhadamanthe, je te prenais pour quelqu'un de plus rigoureux dans ses propos.

- Un moment d'égarement.

- C'est ce que tu crois ?

- C'est ce que j'ai dit.

- Tu ne sembles pas très convaincu.

- Si je le suis.

- Non, je ne crois pas. »

Kanon écarta le verre de whisky que Rhadamanthe tenait fermement entre ses doigts, et sans laisser à son rival le temps de réagir, il fondit sur sa bouche pour l'embrasser. Un baiser impérieux, pressé, violent, auquel Rhadamanthe répondit avec la même voracité. Mais un baiser qui ne dura qu'un instant, puisque Kanon le rompit presque aussitôt en se fendant d'un rire.

« Tu vois qu'il ne faut jamais être trop sûr de soi ».

Kanon termina son Cuba Libre, régla l'addition au barman dont la mâchoire venait de se décrocher, puis se dirigea vers la sortie. Mais avant de quitter les lieux, il lâcha à celui qu'il sentait trépigner de rage dans son dos :

« Hasta La Vista, Baby ! »

Et tandis que Rhadamanthe prenait sur lui pour ne pas hurler, tout en se demandant ce qu'ils pouvaient bien tous avoir avec cette expression à la noix, Kanon passa la porte de son bar préféré avec un air triomphal. Il avait dit que la Wyverne ne s'en tirerait pas à si bon compte. Il avait dit que sa vengeance serait terrible. Et Kanon des Gémeaux n'était pas homme à prononcer de telles paroles à la légère. Il avait donc toutes les raisons de se sentir satisfait. De se sentir apaisé.

Alors pourquoi ne l'était-il pas ?


Tout bi contignoude…

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 14 : Get In The Ring , Guns N' Roses, 1991.

Notes:

J'aimerais ici rendre hommage à Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, un immense joueur de footballeur qui aura marqué ce sport à jamais.

"La Guerre Sainte du Ballon Rond" est copyright Goldflam Kuroryu. Merci encore pour cette excellente suggestion !

La mention au grattage de joue de Rhadamanthe m'a directement été inspirée par une discussion avec ma chère Alaiya.

Et je me rends compte que j'ai oublié un autre hommage primordial : celui à StateAlchemist pour son excellentissime Les Chevaliers du Zodiaque, La Série Abrégée qui aura à jamais changé ma façon de regarder la Bataille des Douze Maisons, en plus de constituer une source intarissable d'inspiration (plaît-iiil ?!!! ).

Chapter 15: Sweet Dreams

Notes:

Bonjour,

Ce chapitre (initialement publié en juillet 2023 sur ffnet) introduit ce que l'on pourrait considérer comme la seconde partie de cette fic. Un second arc qui verra nos héros s'adonner à une nouvelle activité ludo-sportive qui était alors totalement de circonstance pour un début d'été.

Bonne lecture.

 

Disclaimer ; Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, et pour le reste, je ne dis rien : surprise !

 

 

Rappel du rating : E

 

 

/!\ Quelques passages explicites (yaoi) au début et à la fin de ce chapitre (ben oui, j'ai fini par craquer ; que voulez-vous ? je suis faible).

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Lundi 13 juillet, Camping Le Zodiaque, à l'aube

Il le regarde sans parler, subjugué par la vision de son corps qu'il a l'impression de voir pour la première fois. Pourtant il le connaît, a déjà pu l'observer aussi nu qu'à cet instant dans les allées des termes ou sous les douches des vestiaires, mais aujourd'hui tout lui paraît différent. La couleur de sa peau, légèrement plus pâle que la sienne, la discrète cambrure de ses reins, les muscles élancés de ses épaules. Ses cicatrices.

Il s'approche, plaque sa main contre le bas de son dos et sent la peau abîmée trembler sous sa caresse. Les stigmates de leurs vies passées sont toujours là, marquant leurs chairs pour les empêcher d'oublier, mais cette nuit, il ne veut pas leur accorder d'importance.

Il remonte le long de sa colonne jusqu'à la naissance de sa nuque qu'il étreint sous ses doigts, et Dieux , à quel point la peau lui paraît douce à cet endroit ! Il effleure ensuite une mèche sombre de l'extrémité de son index avant de retirer sa main, comme prenant subitement conscience de vouloir franchir une barrière qui lui reste interdite. Mais le vide qui envahit aussitôt sa poitrine vient confirmer ce qu'il ne peut plus se permettre d'ignorer : il le désire, a besoin de le toucher, de le découvrir tel qu'il est, sans retenue et sans armure. Il veut parcourir chacun de ses muscles avec suffisamment d'application pour être capable de les voir sans même ouvrir les yeux. Il veut lui donner du plaisir, le sentir vibrer sous sa main, frémir sous sa bouche. Il veut qu'ils oublient qui ils sont et ce qu'ils représentent l'un pour l'autre tandis que leurs lèvres se trouveront pour la première fois. Il veut qu'il lui abandonne son corps pendant que lui, lui cédera son âme. Il le veut tout entier, lui qui le connaît probablement mieux qu'il ne se connaît lui-même et qui, il l'a compris à présent, a passé une partie de sa vie à l'attendre.

Il se penche contre lui pour venir goûter sa peau et satisfaire un appétit qu'il sent devenir insatiable. Il embrasse son épaule, remonte lentement jusqu'à son cou dans le creux duquel il s'attarde un instant. Il l'explore de sa bouche, perçoit les sursauts que ses baisers provoquent et la frustration que sa lenteur fait naître. Il poursuit le long de sa mâchoire, apprécie le contact de la peau mal rasée contre sa joue – tiens, il n'aurait jamais cru – et atteint enfin ses lèvres. Il les effleure, les parcourt, puis n'y tenant plus, il les presse contre les siennes, les mord, les lèche. Il s'écarte, se délecte de la plainte qu'il reçoit en écho à sa soudaine absence, et revient pour l'embrasser encore. Sa langue s'enroule autour de sa jumelle dans un baiser brûlant qui témoigne d'un besoin qu'il sait être bien plus grand.

Il caresse ses lèvres une dernière fois, puis délaisse sa bouche pour se redresser et passer un bras sous sa taille. Il le relève légèrement, le ramène contre ses hanches et se présente à lui. Mais il se freine, se retient, parce qu'il sait que malgré le feu qui déferle déjà dans ses veines, il doit prendre son temps pour ne pas le blesser. Et puis soudain, les questions qu'il refusait de se poser viennent frapper à la porte de sa conscience. Que s'apprête-t-il à faire ? En quoi consistera leur vie après ça ? En a-t-il seulement le droit ? Et Angelo se fige. Il hésite.

Mais Shura se retourne et d'un regard si empreint de désir qu'il pourrait à lui seul le rendre fou, le Capricorne le supplie de continuer. Alors Angelo cède à la tentation de ce qu'il n'a jamais connu mais qu'il crève de découvrir enfin. Il s'approche, il l'effleure, là, juste là. Il regarde sa verge s'enfoncer en lui, centimètre par centimètre. Il la regarde disparaître dans le corps de l'homme qu'il désire plus que tout et ses sens le trahissent. Il ne les contrôle plus. Shura est étroit, si étroit, beaucoup plus que toutes les femmes qu'il a connues. Il le sent bouger autour de lui, pulser, l'étreindre, le libérer et l'étreindre encore. Des sensations qu'il sait n'avoir jamais éprouvées parcourt son corps de la surface de sa peau jusqu'au plus profond de ses chairs. Il recule lentement, il quitte ce corps brûlant un instant, juste assez longtemps pour comprendre qu'il veut le parcourir encore. Alors il revient, le pénètre à nouveau, plus fort, plus loin. Il sent Shura s'abandonner à lui. Il le sent partir tandis qu'il s'apprête à partir lui aussi. Pourtant il voudrait continuer encore et encore, et entendre Shura crier son nom pour l'éternité.

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Le visage baigné par le soleil qui commençait à percer à travers la fine couche de tissu de sa canadienne, Angelo ouvrit les yeux. Il cligna des paupières puis déplaça sa main contre son sexe qu'il sentit tendu et douloureux. Il serra son érection entre ses doigts et ouvrit la bouche pour prononcer le seul mot sensé qui émergea de son esprit embrumé de désir et de frustration mêlés :

« Merda ».


Au même moment, Camping Le Poséidon

En retrouvant le contact du goudron sous ses pieds, Shura ralentit sa course. Cette petite heure de footing matinal lui avait fait du bien et avait réveillé ses muscles encore endoloris par la nuit qu'il venait de passer. Non pas que la caravane de Camus eût été inconfortable, bien au contraire. Mais pour se sentir reposé, il aurait fallu penser à dormir. Et ces derniers temps, dormir n'était plus vraiment dans leurs priorités.

Deux semaines qu'ils avaient couché ensemble pour la première fois, et pas un instant Shura n'avait regretté la décision qu'il avait prise cette nuit-là. Ses sentiments pour le Cancer étaient toujours ancrés en lui, à creuser le même trou béant dans sa poitrine, mais la présence de Camus lui apportait le répit qu'il n'avait presque jamais eu. La satisfaction sexuelle y était pour beaucoup, surtout maintenant qu'ils commençaient à mieux appréhender leurs désirs et les manières de les satisfaire, mais il ne pouvait nier qu'ils partageaient quelque chose qui allait bien au-delà. De l'attention, une certaine forme de tendresse, et bien entendu, un apaisement véritable qu'ils acceptaient de s'accorder tacitement. Car même s'ils ne passaient pas des heures dans de longues discussions, ils se comprenaient et connaissaient parfaitement la détresse à laquelle ils étaient tous les deux confrontés.

Et puis Shura avait d'autres raisons de considérer sa situation actuelle bien plus enviable que celle des dernières semaines. Déjà, ce maudit tournoi de football était enfin terminé, mettant ainsi un terme à son supplice quasi quotidien des douches et des protège-tibias. Ensuite, sa Déesse, dans son infinie bonté, avait pris la décision de l'envoyer au Poséidon avec Shun et Shaina pour apporter un renfort humain dans le cadre des reconstructions engagées après l'incendie. En arrivant sur les lieux huit jours plus tôt, Sorrento lui avait attribué la tâche d'assister Thor et Krishna dans les différents travaux de réparation, ce qui avait parfaitement convenu au Capricorne. Le travail manuel était un très bon exutoire, permettant d'occuper le corps et l'esprit suffisamment pour éviter de penser. Et depuis le début de leur aventure campingo-estivale, éviter de penser était devenu une condition essentielle à son équilibre mental.

Et puis faire équipe avec Shun et Shaina n'était pas déplaisant. S'il ne les avait que rarement fréquentés par le passé, Shura devait reconnaître qu'ils étaient tous les deux assez intéressants. Shaina avait un caractère bien trempé – décidément une constante chez tous les italiens ? – ce qui était plutôt approprié étant donné la fonction qu'on lui avait assignée. L'Ophiuchus s'était en effet vue enrôlée aux côtés d'Albérich pour aider ce dernier dans la répartition des hordes de touristes qui devaient arriver en cette nouvelle semaine de juillet. Une activité rendue plus complexe qu'à l'accoutumée du fait de la fermeture temporaire d'une partie des espaces de l'établissement pendant la durée des travaux. Ce à quoi la personnalité du guerrier de Delta n'arrangeait rien, évidemment.

Et Shun était un jeune homme tout à fait charmant. Ils avaient travaillé ensemble à leur arrivée au Poséidon, avant que Sorrento ne demandât à Andromède de rejoindre Mime à la surveillance de la piscine en remplacement d'Isaak qu'il avait envoyé en renfort pour la réalisation des réparations du bar du camping. Probablement que la Sirène avait jugé la condition physique du Marina plus appropriée à la réalisation de ce genre de tâches. A moins que ce changement d'attribution ne dissimulât un autre dessein ? Car certains regards n'avaient pas échappé à l'attention affutée du Capricorne, même si cela ne le concernait en rien.

Arrivé dans l'allée principale du camping encore endormi, Shura bifurqua légèrement sur sa gauche pour prendre la direction des sanitaires que Kryshna et lui venaient de remettre en état. Il avait besoin de prendre une douche pour se remettre les idées en place avant de rejoindre ses nouveaux camarades sur le dernier chantier qu'ils se devaient d'achever. Le bar du Poséidon se trouvant au cœur de la forêt, celui-ci avait été sévèrement endommagé pendant l'incendie. Alors malgré les extraordinaires capacités de ceux qui œuvraient pour lui redonner l'allure qu'il avait avant d'être ravagé par les flammes, il leur restait encore plusieurs journées de labeur avant que le lieu ne fût à nouveau opérationnel.

Ce qui avait conduit Athéna à faire preuve d'un nouvel élan d'altruisme et de générosité divine en proposant à leurs anciens rivaux d'organiser une soirée conjointe au Zodiaque pour les festivités du Quatorze Juillet. En conséquence, Chevaliers, Marinas et Guerriers Divins avaient tous reçu pour consigne de se rendre au bar du Zodiaque le lendemain pour célébrer… eh bien le Capricorne n'en savait trop rien. En bon Espagnol de son état, à qui on avait un temps enseigné les exactions commises par l'armée Napoléonienne contre son peuple, il n'avait jamais été vraiment enclin à s'intéresser à l'histoire de France. Alors pour combler ses lacunes, il n'aurait qu'à interroger Camus sur l'origine de cette commémoration nationale. Ça leur ferait un sujet tout trouvé pour une prochaine conversation sur l'oreiller. Ou pas.

Après avoir atteint les sanitaires flambant neuf, Shura porta son dévolu sur l'une des nombreuses douches disponibles à cette heure matinale. Il s'installa à l'intérieur, tourna le robinet et se plaça sous le jet sans attendre que l'eau ne se fût réchauffée. A croire que depuis qu'il fréquentait le Verseau, le méditerranéen qu'il était avait appris à apprécier le froid. Il releva son visage pour sentir les gouttes fraîches perler sur son front, puis ferma les yeux.

Demain, il allait devoir retourner au Zodiaque pour autre chose qu'une partie de jambes en l'air, une quasi première depuis l'incendie. Car dès leur premier jour au Poséidon, Sorrento et Julian leur avaient offert le confort de plusieurs de leurs caravanes afin d'éviter les allers-retours inutiles entre les deux campings. Une proposition que le Capricorne s'était empressé d'accepter au même titre que Shaina qui avait été ravie d'abandonner un temps l'austérité de sa canadienne. Shun avait souhaité bénéficier lui aussi de cette généreuse attention, mais Ikki avait émis un véto fraternel catégorique que le cadet n'avait pas eu à cœur de contester.

Mais demain, le Capricorne n'aurait d'autre choix que de retourner là-bas. Et là-bas, il le reverrait lui .

Angelo.

Angelo qu'il n'avait que brièvement aperçu au cours des dix derniers jours, ce dont il aurait dû se réjouir. Sauf qu'il n'en était rien. Parce que malgré toute sa volonté et la conviction qu'il voulait placer dans son désir de l'oublier, il était incapable de ne pas penser à lui. Lui dont la seule absence lui causait bien plus de souffrance que la douleur de ne pas pouvoir l'aimer.

Shura rouvrit les yeux et se retourna pour poser les mains à plat contre le carrelage qu'il avait lui-même restauré deux jours plus tôt. Il inclina la tête pour fixer l'eau qui tombait à ses pieds avant de laisser échapper dans un murmure résigné le seul mot qui lui parut approprié :

« Mierda. »


Un peu plus tard, au bord de l'océan

Frôlant la surface de l'eau du bout des doigts, Milo filait sur les vagues avec un sentiment grisant de liberté. Et dire que Kanon avait dû insister pour le convaincre d'apprendre le surf avec lui ! Ils s'y étaient mis tous les deux à son retour de Paris, juste quelques jours après le match improvisé sur la plage contre les Généraux de l'armée du Dieu des Océans. Kanon avait été impressionné en voyant ses anciens partenaires à écailles se défouler dans les vagues, alors il avait souhaité découvrir ce sport à son tour. Et puis si un type comme Caça y était parvenu, ça ne devait pas être bien compliqué non plus.

Lors de leurs premiers essais, les deux chevaliers avaient sollicité l'expertise de deux professeurs que Kanon avait rencontrés au cours de l'une de ses escapades en solitaire dans un bar des environs. Deux mecs du coin, plutôt beaux gosses et bronzés, avec lesquels Kanon avait rapidement sympathisé et qui possédaient leur propre école de surf sur une plage voisine de celle du Zodiaque. Le premier était un type particulièrement grand pour un autochtone, avec de larges épaules et des cheveux étonnamment roux. Le second, plus petit, présentait une musculature élancée et la même chevelure que Camus au détail près qu'elle était noire comme la nuit. Et les deux portaient des prénoms typiquement français, que le Scorpion prenait beaucoup de plaisir à écorcher lorsqu'il tentait de s'adresser à eux. Sylvain et Félix, aka les Dieux de la Glisse ( ndla : Lily, cette réf-là, évidemment, elle est pour toi ! Et pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas, je vous invite à rentrer Felix Hugo Fraldarius et Sylvain Jose Gautier +/- FE3H sur AO3 ou Twitter, pour comprendre de quoi il retourne ).

Mais aujourd'hui, le Gémeaux et lui n'avaient plus besoin de leur service, parce qu'ils étaient naturellement devenus des champions. Ils n'avaient pas subi mille supplices ni sacrifié plusieurs de leurs vies pour leur Déesse et pour l'Humanité ( ndla : ah non, pardon, boulette ! Kanon et Milo ne sont morts qu'une seule fois, eux ) pour se laisser impressionner par des vagues aussi imposantes fussent-elles. Donc si les deux Français étaient encore auprès d'eux ce matin, presque à leur voler l'attention des nombreuses représentantes de la gent féminine qui s'étaient agglutinées sur la portion de plage où ils avaient choisi de surfer ( ndla : et là je me permets d'attirer votre attention sur le « presque » que j'ai placé au début de cette phrase, parce que désolée Lily, mais faudrait pas pousser non plus ! ), ce n'était pas pour eux mais pour les deux gamins qu'ils avaient eu la bonté de traîner avec eux. Hyoga, parce que Milo lui devait bien ça après tout ce qu'il lui avait fait jadis endurer, et parce que Camus le lui avait gentiment demandé. Et Seiya, parce que Kanon s'était pris d'affection pour celui qui avait tout comme lui su faire preuve d'un profond sens du sacrifice en acceptant de recevoir un truc pointu dans la poitrine pour protéger leur Déesse. Sachant que le grand héros de la dernière guerre était aussi un garçon adorable, ce qui ne gâchait rien.

Après avoir réalisé une dernière envolée à faire pâlir d'envie les héros de Point Break , Milo se dirigea vers le rivage pour rejoindre Kanon, Seiya et Hyoga qui étaient déjà sortis de l'eau. Les deux Bronzes discutaient tranquillement, le plus jeune gonflant légèrement les muscles pour impressionner deux baigneuses qui les regardaient béatement. Et Kanon prenait le soleil, permettant ainsi aux gouttes d'eau qui roulaient le long de son dos de s'évaporer avant de venir effleurer sa superbe chute de rein ( ndla : bon ben je crois que je vais aller me servir un verre d'eau fraîche, moi, hein ).

« Bon alors, les Bronzes, ça bronze ?! ( ndla : pardon ) s'exclama Milo en plantant sa planche dans le sable fin.

- Affirmatif ! Et toi, ça farte ? rétorqua Pégase en se fendant d'un rire.

- Ça quoi ?! s'enquit le Scorpion tandis qu'il tentait de libérer son opulente chevelure de la queue de cheval qui ne retenait plus grand-chose après toute cette débauche de glisse.

- Ça far-teu. Tu connais pas tes classiques, Milo ! T'auras qu'à demander à Sylvain, il sera ravi de t'expliquer.

- Ouais, ben en attendant cet éclaircissement lexical, ce serait peut-être bien l'heure de rentrer ! Parce que c'est pas tout ça, mais moi, contrairement à vous, je suis pas en congé à pouvoir me prélasser toute la journée pendant que d'autres triment au milieu du chlore et des gamins qui braillent ( ndla : ayons ici une petite pensée compatissante pour Geist et Aphrodite, de service à la surveillance de la piscine bondée du Zodiaque ). Et moi, j'ai une soirée à préparer !

- Ah oui, la fête pour le Quatorze Juillet ! approuva Hyoga en réfrénant le alors en fait non, moi je suis pas en congé, hein. C'est juste qu'en général, personne n'a envie de s'empiffrer de coupes glacées bourrées de chantilly à neuf heures du matin . D'ailleurs, Milo, poursuivit le chevalier aux cornets, tu sais si notre Déesse a prévu des feux d'artifice ?

- Pas la moindre idée. Faudra lui poser la question.

- Oh je suis sûr que Saori y aura pensé ! affirma avec enthousiasme le chevalier ailé préféré.

- Va savoir ! Alors, on y va, oui ou non ?! Kanon, c'est bon ? T'as fini de rêvasser ?! »

En replaçant sa planche sous son bras, le Scorpion envoya une gerbe de sable sur les cuisses du rêveur, ce qui eut pour effets de le sortir de sa torpeur et de profondément l'agacer ( ndla : deuxième effet Kiss Cool ! Tiens encore une publicité des années 90 ça, dites donc ! ).

« Milo ! T'es chiant ! Tu pourrais faire attention ! vitupéra le Gémeaux.

- Oh pardon ! s'amenda le maladroit volontaire. Et dis, poursuivit-il en posant une main en visière sur le haut de son front, ce serait-y-pas ton copain la Wyverne avec le Garuda et la Harpie, là-bas, qui marchent en traînant ce qui pourrait vaguement ressembler à des planches de surf ? »

Kanon feignit l'indifférence en époussetant le sable qui s'était collé sur ses longues jambes parfaitement galbées ( ndla : oui, un verre d'eau fraîche, s'il vous plaît ! ), ce qui lui permit aussi de ne pas croiser le regard de Milo. Car le Scorpion venait justement de mettre un nom sur l'objet de sa rêverie.

L'ancien Marina avait aperçu Rhadamanthe dès que celui-ci avait posé un orteil sur la plage, et ne l'avait pas quitté des yeux depuis. Mais par la Déesse, qu'est-ce qu'il foutait là ?! A marcher avec son air tellement supérieur, comme si le sable tout entier n'appartenait qu'à lui. Il s'était mis au surf ? Lui ? Sérieusement ?! Il allait vraiment se jeter dans l'océan, pour affronter le ressac et voguer dans les embruns ? Et après, que ferait-il ? Il jaillirait de l'eau, ruisselant de gouttelettes salées luisant sous le soleil, avec ses cheveux blonds plaqués en arrière et l'astre divin se reflétant dans l'or de ses yeux ?

Et merde !

Dire qu'il avait pensé se venger de son rival en l'abandonnant à son sort après lui avoir délivré le baiser le plus torride qu'il n'avait jamais donné à personne. Eh ben il se reprenait l'instrument de sa vengeance en pleine poire, avec les intérêts en plus ( ndla : deuxième effet Kiss… ! Non j'arrête avec ça !) .

Kanon finit par se redresser, attrapant sa planche au vol pour la placer aussitôt devant lui. Car il avait urgemment besoin de camoufler l'effet exercé par sa foutue rêverie torrido-démoniaque sur son anatomie.

De l'autre côté de la plage, un homme restait impassible, drapé dans un linceul d'indifférence et de flegme britannique, alors qu'intérieurement, il s'adonnait à la plus outrageante des danses de la victoire. Rhadamanthe était éminemment fier de lui. Pas de la fierté ressentie par les Dieux lorsqu'ils savaient avoir joué un mauvais tour aux malheureux humains dont ils voulaient s'amuser. Mais de la fierté éprouvée par un homme amoureux qui savait avoir ébranlé l'objet de ses désirs en le frappant en plein cœur.

Car Rhadamanthe était bel et bien un homme amoureux. Il était fort, courageux, redoutable et redouté, mais il était aussi intraitable et n'admettait pas les opinions mitigées. Il avait analysé avec pragmatisme la situation dans laquelle il se trouvait et les effets que ses dernières entrevues avec le Gémeaux avaient générés sur sa personne, et il en était arrivé à une conclusion qui ne souffrait d'aucune ambiguïté.

Il était amoureux de Kanon des Gémeaux. Celui qui l'avait mené à la mort en sacrifiant sa vie au nom de sa Déesse et dans le seul but d'annihiler son Dieu. Cela remettait-il en cause ce qu'il était au plus profond de lui ? Assurément et sans le moindre doute, et il saurait affronter le courroux de son Souverain le moment venu. Mais pour l'instant, il devait poursuivre l'objectif qu'il s'était fixé. Un objectif dont il avait longuement discuté avec Éaque à qui il avait fait part de ses réflexions. Car il connaissait l'intérêt de son frère pour les sentiments humains, et il savait ce dernier en capacité de lui apporter une aide précieuse et efficace. Et à en juger par la réaction de celui qu'il convoitait à son arrivée sur la plage, il ne s'était visiblement pas trompé.

Maintenant il ne lui restait plus qu'à réussir à se mettre debout sur cette satanée planche de bois, ce qui n'était vraiment pas gagné.

OooOooO

Sur le trajet du retour au Zodiaque, Kanon trouva un exutoire à ses fantasmes humides et salés en taquinant celui qu'il avait définitivement choisi de désigner comme son petit protégé. Seiya était une cible idéale, répondant toujours au quart de tour à la moindre petite provocation. C'était presque trop facile. Mais c'était délectable.

« Kanon, tu dis n'importe quoi !

- Si je te l'dis, gamin ! Tu peux me faire confiance. Je connais les femmes, et je sais interpréter leurs intentions lorsqu'elles ont ce genre de regard. Geist t'a à la bonne, et tu devrais en profiter !

- Kanon, sois sympa avec Seiya ! intervint le Cygne dans un élan de fraternité bronzienne. Je crois que tu le mets mal à l'aise.

- Ah bon ? Moh non ! Hein, Seiya, que je te mets pas mal à l'aise ?

- Ben si, un peu quand même.

- Mais pourquoi ? Elle te plaît pas cette nana ?

- Là n'est pas la question, rétorqua le gêné en faisant passer sa planche sous son autre bras.

- Euh, alors là, tu vois, clairement, si, insista le plus vieux. C'est même précisément LE sujet. Mais si ça peut t'aider, laisse-moi reformuler mon propos en des termes moins directs : si la belle venait à exprimer ses intentions à ton égard de manière plus précise, serais-tu disposé à vouloir en profiter ?

- Profiter de quoi ?! s'exclama une voix légèrement nasillarde qui poursuivit aussitôt : c'était sympa le surf ? Vous auriez pu prévenir, on vous aurait accompagnés, Algol et moi !

- Ah salut, Jamian ! La forme ? s'enquit Seiya principalement pour la forme (justement), parce que même s'il était ravi de pouvoir mettre un terme à l'inquisition de Kanon, il n'avait jamais pu digérer le coup des corbeaux ( ndla : ben ouais, il peut être un peu rancunier, Pégasounet ).

- On fait aller, répondit prestement l'Écossais avant d'ajouter : en plus, Algol et moi on s'est fait un nouveau pote qui se trouve être un véritable caïd du surf.

- Ah oui ? Et de qui tu parles ? interrogea Hyoga après avoir salué son aîné d'un mouvement de tête bien élevé.

- Du type que Saga a embauché pour nous donner un coup de main au nettoyage des waters. Vous savez, le grand blond qui s'appelle Brice ( ndla : toute ressemblance avec un personnage fictif ayant possiblement voué un culte au surf et à Patrick Swayze serait totalement non fortuite ).

- Évidemment ! Brice, le roi d'la glisse ! ( ndla : pardon, vraiment trop facile ! et un peu répétitif, mais comment faire autrement ? )

- Très fin, Seiya ! Tu fais dans la poésie, toi, maintenant ?

- Ben ouais, Jamian. C'est ça qu'on appelle le talent !

- Bon, c'est pas que j'vous aime pas, les kiddos ( ndla : attention, jeu de mots ! ), mais faut que j'aille me doucher. J'ai besoin de me débarrasser de ce fichu sable dont Milo m'a aspergé.

- Ça marche, Kanon ! A plus ! Bon, Hyoga, c'est bien beau tout ça, mais… t'aurais pas un petit esquimau glacé à filer à ton poteau préféré ? Parce que les vagues, ça creuse !

- Seiya ! T'es vraiment qu'un estomac sur patte ! Il est même pas dix heures du mat' !

- Et alors ? Y'a pas d'heure pour satisfaire un besoin aussi naturel que celui de s'alimenter ! »

Sur ce dernier échange plutôt savoureux – mince, Seiya lui aurait presque donné faim avec son histoire d'esquimau – Kanon s'éloigna de ses jeunes camarades pour filer vers les douches. En chemin, il rencontra Angelo qui, comme souvent à cette heure matinale, tirait une tronche de deux pieds de long en maltraitant une clope.

« Oh toi, t'as pas passé une bonne nuit ! s'aventura l'ancien Marina qui n'avait décidément peur de rien ( ndla : à la très légère exception de sombrer dans les affres du désir et de la luxure en compagnie d'une certaine Wyverne infernale ).

- La ferme, Kanon !

- Ou alors, c'est que t'as pas encore bu ton café. J'ai vu juste, c'est ça ?

- Bon, il a pas autre chose de mieux à faire, là, Mitch Bu-Kanon ?! ( ndla : ouais, j'étais en forme aujourd'hui côté jeux de mots pourris… Et pour celles et ceux qui n'auraient pas la réf : voir plus bas )

- Plaît-il ?

- Cherche-pas, tu peux pas comprendre ! Ou t'auras qu'à demander à Milo, tiens. J'suis sûr qu'il saura de quoi je parle ! » asséna le Cancer en tournant les talons.

Un peu plus tard ce matin-là, et après avoir recouvré une peau parfaitement lisse dépourvue de tout élément irritant, Kanon s'en alla retrouver Milo qui triait ses disques à côté de ses platines.

« Alors, ça farte ?

- Mince, Kanon, tu vas pas t'y mettre toi aussi !

- Désolé. Ça roule ? Tout va comme tu veux ?

- Ouais. Je crois que j'ai fait mon choix pour ma setlist de demain.

- Tant mieux ! Tu vas puiser dans quels registres musicaux cette fois-ci ?

- Si je change pas d'avis d'ici là, principalement funk metal et rock anglais, en plus des classiques du moment.

- Ça paraît plutôt prometteur ! approuva le Gémeaux en réprimant un enfin sauf pour le rock à la sauce rosbif; j'en peux plus des ingérences britanniques ! Et sinon, s'empressa-t-il de poursuivre avant de laisser ses pensées s'égarer, je peux te poser une question qui n'a strictement rien à voir ?

- Essaie toujours.

- Mitch Bu-Kanon , ça t'évoque quelque chose ?

- Yep ! se contenta de répondre le Scorpion en reposant le vinyle qu'il tenait dans sa main.

- Et… tu pourrais être plus précis, s'il te plaît ?

- C'est un perso d'une série télé. Alerte à Malibu . Ça passe tous les jours à dix-sept heures sur la première chaîne.

- Et on y voit quoi, dans cette série ?

- Principalement des mecs et des nanas qui courent au ralenti en maillot de bain sur la plage, avec une grosse bouée rouge à la main. Ah et les maillots de bain aussi, sont rouges. Si tu veux, on pourra mater un épisode ce soir. On demandera à Dohko de le mettre à la télé du bar. C'est pas prise de tête, et la musique du générique est plutôt cool ( ndla : Toutoutou-tataah ! Toutoutou-tataah ! Some people stand in that darkness, afraid to step into the light... Pardooon ! Cette fois-ci, je crois que je nage en plein délire ! )

- OK. Et comme ça, je me coucherai peut-être moins con. »

OooOooO

Plus ou moins au même moment (enfin probablement quelques minutes avant), aux abords du Kid's club du Zodiaque

Même pas encore dix heures et déjà pas loin de douze cigarettes au compteur depuis son réveil « mouvementé », voilà une journée qui commençait sur des bases un peu compliquées. Alors avant d'entamer sa dure matinée de labeur, Angelo ressortit du local où les enfants commençaient tranquillement à arriver pour assouvir son vice une dernière fois. Il alluma la Camel extirpée du paquet enfoui dans le fond de sa poche avec une grande bouffée qui en consuma près de la moitié d'un seul coup, puis cala son dos contre le mur derrière lui.

Allez, il n'y avait pas de quoi en faire tout un plat. OK, ce rêve était bizarre, vachement réaliste, hyper sensuel – ouais peut-être même carrément érotique – et lui avait filé une trique comme il n'avait probablement jamais eue, mais c'était pas un drame non plus. Et puis sérieusement, on ne pouvait pas virer sa cuti comme ça en dormant ! Certes, la plupart des psy affirmaient que les rêves reflétaient conflits intérieurs, angoisses et désirs refoulés, mais cette assertion n'engageait que leurs auteurs et ceux qui avaient envie de croire à leurs conneries. Et puis quand bien même, tous les rêves ne pouvaient pas être significatifs. Certains n'étaient rien d'autre qu'un amas de non-sens élaboré à partir des délires d'esprits tourmentés. Et le Cancer s'y connaissait en esprits tourmentés.

Finalement, il préférait quand il faisait des cauchemars et se réveillait en hurlant. Voir les visages de ses victimes se décomposer devant ses yeux pendant que leurs doigts décharnés lui lacéraient la peau, ça, au moins, il pouvait gérer. Mais se sentir submergé par un bonheur inouï en prenant son pied avec son meilleur pote, ça, c'était juste pas normal.

« On t'a jamais dit que fumer c'était pas bon pour la santé ?! »

Angelo releva les paupières qu'il ne s'était même pas rendu compte d'avoir fermées, pour voir une gamine de onze ans se dresser devant lui, avec un sourire qu'il aurait presque pu qualifier de démoniaque.

« Si tu continues comme ça, tu vas mourir d'un cancer des poumons dans des souffrances atroces, et ce sera bien fait pour toi !

- Tu sauras que certaines personnes ne craignent pas la mort, petite.

- Ça, c'est des salades ! Tout le monde fait dans son froc devant la Grande Faucheuse, même les mecs costauds dans ton genre ! »

Angelo s'apprêtait à renvoyer gentiment cette charmante petite fille dans ses vingt-deux, lorsque Marine frappa dans ses mains pour lancer le début des activités de la journée. La gamine jeta un dernier regard réprobateur au fumeur, et pénétra dans le local où s'étaient regroupés une quinzaine d'enfants, tous nouveaux pour la plupart. Puis comme il en avait pris l'habitude chaque lundi matin depuis son entrée en fonction au Kid's club du Zodiaque, Angelo se plaça au centre de la salle pour accueillir officiellement les derniers arrivés.

« Bonjour, les enfants !

- Bonjour, Angelo ! répondirent poliment la majorité des bambins.

- Bon, y'a combien de nouveaux aujourd'hui ? »

Marine, qui observait la scène en silence, indiqua le chiffre neuf avec les doigts de ses deux mains.

« OK, alors pour les nouveaux, et pour les autres également, je vais vous faire un topo rapide sur le règlement en vigueur dans cet établissement, histoire qu'on soit bien d'accord sur les fondements de notre collaboration ( ndla : oui, Angelo a une façon bien à lui de s'adresser aux enfants ). La première règle du Kid's club est…

- Bla-bla-bla ! » interrompit la petite ayatollah de l'anti-tabac.

Marine, sentant la patience de son collègue et ami atteindre dangereusement ses limites, jugea opportun de mettre un terme à cette brève introduction matinale pour lancer la première activité.

« Bon, les enfants, que diriez-vous de commencer cette formidable journée par une partie de Dessiner, C'est gagner ?! »

Le youpi général qui s'éleva depuis l'assistance attentive – bon à une petite exception près – conforta la jeune femme dans la pertinence de son choix, et le jeu débuta dans la bonne humeur et sans le moindre petit Seki Shiki Meikai Ha .

Au bout de vingt minutes de dessins plus ou moins approximatifs, ce fut au tour de la petite perturbatrice de se saisir du marqueur.

« Comment t'appelles-tu ? interrogea Marine en effaçant la dernière réalisation artistique.

- Justine.

- Très bien, Justine. Laisse parler ta créativité. Tu as une minute trente pour que tes camarades devinent le sens de ton dessin.

- D'acc, j'ai pigé », se contenta de répondre l'intéressée.

La gamine commença à dessiner des formes sur le grand tableau blanc. Un visage allongé et plutôt sec pour ne pas dire maigrichon, avec des cheveux hirsutes, un long nez pointu et… une cigarette à la taille démesurée enfoncée dans la bouche.

« Trop facile, ça ! C'est Angelo ! » s'écrièrent les enfants d'une voix unanime.

Marine éclata de rire – franchement, même Shaka n'aurait pas pu se retenir en de pareilles circonstances – bientôt imitée par tous les bambins qui s'esclaffèrent dans un brouhaha joyeux.

Angelo ne sourcilla pas et croisa les bras dans un mouvement de protestation résigné. Décidément, entre son rêve à la con et la petite peste qu'on venait de lui coller dans les pattes, ce n'était vraiment pas son jour.


Camping Le Zodiaque, plus tard dans la nuit

Une plateforme en bois qu'il devine humide sous ses pieds. Un drapeau qu'il entend claquer dans le vent, et le soleil qu'il sent réchauffer son dos. Kanon scrute l'océan une paire de jumelles plaquées contre les yeux, avec la conviction d'avoir une mission importante à accomplir. L'horizon est calme, la surface de l'eau bercée d'une très légère houle, et ce constat semble pleinement le satisfaire.

Il cesse son observation du large pour revenir vers le rivage et discerne une silhouette en mouvement au milieu des embruns. Il ajuste avec précaution ses jumelles et reconnaît Milo qui court sur le sable léché par les vagues. Vêtu d'un short de bain écarlate et serrant dans sa main droite une bouée tout aussi écarlate, le Scorpion se déplace au ralenti en soulevant des gerbes d'eau qui lui fouettent le torse et les abdominaux. Kanon se mord la lèvre inférieure devant ce spectacle qu'il pourrait volontiers qualifier de divin, puis décale promptement ses jumelles afin d'effacer de son esprit des pensées qu'il sait ô combien inappropriées. Son regard s'accroche ensuite sur une autre vue qui retient aussitôt son attention. Un cul superbement moulé dans un tout petit slip de bain aux couleurs de l'Union Jack.

Kanon relève ses jumelles pour découvrir un dos aux muscles parfaitement dessinés, un bras long et puissant maintenant une immense planche de surf plantée dans le sable fin, des épaules larges et athlétiques, et une tignasse blonde dont la vision envoie instantanément une décharge électrique le long de sa colonne. A cet instant, et comme s'il avait pu percevoir la réaction de son observateur secret, l'homme se retourne et lui adresse un clin d'œil en se léchant délicatement les lèvres.

Lorsqu'il reconnaît Rhadamanthe, Kanon retire brusquement ses jumelles qu'il laisse retomber contre sa poitrine. Il constate alors qu'il porte le même short rouge que Milo, qui – étant donné les circonstances – lui paraît beaucoup trop moulant à son goût ( ndla : le short, hein, pas Milo ). Il tente vainement de le réajuster avant de relever les yeux en direction de l'océan pour découvrir que Rhadamanthe a disparu. Kanon pousse un soupir qu'il voudrait de soulagement mais qu'il sait être d'une nature diamétralement opposée. Pour se changer les idées, il décide de rejoindre le Scorpion qui vient de s'immobiliser au bord de l'eau. Il bondit donc de la plateforme pour atterrir sur la plage, mais au lieu du sable chaud, c'est un carrelage froid qu'il sent glisser sous ses pieds.

Il se trouve dans un vestiaire, entièrement nu avec face à lui, Rhadamanthe, totalement nu lui aussi. Les deux hommes s'observent en silence jusqu'à ce que la Wyverne rompe son insoutenable impassibilité pour marcher dans sa direction avec la noblesse et l'orgueil d'un félin. Une fois parvenu à sa hauteur, et toujours sans prononcer le moindre mot, Rhadamanthe le saisit par les épaules pour l'inciter à se retourner. Il l'entraîne ensuite vers le mur de la pièce désertée contre lequel il le plaque avant de se coller à son dos. De sa main gauche, il écarte sa longue chevelure pour libérer son cou et embrasser la peau qui s'offre ainsi à lui. De sa main droite, il s'empare du sexe du Gémeaux auquel il imprime un mouvement de va-et-vient délicieux. Kanon gémit de plaisir sous l'effet de la caresse, en remerciant les cieux d'avoir placé un mur solide devant lui. Il ressent alors l'irrépressible envie de voir celui dont il peut sentir le souffle frémir contre sa nuque. Une envie qui se mue bientôt en besoin : celui de le toucher, de l'embrasser, de le caresser à son tour. Il veut faire volte-face mais Rhadamanthe l'en empêche en le plaquant plus fermement contre la paroi. Il s'apprête à protester lorsqu'une brèche dimensionnelle s'ouvre à leurs pieds et les engloutit tous les deux.

L'instant d'après, Kanon se retrouve sous un ciel de cendres incandescentes à fouler un sol gris et froid qu'il reconnaît aussitôt. Et malgré sa tunique d'entraînement qui recouvre maintenant sa peau, il se met à trembler. Il sent alors des bras puissants l'enlacer par derrière comme pour l'immobiliser. Il tourne son visage et croise les yeux de Rhadamanthe dans lesquels il ne peut s'empêcher de plonger. Celui-ci le regarde sans parler en resserrant encore son emprise avant de brusquement fondre sur sa bouche. Il l'embrasse avec un empressement tel que Kanon croit sentir ses jambes se dérober sous son poids. Il accepte son baiser, y répond avec la même voracité, et leurs langues se provoquent et s'enchaînent. Mais Rhadamanthe s'écarte subitement, fait exploser son cosmos puis, révélant toute l'ampleur de sa fureur et de sa férocité, déclenche son ultime arcane. Et tandis que les deux combattants commencent à s'envoler vers les cieux, le Troisième Juge s'exclame :

« Il n'y a toujours eu qu'un seul et unique vainqueur lors de notre combat, Kanon, et ce vainqueur, c'était moi ! »

Kanon ouvre la bouche pour contester, mais se voit une nouvelle fois aspiré vers un autre lieu. Il atterrit cette fois-ci dans un fauteuil de couleur bleu qu'il trouve particulièrement moelleux, positionné en face d'une télévision gigantesque. A l'écran, il assiste à la désintégration de son corps et de celui de Rhadamanthe en une magnifique poussière d'étoiles, ce qui le conduit à penser que mourir avec autant de panache n'est certainement pas donné à tout le monde. Puis sur cette dernière réflexion d'autosatisfaction morbide, le générique d' Alerte à Malibu commence à défiler devant ses yeux.

OooOooO

Cette nuit-là, Kanon se réveilla en hurlant et couvert de sueur. Saga sursauta dans son lit, se heurtant le haut du crâne contre le sommier de son jumeau – maudits lits superposés à l'étroitesse démesurée ! – et se leva aussitôt.

« Kanon, tout va bien ?!

- Oui, répondit le rêveur un peu hésitant. Je crois que j'ai fait un cauchemar.

- Tu veux en parler ?

- Non, pas la peine, poursuivit-il d'une voix plus assurée. Tu peux te rendormir, t'inquiète pas.

- Tu en es sûr ? Il ne faut pas garder ses angoisses pour soi, tu sais.

- Oui, vraiment, je t'assure : tout va bien. Et puis, je me souviens déjà plus de rien. Bonne nuit, Saga.

- Entendu. Bonne nuit, Kanon. »

Et cette nuit-là, Kanon se rendormit en se disant qu'il avait probablement un très gros – mais alors vraiment un très très gros – problème de santé mentale.


A suivre…

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 15 : Sweet Dream s, Marylin Manson, 1995. Chanson écrite, composée et interprétée initialement par Eurythmics en 1983. Une chanson qui convient, je trouve, parfaitement à Kanon, en particulier la version plus "sombre" de MM. Mais cette opinion n'engage que moi.

Notes:

(1) Vous aurez probablement remarqué plusieurs références cinématographiques et télévisuelles des années 90 dans ce chapitre. En plus d'Alerte à Malibu (désolée si je vous ai mis la musique du générique dans la tête), j'ai donc scandaleusement fait référence au film Point Break (sorti en 1991), avec Patrick Swayze et Keanu Reaves dans lequel il est, entre autre chose, pas mal question de surf. Film auquel notre Brice de Nice national voue un culte sans borne, bien entendu. A noter au passage que si le premier film sur le plus blond des surfeurs est sorti en 2005, la première apparition du personnage de Brice dans un sketch à la télévision date de 1995 (dans l'émission Graines de star sur M6). Et enfin, vous aurez peut-être reconnu mon clin d'œil à l'excellentissime Fight Club de David Fincher (sorti en 1999), avec qui déjà ?... ah oui : un certain Brad Pitt et un certain Edward Norton (qui sont juste énormes dans ce film !). Puisque la phrase prononcée par Angelo concernant les règles du Kid's club fait bien évidemment écho à la célèbre phrase prononcée par Tyler Durden au début de chaque séance de combats au Fight Club.
(2) Ah et nouveauté : je viens de créer la playlist associée à cette fic, qui reprend les titres que j'ai utilisés pour nommer les chapitres. C'est sur Deezer , et le nom de la playlist est : 'Le Zodiaque' (ben oui, logique !). Si jamais ça vous dit... vous n'avez qu'à cliquer ici: Le Zodiaque

Chapter 16: Girls And Boys

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, avec toutefois quelques nuances pas du tout nuancées apportées par mes soins.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Mardi 14 juillet, Camping Le Poséidon, Bureau de l'administration

Shaina était au bord de la rupture. Albérich commençait franchement à lui sortir par les yeux, avec son air supérieur et sa maudite certitude d'avoir toujours raison sur tout. Plus de huit jours qu'elle devait se coltiner sa mauvaise humeur et son insupportable condescendance, et elle avait atteint ses limites.

Vraiment, elle n'avait pas eu de chance sur ce coup. Pourquoi Sorrento et Julian avaient-ils décidé de la placer en binôme avec un tel énergumène ? Certes, son travail à la répartition des touristes s'était vu grandement compliqué par la fermeture de certains emplacements du camping pendant la durée des travaux, mais Albérich était un homme suffisamment intelligent pour affronter ce genre de difficultés tout seul. Alors pourquoi l'avaient-ils envoyée ici ? Elle connaissait les penchants de Julian pour les amusements savoureux à la sauce Machiavel, mais Sorrento ne donnait pas l'impression de partager le même goût pour le vice. A moins que la Sirène n'eût souhaité satisfaire un autre dessein en l'infiltrant ici. Comme celui de pouvoir contrôler un peu les agissements de celui qui était devenu beaucoup trop indispensable aux yeux du Dieu des Océans.

Mais que sa présence dans ce bureau fût le fruit d'une vision stratégique ou d'un divertissement malsain, le résultat n'en demeurait pas moins identique : elle en avait plein les jambières. Absolument ras l'armure.

« Shaina, tu vas finir par m'écouter, oui ou non ?! Si je te dis que le groupe de touristes écossais qui arrive demain doit être placé sur ces trois emplacements ici, c'est que j'ai raison ! s'exclama l'Asgardien en pointant un doigt convaincu sur le plan accroché au mur devant lui.

- Et moi, je te dis que tu n'es qu'un idiot ! Pourquoi balancer des britanniques au beau milieu d'un campement de hollandais ? Ils ne parlent même pas la même langue !

- Parce que nous n'avons pas la place de les mettre ailleurs. Ils sont douze, par Odin, et avec trois caravanes ! Et pour ta gouverne, les bataves sont parfaitement polyglottes, contrairement à vous autres, les italiens.

- Vaffanculo !

- Et vulgaires, en plus ! Par contre, Shaina, insulte-moi encore une fois, et je te promets que tu le regretteras !

- Je n'ai pas peur de tes menaces, nabot !

- Quoi ?! Répète un peu pour voir ?!

- Ah… Aurais-je vexé le grand Albérich de Megrez ?

- Shaina, n'abuse pas de ma patience !

- Pourquoi ? Quel genre de fureur te crois-tu capable de déchaîner contre moi ? Vas-y, surprends-moi ! Tu comptes peut-être m'enfermer dans l'un de tes ridicules petits cercueils rose bonbon ?! »

Albérich considéra un instant la jeune femme qui l'aurait certainement déjà transformé en un tas de cendres informe si elle avait pu faire jaillir des éclairs de ses yeux. Il n'avait que rarement été confronté à un tel niveau de rage et d'entêtement, mais pour être tout à fait honnête, cela ne lui déplaisait pas. Surtout que la beauté sans atours de la farouche était loin de le laisser totalement indifférent.

« On t'a déjà dit que tu avais un caractère absolument exécrable ? finit-il par déclarer.

- Oui, peut-être bien une ou deux fois. Mais va falloir que tu fasses avec ! »

Tandis qu'elle prononçait ces mots, Shaina resserra machinalement le nœud de sa queue de cheval afin de tenter de contrôler l'impulsivité de ses doigts, le tout en lançant un nouveau regard incendiaire à celui qui la fixait sans bouger. Enfin jusqu'à ce que ce dernier fondît sur sa bouche pour essayer de l'embrasser.

Shaina demeura une fraction de seconde interdite, ce qui permit aux lèvres d'Albérich d'effleurer les siennes avant qu'elle ne reprît ses esprits pour le plaquer violemment contre le mur de l'office.

« Megrez, la prochaine fois que tu essaies de me toucher, je t'arracherai la seule chose qui fait encore de toi un homme !

- Tu m'as l'air bien intéressée pour penser qu'il y aura une prochaine fois, Shaina ! » rétorqua Albérich, sarcastique.

En réaction à cette assertion qui la révolta au plus profond de ses entrailles, l'Italienne relâcha celui qu'elle avait pourtant furieusement envie d'étriper et sortit du bureau sans ajouter un mot.

Albérich s'écarta du mur en se massant la clavicule que l'Ophiuchus venait de maltraiter, et s'en alla refermer la porte que cette dernière n'avait même pas pris la peine de faire claquer. Il retourna ensuite devant la carte que leur récente altercation avait un peu malmenée et la remit en place avec application. Une fois satisfait du résultat, il porta sa main à ses lèvres qu'il effleura du bout des doigts avant de laisser un sourire malsain étirer sa bouche.

Ce baiser ne faisait pas vraiment partie de ses plans, mais il ne le regrettait pas. Il espérait juste que cet élan de désir impulsif n'anéantirait pas tout son labeur des derniers jours. En même temps, au point où il en était, il avait pratiquement atteint son but, et dans le pire des cas, il pourrait se contenter de ce qu'il savait déjà. Pourtant il devait reconnaître qu'il commençait à apprécier sa nouvelle collaboratrice, qui lui avait permis bien malgré elle d'en apprendre beaucoup plus sur le fonctionnement du Zodiaque que tout ce que Caça n'aurait jamais pu soutirer à leur malheureux petit espion. Alors ne plus la côtoyer elle et son mauvais caractère lui manquerait probablement si jamais elle décidait de mettre un terme à leur association avant la fin de sa mission au Poséidon. De là à dire qu'il s'en voulait pour ce qu'il lui avait fait subir, il n'y avait qu'un pas qu'Albérich de Megrez ne se sentait pas encore capable de franchir.


Au même moment, à l'entrée de la piscine du même établissement

Shun arriva devant le portillon vert olive et souleva le loquet de sécurité d'un mouvement agile de ses doigts. Il le referma avec précaution derrière lui − le respect des consignes avant tout − puis se dirigea vers le sacro-saint pédiluve. Un coup d'œil rapide de l'autre côté lui indiqua que Mime avait déjà pris son poste au bord du bassin, ce qui l'incita à se déchausser pour le rejoindre rapidement. Il n'était pas en retard, voire légèrement en avance, mais il avait hâte de retrouver celui qu'il avait presque toujours considéré comme un ami (ndla : ben oui, le "presque" me semble ici assez légitime malgré tout, car le guerrier d'Êta a tout de même essayé de transformer notre cher Andromède en vulgaire saucisson. Vous n'avez pas l'image en tête ? Eh bien tant mieux pour vous ! Car ce n'est certainement pas rendre hommage au Stringer Requiem de Mime).

Une voix grave qu'il entendit résonner dans son dos le poussa toutefois à s'arrêter un instant.

« Bonjour, Shun. Belle journée, n'est-ce pas ?

- Bonjour, Sorrento, répondit le Japonais avec un sourire courtois. Oui, en effet. Tout porte à croire que nous aurons du monde à la piscine aujourd'hui.

- Cela ne fait pas l'ombre d'un doute, approuva le Marina en souriant à son tour. D'ailleurs, n'hésitez pas à me faire part de la moindre difficulté. Si vous le jugez nécessaire, je pourrai vous adjoindre une personne supplémentaire pour vous assister.

- Entendu. J'en parlerai à Mime », consentit le jeune homme en relevant les yeux en direction de l'Asgardien qui les observait depuis le bord du bassin.

Sorrento suivit le regard de son nouveau collaborateur et croisa les prunelles inquisitrices de celui qui était devenu son amant. La Sirène se fendit d'un sourire, visiblement ravi de son effet, et reprit le cours de son propos avec le chevalier.

« D'ailleurs, Shun, comment se déroule ton intégration dans nos rangs ? Mes camarades se montrent-ils suffisamment aimables avec toi ?

- Oui. Tout se passe bien et tout le monde est vraiment très gentil.

- J'en suis heureux. Et toi, te sens-tu à ton aise ?

- Totalement. J'ai l'impression d'être utile, et c'est ce qui revêt le plus d'importance à mes yeux. Saori et Saga m'ont envoyé ici afin que je vous apporte mon aide, alors je suis ravi d'avoir l'impression de répondre à leurs attentes, et aux vôtres.

- Tu y réponds pleinement, sois-en assuré. Et avec Mime ? Es-tu satisfait de la nature de votre association ?

- Oui. J'ai toujours vu en lui un ami (ndla : notons que Shun est beaucoup trop poli pour mentionner l'histoire du saucisson).

- Malgré vos différends passés ? interrogea le Général en étrécissant les yeux.

- Absolument. Je n'ai jamais rien eu contre lui, et j'aurais personnellement préféré ne pas avoir à l'affronter. Ni lui, ni toi, d'ailleurs.

- Je n'en doute pas, Shun, car je connais la pureté de ton âme. Toutefois, nul ne doit regretter ce qui a été fait. Nous agissions alors selon ce que nous croyions juste, toi, Mime, moi. Mais ce qui dirigeait nos vies jadis n'a plus lieu d'être aujourd'hui. Enfin, disons que les temps ont changé, pour notre bien à tous.

- Et pour le bien de l'Humanité.

- Exactement ! Mais pour en revenir à ta personne, sache que Mime t'apprécie lui aussi. Il ne te l'avouera probablement pas lui-même, parce qu'il est bien trop pudique pour cela, mais il a été marqué par ta bonté lors de votre combat.

- Comment peux-tu savoir une telle chose ? s'étonna Andromède.

- Parce que ce que nous partageons tous les deux me permet de lire une partie de son âme.

- Ah, balbutia Shun qui commençait à comprendre.

- Et toi, Shun, as-tu trouvé quelqu'un avec qui partager ce que tu gardes au fond de ton cœur ?

- Euh, non. Je ne sais pas. Je ne crois pas, hésita-t-il.

- Pardon, je t'ai mis mal à l'aise avec ma question.

- Non, rétorqua le jeune homme en tentant de réprimer la rougeur qu'il sentait colorer ses joues. C'est juste que je n'ai jamais vraiment raisonné en ces termes.

- Alors réfléchis-y. Tu pourras peut-être trouver des réponses à certaines de tes interrogations. Car nous en avons tous, non ?

- Probablement. Bon, Sorrento, je dois vraiment te laisser. J'entends les premiers vacanciers arriver, et Mime doit commencer à s'impatienter.

- Oui, excuse-moi de t'avoir ainsi retardé. Va donc rejoindre notre ami. Je te souhaite une belle journée, Shun, et je te dis à ce soir pour les festivités du Quatorze Juillet au Zodiaque. Tu y seras, n'est-ce pas ?

- Bonne journée à toi aussi, et oui, j'y serai, bien entendu ! » s'exclama le chevalier en franchissant le pédiluve.

Ce matin-là, tandis qu'il scrutait la surface de l'eau à l'affût du moindre danger, Shun passa un long moment à songer aux propos du Marina. Il n'était plus tout à fait certain d'avoir compris ce que Sorrento avait voulu dire par les mots qu'il avait prononcés. Enfin, il en avait parfaitement saisi une partie, et cela éveillait en lui une multitude de sentiments. Ce que semblaient partager Mime et Sorrento lui paraissait exceptionnel, empreint de la pureté et de la sincérité que seuls les sentiments véritables pouvaient offrir. Aurait-il un jour la chance de vivre une telle chose lui aussi ? Finirait-il par rencontrer quelqu'un qui saurait lire son âme de la même manière que la Sirène semblait pouvoir lire celle de l'Asgardien ? Il se savait proche de June, qu'il considérait presque comme une âme sœur, mais pourtant cela lui donnait l'impression d'être tellement différent.

« Shun, tout va bien ? Tu parais bien songeur, ce matin. »

Le chevalier releva les yeux pour plonger dans le regard rubis de l'homme qui venait d'interrompre sa rêverie en se dressant devant lui.

« Oui, Mime, tout va bien. Il fait un peu chaud, c'est tout.

- Alors viens prendre ma place sous le parasol. Je te relaie au bord du bassin.

- Merci, c'est gentil.

- Non, c'est normal. L'entraide, c'est ce que se doivent des amis, n'est-ce pas ?

- Oui, tu as parfaitement raison ».


Terrasse du bar du Zodiaque, le soir-même, au cœur des festivités du Quatorze Juillet

Quoi de mieux qu'une question philosophique pour garantir une discussion de qualité lors d'une soirée entre amis ? Certains diraient volontiers tout un tas de choses diverses et variées, d'autres nuanceraient en précisant l'importance du choix de la thèse abordée dans le degré de satisfaction attendu, et les moins enthousiastes se contenteraient probablement d'un simple "vous avez dit philoso quoi ?!". Mais pour les chevaliers réunis autour de la table à laquelle avait pris place le Verseau, il n'y avait point de débat. Plus d'une heure qu'ils dissertaient sur des thèmes choisis au gré de leurs réflexions, et pas un instant Camus ne s'était ennuyé. La présence de Krishna à leurs côtés, que le Capricorne avait eu la bonne idée d'inviter à les rejoindre dès qu'il l'avait vu paraître sur la terrasse, y était pour beaucoup. Ce à quoi l'arrivée de Shiryu avait ajouté une petite dose de fraîcheur confucéenne qui n'était pas pour déplaire au Français.

Les trois hommes qui s'étaient jadis combattus semblaient aujourd'hui ravis de pouvoir converser sans barrière tout en affutant le tranchant de leurs arguments. Et Camus buvait leur parole en même temps qu'il savourait sa vodka.

Comme quoi, cette soirée ne se déroulait finalement pas si mal malgré les nombreuses appréhensions qu'il avait pu forger. Car l'idée d'avoir à nouveau Shura et Milo dans le même champ de vision avait donné des sueurs froides au Verseau (ndla : un comble, non ? ). Il n'avait pas eu à endurer ce supplice depuis la finale de la Champions League et le départ de l'Espagnol pour le Poséidon. Et la discrétion dont les deux voisins zodiacaux savaient faire preuve dans l'organisation de leurs rencontres nocturnes l'avait prémuni contre le moindre incident. Alors la perspective de cette soirée de festivités à laquelle sa Déesse lui avait fait comprendre qu'il ne pourrait déroger parce que petit un, il se trouvait être français et se devait donc de participer à cet instant de communion nationale, et petit deux, elle n'avait de toute façon aucunement l'intention d'accepter le moindre mot d'excuse − présence obligatoire non négociable, avait-elle dit – ne le réjouissait pas du tout.

Mais en définitive, il devait reconnaître ne pas passer un mauvais moment. Il palabrait avec des gens intéressants et cultivés sur des sujets passionnants. L'amertume de sa vodka était à son goût, et pour une fois, Milo semblait plus préoccupé par la musique de ses platines que par la plastique de ses groupies féminines. Le Scorpion donnait même l'impression d'être particulièrement concentré, son casque plaqué contre les oreilles et les yeux rivés sur les deux disques noirs qui tournaient devant lui. Le Grec paraissait étonnement calme et immobile, enfin si l'on faisait abstraction de la mesure qu'il battait de la pointe de son pied droit et des mouvements délicats de ses doigts. Ses doigts qui passaient de vinyles en vinyles en les effleurant d'imperceptibles caresses. Ses doigts que Camus ne pouvait s'empêcher d'imaginer parcourir sa peau, s'égarant le long de ses flancs ou dans le creux si sensible juste là, dans le bas de son dos.

« Camus, tu n'es pas d'accord avec nous ? »

La voix grave du Capricorne ramena le Verseau à la réalité sans que le moindre petit sursaut ne trahît l'instant d'égarement qu'il venait de s'accorder.

« Si, totalement, Shura : ce que l'on n'a pas, ce que l'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour (ndla : il n'est pas fortiche notre Camus national ? Balancer un truc pareil et tellement à-propos en plein milieu d'une rêverie scorpionesque, moi je trouve que c'est carrément héroïque – ou particulièrement ironique, tout dépend du point de vue).

- Socrate ?

- Presque, Shiryu : Platon. »

Camus porta lentement sa vodka à ses lèvres sous le regard compatissant de Shura qui resta toutefois silencieux.

Non, finalement cette soirée ne se déroulait pas aussi bien que ça. Camus avait cru pouvoir contenir le flot de ses pensées, mais il avait été vaincu par la pugnacité de ses sentiments. Ses yeux croisèrent une nouvelle fois ceux du Capricorne dans lesquels il eut l'irrépressible envie de chercher un soutien. Soutien qu'il sut avoir trouvé dans le sourire discret que lui accorda l'Espagnol.

A quelques tables de là, deux autres chevaliers conversaient sur des sujets philosopho-ésotériques en sirotant des jus d'ananas. Depuis la fin de la Champions League et de leurs obligations footballistiques, Shaka et Mû avaient pu donner un rythme plus soutenu à leurs séances de méditation conjointes, et la Vierge commençait à en percevoir les bienfaits depuis l'orée de son cosmos jusqu'aux tréfonds de sa conscience. Il n'avait pas encore retrouvé le degré de sérénité qui lui avait si longtemps permis de tutoyer les cercles de la divinité, mais le chemin vers Bouddha ne lui paraissait aujourd'hui plus aussi sinueux.

Le Bélier lui apportait la force et la confiance qui lui avaient fait si cruellement défaut depuis son retour parmi les vivants, ainsi que ce petit quelque chose en plus sur lequel il était bien incapable de mettre un nom. Un mélange de bienveillance et de réconfort qui rendait à son être cette étincelle de vie qu'il croyait avoir perdue, mais aussi l'impression singulière de combler un vide qu'il ne savait même pas exister.

Oui, la présence de Mû à ses côtés lui apportait bien plus qu'un soutien visant à favoriser l'ancrage de l'âme de Bouddha à son esprit. Elle éveillait en lui tout un pan de sa conscience qu'il n'avait encore jamais appréhendé, animant ses chakras d'une chaleur délicate dont il n'était nullement familier. Une chaleur qui se répandait de la surface de sa peau jusqu'au plus profond de ses entrailles, et ce même une fois plongé dans la solitude de ses nuits.

Une chaleur qu'il sentait à cet instant courir sous ses paupières et le long de son dos, tandis que la voix douce du Bélier résonnait en lui tel un mantra rassurant au cœur du brouhaha ambiant et en dépit des choix musicaux du Scorpion. Et une chaleur qui ne le quitterait pas jusqu'à leur prochaine séance, que son ami venait à l'instant de fixer au surlendemain à six heures du matin, au pied de la grande dune.

A la perspective de ce rendez-vous qu'il était certain d'attendre dans la paix et l'harmonie, Shaka écarta les lèvres pour murmurer des mots que lui seul pouvait comprendre : « Lo kah Samastah Sukhino Bhavantu » (ndla : oui, à chacun sa façon de gérer l'excitation, hein… Bon et pour ceux qui comme moi ne connaîtraient pas le moindre mot de sanskrit au-delà de Namasté, la phrase que Shaka vient de prononcer pourrait être interprétée comme une prière souhaitant le bonheur et le bien-être pour toute l'Humanité. Source : notre nouveau Dieu à tous : ChatGPT).

A la table voisine, un jeune homme était loin de partager l'état de quasi béatitude dans lequel la Vierge semblait avoir sombré. Les doigts crispés sur le touilleur de sa Caipirinha – un cocktail préparé avec soin par la Balance sous les conseils avisés du Taureau – Seiya tentait de contenir la rougeur de ses joues en maltraitant des citrons. Car depuis le début de la soirée, il n'avait plus aucune raison de douter du talent de Kanon pour lire les intentions des femmes. Geist s'était installée à sa table dès qu'elle avait mis un pied sur la terrasse, et le regard assassin qu'elle avait jeté aux quelques chevaliers qui se trouvaient là avait suffi à les faire fuir sans qu'aucun ne demandât son reste.

La jeune femme s'était ensuite appliquée à exprimer de manière plus précise le fond de ses pensées à celui qu'elle était ravie de côtoyer au quotidien sur les bords du bassin. Et pour s'assurer de ne plus maintenir la moindre once d'ambiguïté, elle venait de poser une main inquisitrice sur le haut de la cuisse du chevalier Pégase, qui ne savait absolument pas comment réagir devant une telle situation.

Affronter des guerriers sans pitié, perdre le contrôle de ses cinq sens, s'écraser contre des colonnes, ça, il pouvait gérer. Mais des doigts chauds remontant lentement le long de ses muscles, là, il devait reconnaître qu'il se sentait perdu.

Seiya entreprit donc de chercher un soutien. Ses camarades étant soit trop loin soit trop occupés pour lui venir en aide, il dut se résoudre à trouver un plan B. Un plan B qui mesurait plus de deux mètres de haut et qui tenait dans sa main un contenant de la taille d'une carafe aux trois quarts rempli d'un liquide doré surmonté de mousse. Thor répondit au sourire de son ancien ennemi par un salut chaleureux qui redonna espoir au chevalier en détresse, avant de poursuivre sa route sans prononcer un mot (ndla : et oui, Seiya, tu n'es pas le seul à pouvoir se montrer rancunier…).

Alors en ultime recours et pour reprendre le contrôle de son destin, Seiya se leva subitement de sa chaise, salua poliment la jeune femme qui lui jetait déjà un regard furibond, et tourna promptement les talons (ndla : ailés, les talons, bien entendu).

En voyant son compagnon passer presque en courant devant lui, Hyoga se demanda quelle mouche avait bien pu le piquer. Il l'aurait volontiers rattrapé pour lui poser la question s'il en avait eu et le temps et l'envie, ce qui n'était pas son cas à cet instant précis. Car il était trop occupé à boire les paroles de la jeune femme à la longue chevelure blonde avec laquelle il s'entretenait depuis près d'une demi-heure.

Thétis lui expliquait à quel point elle aimait le surf et la sensation de liberté que la glisse lui procurait. Combien elle appréciait sentir l'eau salée perler sur sa peau et le soleil réchauffer son dos lorsqu'elle regagnait le rivage après une dernière danse dans les rouleaux. Et Hyoga se sentait comme ensorcelé par les mots de la Danoise, qui s'insinuaient en lui avec la langueur d'un chant hypnotique (ndla : rien d'étonnant, vous me direz; l'effet du chant des Sirènes sur les marins [chevaliers] égarés, tout ça).

Oui, tout aurait pu être absolument parfait sans l'arrivée inopinée de son ami Isaak, accompagné de Fenrir et Hagen qui décidèrent d'interrompre leur charmante conversation pour en pervertir le contenu. Car à peine les deux Asgardiens s'étaient-ils installés à leur table, qu'ils avaient pris le Cygne pour cible de leur moquerie. A les écouter, le chevalier manquait cruellement de style lorsqu'il tentait d'amadouer les vagues, ce qui semblait particulièrement curieux pour un palmipède à la grâce prétendument légendaire. Thétis avait aussitôt pris sa défense en arguant que pour un débutant, Hyoga ne s'en sortait pas si mal. Un argument que le Russo-Japonais avait accueilli avec gratitude, malgré l'usage du « si » qui l'avait bien un peu blessé dans son orgueil.

Le Kraken était quant à lui resté étonnamment en retrait, visiblement non désireux de prendre part au débat concernant les capacités de celui qui était redevenu son ami. Hyoga ne s'en offusqua pas, mais ne put s'empêcher de s'interroger sur les raisons de ce silence. Ce à quoi le sourire lumineux qu'il vit apparaître sur le visage du Finlandais lorsque Thétis lui adressa à nouveau la parole apporta une réponse immédiate.

Isaak était donc tombé amoureux. Cela n'avait rien de surprenant étant donné la beauté de celle qu'il avait si longtemps côtoyée au Royaume du Dieu des Océans. Mais cela leur donnait une nouvelle raison de devenir rivaux. Car Hyoga venait lui aussi de céder aux charmes de la Sirène.

A deux tables à côté, la douce effluve des sentiments amoureux virevoltait autour d'un autre membre de la chevalerie d'Athéna (ndla : déciment, une véritable épidémie estivale !). June du Caméléon écoutait son ancien camarade d'entraînement avec un regard rêveur et empreint d'admiration, le tout en remuant la glace de son cocktail dont il ne restait plus rien depuis longtemps.

Elle avait retrouvé Shun sur la terrasse au tout début de la soirée, et leur discussion s'était rapidement orientée vers l'expérience de ce dernier dans les rangs du Poséidon. Shun lui contait à quel point il avait été bien accueilli et combien il se plaisait dans la fonction de surveillant de baignade qu'on lui avait assignée. Mime l'avait formé aux principaux gestes de sauvetage dès que Sorrento avait pris la décision de le placer à ce poste, et même s'il n'avait pas eu le temps d'obtenir un diplôme officiel, les bases que l'Asgardien lui avait enseignées lui permettaient de se sentir confiant et apte à exercer cette nouvelle activité.

June était ravie d'apprendre que la mission de son ami se déroulait sans encombre et qu'il semblait même apprécier cette expérience imprévue, mais ses pensées étaient en réalité dirigées vers un tout autre genre de réflexions. La jeune femme essayait depuis trop longtemps de refouler les sentiments dont elle avait pourtant pris conscience bien des années auparavant. Depuis que Shun avait rejoint l'île inhospitalière que le sort lui avait désignée pour suivre son entraînement (ndla : enfin, à peu de chose près, hein…). Cette île qui les avait vus grandir et devenir chevaliers. Cette île qui, malgré toutes les souffrances qu'ils avaient dû endurer, avait fini par devenir la leur.

« Et toi, tout se passe bien au Zodiaque ? »

June cligna lentement des paupières pour balayer de son esprit des souvenirs qu'elle savait trop présents, et répondit à celui qui la regardait avec la bienveillance qu'elle lui avait toujours connue :

« Oui. La routine, même si nos journées à la réception sont plutôt bien remplies.

- Et j'imagine que ça va aller crescendo avec le début de la pleine saison !

- C'est effectivement ce qui semble être prévu. Et ça devrait durer comme ça jusqu'au Quinze Août. Il paraît que c'est l'une des règles immuables du tourisme français depuis l'avènement des congés payés. Enfin selon l'avis de Shaka en tout cas.

- Alors si c'est Shaka qui le dit, c'est que ça doit être vrai ! (ndla : fayotage ? ironie ? fraternité virgo-chevaleresque ? Je vous laisse seuls juges). Et pour les autres, quoi de neuf ? poursuivit Andromède désireux de continuer son tour d'horizon zodiacal.

- Ikki ne te tient vraiment au courant de rien ? s'enquit June en relevant un sourcil.

- Ben tu le connais : les longues discussions, c'est pas vraiment son truc. Surtout quand il s'agit de discuter des autres. Enfin, disons qu'il se limite aux événements qu'il juge essentiels.

- Je vois. Alors pour satisfaire en partie à ta curiosité, je peux déjà te dire que ces derniers temps, Seiya et Hyoga ont eu l'air particulièrement occupés.

- Toujours leur nouvelle passion pour le surf ?

- Oui, mais pas que, précisa le Caméléon en désignant d'un discret mouvement de son index la table de leur ami le Cygne.

- Ah oui, je crois que Hyoga est ravi de pouvoir à nouveau passer de bons moments avec son ami Isaak, observa Shun avec enthousiasme.

- Certes, approuva la jeune femme sur un ton amusé. La discrétion et la pudeur dont Shun savait faire preuve constituaient l'un des nombreux traits de caractère qu'elle appréciait chez lui, mais elle ne pouvait s'empêcher de trouver ça mignon.

- Et Shiryu, comment va-t-il ? Je n'ai pas encore eu le temps de lui parler aujourd'hui.

- Shunrei et lui sont en pleine forme. Ils apprécient beaucoup de travailler tous les deux à l'épicerie, même s'ils ont été ravis d'accueillir les renforts supplémentaires que Saga et Saori ont accepté de leur accorder.

- Tant mieux. Par contre, je crois que je n'aurai malheureusement pas l'occasion de discuter avec lui ce soir, car je le vois qui s'en va. »

Shun salua le Dragon lorsqu'il passa devant leur table pour rejoindre Shunrei qui l'attendait de l'autre côté de la terrasse. Il était un peu déçu de ne pas avoir pu échanger avec son ami durant la soirée, celui-ci ayant été occupé à converser avec Camus, Shura et Krishna. Mais il savait qu'il pourrait se rattraper une autre fois, et voir son camarade partager un moment convivial avec deux guerriers qu'il regrettait tellement d'avoir tués étreignait son cœur d'un bonheur véritable.

Comme quoi, cette aventure estivale, voulue et organisée par leur Déesse, semblait leur apporter beaucoup à tous. Ils pouvaient retisser des liens qui avaient été perdus, réparer ceux qui avaient été brisés ou en forger de nouveaux. Et même si cela ne parviendrait probablement jamais à effacer la culpabilité, c'était plutôt un bon début.

Cette pensée le fit détourner les yeux vers Mime et Sorrento qui s'étaient installés près du bar à leur arrivée un quart d'heure plus tôt. Il constata alors que les deux hommes le regardaient tandis que l'Autrichien murmurait des mots à l'oreille de l'Asgardien. Le Marina lui adressa un sourire chaleureux auquel il répondit aussitôt, avant de tenter de contrôler la confusion qui irisait déjà ses joues.

« Et Mime et Sorrento, alors ? Tu t'entends bien avec eux ? »

Shun porta son verre à ses lèvres dans un réflexe visant à masquer sa gêne – June avait-elle remarqué quelque chose dans son attitude pour lui poser une telle question ? – puis formula une réponse qu'il voulut la plus détachée possible :

« Oui. Mime est un collègue avec qui il est très agréable de travailler, et Sorrento se donne beaucoup de mal pour faciliter mon intégration.

- Tant mieux. Ils ont l'air sympa en tout cas ! D'ailleurs, je serai ravie de pouvoir faire plus ample connaissance avec eux. Ça te dérange si on les invite à notre table ?

- Non, pas du tout ! » rétorqua Shun tandis qu'il se mordait l'intérieur des joues. Il allait devoir porter sa concentration à son paroxysme pour ne pas devenir aussi rouge que le Cosmopolitan qu'il serrait entre ses doigts. Une recommandation de breuvage suggérée par son ami le Poissons qu'il avait appris à déguster avec plaisir et modération, et ce malgré les coups d'œil désapprobateurs en provenance d'un certain oiseau ultra-protecteur qui s'affairait à proximité du comptoir.

Et pendant ce temps-là justement, le chevalier au Cosmo (ndla : à ne pas confondre avec le chevalier au Cosmos, parce que là, ce serait beaucoup moins parlant) observait tout ce beau monde en silence. Aphrodite sirotait son cocktail avec élégance sans perdre une miette de tout ce qui se jouait devant ses yeux. A sa droite, Krishna de Chrysaor venait de prendre congé, laissant Camus et Shura seuls face à leurs débats d'intellos (ndla : et non, je n'ai pas écrit ébats !). A sa gauche, Shun dégageait une chaise pour permettre à Mime de Benetnash de s'asseoir à ses côtés tandis que Sorrento de la Sirène prenait place auprès de June. Un peu plus loin derrière eux, une autre Sirène semblait avoir conquis le cœur de deux amis qui allaient donc redevenir rivaux. Et encore un peu plus loin, une jolie brune tentait de canaliser sa colère contre un certain canasson qui pour la première fois de sa vie venait de prendre la fuite avant le début du combat.

Et il n'avait analysé que la moitié de la terrasse ! Aphrodite n'était pas assez hypocrite pour nier prendre un plaisir infini à se délecter du spectacle que lui offraient ses camarades, même s'il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour certains. Son regard se tourna alors naturellement vers le Capricorne qu'il vit se mettre debout et commencer à s'éloigner. Il leva la main pour l'interpeler d'un mouvement de bras délicat – comment ça, Shura s'apprêtait à quitter la soirée sans même lui avoir dit bonsoir ?! – lorsqu'il aperçut Camus abandonner la table à son tour.

Tiens. Tiens. Tiens.

Ça frétillait la grosse anguille sous le tout petit caillou.

Mais après tout, pourquoi pas ? Aphrodite connaissait les sentiments qui animaient ses deux riverains du Sanctuaire, pour l'un depuis longtemps, pour l'autre depuis peu, et ils avaient donc probablement toutes les raisons du monde de vouloir discuter tous les deux. Et peut-être de faire deux ou trois autres petites choses, aussi.

Aphrodite saisit son verre entre ses doigts pour le porter à sa bouche sans chercher à dissimuler le sourire que ses réflexions faisaient naître sur ses traits. Mais sa main se figea avant que ses lèvres n'eussent goûté l'amertume de son cocktail. Des soubresauts dans deux cosmos familiers venaient de briser l'harmonie du moment et du lieu. De très légères oscillations imperceptibles pour la plupart mais qui ne pouvaient échapper à l'attention du Poissons.

Voilà qui rebattait les cartes et incitait à élaborer un nouveau paradigme.

Milo et Angelo ne semblaient pas du tout ravis du départ de leurs deux meilleurs amis respectifs.

Oui, le moment était probablement venu de définir de nouvelles règles du jeu.

Avec changement d'atouts et nouvelle donne.

Notes:

A suivre...

Merci pour votre lecture. Prenez soin de vous.

Référence pour le titre du chapitre 16 : Girls And Boys, Blur, 1994.

Chapter 17: Wannabe

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent encore et toujours à Masami Kurumada et à lui seul, et heureusement pour eux ! Enfin sauf pour l'un d'entre eux, dont j'ai tiré l'inspiration d'un personnage de fiction créé par un certain J.D. oscarisé ;-)

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Au même moment, toujours sur la terrasse du bar du Zodiaque

Whisky, briquet, cigarettes. Se concentrer sur l'essentiel, oublier tout le reste. Voilà quelles devaient être les priorités d'Angelo. Mais par la Déesse et son divin sceptre, c'était pas une paire de tartes ! (ndla : je sais, cette expression n'existe pas, mais à moi, elle me plaît bien)

Et puis d'abord, pourquoi réagissait-il ainsi ? Shura était parti sans lui avoir dit bonne nuit, mais c'était loin d'être un comportement inédit. Alors c'était quoi cette sensation qui lui vrillait les tripes depuis qu'il avait vu le Verseau se mettre debout pour suivre le Capricorne ? Cette sorte de picotement douloureux qui s'insinuait le long de sa colonne pour venir titiller la base de son crâne tandis qu'une question d'apparence anodine lui grignotait le cerveau.

Mais pourquoi Shura avait-il quitté la soirée aussi tôt, et surtout − oui surtout : pourquoi l'esquimau du Onzième avait-il suivi l'Espagnol comme si ce dernier avait emporté toute la glace de Sibérie avec lui ?!

Angelo n'en avait pas la moindre idée et n'avait pas du tout envie de savoir. Parce que la possibilité que Shura puisse s'envoyer en l'air avec un pingouin psychorigide vaguement snobinard ne le concernait en rien. Parce que l'éventualité qu'un insensible aux mains froides puisse faire traîner ses doigts sur le corps si chaud de son meilleur pote ne le regardait pas. Parce que l'idée qu'un autre homme que lui puisse se permettre de le toucher pour lui faire prendre son pied ne le dérangeait pas.

Non. Pas du tout. Pour preuve, il n'était absolument pas en train de s'imaginer saisir le Verseau par la peau du dos pour le jeter dans un certain puits dont le Français ne reviendrait pas de si tôt. Et cette image ne faisait en aucun cas apparaître un rictus sadico-malsain sur ses lèvres entre lesquelles il venait de glisser une énième cigarette.

Ah mais, stop !

Il était en plein délire ! Camus était parti moins de deux minutes après Shura, et alors ? Ils avaient passé une bonne partie de la soirée à discuter tous les deux, avec le plus tatoué des moines Shaolin et le plus flippant des iroquois aquatiques, donc rien de bien étonnant à ce qu'ils fussent partis se coucher lorsque ces derniers avaient finalement décidé de prendre congé.

Mais merde, pourquoi étaient-ils partis ensemble ?! Pour se tenir mutuellement compagnie au moment de se brosser les dents ? Même pas, puisque Shura avait probablement laissé sa brosse à dents dans sa nouvelle caravane, là-bas, au Poséidon. Donc il ne restait plus qu'une seule explication, et cette explication ne plaisait pas du tout au Cancer. Et ce que le Cancer appréciait encore moins, c'était le sentiment que toute sa brillante analyse était en train de générer chez lui. Un vilain maelström d'émotions sur lequel il était finalement parvenu à mettre un nom.

Jalousie.

Merde, il était jaloux. Ben voyons ! Comme si rêver de faire des trucs torrides avec son meilleur pote ne suffisait pas, maintenant il fallait qu'il se montrât jaloux d'une chose qui n'existait probablement que dans sa tête.

Parce que tout cela était forcément le fruit de son imagination. Puisque s'il existait le début de quoi que ce soit entre le Capricorne et le Verseau, Aphrodite, en fin observateur des interactions humaines, aurait obligatoirement été au courant, et donc par la force des choses, il l'aurait été également. Car comment le Poissons aurait-il pu garder une telle information pour lui ?

Il était donc victime d'une bonne crise de parano aux relents franchement psychotiques. La faute à ce rêve à la con et aux effets que celui-ci exerçait toujours sur son esprit torturé. Et devant une telle situation, une seule réaction lui semblait saine et opportune. Il devait se trouver une nana pour passer la nuit. Jeune, belle et parlant exclusivement une langue dont il ne piperait pas un mot. Oui, c'était exactement ce dont il avait besoin.

Alors Angelo termina son whisky, écrasa son mégot dans le cendrier devant lui, et se mit debout pour partir en chasse.

De l'autre côté des platines, un deuxième chevalier ruminait sa jalousie et sa peine en feignant la bonne humeur et l'enthousiasme. Milo essayait de se convaincre qu'il n'avait rien vu ou que ce qu'il aurait préféré ne pas voir ne l'affectait pas, mais ses capacités d'auto-persuasion avaient depuis longtemps atteint leurs limites.

Il avait secrètement espéré que le départ de Shura pour le Poséidon aurait mis un terme à ce qu'il avait surpris cette nuit-là sur la plage, mais ce n'était visiblement pas le cas. Après, cela n'avait rien de bien surprenant non plus, car si comme il l'imaginait, Shura et Camus couchaient ensemble depuis des années, ce n'était pas un petit éloignement temporaire qui pourrait les inciter à arrêter de s'envoyer en l'air.

Pourtant, il n'avait pas pu s'empêcher de vouloir y croire. Il avait même songé que l'absence du Capricorne lui donnerait l'occasion de se rapprocher de Camus pour essayer de lui parler. Pour lui avouer qu'il savait, qu'il avait tout compris et qu'il était heureux pour lui. Que d'apprendre qu'il avait trouvé son bonheur dans les bras d'un autre ne lui retournait pas les entrailles. Que de prendre conscience que jamais il ne pourrait se blottir contre lui la nuit pour ne plus faire de cauchemars ne lui causait pas cette horrible sensation de vide qui le bouffait de l'intérieur. Parce qu'il ne l'aimait pas comme un fou depuis toujours, et qu'il ne regrettait pas d'avoir fait le choix de garder ça pour lui.

Oui, Milo aurait aimé pouvoir dire toutes ces choses à Camus, mais et de une, il n'avait pas eu le courage de l'aborder pour parler d'un autre sujet que du temps qu'il faisait et des séances de surf auxquelles il avait accepté de traîner son disciple. Et de deux, il ne lui aurait de toute façon pas tenu de tels propos. Parce que pas le moindre mot de tout ce baratin n'était vrai. Parce que Camus n'avait probablement pas envie de connaître la vérité. Et parce qu'il ne voulait pas risquer de perdre le peu de ce qu'il restait de leur amitié.

Et comme si se morfondre sur sa douleur et sa lâcheté ne suffisait pas, une autre pensée s'était incrustée dans sa tête depuis qu'il avait compris ce qui existait entre Camus et Shura. Une pensée à laquelle il essayait de ne pas accorder d'importance mais qu'il ne pouvait se résoudre à ignorer pour ne pas sombrer.

S'il avait agi différemment cette nuit-là à Paris, la situation serait-elle la même aujourd'hui ? S'il avait avoué ses sentiments à Camus après l'avoir embrassé au lieu de l'abandonner dans ce maudit couloir, comment son meilleur ami aurait-il réagi ? Est-ce que ce soir, Camus serait resté avec lui au lieu de partir avec le Capricorne ? Et s'apprêterait-il à passer la nuit dans son lit au lieu de la passer dans le lit d'un autre ? Mais comme disait Camus, avec des si, on mettrait Paris en carafe. Ou bien était-ce plutôt en bouteille ? Bah, il ne savait plus trop.

Des cris bestiaux en provenance du bar ramenèrent enfin le Scorpion à la réalité. Son dernier choix musical rencontrait visiblement un grand succès auprès d'un groupe de touristes hollandais. En voilà au moins qui avaient bon goût, car quoi de mieux que Give It Away des Red Hot pour se réveiller un peu avant de vraiment débuter une soirée ?

Une soirée qu'il n'avait plus l'intention de terminer tout seul maintenant que ses bonnes résolutions s'en étaient allées en même temps que son meilleur ami.

Alors Milo lança le prochain morceau, passa une main dans ses cheveux pour tenter de les remettre en ordre (ndla : l'espoir fait vivre !), et décocha un sourire ravageur à l'une des jeunes femmes qui depuis près d'une demi-heure ne le quittait pas des yeux.


Ikki bouillait de l'intérieur et frottait le comptoir avec son torchon comme s'il avait souhaité le polir à mains nues. Sa frustration et sa colère se répandaient en lui avec l'efficacité d'un poison contre lequel il ne connaissait pas d'antidote, à l'exception peut-être d'un combat acharné contre les taches causées par le contenu de deux ou trois verres renversés.

Mais pourquoi Shaina devait-elle avoir un caractère aussi imbuvable ?!

Il s'était pourtant juré d'être agréable, courtois et bien élevé, pour lui faire comprendre à quel point sa présence lui manquait. C'était d'ailleurs précisément ce qu'il lui avait dit, et la Belle avait pourtant pris la mouche. Pourquoi ? Parce qu'il avait eu le malheur d'apporter une petite précision qui n'avait pas été du goût de l'Italienne. Parce qu'il avait eu la mauvaise idée d'ajouter un malheureux qualificatif totalement inoffensif pour approfondir sa pensée. Oui, il lui avait dit qu'elle lui manquait, enfin que sa présence professionnelle lui manquait, et il ne voyait pas en quoi cela constituait un problème. Ce n'était que la stricte vérité. Son professionnalisme, son efficacité, son esprit d'analyse lui manquaient. Alors pourquoi le regard de l'Ophiuchus était-il subitement devenu aussi électrique que ses attaques lorsqu'il avait prononcé ce petit mot sans importance ?

Mais à quoi Shaina s'était-elle attendue ? A ce qu'il lui balançât comme ça, l'air de rien, que toutes ses heures passées à trimer des deux côtés du comptoir lui étaient devenues insupportables depuis qu'elle était partie ? Que ses soirées à naviguer entre les tables des clients n'avaient plus la même saveur depuis qu'elle n'était plus là pour naviguer avec lui ? Que les dictons de Dohko lui paraissaient encore plus abscons sans elle pour leur donner un sens ? Que depuis qu'il ne pouvait plus l'observer se démener derrière le bar, il pensait à elle sans arrêt ? Parce qu'elle lui manquait, tout simplement.

Non mais sans déconner, elle s'attendait à quoi ?! Et lui, à quoi s'était-il attendu ? Certainement pas à ça en tout cas.

Ouais, il avait merdé. Il devait au moins avoir l'honnêteté de le reconnaître. Il aurait mieux fait de la boucler et de ne rien vouloir dire du tout. Rester silencieux, c'était encore ce qu'il savait faire de mieux. Enfin sauf depuis qu'il fréquentait cette nana-là.

« Ikki, je crois que c'est bon, tu peux arrêter de frotter ! Ou sinon, il faudra demander à Saga de nous faire livrer un nouveau comptoir. »

Le Phoenix releva la tête en direction de la Balance qui se sentit obligé de préciser en étrécissant ses yeux aux iris malicieux :

« Le bar, je crois qu'il est propre.

- Ouais, mais ces fichus hollandais en ont foutu partout lorsqu'ils ont brandi leurs verres en l'air pour célébrer cette chanson à la con ! Et le mélange Pinard - Coca, c'est corrosif et ça tache ! (ndla : ouais, beurk ! Mais je sais que quelqu'un se reconnaîtra ;-) )

- Eh bien, il me semble que toute trace de leur excentricité a maintenant été effacée. Tu peux donc reposer ton torchon et apporter la commande de la table numéro sept. Et je sais que Shaina a bientôt terminé son service pour ce soir – merci à elle d'ailleurs d'avoir accepté de rempiler pour nous donner un coup de main –, mais tu pourras lui demander de débarrasser la table cinq avant de rendre son tablier, s'il te plaît ?

- T'auras qu'à le lui demander toi-même ! Moi je l'ai assez entendue pour aujourd'hui !

- Le cœur ne parle jamais, mais il faut l'écouter pour le comprendre.

- Ouais ben là, y'a clairement de la friture sur la ligne ! » se contenta de répondre Ikki en saisissant le grand plateau tendu par Dohko avant de repartir à l'assaut de la terrasse.


Shaina défit le nœud du petit tablier noir qu'elle portait autour de la taille et le balança sur la desserte de l'autre côté du comptoir. Elle salua Dohko sans chercher à poursuivre la conversation au-delà de ce que la stricte politesse lui imposait, et partit retrouver ses amis argentés qui conversaient à une table isolée à l'autre bout de la terrasse.

Étant donné l'heure tardive, Misty avait fort heureusement terminé son service au restaurant, et elle allait donc pouvoir déverser toute sa frustration et sa colère à son oreille attentive. Car par la Déesse, à quel point elle était frustrée ! Exaspérée. Totalement à bout de nerfs ! Les hommes n'étaient tous que des idiots, prétentieux, imbus de leur insignifiante personne, et incapables de comprendre quoi que ce soit aux intentions des femmes.

Et encore, s'il n'y avait eu que ça…

Car deux autres sentiments dissimulés au milieu de sa fureur contribuaient à la mauvaise humeur de l'Ophiuchus. La déception et la tristesse. Et devoir le reconnaître décuplait la rage qu'elle ressentait contre celui qui l'avait mise dans cet état, mais aussi la rage qu'elle ressentait contre elle-même. Parce qu'elle avait eu la faiblesse de se réjouir à l'idée de revoir cet imbécile de Phoenix insensible, et que cet oiseau de malheur avait encore une fois tout gâché.

Comment avait-elle pu être assez naïve pour laisser son cœur s'emballer lorsque cet idiot avait commencé à parler et à lui dire qu'elle lui manquait ? Comment l'impitoyable guerrière qu'elle était, qui s'était jurée de ne plus jamais permettre à un homme de la faire souffrir autrement que lors d'un combat – et encore, il n'était qu'une poignée à pouvoir espérer l'effleurer avant de passer de vie à trépas –, avait-elle pu attendre autre chose de la part de celui qu'elle avait pourtant appris à connaître et apprécier ? Ikki ne voyait en elle qu'une collègue, une collaboratrice efficace et de confiance, et il avait raison de s'arrêter strictement à ce constat. Mais au fond d'elle, Shaina savait qu'elle en espérait davantage, et combien elle pouvait détester cette idée !

Sa vie ne serait-elle pas plus facile sans ces maudits sentiments inutiles qui n'existaient que pour la déstabiliser ? Pourquoi ne pouvait-elle pas se contenter d'être la guerrière froide et intraitable qu'elle s'était promis de rester ?

En arrivant à proximité de ses amis, Shaina prit une profonde inspiration pour reprendre le contrôle de sa personne et modérer les sursauts de son cosmos. Hors de question de laisser ses ressentiments à la portée du premier chevalier venu ! Et elle se préparait déjà à répondre au sourire chaleureux de Misty lorsque ses yeux eurent la mauvaise idée de se détourner un peu trop sur sa gauche.

Mince, mais qu'est-ce que ce maudit nabot vicieux faisait là ?! Comment pouvait-il avoir le culot de montrer le bout de son horrible nez sournois maintenant et ici, surtout après ce qu'il avait osé entreprendre le matin-même ?! D'accord, tous les Marinas et Guerriers Divins avaient été officiellement invités, mais lui, quand même… Athéna aurait pu faire une exception !

Et en plus, il la regardait. Il avait l'audace de la regarder, et en souriant en plus ! Shaina dut redoubler d'effort pour contrôler sa fureur et son agressivité, et ne pas sauter à la gorge d'Albérich pour l'étrangler. Voire l'éviscérer. Voire les deux.

Décidément, les hommes lui sortaient vraiment par les yeux. Tous des imbéciles contre lesquels elle se serait volontiers permis de déchaîner ses griffes sans la présence olympienne de sa Déesse et sa volonté d'apaisement. Enfin tous sauf son meilleur ami, qui lui, était vraiment un mec bien. Alors Shaina prit une autre profonde inspiration, releva la tête avec fierté, et rejoignit Misty qui l'accueillit en lui tendant un cocktail dont les teintes ambrées l'apaisèrent aussitôt.


Les doigts serrés autour de son verre qu'il ne s'était pas encore donné la peine de goûter, Albérich faisait semblant d'écouter les propos insignifiants de ses deux compatriotes en observant la seule personne qui revêtait un intérêt à ses yeux. De toute façon, Syd et Bud n'avaient qu'un sujet de conversation à la bouche depuis qu'ils étaient arrivés au Zodiaque : les Chevaliers d'Athéna, leur médiocrité et leurs nombreux défauts. A l'exception toutefois de l'un d'entre eux, qu'ils ne pouvaient considérer autrement qu'avec bienveillance sans passer pour des ingrats. Ikki du Phoenix qui venait de mettre sa chère Ophiuchus dans une rage presque aussi noire que celle dont il avait tantôt fait l'objet.

Existait-il quelque chose entre ces deux-là ? Est-ce que la possibilité que cela fût le cas le contrariait pour ne pas dire que cela le rendait jaloux ? Et si oui, pour quelle raison ? Ne ressentait-il pas que de l'indifférence à l'égard de celle que Sorrento et Julian avaient eu la bonne idée de lui coller dans les pattes ? Enfin, de l'indifférence et une certaine forme de gratitude pour tout ce que la jeune femme lui avait permis d'apprendre à son insu.

Pourtant il devait le reconnaître : son intérêt pour la belle Italienne commençait à s'étendre bien au-delà de ce à quoi il aurait dû se limiter. Parce que la force de caractère de la jeune femme, son intelligence et son irascibilité avaient su éveiller son attention. Ça et peut-être aussi sa beauté véritable, la sincérité qu'il avait pu lire dans ses yeux au jade pénétrant, et la douceur qu'elle cherchait à dissimuler derrière la froideur de ses traits.

Albérich porta finalement son verre à ses lèvres pour tenter de recentrer ses idées. Mince, voilà qu'il se surprenait à se montrer sentimental ! Le signe qu'il était temps pour lui de faire évoluer le fil de ses pensées.

Il détourna donc son attention vers celui qui, grâce à l'intervention de Caça, lui avait fourni de précieuses informations lors de la préparation de ce maudit tournoi de football. Enfin, précieuses, elles l'auraient été si les utiliser leur avait permis de remporter la victoire. Cela avait été le cas lors de leur première confrontation, mais pour la deuxième, même si devoir l'admettre le répugnait presque autant que de supporter les tirades grandiloquentes du guerrier de Dubhe, là-bas en Asgard, ils étaient tombés sur plus forts qu'eux. Ou alors, leurs adversaires avaient finalement découvert l'existence de son espion et avaient sciemment décidé de faire évoluer la stratégie de leur jeu.

Tout bien considéré, la plausibilité de cette dernière hypothèse ne semblait pas totalement infondée, surtout à présent qu'il pouvait constater le rapprochement évident entre son infiltré et l'un des chevaliers qu'il était censé espionner. Dommage que les prémices de ce pseudo flirt estival ne se soient pas révélés plus tôt, il aurait probablement pu en tirer des informations non dénuées d'intérêt. Cela dit, il n'en avait aujourd'hui plus besoin puisque sa collaboration avec l'Ophiuchus lui apportait des renseignements fort utiles sur le fonctionnement du Zodiaque et même du Sanctuaire tout entier.

En définitive, il devait remercier Sorrento de lui avoir imposé la présence de l'Italienne en pensant s'octroyer un plus grand contrôle sur ses agissements. Parce que cela avait servi ses propres desseins bien mieux que ceux de la Sirène et lui avait permis de rencontrer une personne qu'il commençait sincèrement à apprécier. Même si ce dernier aspect le contrariait au plus haut point.


Saga semblait songeur et demeurait étonnamment silencieux. Ses yeux fixaient la même direction depuis un temps suffisamment long pour que cet instant d'égarement n'échappât pas à son jumeau, et Kanon en était très heureux. Parce que petit un, cela lui offrait une échappatoire à la discussion aussi ennuyeuse que gênante dans laquelle Baian et Io tentaient vainement de l'embarquer. Sérieusement, comment ses deux anciens homologues à écailles avaient-ils pu imaginer qu'il accepterait de leur révéler la stratégie qu'il avait suivie pour réussir à les embobiner pendant toutes ses années sans éveiller le moindre soupçon ? Et tout ça, parce qu'ils lui avaient payé un malheureux verre de rhum ? Non mais vraiment, certains ne doutaient de rien. Et (ndla : bon là, je vous ai probablement perdus. Non ? Ah ben c'est que vous êtes plus concentrés que moi, car moi je ne sais plus du tout où j'en suis ! Ah si, petit deux) petit deux, tout portait à croire que son aîné avait décidé de ne plus nier l'existence de ses sentiments, et c'était probablement un bon début vers la voie d'une possible rédemption.

Sa dernière gorgée d'alcool l'ayant convaincu de ne plus prêter le moindre intérêt au blablatage qui ne le mettait de toute façon clairement pas en valeur, Kanon détourna les yeux vers celui qui retenait toute l'attention de son jumeau. Depuis leur arrivée au Zodiaque, le Sagittaire donnait enfin l'impression de vouloir sortir du mutisme et de l'état dépressif dans lesquels il s'était plongé après son retour à la vie, et cette évolution favorable réduisait la culpabilité de Saga tout en le rendant chaque jour plus amoureux. Un nouvel état d'esprit qui ne semblait toutefois pas suffisant pour libérer le premier Gémeaux de l'isolement et de la souffrance qu'il continuait à vouloir s'infliger.

Kanon reposa son verre, ne répondit pas à l'interjection de mécontentement qu'il entendit fuser dans son dos lorsqu'il décida d'abandonner ses anciens partenaires aquatiques, et se rapprocha de Saga qui se tenait debout les bras croisés, les yeux toujours rivés vers un certain bandana.

« Ça va, Bro, tu passes une bonne soirée ? s'enquit Kanon en se plaçant à la gauche de son jumeau.

- Bro ? Kanon, ne pourrais-tu pas t'exprimer dans un langage intelligible pour le commun des mortels ?

- Parce que tu te considères comme le commun des mortels, peut-être ?

- Ne joue pas sur les mots, rétorqua Saga dans un soupir agacé.

- Ben si, justement. Mais sinon, t'as pas répondu à ma question : tu passes une soirée agréable ?

- Je ne suis pas ici pour prendre du bon temps, mais pour veiller à ce que tout se déroule selon les souhaits de notre Déesse.

- Bien entendu. Mais à part ça ? Saga, je suis ton frère, ton jumeau. Aurais-tu oublié ce que cela signifie ?

- Désolé, je ne vois pas où tu veux en venir.

- Je lis en toi comme dans un livre.

- Parce que tu lis des livres, toi, maintenant ?

- Saga, je croyais que j'étais celui censé faire du mauvais esprit.

- Objection accordée.

- Alors ?

- Alors quoi ? Kanon, je suis plutôt assez occupé ce soir, alors abrège, s'il te plaît !

- Pourquoi tu ne vas pas lui parler pour lui dire la vérité ?

- Parler à qui ? Et pour dire la vérité sur quoi ? Kanon, pour l'amour de notre Déesse, arrête de me faire perdre mon temps !

- A Aiolos. Pour lui dire que tu l'aimes. »

Saga s'étouffa mentalement (ndla : oui, quand on est chevalier d'Or, on peut totalement faire ça), invoqua les Dieux de la pondération et de la zen attitude (ndla : si si, ils existent !) et se tourna vers son cadet qui l'observait déjà avec un large sourire satisfait.

« Qu'est-ce que tu viens de dire ?

- Saga, tu veux vraiment que je répète ce que tu as parfaitement entendu et compris ?

- Non, concéda l'aîné.

- D'ailleurs, poursuivit l'ancien Marina conscient d'avoir enfin retenu l'attention de son binôme homozygote, je l'ai toujours su, et je suis convaincu que tu l'as toujours su toi aussi. Que je le savais, je veux dire. Parce que pour l'autre truc, ça je me doute que tu le savais déjà, vu que c'était quand même toi le mieux placé pour savoir que tu le savais, et depuis quand. »

Devant le regard noir qu'il reçut en réponse à cette précision peu précise, le Dragon gémellaire s'empressa d'enchaîner :

« Désolé, je viens de passer près d'une demi-heure à discuter avec Baian et Io, et crois-le ou pas, ça laisse des traces ! Saga, ce que j'essaie de te dire, ajouta-t-il en prenant un ton plus sérieux, c'est que je pense qu'il est temps pour toi de faire table-rase du passé et de penser au présent. Tu as assez expié ta faute, qui d'ailleurs de base n'était même pas la tienne. Tu sais, le lémur, Ker, tout ça. Enfin, c'est vrai quoi ! Merde, toute cette foutue mascarade pseudo-schizophrénique n'a jamais été de ton fait ! Alors maintenant qu'on connaît toute la maudite vérité, pourquoi tu peux pas l'accepter et juste aller de l'avant ?

- Parce que ce n'est pas à toi qu'ils s'en sont pris. Et s'ils m'ont choisi pour cible, c'est qu'ils savaient que j'allais être trop faible pour leur résister.

- Tu fais erreur. Le destin – ou plutôt ce que je préfère aujourd'hui appeler le hasard – a fait que c'est tombé sur toi, mais ça aurait très bien pu être pour ma pomme. Saga, pour une fois, essaie de m'écouter ! Je ne supporte plus de sentir ton âme à ce point déchirée, alors si tu ne le fais pas pour toi, dis-toi que tu le fais pour moi. Va voir Aiolos, et parle-lui. »

Pour toute réponse, Saga détourna les yeux de son jumeau pour observer celui qu'il aimait effectivement comme un fou, avant de replonger dans ce regard qu'il savait si semblable au sien. Il resta ainsi un long moment sans parler, pour poursuivre un échange qui n'avait de toute façon pas besoin de mots, puis il ajouta simplement :

« Merci, Kanon. Pour tout. »

A cet instant, Kanon songea rétorquer : « De rien, frérot, je suis sûr que tu me le revaudras lorsque j'en aurai besoin ! », avant de se raviser. Parce qu'il se trouvait justement dans une situation qui aurait pu requérir un soutien de la part de son aîné, sauf que ce n'était clairement pas une bonne idée d'échanger avec lui sur le sujet.

Car comment Saga réagirait-il s'il lui avouait comme ça de but en blanc qu'il en pinçait (ndla : encore une petite alerte euphémisme !) pour celui qui lui avait jadis ôté la vie ? Qu'il fantasmait comme un dingue sur l'un des ennemis de leur Déesse qu'ils s'étaient jurés de combattre jusqu'à la mort lors de la Guerre qui les avait tous vus (re)perdre la vie ? Certainement pas avec calme et modération, ni avec entrain et enthousiasme. Et puis, comment ne pourrait-il pas le juger ? Ne pas le trouver immoral, inconstant voire le suspecter d'une nouvelle trahison ?

Donc lorsqu'il songeait à tout cela, Kanon ne pouvait nier faire preuve d'une sacrée dose de culot en demandant à Saga d'avouer la vérité à Aiolos, alors que lui n'était même pas capable ne serait-ce que d'aborder le sujet d'un possible début de béguin avec son jumeau.

Pourtant, ce que ces derniers jours – et nuits (mince, ce rêve l'obsédait encore dès qu'il fermait les yeux !) – lui avaient permis de comprendre, c'est qu'il avait vraiment besoin de parler à quelqu'un. Sinon il pouvait déjà réserver sa place à l'asile, avec l'option murs capitonnés et triple camisole. Mais en parler à Saga… Non, il ne pouvait pas. Son aîné était encore trop fragile, et lui n'était pas assez fort pour affronter la fureur de son courroux. Donc il devait trouver quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui pourrait l'écouter sans chercher à porter un jugement et qui ne se prendrait pas la tête avec l'existence de possibles sentiments amoureux.

Milo, évidemment ! Le tombeur de ses dames, grand maître es relations sans lendemain, immunisé contre la nocivité des tergiversations amoureuses (ndla : rah, si Kanon savait ! ouais… pas très perspicace le second Gémeaux sur ce coup).

Sauf que ce soir, ce n'était probablement pas un bon créneau. Car Milo avait présentement l'air beaucoup trop occupé derrière ses platines. Le Scorpion était décidément un être multi-tâches, capable de manipuler ses disques avec talent tout en glissant sa langue dans la bouche d'une parfaite et fort jolie inconnue. Et d'ailleurs, à ce sujet…

« Ce comportement est absolument inacceptable ! vitupéra l'ancien despote zodiacal. Kanon, l'indécence de ton ami est sans limite ! Comment Milo peut-il se comporter ainsi en présence de notre vénérée Déesse, et avec une cliente en plus ?!

- C'est bon, Saga, relaxe ! Y'a pas mort d'homme !

- Certes, mais cela n'en reste pas moins intolérable ! Que Milo fasse ce qu'il veut de ses fesses et du reste en dehors de ses heures de travail, et à condition que cela n'implique pas la participation d'un membre de notre clientèle, mais lorsqu'il se trouve à son poste, il se doit de respecter certaines règles !

- Saga, attention : tu t'emportes, et tu sais que c'est pas bon pour toi !

- Kanon, tout à l'heure je t'ai dit merci, et je ne regrette en rien d'avoir prononcé ce mot. Mais maintenant, et je m'excuse déjà pour ma vulgarité, je te dis : ta gueule ! »


Brice se sentait parfaitement à son aise parmi tous ces individus qu'il avait appris à connaître depuis qu'il les fréquentait de manière quasi quotidienne. Comme quoi, nettoyer, balayer (astiquer), ça vous forgeait une belle amitié, voire plus si affinités. Et ce petit « plus », il avait bon espoir de le concrétiser sous peu avec le beau blond au regard de braise qui ne le quittait pas des yeux depuis le début de la soirée.

Car malgré la légère barrière de la langue, il avait tout de suite senti le courant passer entre Algol et lui, et ce sentiment s'était renforcé depuis qu'il l'avait convaincu de se mettre à surfer. Et même si les trois quarts du temps ils devaient se coltiner Jamian et son obsession étrange pour les oiseaux – sérieusement il n'avait jamais vu ça : ce type attirait à lui tout ce qui portait des plumes, des mouettes rieuses aux pigeons en passant par les corbeaux – il appréciait énormément tous ces moments partagés avec celui qu'il comptait bien ajouter à la longue liste de ses amants.

En plus Algol était un surfeur né, qui avait instantanément épousé la planche comme s'il n'avait jamais rien connu d'autre sous la plante de ses pieds. Son style était plutôt direct et brutal, mais il domptait les vagues avec la classe d'un californien dopé aux chansons des Beach Boys.

Cela dit, Brice devait reconnaître que la plupart des mecs qu'il avait rencontrés depuis qu'il travaillait au Zodiaque semblaient particulièrement doués une planche à la main. Même les salariés du Poséidon, dont la majorité se trouvaient ici ce soir, étaient loin d'être les derniers pour affronter l'océan avec culot et panache.

Cette pensée conduisit le jeune Français à porter son attention sur le groupe formé par les types du camping d'à côté, pour constater que l'un d'entre eux le dévisageait d'une manière tout à fait singulière. Mais malgré la sensation de malaise qui l'envahit aussitôt, Brice se sentit incapable de détourner les yeux. Et ce fut à cet instant qu'une vision le frappa.

Là, à tout juste quelques mètres de lui, se tenait Patrick Swayze, une planche jaune et noire calée sous son bras. Et son héros − son idole − lui souriait tandis qu'une myriade de goûtes d'eau roulaient le long de son torse, nu, bronzé et musclé. Brice se mordit la lèvre inférieure avant de cligner des paupières pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Mais lorsqu'il rouvrit les yeux, le visage tant aimé s'estompa pour laisser apparaître un sourire pourvu d'une multitude de dents pointues.

Brice parvint à étouffer le cri qui lui brûlait la gorge mais ne put réfréner le frisson de terreur qui parcourut son corps depuis la pointe de ses cheveux jusqu'à l'extrémité de ses orteils. Algol perçut immédiatement la détresse de son nouvel ami (ndla : et plus si affinités), ce qui l'incita à s'adresser à lui pour le questionner sur la raison de ce malaise soudain :

« Brice, tout va bien ?

- Oui, oui, balbutia le concerné avant d'ajouter : mais je crois que je vais rentrer me coucher.

- Je te raccompagne ?

- Oui, volontiers ! ».

Brice se leva de sa chaise, salua les amis de son sauveur à qui il emboîta le pas afin de quitter la terrasse pratiquement en courant. Et tandis qu'il essayait de se convaincre qu'un probable excès d'alcool expliquait ce qu'il croyait avoir vu, le regard torve de Caça se posa sur lui pour lui adresser un clin d'œil qui lui glaça le sang.

De l'autre côté de la table occupée par la plupart des chevaliers d'Argent, Misty cuisinait sa meilleure amie pour connaître l'origine de sa mauvaise humeur. Et même si Shaina semblait bien décidée à ne pas accorder la moindre explication, le Français n'avait aucun mal à deviner l'identité de celui qui avait déclenché la déferlante d'injures transalpines qui avaient tantôt irrité ses oreilles. Ikki du Phoenix, son tact légendaire et son sens aigu de la communication.

Alors pour soulager la colère de son amie, Misty se contenta d'agir de la seule manière qui lui parut appropriée étant donné les circonstances : en remplissant une nouvelle fois généreusement son verre du liquide épicé et ambré qu'elle affectionnait tant.

Shaina le remercia d'un sourire reconnaissant qui en disait bien plus que tout ce que ses lèvres n'accepteraient jamais d'avouer, ce à quoi Misty répondit par un clin d'œil empli d'affection. Le regard du Lézard se porta ensuite vers l'homme qui se tenait à ses côtés et qui le couvait des yeux depuis son arrivée.

Aphrodite savourait son troisième Cosmopolitan de la soirée – ou bien était-ce déjà le quatrième ? – en laissant sciemment traîner ses pensées à la portée des ondes cérébrales de son chevalier d'Argent préféré. Misty en ronronna de satisfaction par anticipation. Ainsi le Poissons semblait-il prêt à se laisser piéger dans les filets d'un pêcheur affamé (ndla : oh pardon ! celle-là, j'en ai bien un peu honte quand même…), et ce soir serait leur grand soir. Misty avait d'ailleurs tout prévu dans les moindres détails et n'attendait plus que le moment idéal pour entrer en action. Moment qui semblait être à présent arrivé. Sauf qu'il ne pouvait pas abandonner Shaina justement maintenant, dans l'état où celle-ci se trouvait.

« Vas-y », le surprit une voix à l'accent bien connu qui poursuivit aussitôt :

« T'en crèves d'envie et visiblement lui aussi.

- Mais, Bellissima, je ne peux pas te laisser comme ça, voyons !

- T'inquiète pas pour moi. Je vais aller retrouver Marine. Je crois que j'ai besoin d'une discussion entre filles.

- Tu en es sûre ?

- Puisque je te le dis ! Fous-moi le camp de là avant que je te botte l'arrière-train !

- Shaina, tu sais que tu es merveilleuse. Absolument parfaite. Et je suis convaincu que l'autre imbécile aux plumes prétendument éternelles en a conscience lui aussi.

- Misty, hors d'ici ! Je ne veux plus te voir !

- Très bien, très bien. Alors Ciao, mio cuore !

- Ciao, mio amore ! Buona notte ! »

Shaina observa son meilleur ami se lever pour saisir la main d'Aphrodite qui le suivit sans broncher vers le restaurant dont Aldébaran venait à l'instant de baisser le rideau. L'Italienne laissa un sourire attendri étirer ses lèvres avant de les plonger dans le verre de rhum que le Français avait pris le temps de lui servir avant de la quitter. Puis elle se mit debout à son tour pour rejoindre la table de son amie Marine qui l'attendait déjà avec un cosmos hautement compatissant.


« Je peux ouvrir les yeux ? »

Misty considéra la table qu'Aldébaran avait dressée selon ses consignes avec un regard satisfait. Tout était parfaitement à sa place. Le chandelier en argent, le saut à champagne, la bouteille de Taittinger et surtout, la rose. Une rose au rouge éclatant et aux épines saillantes, délicatement déposée dans un écrin de verre au col finement ciselé. Le Taureau s'était vraiment surpassé et méritait certainement de recevoir sa reconnaissance éternelle.

« Oui, tu peux ouvrir les yeux » répondit Misty en détachant ses doigts de ceux d'Aphrodite.

Un sourire discret naquit sur les lèvres du Poissons tandis qu'il prenait place sur la chaise que l'autre chevalier venait de lui désigner. Puis il croisa lentement ses jambes l'une sur l'autre avant de prendre la parole d'une voix claire :

« Tu me sers un verre, je te prie ? »

Misty se saisit du linge blanc qu'Aldébaran avait laissé sur le bord du saut à champagne et s'en servit pour essuyer le culot de la bouteille, dont il entreprit ensuite d'ôter le bouchon.

« Et du Taittinger, en plus. Tu as sorti le grand jeu ! » s'exclama Aphrodite en se penchant légèrement en avant pour humer le parfum de la rose dont il caressa un pétale.

« Monsieur, votre flûte, je vous prie. »

En réponse à cette délicieuse injonction, Aphrodite se redressa et présenta son verre à celui qu'il allait donc choisir de prendre pour amant. Car Misty venait de remplir le dernier critère de la longue liste d'exigences du Poissons : l'audace. Et avec grande classe s'il vous plaît.

Le Suédois trempa ses lèvres dans le breuvage doré dont il sentit les fines bulles glisser dans sa gorge, puis reposa sa flûte sur la table devant lui. Il passa ensuite une main dans ses cheveux, se leva avec plus de grâce qu'en aurait eu une ballerine, et s'approcha de Misty qui se tenait toujours debout face à lui. Il lui retira des mains la bouteille de champagne qu'il serrait encore entre ses doigts pour la déposer dans le saut duquel il l'avait tirée plus tôt. Et lorsque ses lèvres effleurèrent celles de l'autre homme, Aphrodite ne put contenir la douce vague de chaleur qui étreignit son cosmos.

Le Poissons était heureux comme il ne l'avait plus été depuis longtemps, et il se promit de tout mettre en œuvre pour que ses deux meilleurs amis le soient également. Et tant qu'à jouer les Cupidon (ndla : quoi de plus naturel pour quelqu'un qui s'appelle Aphrodite ? Oui, celle-là aussi, elle était facile !), il veillerait aussi à ce que Camus et Milo arrêtent enfin de se tourner autour comme deux idiots. Une mission d'autant plus primordiale que si le Verseau continuait à laisser traîner ses doigts glacials dans le giron du Capricorne, son Lolo risquait de franchement perdre les pédales. Et personne, du Kid's Club du Zodiaque jusqu'aux recoins des Enfers les plus sombres, n'avait envie de revoir le Masque de Mort en action.


Et dans un coin isolé de la terrasse bondée du Zodiaque, deux divinités gratifiaient l'assistance de leur aura bienveillante. Athéna et Poséidon se tenaient côte à côte, superbes dans les tenues de soirée immaculées qu'ils avaient tous les deux choisi de porter. Demeurant silencieux pour la majorité des présents, les deux représentants de l'Olympe jouaient leur rôle de directeurs d'établissement comblés et satisfaits à la perfection. Et quant à la nature de leur échange véritable…

« Splendide, ce feu d'artifice, très chère.

- Merci, Julian.

- Cela dit, s'empressa d'ajouter la réincarnation du Dieu des Océans, j'aurais personnellement jugé opportun de s'abstenir d'une telle attraction après l'incendie qui a frappé mon établissement.

- N'aie crainte, tout est parfaitement sous contrôle. Mes chevaliers et moi avons veillé à ce qu'aucun risque ne soit pris.

- Si tu en es convaincue, je le suis moi aussi.

- Douterais-tu de mes bonnes intentions, cher ami ?

- Non, bien entendu. J'ai une totale confiance en toi, ma très chère Saori.

- Alors, je t'en prie : profitons ensemble de ce moment de liesse et du bonheur de voir ainsi collaborer nos protecteurs respectifs.

- Tu as entièrement raison ! Il semblerait donc que nous ayons une nouvelle fois fait preuve d'un jugement hautement éclairé dans la mise en œuvre de nos décisions (ndla : *tousse*).

- Il semblerait, en effet. Et sois assuré que je m'en réjouis au plus haut point. »

Et sur cette ultime évidence de perspicacité et de modestie divines, un POP résonna en écho aux derniers éclats multicolores qui illuminaient la nuit. Un POP bientôt suivi d'un jet de liquide doré pétillant et d'un cri joyeux en provenance du bar du Zodiaque :

« Allez, Champagne pour tout le monde ! » s'exclama Dohko de la Balance en se saisissant de la seconde bouteille tendue par Ikki du Phoenix.

Notes:

A suivre…

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 17 : Wannabe, Spice Girls, 1996 (ben oui, il fallait bien qu'il soit dans la playlist, celui-là).

Chapter 18: Sensualité

Summary:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada. Enfin vous connaissez le topo, quoi.

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Une semaine plus tard, sur une superbe plage des Landes, en début de matinée

Les vagues qui se brisaient sur la plage pour disparaître comme si elles n'avaient jamais existé procuraient à Camus une certaine forme d'apaisement. Dans un sens, cela lui rappelait sa chère Sibérie, lorsque le vent balayait la plaine entraînant avec lui des nuées de neige et de givre. Enfin à quelques degrés centigrades près. Heureusement qu'il n'était pas encore dix heures du matin, sinon il n'aurait jamais accepté de suivre Hyoga jusqu'ici dans cette fournaise estivale.

Hyoga qui avait donc finalement retrouvé Isaak. Après toutes ces années de sacrifice, d'oubli et de souffrance, ses deux anciens élèves semblaient à nouveau partager ce qui les avait unis si longtemps : un lien qui n'aurait jamais dû se briser, et qui ne l'aurait pas été s'il n'avait pas failli dans la mission qui lui avait été confiée. Un échec que Camus n'était jamais parvenu ni à oublier ni à se pardonner. Car comment effacer le souvenir de la disparition d'un enfant ?

Mais aujourd'hui, Hyoga et Isaak donnaient l'impression d'avoir fait table rase du passé pour laisser derrière eux rivalité, rancune et allégeances ennemies. Tout ceci n'avait plus lieu d'être dans la nouvelle vie qui leur avait été accordée. Enfin peut-être à une légère exception près. Car ils semblaient une nouvelle fois convoiter un objectif commun : le cœur de la jolie Thétis (ndla : et oui, plutôt perspicace le Verseau lorsqu'il ne s'agit pas de sa propre personne).

Camus comprenait mieux la soudaine passion de son ancien disciple pour ce sport de glisse qui avait également séduit la plupart de ses camarades en armure, à commencer par Kanon et Milo. Pourtant lui-même ne voyait que peu d'intérêt à chercher à se mouvoir de cette manière sur une simple planche de bois. Quitte à vouloir affronter la houle et le ressac, pourquoi ne pas plutôt préférer la stabilité rassurante d'un bateau ? A moins que l'idée de ne dépendre que de sa seule capacité à dompter l'océan ne fût la source d'un sentiment suffisamment grisant pour oublier les trop nombreuses déconvenues causées par une plongée la tête la première dans une grosse vague.

D'ailleurs, certains semblaient plus doués que d'autres pour maintenir la tête hors de l'eau. Hyoga se débrouillait plutôt bien pour un nouvel initié. Un succès qu'il devait probablement à l'attention particulière que lui portaient Thétis et Isaak qui d'après ce que Camus avait compris, avaient commencé à surfer plusieurs années auparavant. Seiya aussi semblait plutôt à son aise, même si là, il venait de se prendre sa propre planche dans les dents. Quant à Kanon et Milo… Ils donnaient l'impression de maîtriser la glisse avec presque autant d'aisance que le septième sens. Dingue comme ces deux-là semblaient capables de réussir tout ce qu'ils entreprenaient dès lors qu'ils le faisaient ensemble. Une complicité indéfectible depuis ce jour où Milo avait accordé la rédemption à celui qui les avait pourtant trahis, et dont Camus ne pouvait s'empêcher de se montrer jaloux. Même si la présence du Gémeaux n'était en rien responsable de ce qu'était devenue sa relation avec le Scorpion depuis leur retour à la vie. Non ça, il ne le devait qu'à lui et à lui seul.

Et puis s'il voulait raisonner comme l'aurait fait un véritable ami, Camus aurait plutôt dû se montrer reconnaissant envers l'ancien Dragon des Mers, la présence de ce dernier semblant beaucoup apporter à Milo en plus de le rendre profondément heureux. Kanon et lui partageaient de nombreux intérêts communs, depuis les sorties entre potes à la musique électronique en passant par le cinéma d'action et la télévision. D'ailleurs, Camus ne parvenait pas à comprendre comment les deux acolytes pouvaient passer autant d'heures à scruter un écran sans ne rien faire d'autre que de glisser leurs mains dans un énorme bol de chips. Dernier programme à avoir trouvé grâce à leurs yeux : une série américaine mettant en scène des hommes et des femmes faiblement vêtus courant au ralenti sur une plage. Pour ce qu'il en avait vu – car Dohko avait eu la faiblesse d'accepter de leur donner un accès à la télévision du bar de temps en temps – le scenario de ce feuilleton était assez limité pour ne pas dire totalement inexistant. Encore un succès d'audimat relevant de l'ordre de la pure énigme télévisuelle (ndla : notons ici le cruel manque de perspicacité du Verseau concernant le goût de certains téléspectateurs pour les ralentis et les tenues de bain écarlates. Et ce ne sont pas Chandler et Joey qui pourront dire le contraire – Cours, Yasmine ! File comme le vent !).

Et maintenant, ils s'étaient donc découverts une nouvelle passion commune : le surf et les envolées dans l'océan. Et bien que sa présence sur la plage à une heure aussi matinale fût le fait de son ancien disciple et de la volonté de ce dernier de lui permettre d'apprécier ses progrès, Camus ne parvenait pas à détourner les yeux du corps de Milo. Ce corps élancé et bronzé qu'il n'avait aucun mal à distinguer au milieu des vagues malgré la distance et malgré les embruns. Ce torse et ce dos à la musculature parfaite qu'il pouvait dessiner les yeux fermés alors qu'il ne les avait jamais touchés. Ce visage magnifique dont le sourire lumineux était resté gravé dans sa mémoire depuis le jour de leur rencontre. Cette chevelure indomptée qui l'avait toujours fasciné et qu'il avait parfois eu la chance de pouvoir effleurer du bout des doigts.

Camus cligna des paupières, avala lentement sa salive et réajusta son chapeau. Par tous les Dieux, à quel point il faisait chaud ce matin ! Il glissa une main dans son sac pour en tirer une bouteille qu'il porta à sa bouche. Le contact de la fraîcheur sur ses lèvres lui fit du bien, ce qui l'incita à faire rouler la bouteille contre son front puis le long de son cou. En analysant sa situation, il conclut qu'il avait besoin de retrouver une température corporelle acceptable et de rediriger le flux de ses pensées vers un sujet moins brûlant. Un cri en provenance de l'océan lui apporta une distraction toute trouvée. Deux individus aux cosmos identifiables entre tous venaient de se jeter à l'eau une planche à la main, et l'un d'eux s'était vu presque aussitôt rejeté par les flots.

A deux brassées du rivage, Éaque du Garuda s'asseyait sur sa planche en tentant de réprimer l'éclat de rire qui lui chatouillait les lèvres, tandis que Rhadamanthe de la Wyverne essayait désespérément de maintenir la tête au-dessus des vagues. En voilà un qui ne semblait pas du tout à son aise dans le milieu aquatique, et ce constat ne manqua pas de faire sourire le Verseau. Ah, s'ils avaient eu cette information à leur disposition lors de la dernière guerre, ils auraient probablement pu abréger nombre de combats douloureux. Ils n'auraient eu qu'à se présenter au château d'Hadès munis d'une grosse cruche remplie d'eau iodée, et zou, l'affaire aurait été pliée ! Camus pouffa en imaginant la tête de la Wyverne se prenant le contenu d'un grand seau d'eau, et remercia intérieurement son ancien ennemi de lui avoir offert une échappatoire aussi efficace à ses fantasmes matinaux.


L'eau salée lui fouettant le visage et sa planche de surf solidement plaquée contre la poitrine, Kanon filait sur la vague prêt à se mettre debout pour braver l'océan. Il avait su jadis manipuler un Dieu, alors il ne craignait en rien l'abîme de cet azur infini, surtout avec l'azur de son meilleur ami en point d'ancrage devant lui.

Mû (ndla : non, pas lui, l'autre mû !) par une poussée d'adrénaline qui se répandait en lui en même temps que l'air iodé des embruns, Kanon projeta son corps en avant pour se dresser tel un soldat impatient d'affronter l'ennemi. Milo l'imita dans chacun de ses gestes, et les deux chevaliers s'envolèrent ensemble dans les rouleaux. Le Scorpion poussa un cri de satisfaction bestial à faire griller les sardines (ndla : les pouvoirs des chevaliers d'Or sont décidément sans limite !), bientôt rejoint par Kanon qui savourait cette nouvelle sensation de liberté.

Pure extase.

Une fois repus et satisfaits, les deux surfeurs aux abdos de divinités grecques s'immobilisèrent à califourchon sur leurs planches pour observer la plage de sable blanc qui s'étendait devant eux. Milo porta sa main en visière sur le haut de son front et sentit presque aussitôt une volée de papillons envahir sa poitrine.

Camus était assis sur une serviette, juste-là sur la plage, et scrutait l'océan. Que faisait-il ici ? Était-il venu pour lui ? Pour le voir dompter les vagues et s'élancer dans les flots ? Non. Bien sûr que non. Si le Verseau se trouvait là, ce n'était pas pour lui mais pour ses deux anciens disciples. Hyoga et Isaak qui surfaient avec Seiya et Thétis une vingtaine de mètres plus loin.

« C'est magique, tu trouves pas ? finit par déclarer le plus âgé des deux Grecs.

- Total kif, approuva le Scorpion, ravi de pouvoir s'écarter de la direction que prenaient ses pensées.

- Franchement, je regrette de pas avoir essayé ça plus tôt, ajouta l'ancien Général.

- Surtout que c'est pas comme si t'avais pas passé tout un tas d'années avec cinq ou six océans juste au-dessus de ta tête !

- Sept.

- Ouais. Enfin bref. Je comprends pas pourquoi c'était pas au programme de votre emploi du temps sous-marin.

- Je sais pas ? Probablement parce qu'on avait d'autres chats à fouetter.

- Vous aviez des chats ? Sérieux ? J'aurais pas cru. De quelle race ? Des poissons-chats ?

- Ha ha. Très fin !

- Merci. Et si tu veux continuer à rigoler cinq minutes, poursuivit Milo en détournant les yeux un peu plus loin sur sa droite, je te conseille de regarder par-là. »

Kanon tourna la tête dans la direction pointée par l'index de son ami et dut se mordre l'intérieur des joues pour ne pas laisser un sourire beaucoup trop niais étirer sa bouche. Rhadamanthe, qu'il n'avait pas senti arrivé du fait de son orgie d'adrénaline, tentait tant bien que mal – plutôt mal que bien pour être tout à fait honnête – de remonter sur sa planche après ce qui semblait avoir été une chute assez magistrale à en juger par le rire puissant qui animait le visage du Garuda. Et aussi étrange que cela pût paraître, le Gémeaux trouva ça terriblement mignon.

« Eh bé, qui aurait pu croire ça ? La Grande Wyverne, troisième Juge des Enfers, une véritable quiche sur une planche de surf ! s'esclaffa l'Arachnide.

- Il a peut-être pas l'habitude du milieu aquatique, voilà tout.

- Tu le défends, toi, maintenant ?

- Je ne le défends pas, je dis juste que c'est pas en vivant dix pieds sous terre qu'il a dû pouvoir pratiquer la baignade ou toutes autres activités du même genre, et que ce manque d'expérience explique probablement ce piètre résultat.

- Ben Éaque se trouve exactement dans la même situation, et lui n'a pas l'air d'une poule d'eau qui a trouvé un couteau suisse ! Non mais regarde-le ! Tu crois qu'il faut qu'on plonge pour aller le secourir, parce que là, il me semble quand même pas loin de la noyade ?! »

Une fugace lueur d'inquiétude dans le regard de Kanon, associée au manque de réaction à une boutade qui aurait pourtant dû générer une profonde hilarité, incita Milo à relever un sourcil. Puis deux.

« Non mais attends une minute… Kanon, me dis pas qu'c'est pas vrai !

- Plaît-il ? s'enquit l'ancien Marina qui ne l'écoutait plus, perdu dans des pensées Wyvernales.

- Kanon, regarde-moi !

- Quoi, Milo ?! rétorqua le Gémeaux en tournant finalement la tête dans la direction de son cadet.

- Mais oui ! C'est ça ! Ce regard idiot, ce sourire niais… Merde, Kanon, t'en pinces pour Rhadamanthe !

- Non mais tu délires ! s'exclama l'amoureux démasqué.

- Oh que non ! Je te connais, mon vieux, et ces yeux-là ne peuvent pas me tromper. T'as le béguin pour la Wyverne, et ça date visiblement pas d'hier !

- Bon, t'as gagné, Milo ! Oui, je le trouve canon, pour ne pas dire foutrement sexy ! Mais il est aussi profondément agaçant avec son insupportable arrogance et sa maudite certitude d'avoir toujours raison sur tout.

- Ah mais carrément ! On dirait déjà un vieux couple ! Et ça dure depuis longtemps vous deux ?

- Il n'y a pas de nous deux, Milo ! Et il n'y en aura jamais !

- Arrête, pas possible ! Vu la manière que t'as de le reluquer, je peux pas avaler que vous n'ayez jamais rien expérimenté tous les deux. Alors vas-y, Kanon, crache le morceau !

- Il y a peut-être bien eu un baiser.

- Mais encore…

- Ou deux.

- Et alors, c'était comment ?

- Bordel, Milo, tu vas me faire chier longtemps avec tes questions ?!

- Ben écoute, oui ! Merde, tu viens quand même de m'avouer que tu sortais avec le type pour lequel tu t'étais foutu en l'air lors de la dernière guerre – en même temps, tout s'explique pour le coup…

- Je ne sors pas avec lui !

- Mais t'en crèves d'envie !

- Non !

- Menteur !

- Et alors ?! De toute façon, qu'est-ce que ça changerait ? Même si j'avais envie de tenter quelque chose avec Rhadamanthe, comment est-ce que je le pourrai ?

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Milo, arrête, me dis pas que tu vois pas en quoi ça poserait un problème ?

- Quoi ? Que tu te tapes l'un de nos anciens ennemis ? Qu'est-ce qu'on en aurait à cirer ?! On est en paix, je te rappelle. Alors personne de sensé ne pourrait t'en vouloir pour un truc comme ça aujourd'hui !

- Désolé, mais je ne partage pas ton point de vue. Je suis un ancien traître, au cas où tu l'aurais oublié…

- Un traître repenti que personne ne considère plus comme tel, le coupa le Scorpion.

- Cet avis n'engage que toi.

- Absolument pas. Je t'assure qu'on a abordé le sujet un bon nombre de fois entre nous et t'es totalement clean. Adoubé. Accepté.

- C'est vrai ?

- Puisque je te le dis ! Bon avec certains, je t'avoue que j'ai dû un peu faire le forcing, mais pour la plupart, j'ai pas eu besoin de beaucoup argumenter. Je te promets !

- Tu sais que ça me fait vachement plaisir ce que tu me dis là ?

- Tu m'en vois ravi ! Et d'ailleurs, j'aurais peut-être dû aborder ce sujet avec toi depuis longtemps. Désolé de pas l'avoir fait plus tôt, mon pote.

- Excuses acceptées ! Mais ça change pas grand-chose à la nature de mon problème. Car j'en connais au moins un que la simple idée de ma relation avec Rhadamanthe pourrait carrément faire flipper.

- Alors effectivement, tout à l'heure j'ai bien précisé que « personne de sensé » ne pourrait trouver quoi que ce soit à redire devant une telle situation. Donc cela excluait naturellement ton frangin.

- Ben voilà ! Donc t'es d'accord avec moi : Saga n'acceptera jamais que je sorte avec Rhadamanthe.

- Y'a des chances que ça le mette légèrement mal à l'aise, en effet.

- Sois plus explicite, s'il te plaît !

- Bon, OK. Y'a quatre-vingt-dix-neuf pour cent de probabilité qu'il pète un câble s'il apprend que tu fais des galipettes avec une Wyverne spectro-démoniaque.

- Je ne fais des galipettes avec personne !

- Pour l'instant ! Mais t'en meurs d'envie, et pour ce que tu peux avoir à secouer de mon avis, tu devrais pas te priver ! Mince, on n'a qu'une vie, Kanon ! Enfin j'imagine que le Big Boss ne sera pas trop motivé pour nous accorder une partie supplémentaire lorsqu'on cassera notre pipe dans cette vie-là. Alors arrête de te prendre la tête et fonce ! Tu verras comment gérer la réaction de ton frangin lorsque le moment sera venu. Et au pire, on sera là pour intervenir si besoin.

- Sérieux ? Tu ferais ça pour moi ?

- Un peu mon vieux ! Et il n'y aura pas que moi. On sera tous là !

- Vraiment ?

- Est-ce que je t'ai déjà bobardé ?

- Non. Enfin sauf cette fois où t'avais fini le paquet de Granola et que tu m'avais juré ne pas l'avoir touché.

- Ah oui, mais les Granola, ça compte pas. Ça, c'est sacré !

- Certes.

- Alors, qu'est-ce que tu vas faire ? Tu vas aller parler à Rhadamanthe ? Là, t'aurais un créneau, car je crois qu'il jette l'éponge pour aujourd'hui. Regarde, il est en train de sortir de l'eau. Enfin il essaie en tout cas. Merde, Kanon, quand tu sortiras avec lui, faudra que tu lui apprennes à nager !

- T'es con ! rétorqua le Gémeaux en étouffant un rire - mince, c'est vrai que Rhadamanthe nageait vraiment comme une enclume ! En plomb. Et bien cabossée.

- Je sais.

- Mais t'es un vrai pote !

- Je sais ça aussi. Alors ça veut dire que tu vas m'écouter ?

- P'têtre ben qu'oui !

- Cool ! » se réjouit le Scorpion en se disant qu'au moins l'un d'entre eux allait peut-être finir par réussir à être heureux.


De l'autre côté des vagues, un peu plus loin sur la plage, un groupe d'amis venait de cesser de surfer pour observer le visage de l'un d'entre eux qui ouvrait grand la bouche.

« A-hors, heu heu huis hé-hé une hent ou has ?

- Seiya, arrête de bouger comme ça et essaie de te taire une minute, qu'on puisse regarder comme il faut ! » s'agaça le futur prétendant à l'armure du Verseau.

Hyoga releva un peu le menton de son ami pour le placer sous la lumière avant d'affirmer d'une voix aussi froide que l'aura de son cosmos :

« Une dent. Ton incisive supérieure gauche. Je dirais qu'il en manque un triangle rectangle d'environ un millimètre de base pour un demi-millimètre de hauteur.

- Mince, Hyoga ça veut dire quoi ce charabia ?! s'exclama le chevalier Pégase en retrouvant sa liberté de parole. Tu sais bien que moi et la géométrie… Alors, gros bout ou p'tit bout ?

- P'tit bout. Mais qui se voit quand même, précisa le Russo-Japonais.

- Mais ne t'inquiète pas, Seiya, s'empressa d'ajouter Thétis, un bon dentiste pourra probablement te rafistoler tout ça.

- Bah, on verra bien ! Et puis c'est pas si grave. C'est qu'un bout de dent ! J'en ai vu d'autres…

- Oui mais justement ! Arriver jusqu'ici avec une dentition parfaite, après tout ce que tu as dû endurer, tout ça pour perdre un bout de chicot en prenant un surf en pleine poire, c'est bien un peu ballot ! constata Isaak sur un ton chirurgical.

- C'est ballot, mais c'est pas mortel ! Allez, on y r'tourne ?! Le dernier dans l'eau nettoiera les planches des autres ! s'exclama le chevalier Divin en courant vers les vagues.

- Il est toujours comme ça ? s'étonna Thétis en plaçant sa planche sous son bras.

- Oui, toujours ! » acquiesça Hyoga tandis qu'il prenait la main de la Sirène pour l'entraîner vers l'océan, déclenchant dans le même temps un coup d'œil réprobateur d'un Kraken fort jaloux.


Quelques rides* plus tard ce matin-là (ndla : *mot à prononcer à l'américaine en insistant sur le aille-deuh ; non parce que sinon, ça voudrait dire beaucoup beaucoup plus tard pour le coup) et une fois de retour sur la plage, Kanon abandonna Milo pour échanger quelques mots avec un certain blond qui semblait très heureux d'avoir retrouvé la terre ferme. Milo qui de son côté partit rejoindre Camus après avoir posé sa planche à côté de ses claquettes et s'être muni de sa serviette.

En marchant dans la direction du Verseau qui sondait l'océan sans bouger, le Scorpion se dit qu'il avait peut-être eu une mauvaise idée. Camus donnait l'impression de vouloir rester seul, les yeux fixés droit devant lui. Après tout, il n'était pas venu ici pour lui et n'avait sans doute pas envie d'être dérangé par un incorrigible bavard tel que lui. Un bavard qui n'avait pourtant pas la moindre idée de ce qu'il allait pouvoir raconter à celui qui obsédait chacune de ses nuits.

« Bonjour, Milo. Les conditions étaient-elles bonnes pour le surf aujourd'hui ? »

Eh bien voilà qui résolvait une partie du problème.

« Idéales ! C'était top ! J'espère que Hyoga et Isaak ont pu en profiter eux aussi !

- J'ai cru comprendre que oui, approuva le Français qui venait justement d'obtenir un compte-rendu télépathique exhaustif de la part du plus jeune de ses anciens padawans (ndla : ben quoi ? Saint Seiya – Star Wars, même combat. Non ?).

- Ils ont l'air de bien s'entendre à nouveau tous les deux, tu dois être content, ajouta le Grec qui venait d'entreprendre de se sécher avec sa serviette.

- Oui, je le suis, bien entendu », acquiesça Camus dont le niveau de concentration s'était subitement élevé de plusieurs degrés.

Surtout ne pas le regarder. Surtout ne pas le regarder.

Inconscient du trouble qu'il générait chez l'homme qui était assis à ses pieds, Milo détourna les yeux vers le groupe de petits jeunes qui se joignaient presque à chacune de leurs sorties. Un sourire attendri étira les lèvres du Scorpion, parce que mine de rien, il les aimait bien, tous ces gamins. Et puis il s'était toujours senti proche de Hyoga et Isaak, qu'il avait appris à connaître lorsqu'il rendait visite à Camus, là-bas en Sibérie. Ce n'était arrivé que quelques fois, Camus n'approuvant pas la présence de distractions dans le cadre de son enseignement, ce qui ne collait pas vraiment avec l'intégration de Milo au sein de l'isba. Mais il avait apprécié chacune de ses visites, et les deux apprentis avaient alors pris une place particulière dans le cœur du jeune Grec. Ce qui avait rendu son combat contre Hyoga d'autant plus douloureux. D'ailleurs, l'aurait-il laissé passer si la situation avait été différente ? Certainement pas. Et dans ce cas, Camus ne serait pas…

Ce souvenir effaça le sourire pourtant radieux du Scorpion, qui revint presque aussitôt lorsqu'il constata l'attitude des deux anciens prétendants à l'armure du Cygne. Hyoga et Isaak étaient en train de se chamailler pour se montrer galant avec la jolie Thétis, l'un se saisissant de sa planche de surf, l'autre se ruant de dépit pour s'emparer de son sac de plage. Cela dit, ils avaient bon goût. La Sirène était tout à fait charmante, bien qu'un peu trop jeune pour retenir son attention à lui.

Convaincu d'avoir trouvé un nouveau sujet de discussion propice à un échange verbal avec le Verseau, Milo reprit la parole tout en retirant sa serviette de ses abdominaux pour la passer dans son dos.

« Et puis on dirait bien qu'ils ont à nouveau une raison de devenir rivaux. Ils auraient pas un petit faible pour Thétis, tes deux précieux canetons ? »

Surtout ne pas le regarder. Surtout ne pas le regarder.

Par La Déesse, pourquoi doit-il mettre autant de temps pour se sécher !

« Je ne vois pas du tout de quoi tu parles », mentit le Français. Déjà qu'il avait du mal à rester concentré pour articuler deux mots, autant ne pas ajouter à la difficulté en abordant le sujet des relations amoureuses. Et puis il s'agissait de ses anciens élèves, saperlipopette ! Qui n'avaient strictement rien à voir avec la progéniture d'un canard, aussi précieuse soit-elle !

Vite, réorienter la conversation. Avec un thème pertinent en considérant la situation et le lieu.

« Et sans vouloir changer de sujet (ndla : oh le vilain menteur !), le ciel est d'un bleu éclatant ce matin. J'espère que tu as pensé à mettre de la crème solaire.

- Nan ! Pas la peine. J'ai déjà un bronzage uniforme et parfait », rétorqua le modeste en balançant sa serviette à ses pieds.

Enfin, il a arrêté de se frotter ! Merci, Déesse !

« Tu sauras que même les peaux hâlées peuvent être sujettes au cancer de la peau (ndla : ouais, le Verseau a un don inné pour casser l'ambiance). Tu devrais donc te protéger.

- Tu crois ? Même si j'ai déjà bien pris le soleil ?

- Oui, Milo. Et le mieux, c'est d'utiliser un écran total. Indice 50, minimum. Comme celui-ci, précisa Camus en montrant le tube posé à côté de lui sur sa serviette.

- Mais le soleil ne me verra plus si je m'enduis d'un tel machin !

- C'est le but, justement.

- Et puis j'ai horreur de me mettre de la crème ! Après on en a plein les doigts, ça pègue et le sable se colle de partout.

- C'est le prix à payer pour obtenir une protection optimale.

- Ouais, bon, à la rigueur, si je trouvais une âme charitable pour me l'étaler, là, peut-être que je dirais pas non. »

Et sur ce, Milo se pencha en avant pour saisir le fameux flacon et le tendre à Camus, convaincu qu'en agissant ainsi il allait petit un, pouvoir rabattre le caquet à ce moralisateur empêcheur de bronzer en rond – mince, il n'allait tout de même pas venir à la plage en tenue de camouflage intégrale ! (ndla : bon là, je me dois de me désolidariser du propos de Milo pour soutenir Camus, car oui, il faut se protéger du soleil ; c'est vraiment important !) – et petit deux, se faire royalement envoyer balader. Sauf que… eh ben non.

« Assieds-toi devant moi, et rends-moi l'écran total ! »

Quoi ?! Déesse, pincez-moi, je dois être en train de rêver !

« Tu veux bien me mettre de la crème solaire ? Sérieux ?

- Milo, j'ai dit assis ! » s'emporta le Verseau en s'emparant de la protection intégrale.

Non mais bon sang de bois, comme si j'avais l'habitude de dire n'importe quoi ! Hors de question d'être revenus à la vie pour se laisser grignoter les cellules par un maudit mélanome !

« Oui, chef ! » obtempéra le Scorpion en s'asseyant en tailleur devant son meilleur ami.

Camus ouvrit le bouchon du tube de crème, en versa une quantité qu'il jugea adéquate dans la paume de sa main, et reposa le contenant sur sa serviette. Puis il dirigea ses doigts au dessus des épaules de Milo. Des épaules incroyablement sexy de Milo.

Mais par tous les Dieux, pourquoi ai-je accepté de faire ça ?!

Camus se mordit la lèvre inférieure pour ne pas hurler. Il allait pouvoir le toucher. Caresser sa peau, parcourir chaque relief de ses muscles, sentir son sang pulser sous la pulpe de ses doigts. Mais déjà, il le voyait, juste là, prêt à s'offrir à lui, son corps dessinant les courbes d'un tableau à la beauté irréelle. Il le découvrait nu pour la première fois, à pouvoir contempler chaque détail de sa peau. Comme ces petites taches de rousseur dont il ignorait l'existence, éparpillées un peu partout sur ses épaules et sur le haut de son dos.

Camus cligna des paupières, avança sa main et effleura la peau de Milo. Il crut déceler un sursaut – évidemment, la crème devait être froide, sans même parler de ses doigts – mais poursuivit son geste malgré tout. Voilà, il le touchait. Et sa peau était… parfaite, en dépit des trop nombreuses cicatrices qu'il sentait saillantes sous ses doigts. Ces cicatrices qui faisaient écho à celles qui parsemaient sa peau à lui, mais qu'il acceptait pour une fois d'oublier. Oui, malgré tous ces stigmates, la peau de Milo était belle et délicate, exactement comme il l'avait imaginée dans chacun de ses rêves. Elle glissait sous sa main, acceptant sa présence sans vouloir la rejeter. Elle vibrait sous ses doigts, s'animant de légers frissons sous l'effet de ses caresses. Car Milo tremblait. Pourquoi ? Avait-il froid à cause de lui ou bien s'agissait-il d'autre chose ? Pourtant son corps était si chaud. Une douce aura s'en dégageait, pénétrant lentement sa peau pour remonter le long de son bras jusque dans son cou. Et ce fut au tour de Camus de se mettre à trembler.

Milo respira profondément. Il ne pouvait pas croire qu'il se tenait assis, à moitié nu, avec Camus juste derrière lui. Camus dont il sentait le souffle se perdre contre sa nuque tandis qu'il commençait à porter son attention sur lui. Même s'il ne pouvait le voir, il n'avait aucun mal à percevoir chacun de ses mouvements. Là, il venait de retirer le bouchon du tube de crème, en avait probablement déposé une quantité plus que suffisante dans le creux de sa main, et maintenant, il s'apprêtait à le toucher. A moins qu'il ne changeât d'avis ? Non, il ne pouvait pas. Pas maintenant qu'ils en étaient arrivés là.

Milo ne put retenir un sursaut lorsqu'il sentit les doigts de Camus se poser sur ses épaules. Ses mains n'étaient pas froides, enfin si, mais ce n'était pas pour cette raison qu'il se mettait à trembler. Non, s'il sentait des frissons se répandre depuis le haut de son crâne jusque dans le bas de son dos, c'était parce que Camus le touchait. Enfin et pour la première fois, il pouvait sentir ses doigts parcourir sa peau. Avait-il remarqué ses tâches de rousseur dont il ne lui avait jamais parlé ? Et ses cicatrices ? Se doutait-il qu'elles fussent aussi nombreuses à imprimer ses chairs ? Et Camus, combien en avait-il ? Et parmi elles, de combien se trouvait-il être l'unique responsable ? Non, il ne devait pas penser à ça. Pas maintenant qu'il sentait les mains de Camus s'animer dans son dos, étreignant ses muscles pour en délier chaque contour. Les mains de Camus qui étaient parfaites, douces et fraîches exactement comme il les avait imaginées. Des mains qui lui délivraient la plus exquise des caresses, faisant naître un courant délicieux qui envahissait déjà chaque parcelle de son être.

Un courant qui se rapprochait dangereusement d'une certaine zone particulièrement à l'écoute, et contre lequel il avait tout intérêt à commencer à lutter s'il ne voulait pas se retrouver cloué à cette serviette pour toute la matinée.

Vite chercher un moyen de se changer les idées. Camus se contentait d'étaler de la crème solaire sur ses épaules et dans son dos pour lui éviter un foutu cancer de la peau. Le reste n'existait que dans sa tête, même si à cet instant précis, chaque détail lui semblait bigrement réel.

« Et alors, tout va bien pour toi en ce moment ? Rien de neuf sous le soleil Zodiacal ? »

N'était-ce pas là le sujet idéal pour réfréner la sensation croissante d'étroitesse qu'il percevait dans son short ? Et encore, heureusement qu'il n'avait pas eu la mauvaise idée de mettre un slip de bain à la mode Angelo ! Car quoi de mieux que de tenter d'évoquer la relation du Verseau avec le Capricorne pour le faire instantanément débander ?

« Oui, tout va bien, merci. La routine habituelle, se contenta de répondre le concerné.

- T'en es sûr ? Rien de particulier dont tu voudrais me parler ? »

Allez Camus, s'il te plaît, sois honnête avec moi pour une fois ! Je suis ton ami, oui ou non ?

« Non, rien de particulier. »

Mais enfin Milo, où est-ce que tu veux en venir ? Je savais que cette histoire de crème solaire était une très mauvaise idée ! Il a dû sentir mon trouble et maintenant, il attend une explication. Ça m'apprendra aussi à vouloir faire de la prévention sanitaire !

« T'es vraiment sûr ?

- Puisque je te le dis ! s'agaça le Verseau en retirant ses mains qui massaient toujours le dos du Scorpion.

- T'as fini avec la crème ? constata le Grec en sentant le vide béant causé par la soudaine absence des doigts de l'homme assis derrière lui.

- Oui, je crois que ça ira comme ça.

- Merci, c'est gentil en tout cas d'avoir pris le temps de t'occuper de cette corvée.

- De rien. Mais j'espère qu'à l'avenir, tu penseras à te protéger avant de t'exposer au soleil, poursuivit Camus heureux de pouvoir mettre un terme à l'inquisition du Scorpion. J'ai vu que tu avais des taches de rousseur sur les épaules et sur le haut de ton dos, tu aurais tout intérêt à les camoufler derrière un t-shirt. »

Il les a donc remarquées…

« Entendu, Docteur ! La prochaine fois, je viendrai surfer en doudoune !

- Milo !

- Oui, bon ça va ! Je te promets que j'essaierai d'y penser. Mais pour en revenir à ma question de tout à l'heure… »

Un Kanon particulièrement furieux fit tout à coup irruption devant eux, interrompant ainsi la nouvelle tentative du Scorpion de faire parler le Verseau.

« Milo, prends ta planche et le reste de tes affaires, on se casse !

- Ah ben non ! Camus vient juste de me mettre de la crème solaire, et du coup, j'aurais bien un peu fait bronzette, moi !

- Camus vient juste de te mettre quoi ? s'étonna le Gémeaux.

- De la crème. Contre les coups de soleil.

- Ben t'auras qu'à bronzer à la piscine ! Allez, on se tire. Maintenant ! »

Le regard pratiquement suppliant de son ami finit par convaincre le Scorpion de l'urgence d'obtempérer à sa requête. Et en tournant les yeux dans la direction d'un certain individu spectral, Milo comprit la raison d'un tel revirement de situation. La discussion entre Kanon et Rhadamanthe ne s'était visiblement pas passée comme prévu, le Juge agitant les bras d'une manière qui ne laissait que peu de place à une quelconque ambiguïté.

« Camus, tu rentres avec nous ? prit le temps d'ajouter Milo en ramassant sa serviette.

- Non, je vais rester encore un peu, tant qu'il ne fait pas trop chaud » rétorqua le Verseau.

Oui, Camus avait besoin de quelques minutes supplémentaires avant de pouvoir se lever, et ce malgré la fournaise sous laquelle il avait l'impression de fondre à la vitesse d'un esquimau glacé. A cette heure-ci de la journée, le soleil se trouvait déjà beaucoup trop haut dans le ciel à son goût, et son tête-à-tête (ndla : enfin en l'occurrence plutôt son tête-à-dos) avec le Scorpion lui avait donné terriblement chaud. Mais il ne pouvait décemment pas se mettre debout dans l'état où il se trouvait.

Maudit slip de bain que lui avait pourtant vanté Angelo !


Sur le chemin du retour vers le Zodiaque, Milo eut la bonté – ou plutôt le bon sens s'il ne voulait pas se voir offrir un aller simple pour une autre dimension – d'accorder quelques minutes de répit à Kanon avant de lui poser la question qui lui brûlait pourtant les lèvres :

« Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- D'après toi ?

- Je sais pas. T'as dit à Rhadamanthe que c'était un génie du surf, et le bonhomme t'a pas cru ?

- C'est à peu près ça, oui.

- Sans déconner ? Non, mais qu'est-ce que tu lui as dit, exactement ?

- Je lui ai dit que tout Juge des Enfers qu'il était, il ne pouvait pas être doué partout, et cet idiot a bien évidemment pris la mouche !

- Ah oui ? Plutôt susceptible, la Wyverne ! Parce que te connaissant, t'aurais pu lui balancer quelque chose de beaucoup plus caustique.

- Alors j'ai peut-être légèrement édulcoré la nature du propos que je lui ai tenu, précisa le Gémeaux en remontant sa planche un peu plus haut sous son bras.

- C'est-à-dire ?

- Ben avec le recul, j'y suis sans doute allé un peu fort avec lui.

- Mais bordel, Kanon, qu'est-ce que tu lui as dit, vraiment ?! s'impatienta Milo, envahi d'une soudaine bouffée de franche curiosité totalement non désintéressée.

- Un truc du genre que si je l'avais téléporté dans une mare à canard le jour de notre combat, je n'aurais probablement pas eu à lever le petit doigt pour venir à bout de sa personne. Il se serait noyé tout seul.

- Ah oui, quand même ! s'esclaffa le Scorpion. Pas étonnant qu'il l'ait mal pris, le Rosbif infernal.

- En même temps, il l'avait bien cherché !

- Pourquoi ? Il a critiqué ta façon de surfer ?

- Il a pas eu besoin, puisque selon lui, le surf n'est pas un sport mais un passe-temps pour beaux gosses décérébrés.

- Ah ben tu vois, il a déjà reconnu que t'avais un physique agréable !

- Et que j'étais un débile. Merci du compliment !

- Détail qu'il s'est senti obligé d'ajouter parce que Monsieur se trouve être jaloux. Après, on peut pas lui en vouloir non plus, car notre style atteint des sommets de grâce et de perfection.

- C'est pas la modestie qui t'étouffe !

- Pourquoi est-ce que je me montrerais modeste ? On n'est pas des bêtes de surf tous les deux ?! (ndla : en plus d'être des bêtes de sexe ! Oh pardon, ça, c'est sorti tout seul) s'exclama Milo en s'arrêtant de marcher pour brandir sa main libre en hauteur devant lui.

- Si, les meilleurs, agréa le Gémeaux en frappant dans la paume ouverte du Scorpion. Donc t'es d'accord que j'ai eu raison de vouloir défendre mon honneur en remettant Rhadamanthe à sa place ?

- Ben étant donné la susceptibilité du personnage, t'aurais peut-être pu le faire avec un peu moins d'animosité. Parce que je te rappelle que l'idée de départ, c'était plutôt que t'ailles discuter avec lui pour faire avancer les choses entre vous. Et là, c'est clairement pas une réussite.

- La faute à qui ?! Ce type a le caractère d'une furie alcoolique dopée au Prozac !

- Mais c'est ce qui fait son charme, non ? Enfin là, je parle pour toi, hein. Parce que moi, les grands blonds à monosourcil, c'est pas vraiment mon truc.

- Alors quand on l'observe de plus près, on peut remarquer un léger dégradé dans la densité de sa pilosité quelque part entre ses deux yeux, précisa Kanon sur un ton soudainement apaisé.

- Et voilà, c'est bien ce que je me disais ! observa Milo avec un sourire satisfait.

- De quoi tu parles ? s'enquit l'ancien Dragon vaguement intrigué.

- Kanon, désolé de te balancer ça comme ça, mais… t'es tombé amoureux.

- Quoi ?! Mais tu débloques complètement ! Où t'es allé chercher une idée pareille ? Moi, tomber amoureux ? Impossible !

- Eh ben on dirait bien que si. En plus t'as pas choisi la facilité. Chapeau. Beau challenge ! Mais t'inquiète pas, ça va bien se passer ! Et je serai là pour t'aider. On va y aller tranquillement, petit pas par petit pas. Et en un rien de temps, la Wyverne se jettera suppliant à tes pieds.

- J'en demande pas tant non plus.

- Il faut avoir l'ambition à la hauteur de ses désirs, Kanon ! Viser haut, pour tirer juste !

- Joli jeu de mots.

- Merci. Alors ? Tu acceptes que je t'apporte mon aide ?

- Si tu me promets de garder tout ça pour toi, oui.

- Je serai muet comme une carpe qui serait rentrée au couvent pour y faire vœu de silence éternel.

- Attention, Milo, je suis sérieux. Je veux que personne soit au courant. Donc pas un mot à qui que ce soit. Même pas à Camus, t'as compris ?

- Oui, j'ai compris ! Et puis de toute façon, pour ce qu'on communique tous les deux en ce moment.

- Ben vous aviez plutôt l'air assez proches tout à l'heure, lorsqu'il te tripotait le dos.

- Il me tripotait pas le dos ! Il m'étalait de la crème solaire pour protéger ma peau contre les méfaits de l'astre divin !

- Évidemment, agréa le Gémeaux qui connaissait l'importance que Milo accordait à sa relation avec le Verseau, même s'il s'agissait d'un sujet qu'il avait depuis longtemps placé sur la courte liste de ses tabous.

- Oui, évidemment, répéta Milo. Et donc je te le promets solennellement, poursuivit-il aussitôt pour reprendre le contrôle de la conversation : je ne dirai rien de notre petit secret à Camus.

- OK, je te crois.

- Louée soit la Déesse ! Et maintenant, direction la piscine. C'est l'heure de la bronzette ! »

Milo plaça sa planche au-dessus de sa tête pour accélérer l'allure de ses pas. Non pas qu'il voulait fuir la présence de celui à qui il venait de faire une promesse. Quoique, pour être tout à fait honnête, si, tel était précisément son intention. Kanon avait tenté d'évoquer la question de sa relation avec le Verseau, et comme à son habitude, Milo avait préféré faire l'autruche. Pourtant sa discussion avec son ami lui avait encore un peu plus ouvert les yeux. Car s'il avait réussi à convaincre le Gémeaux de parler à Rhadamanthe, comment pouvait-il ne pas parler à Camus ? D'ailleurs, il y serait peut-être parvenu si un ancien Dragon Marin furibard ne les avait pas interrompus. Pour une fois, il s'en était senti capable, mais que cela aurait-il donc donné ? Camus lui aurait-il avoué sa liaison avec le Capricorne ? Lui aurait-il dit qu'il en était tombé amoureux ? Et devant une telle révélation, comment Milo aurait-il réagi ? Serait-il parvenu à garder le contrôle de ses propres sentiments pour dire à son meilleur ami à quel point il se sentait heureux pour lui ? Ou lui aurait-il enfin avoué la vérité ? La vérité qui s'était encore une fois imposée à lui à peine une demi-heure plus tôt, lorsque les doigts de Camus avaient parcouru sa peau.

Une évidence frappa soudain Milo tandis qu'il atteignait l'entrée de la piscine du Zodiaque où Seiya venait de rejoindre Geist pour prendre son tour de garde au bord du bassin. Il ne pouvait pas continuer comme ça, à se perdre dans le silence, le mensonge et le déni. Il devait parler à Camus pour être enfin honnête avec lui et ne pas sombrer dans la folie. Quitte à accepter de le perdre pour toujours.

Mais en aurait-il le courage ?

Notes:

A suivre…

Merci pour votre lecture et portez-vous bien.

Référence pour le titre du chapitre 18 : Sensualité, Axelle Red, 1993.

Et pour celles et ceux qui n'auraient pas reconnu, j'ai fait référence dans ce chapitre aux nombreuses heures passées par Chandler et Joey devant Alerte A Malibu (Baywatch pour les puristes) dans la série Friends. J'en profite pour faire en passant un petit clin d'œil à ma chère amie ShaSei qui, je le sais, partage ce joyeux souvenir télévisuel avec moi.

Chapter 19: What Is Love ?

Notes:

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, la Shūeisha, la Toei, tout ça.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Toujours le même jour, un peu avant midi, piscine du Zodiaque

Vêtu de son T-shirt de Sauveteur qu'il portait avec fierté et les yeux protégés par une paire de lunettes de soleil empruntées à Kanon et qui de fait étaient un peu trop grandes pour lui, Seiya observait la surface de l'eau sans bouger. Une inactivité qui commençait à peser sur son organisme plus habitué à la course et aux combats qu'à attendre sans rien faire assis sur une chaise. Aussi le jeune chevalier décida de se lever pour réaliser un énième tour de garde autour des bassins. Avant d'abandonner son poste, il se saisit du talkie-walkie que Saga lui avait demandé de garder avec lui en toutes circonstances, et appuya sur le bouton pour le mettre en marche.

« Geist, ici Seiya. Je quitte la surveillance du bassin principal pour faire le tour de la structure. J'ai des fourmis dans les jambes. Tu peux venir prendre ma place, s'il te plaît ?

- Ça marche. A tout'. On déjeune tous les deux ? s'enquit la jeune femme avant d'ajouter : je nous ai pris des sandwichs.

- Chez Aldé ?

- Évidemment, chez Aldé.

- Saucisson – cornichons ? Avec son ingrédient secret ?

- Affirmatif.

- Arrête, j'en ai déjà l'eau à la bouche ! S'il te plaît, dis-moi qu'il est bientôt midi !

- Presque. Il est midi moins le quart.

- Geist, pourquoi te montres-tu si cruelle avec moi ?

- Tu veux vraiment que je te fasse une liste ?

- Non, non, pas la peine. A plus ! » se contenta d'ajouter l'affamé en coupant la communication.

Mais pourquoi avait-il posé cette question ? La faim altérait-elle à ce point les connexions neuronales de son cerveau ? Geist avait tout un tas de raisons de lui en vouloir, sans même évoquer leur funeste affrontement sur l'Île Maléfique. Dernière source de grief en date : la manière dont il l'avait abandonnée le soir du Quatorze Juillet. Une fuite peu glorieuse qui avec le recul lui avait paru indigne pour ne pas dire affreusement mal élevée. Mais il devait l'avouer : il avait paniqué.

Sans être totalement novice en la matière, Seiya n'avait que peu pratiqué les rendez-vous galants. Entre ses cours à l'université et les différentes associations sportives dans lesquelles il avait choisi de s'investir, il n'avait pas beaucoup de temps pour sortir, et à chaque fois qu'il le faisait, Hyoga récoltait en général la plupart des attentions (ndla : ben oui les gars, fallait pas extraire Hyoga de son glaçon funéraire si vous ne vouliez pas qu'il vous pique toutes les nanas !). Alors pour lui, les femmes restaient l'un des plus grands mystères de l'univers. Et encore, il était loin d'être le plus mal loti en la matière parmi ses frères chevaliers. Car entre son maître vénérée et sa grande sœur adorée, il avait pu bénéficier de plusieurs présences féminines tout au long de sa courte vie. Sauf que cela n'avait juste rien à voir.

Seiya n'avait revu Geist qu'à de rares occasions depuis sa sortie du coma et leur retour général à la vie. Ils s'étaient croisés quelques fois au Sanctuaire, lors de grandes réunions organisées par Shion et leur bien-aimée Déesse, mais la jeune femme ne s'était jamais intéressée à lui autrement que pour lui lancer des regards vindicatifs et haineux. Mais tout semblait différent depuis leur arrivée au Zodiaque. Devait-il cela à l'air marin, à la chaleur estivale ou à quelque chose de moins trivial ? Seiya n'en savait rien. Si ce n'était que ce changement d'attitude le déstabilisait au plus haut point.

Au début, il ne s'était rendu compte de rien, mais plus Geist et lui se côtoyaient à la surveillance de la piscine, plus il ressentait une certaine forme de malaise en présence de la jeune femme. Enfin malaise n'était certainement pas le mot opportun, puisqu'en définitive, les signaux que lui renvoyait son corps n'étaient pas vraiment désagréables. Des picotements le long de sa colonne, une chaleur diffuse dans le bas de son dos, et une furieuse envie de sourire sans trop savoir pourquoi. Et la situation avait empiré depuis que Kanon lui était tombé dessus un matin après leur séance de surf quotidienne, et qu'il avait tenté de le convaincre de l'intérêt que lui portait leur collaboratrice à la piscine du Zodiaque. Pour atteindre son paroxysme le soir du Quatorze Juillet, entraînant sa réaction immature et sa fuite.

Mais depuis cette mésaventure qui l'avait placé dans une position délicate, Seiya avait réfléchi. Il avait tenté d'analyser les circonstances et les faits, et surtout, il avait sollicité l'expertise de celui qui avait contribué à l'accroissement de son trouble. Et comme à son habitude, Kanon n'avait pas tourné autour du pot :

« Gamin, elle te plaît cette nana, oui ou non ?

- J'en sais trop rien.

- Mince, c'est pourtant pas bien compliqué ! Je sais pas moi, quand tu la regardes, tu penses à ta prochaine barquette de frites ou à ta prochaine…

- Bon ça va, Kanon, je crois que j'ai compris ! Oui, je pense que je l'aime bien.

- Alors arrête de faire l'idiot, et montre-lui qu'elle t'intéresse !

- Mais comment ?

- Bordel, on vous a vraiment rien appris à la Fondation Graad ?!

- Ben c'est-à-dire que…

- OK, OK ! Inutile de préciser ! Cette question était débile. Bon écoute, je pense qu'étant donné la situation, le plus simple c'est probablement que tu te laisses guider. Geist me donne l'impression de savoir ce qu'elle veut, alors contente-toi d'attendre qu'elle se mette en action, et le moment venu, je te promets que tu sauras quoi faire.

- Tu crois vraiment ?

- Fais-moi confiance, gamin. Évite juste de prendre tes jambes à ton cou. Parce que ça, franchement, ça craint ! »

Ne pas prendre ses jambes à son cou… Facile à dire quand on n'avait pas une paire d'yeux relevés d'une multitude de longs cils magnifiques qui vous fusillaient du regard à longueur de journée (ndla : Elle a les yeux revolver, Elle a le regard qui tue… Pardon, digression totalement hors de propos, puisque cette célèbre chanson ne date même pas des années quatre-vingt-dix !).

L'esprit plongé dans ses réflexions quasi cornéliennes, Seiya faillit trébucher contre la margelle de la pataugeoire où une dizaine de bambins s'en donnaient à cœur joie en agitant les bras. Il sourit à l'un d'entre eux qui tentait de lui agripper les mollets en poussant des petits cris de victoire triomphale, et repartit en sens inverse pour poursuivre sa tournée. Arrivé au pied du grand toboggan, il se laissa asperger par une puissante gerbe d'eau afin de se rafraîchir un peu, puis il reprit la direction de l'entrée où se trouvait l'objet dans lequel il plaçait son salut. L'horloge qui, si les Dieux acceptaient de lui être cléments, voudrait bien indiquer midi et l'heure du déjeuner.

Seiya invoqua la bonté de sa Déesse, accéléra le pas, et écarquilla les yeux pour lire la position des aiguilles. Douze heures pile ! Il porta son sifflet à sa bouche, souffla à l'intérieur comme si sa propre vie en dépendait, et déclama la seule phrase en français qu'il était capable de prononcer sans accent et presque sans erreur :

« Mesdames z'et messieurs, il est midi. Veuillez évacuer les bassins et vous diriger vers le sortie, la piscine va fermer ses portes. Réouverture à treize heures, comme d'habitude. Bonneuh appétit à toutes z'et à tous ! »

En entendant le signal libérateur, Geist se leva de son siège pour étirer ses jambes et ses bras. Elle interpella ensuite son collaborateur, qu'elle projetait de transformer sous peu en chevalier servant, pour lui expliquer mouvements de main à l'appui qu'elle prenait en charge l'évacuation des retardataires. Elle entreprit alors de parcourir les allées entre les transats afin d'encourager les derniers vacanciers à quitter les lieux. Et lorsqu'elle pensait avoir achevé sa mission, elle reconnut une longue tignasse bleue surmontant un corps de dieu grec avachi sur une serviette :

« Milo, on ferme ! Debout !

- Hum… Pas envie de bouger !

- Allez, c'est midi, l'heure du déjeuner ! réitéra Geist en s'efforçant de garder son calme.

- Gnan… bredouilla l'ensommeillé.

- Bon, Milo, bouge ton dard de Scorpion de là, ou je te promets que ton Aiguille Écarlate ne soumettra bientôt plus personne ! (ndla : oui, parce que garder son calme, ça va bien cinq minutes…)

- OK. Pas la peine de t'énerver ! Quelle heure il est ?

- Tu te moques de moi ? C'est le moment de manger ! Alors hors de ma vue !

- Ah déjà ? J'ai pas vu l'heure, moi… Eh ben bon appétit, M'dame ! T'as l'air d'avoir les crocs !

- Exactement, Milo ! Alors ciao, et bon appétit à toi aussi ! »

Le Scorpion déplia ses quatre membres pour se mettre debout, attrapa sa serviette et s'éloigna vers le portillon de la piscine en se grattant le haut du crâne d'un mouvement encore vaguement endormi. Geist profita de ce bref instant de solitude pour accorder à ses yeux un petit plaisir coupable. Parce que mine de rien, Milo était tout de même sacrément bien foutu. Avec l'un de ces jolis petits culs que seules des années d'entraînement pouvaient contribuer à mouler (ndla : ben quoi ? Dites-moi que c'est pas vrai peut-être ?!). D'ailleurs à ce sujet, Geist nota mentalement de bien songer à rappeler au Scorpion le règlement de la piscine lors de sa prochaine visite : Short de bain interdit. Slip de bain obligatoire.

Mais pour l'heure… Un autre spécimen aux muscles fessiers parfaitement sculptés l'attendait pour partager son repas, et Geist n'avait aucunement l'intention de le faire attendre.

« Alors, ils sont où ces sandwichs ? questionna le chevalier Pégase en voyant sa collègue arriver.

- Dans le sac isotherme accroché à ma chaise. Et n'oublie pas de prendre les gourdes et les serviettes !

- A vos ordres, chef ! »

A peine deux secondes plus tard, Pégase ayant si faim qu'il parcourut la distance qui le séparait de son déjeuner à la vitesse de ses météores, les deux chevaliers s'installèrent sur un transat à l'ombre d'un parasol. Seiya retira à la hâte la cellophane qui protégeait son sandwich pour croquer dedans à pleines dents. C'est alors qu'une sensation désagréable dans sa bouche lui rappela l'incident dont il avait été victime un peu plus tôt dans la journée.

« Zut ! s'exclama l'affamé frustré.

- Qu'est-ce que t'as ? Aldé a laissé traîner un noyau d'olive au milieu des cornichons ?

- Non, je me suis pété une dent au surf tout à l'heure, et j'avais complètement oublié !

- Ah mince ! Ça fait mal ?

- Non, c'est juste un peu gênant pour manger, c'est tout.

- Mais t'as carrément perdu un bout de dent ou l'émail s'est simplement fissuré ? Ça doit être discret en tout cas, parce que je n'ai rien remarqué.

- Alors Hyoga m'a dit qu'il me manquait un p'tit bout d'incisive. Après j'ai pas pris le temps de me regarder dans le miroir avant de venir au boulot, donc j'en sais pas vraiment plus.

- Comment ça ? T'as pas eu envie de vérifier à quoi tu ressemblais ?!

- A vrai dire, je m'en fiche un peu. Et puis si ça t'a pas sauté aux yeux, c'est que ça doit pas être si méchant.

- Oui, mais tout de même ! Attends, fais-moi voir » ordonna Geist tandis qu'elle posait son sandwich pour saisir le menton du chevalier édenté.

Ce dernier obtempéra, oubliant un instant les plaintes en provenance de son estomac pour docilement ouvrir la bouche. Son regard croisa alors celui de la jeune femme qui commençait à effleurer ses lèvres du bout des doigts, et une vague de sensations singulières déferla dans sa poitrine. Il cligna des paupières et sut exactement ce qu'il devait faire. Kanon avait raison finalement : le moment venu, il n'aurait plus du tout envie de se poser des questions.

Seiya saisit les doigts de Geist qu'il écarta de ses lèvres pour s'approcher de ses lèvres à elle et y déposer un baiser.


En fin d'après-midi, Camus du Verseau quitta la fraîcheur bienfaitrice de son bureau pour chevaucher sa bicyclette et prendre la direction du Poséidon. Sa Déesse lui avait confié une mission d'importance : apporter à Julian la facture visant à partager les frais liés à la soirée du Quatorze Juillet. Car même entre divinités, les bons comptes faisaient les bons amis et un sou restait un sou.

Après s'être faufilé entre les barrières du Zodiaque, Camus emprunta la piste presque-cyclable (ndla : un dispositif très courant dans nos belles régions françaises) qui longeait la grande avenue depuis l'entrée du camping jusqu'au bureau de tabac, duquel il vit sortir Angelo. Se sentant de nature plutôt sociable, Camus leva le bras pour saluer le Cancer qui lui retourna la politesse par un regard à la noirceur assassine. Le Verseau ne s'en offusqua pas. Il connaissait le caractère revêche de l'Italien et sa disposition à la mauvaise humeur qu'il savait ne pas être dirigée contre sa personne (ndla : hum, encore une certitude un peu mal placée). Alors il poursuivit sa route sans ne plus y penser.

Arrivé au Poséidon, Camus se dirigera vers le bâtiment de l'administration devant lequel il gara son vélo. Lorsqu'il poussa la porte de l'immeuble à la décoration qu'il jugeait un brin rococo – trop de coquillages et de tridents à son goût –, il manqua d'être bousculé par une Shaina visiblement pressée qui s'excusa d'un vague revers de main. Devant un tel comportement, le Français dont les bonnes manières étaient reconnues dans tous les Sanctuaires, ne put s'empêcher de relever le manque de bienséance de ses collègues transalpins. Il ponctua sa réflexion d'un sourire discret à l'encontre de l'Ophiuchus suivi d'un haussement d'épaules résigné. Puis il s'engagea dans la dizaine de marches qui menaient au bureau de l'héritier du clan Solo.

Une fois devant la réincarnation divine, Camus lui présenta la facture qu'il prit le temps de commenter afin d'en justifier le contenu. Poséidon fronça les sourcils - car même chez les Olympiens, l'on trouvait bien toujours un ou deux radins - avant d'accepter de sortir son chéquier. La Déité marine inscrivit le montant escompté à l'aide de son plus beau stylo, puis tendit le morceau de papier au chevalier qui l'attendait patiemment. Le Verseau s'en saisit en remerciant d'une formule bien élevée le donateur forcé et glissa le précieux document dans la poche intérieure de son veston. Puis il salua avec courtoisie le Dieu des Océans dont il délaissa l'office sans tarder.

En quittant l'immeuble climatisé, Camus se sentit écrasé par la chaleur étouffante de cette fin d'après-midi d'été. Il retira donc son veston qu'il rangea dans la sacoche fixée au porte-bagage de son vélo, non sans l'avoir au préalable soigneusement plié. Puis il enfourcha sa bicyclette pour retourner au Zodiaque, l'esprit satisfait d'avoir convenablement accompli sa mission.

Tandis qu'il pédalait entre les allées pour rejoindre la sortie, Camus s'autorisa un bref moment d'introspection. Cette analyse le mena à conclure que si tout pouvait être aussi simple que la comptabilité, le monde ne se porterait probablement pas plus mal (ndla : cette opinion n'engage que celui qui l'exprime). Des additions, des soustractions, des colonnes de nombres à comparer, quelques produits en croix. Pas de remises en question ni de tergiversations. Pas de mensonges ni de dissimulations. Pas de désir ni de sentiments refoulés. Alors que dans la réalité…

Le souvenir de son épreuve matinale hantait encore l'esprit et le corps du Verseau comme s'il pouvait toujours sentir la peau de Milo vibrer sous ses doigts. Cette peau si chaude qu'il avait pu toucher pour la première fois et qui s'était mise à trembler en réponse à ses caresses. Des sursauts qui n'avaient cessé de l'obséder depuis qu'il avait quitté la plage pour regagner la solitude de son bureau.

Pourquoi Milo avait-il réagi ainsi ? S'était-il senti mal à l'aise ? Lui-même avait-il été maladroit dans certains de ses gestes ou Milo avait-il simplement eu froid ? Et pourquoi lui avait-il ensuite posé toutes ces questions ?

Si Camus avait été coutumier des tendances paranoïaques, il aurait pu jurer que son ami cherchait à lui faire dire quelque chose. Mais quoi ? Quel genre d'informations intéressantes Milo pensait-il pouvoir récolter en l'interrogeant de cette manière sur son quotidien au Zodiaque ? Sa vie n'était-elle pas d'un ennui sans nom pour quelqu'un comme le Scorpion ? Des journées entières à compulser des registres pour remplir des tableurs Excel et permettre aux caisses du Zodiaque de se gorger d'argent frais. Des soirées consacrées à la lecture ou à des discussions sur l'actualité de temps à autre agrémentées de questionnements métaphysiques avec Aldébaran et Mû. Discussions qu'il aimait parfois poursuivre avec Shura lorsqu'ils ne se contentaient pas de se jeter l'un sur l'autre.

Saperlipopette.

Camus posa un pied à terre pour stopper le mouvement de sa bicyclette. Se pouvait-il que Milo soupçonnât quelque chose au sujet de sa relation avec le Capricorne ? Non, impossible. Ils avaient toujours fait preuve d'une grande prudence dans l'organisation de leurs entrevues secrètes, à l'exception peut-être du Quatorze Juillet où ils avaient quitté les festivités pratiquement en même temps. La faute à toutes ces interrogations philosophiques qui les avaient profondément émoustillés (ndla : oui, je sais... un truc de Verseau et de Capricorne, probablement). Mais comment Milo aurait-il pu remarquer quoi que ce fût ce soir-là, occupé comme il l'était derrière ses platines ?

Alors où Milo voulait-il en venir et qu'avait-il cherché à obtenir avec son pseudo interrogatoire ?

Et s'il avait réellement compris la vérité ? S'il avait compris que son meilleur ami, ou du moins celui qu'il avait longtemps considéré comme tel, celui qui avait toujours prôné la réserve, le contrôle des sentiments voire la rigueur et l'austérité, s'envoyait en l'air avec l'un de leurs congénères sans même lui en avoir parlé. S'il avait compris qu'il lui avait menti. Qu'il lui mentait depuis toujours.

Camus remit son pied sur la pédale pour reprendre sa route mais bifurqua sur la droite avant d'atteindre la sortie du camping. Il longea une allée bordée de superbes lauriers-roses qu'Aphrodite aurait sans doute aimé contempler, pour arriver aux emplacements réservés au personnel. Il s'arrêta devant l'une des nombreuses caravanes, cala son vélo contre un grand pin maritime puis se dirigea vers une porte en contreplaqué blanc sur laquelle il frappa.

« Camus, mais qu'est-ce que tu fous là ?! s'étonna un Capricorne interrompu dans sa routine personnelle et ne portant comme seul vêtement qu'un tout petit short en jean (ndla : ben quoi ? Et pourquoi pas d'abord ?).

- Tu aurais cinq minutes à m'accorder, s'il te plaît ? » se contenta de répondre le Verseau.

En guise d'approbation, Shura se décala d'un pas pour laisser entrer son visiteur surprise avant de s'éloigner dans la direction de la cuisine (ndla : enfin, vers le coin désigné comme tel dans la documentation promotionnelle du camping).

« Je t'offrirai bien quelque chose à boire, mais je n'ai plus rien au frigo.

- Cela n'est pas nécessaire, je ne fais que passer. J'ai besoin de te parler.

- OK, agréa l'Espagnol en calant ses hanches contre le bord du minuscule évier. Vas-y, je t'écoute. Qu'est-ce qui t'amène comme ça chez moi alors qu'il fait encore jour ?

- Tu crois envisageable que quelqu'un soit au courant ? enchaîna le Français sans commenter la dernière phrase prononcée par celui avec qui il passait la plupart de ses nuits.

- Pour nous deux ?

- Oui.

- Je ne vois pas comment. Nous avons toujours été très prudents.

- C'est ce que je pense également.

- Alors pourquoi une telle question ?

- Juste une impression. Milo m'a soumis à une sorte d'interrogatoire ce matin, et en y repensant tout à l'heure lorsque je quittais le bureau de Julian, je me suis dit qu'il soupçonnait peut-être quelque chose.

- T'es passé voir Julian ? releva le Capricorne à qui n'échappait jamais le moindre détail.

- Oui. Je devais lui transmettre la facture pour la soirée du Quatorze Juillet et surtout, récolter son paiement, précisa le chevalier comptable consciencieux.

- Ah, je vois. Et alors, il a pas eu trop de mal à sortir son chéquier ? Parce que maintenant que je l'ai un peu pratiqué, je sais qu'il peut parfois être assez près de ses sous.

- Écoute, je suis reparti avec ce que j'étais venu chercher, et c'est tout ce qui m'importe. Mais pourrions-nous revenir au sujet qui me préoccupe, je te prie ?

- Oui, bien entendu. Bon, voyons… Milo t'a posé quel genre de questions au juste ? reprit Shura en se retournant vers l'évier pour se verser un verre d'eau sous le regard attentif du Verseau (ndla: oui, je sais… mais comment résister à un jeu de mots d'une telle qualité ?).

- Rien de très spécifique à vrai dire. Il voulait savoir si quelque chose de nouveau s'était récemment produit dans ma vie, expliqua Camus en quittant son vis-à-vis des yeux pour lui préférer la contemplation du linoleum à ses pieds. Car il n'avait nullement l'intention de se laisser distraire par des pensées parasites provoquées par une paire de fesses ibériques superbement moulées dans un short en jean dont il manquait une quantité significative de tissu.

- Je vois. Donc en gros, Milo t'a simplement balancé un classique « quoi de neuf sous le soleil ? », c'est bien ça ? reformula le Capricorne en pivotant sur lui-même avec son verre à la main.

- Oui, en quelques sortes.

- Alors pourquoi tu t'inquiètes ?

- Eh bien, j'ai eu le sentiment qu'il s'attendait à ce que je lui annonce quelque chose. Mais je suis probablement un peu paranoïaque, concéda Camus dont le regard venait de quitter le sol pour se porter sur les lèvres de celui qui tentait de le rassurer. Des lèvres qui effleuraient à présent d'une manière beaucoup trop sensuelle la surface d'un insignifiant verre d'eau.

- Sûrement. Mais tu serais loin d'être le premier ! La paranoïa, c'est quasiment une seconde nature chez nous autres, chevaliers d'Athéna.

- Ce jugement n'engage que toi, allégua Camus en essuyant la sueur qui commençait à perler depuis le haut de son front.

- Et j'assume pleinement mon propos ! Mais dis, t'es sûr que tu veux vraiment pas un peu d'eau ? Car Julian n'a pas encore fait installer l'air conditionné dans ses caravanes et il fait tout de même vachement chaud aujourd'hui, souligna l'Espagnol conscient de la souffrance grandissante du Français.

- Si, finalement je veux bien », consentit ce dernier. Car oui, il faisait chaud dans cette minuscule caravane. Terriblement chaud.

Shura fit un nouveau demi-tour sur lui-même avant de s'incliner vers l'avant pour saisir un second verre dans le placard sous l'évier, accentuant ainsi la cambrure d'une chute de reins à faire fondre tous les glaciers de Sibérie, à commencer par le glacier qui se tenait derrière lui.

« Ça va, le spectacle est à ton goût ? » lâcha le Capricorne en se remettant debout. Car il n'avait pas pris la peine de se pencher de cette manière sans la moindre arrière-pensée non plus (ndla : ah, le fourbe !)

Camus, contrarié de se laisser une nouvelle fois submerger par des sensations contre lesquelles il avait tenté de lutter toute la journée, resta silencieux et se pinça l'arête du nez en fermant les yeux. Il devait trouver une distraction, une pensée salvatrice : une formule dans un tableur Excel, la pointe d'un gros iceberg, un troupeau d'adorables bébés phoques. N'importe quoi susceptible de faire décroître sa température corporelle bien trop élevée depuis le matin, sinon il ne répondrait bientôt plus de rien. Surtout maintenant qu'il sentait des mains caprines se nouer autour de sa taille et des hanches gourmandes se presser contre les siennes.

« Dis-moi, Camus, t'as vraiment pas le temps de rester un peu ? murmura le Capricorne en mordillant le lobe de l'oreille du Verseau. Je termine ma mission au Poséidon demain, alors nous pourrions peut-être profiter une dernière fois de la discrétion et du confort offerts par cette jolie caravane ?

- Je dois rentrer, parvint à balbutier le Français, de plus en plus troublé.

- Je sais, mais rien ne presse, insista une voix tentatrice, bientôt accompagnée d'une main inquisitrice décidée à se faufiler sous une fine chemise en lin.

- Je dois… Han…, gémit le comptable qui voyait la dernière ligne de son tableur imaginaire se dissiper sous ses paupières tandis que les doigts de Shura s'aventuraient dans le bas de son dos.

- Tu dois quoi ? poursuivit l'Espagnol dont l'autre main s'attardait à présent contre l'entrejambe de son amant pour constater l'efficacité de ses caresses corruptrices.

- Partir… Pour rapporter le chèque… A Saori.

- Eh bien notre Déesse attendra. »

Sur ces paroles que d'aucuns auraient pu juger hautement blasphématoires, Shura plaça ses mains sous les fesses de Camus pour le soulever et le plaquer contre la table en Formica qui se trouvait derrière lui. Camus ne protesta pas - il n'en était plus capable – et se laissa définitivement entraîner sous le voile apaisant de la volupté.


« Ça va ? murmura Shura à l'oreille de Camus tandis que ce dernier tentait de reprendre son souffle.

- Oui, répondit simplement le Verseau en se dégageant de l'étreinte du Capricorne.

- Tu me permets un commentaire ?

- Permission accordée.

- T'en avais vraiment très envie ! T'as rarement fait preuve d'autant… comment dire ?... D'ardeur à la tâche.

- Si tu le dis.

- Mais t'étais aussi complètement ailleurs. Encore plus que d'habitude. Alors dis-moi, il s'est passé quoi avec Milo ce matin ? Exactement.

- Cela n'a rien à voir.

- Camus, je commence à te connaître tu sais, alors je t'écoute : qu'est-ce qui t'a réellement conduit jusqu'à moi aujourd'hui ?

- Les interrogations dont je t'ai parlé tout à l'heure n'étaient pas feintes, Shura.

- J'en doute pas une seconde. Merci à la Déesse de la Paranoïa ! Mais il n'y a pas que ça. Mierda, Camus, t'étais tellement excité qu'on a pété cette pauvre table en Formica ! D'ailleurs, va falloir que je tente quelque chose pour la réparer avant de partir demain, sinon Julian va vouloir garder ma caution.

- Il n'avait pas à te demander de caution puisqu'il a accepté de t'héberger à titre gratuit.

- Radinerie, quand tu nous tiens… Mais n'essaie pas de changer de sujet ! Alors ? Qu'est-ce qui m'a valu de bénéficier de telles faveurs de ta part ?

- On t'a déjà dit que tu étais quelqu'un de bigrement têtu ?

- Une ou deux fois. Capricorne, je te rappelle.

- Il n'existe aucune preuve scientifique de la réelle influence des signes astrologiques sur le comportement et la psychologie humaine.

- T'es sérieux, là ? Tu veux vraiment ouvrir ce débat avec moi maintenant, alors que j'ai encore les marques de tes ongles dans mon dos, sans même parler de celles que t'as laissées sur mon cul !

- Shura ! s'offusqua le Verseau en se levant du petit canapé grenat qui avait accueilli leurs tout derniers ébats (ndla : ben oui, parce qu'une table en Formica bancale, c'est pas vraiment l'idéal non plus).

- Pardon, mais là, tu commences à me taper sur les nerfs ! Camus, je voudrais juste comprendre… Pour essayer de t'aider. Je te rappelle qu'on est dans le même bateau tous les deux.

- C'est vrai. Excuse-moi », s'amenda le Français en saisissant son pantalon pour se rhabiller avant de poursuivre d'une voix qu'il voulut impassible :

« Ce matin, je suis allé à la plage à la demande de Hyoga qui voulait que je les regarde surfer, Isaak et lui, et bien entendu, je suis tombé sur Milo. Je te passe les détails du comment j'en suis arrivé là, mais il se trouve que j'ai eu la mauvaise idée d'accepter de lui étaler de la crème solaire sur les épaules et dans le dos.

- Ah oui, quand même ! Tu cherches vraiment les ennuis !

- N'en rajoute pas, je te prie ! Mais oui, il faut croire que je suis légèrement masochiste. Toutefois, je tiens à souligner pour ma défense que Milo aurait tout intérêt à protéger sa peau contre les méfaits du soleil, car il a une multitude de taches de rousseur dont je ne soupçonnais pas l'existence et qu'il ne devrait certainement pas exposer comme il le fait.

- Et tu t'es donc naturellement dévoué pour lui apporter cette protection solaire nécessaire.

- En effet. Mais tu imagines que ça n'a pas été sans difficultés.

- Oui, j'imagine parfaitement ! Et Milo, comment il a réagi ?

- J'ai senti qu'il était troublé, ou devrais-je plutôt dire mal à l'aise. Et lui aussi a dû remarquer quelque chose en ce qui me concerne, puisque c'est après cela qu'il m'a posé toutes ces drôles de questions.

- Je comprends mieux. Mais quand tu dis que tu l'as senti troublé, quelle a été sa réaction, exactement ?

- Il s'est mis à trembler. »

Shura observa Camus qui venait de passer un bras dans l'une des manches de sa chemise, puis reprit sur un ton assuré :

« Ça t'est jamais venu à l'esprit que Milo pourrait ressentir autre chose à ton égard que de l'amitié ?

- Je suis quelqu'un de lucide qui sait faire preuve d'un sens aigu de l'analyse. Donc non (ndla : *tousse et manque de s'étouffer*).

- Alors comme il me semble l'avoir déjà fait ce soir-là sur la plage lorsque nous avons couché ensemble pour la première fois : je te mets en garde contre tes certitudes, Camus. Celles-ci pourraient te masquer l'essentiel. Pour preuve, ces questions que Milo t'a posées.

- Quoi ces questions ? Je croyais que tu les considérais sans importance.

- Eh bien j'ai changé d'avis. Car remises dans leur contexte, celles-ci me paraissent à présent tout sauf anodines. Camus, je pense que tu devrais parler à Milo.

- Pour lui dire quoi, Shura ? Que je couche avec toi alors que c'est lui que j'aime comme un fou ! »

Camus avait prononcé ces mots sur un ton qui ne lui appartenait pas, les doigts crispés sur les boutons de sa chemise légèrement froissée.

« Je te laisse juger quelle vérité tu veux lui accorder, poursuivit calmement l'Espagnol. Et réfléchir en même temps à notre situation à tous les deux ».

Shura, qui venait de remettre son boxer, attrapa une cigarette dans le paquet posé à côté de l'évier pour la porter à ses lèvres avant de reprendre la parole sans l'avoir allumée :

« Ça fait quelques temps que j'y pense, et je crois qu'on ferait mieux d'arrêter de se voir. »

Camus considéra le Capricorne pour analyser le sens de son propos. Comme souvent, Shura avait raison. Ils avaient tous les deux trouvé ce dont ils avaient besoin dans ce qu'ils avaient partagé ces dernières semaines, mais aujourd'hui qu'avaient-ils de plus à s'apporter ? Et s'ils voulaient avancer, ne devaient-ils pas se recentrer sur leurs priorités ?

« Je suis d'accord avec toi.

- Alors la chose est réglée », déclara l'Espagnol après avoir retiré sa cigarette de sa bouche. Car il venait de réaliser que son briquet se trouvait dans son short. Short qu'il avait jeté à l'autre bout de la pièce lorsqu'ils avaient lancé les hostilités. « Mais, continua-t-il en se dirigeant vers l'objet convoité, je voudrais que tu saches que j'ai beaucoup apprécié la nature de nos interactions. Shura sembla hésiter un instant, puis ajouta sur un ton licencieux : t'es un bon coup au pieu, Camus !

- Je partage entièrement ton analyse, concéda simplement le Français avant de compléter son propos : cela dit, j'espère que nous trouverons d'autres occasions pour discuter tous les deux, car je dois reconnaître que nos conversations vont probablement me manquer.

- Bien entendu ! agréa Shura comme il extirpait un petit briquet rouge de la poche arrière de son short. Je serai moi aussi ravi de continuer à passer du temps avec toi. T'es un mec bien, tu sais. Milo a beaucoup de chance de t'avoir... Dis, ça te dérange si je m'en grille une ? D'habitude j'attends que tu sois parti, mais là, j'en ai vraiment trop envie.

- Fais comme chez toi, consentit Camus en ignorant le reste des paroles du Capricorne. Mais tu connais mon avis sur le sujet : tu ferais mieux de mettre un terme à cette sale habitude ! Tiens, ça me fait penser que j'ai croisé Angelo qui sortait du bureau de tabac tout à l'heure, et il avait l'air d'une humeur exécrable.

- Ah ouais ? Le connaissant, il sera tombé en panne de clopes et le buraliste n'aura pas pu lui fournir ses Camel adorées. Mais t'as raison : je ferais mieux d'arrêter. Et Angelo aussi. »

Shura alluma enfin sa cigarette dont il aspira une longue bouffée avant de fermer les yeux l'air soudainement préoccupé. Ce changement d'attitude n'échappa pas au Verseau qui s'autorisa une toute dernière question avant de quitter les lieux :

« Et toi, Shura ? Tu es réellement persuadé qu'Angelo ne ressent rien pour toi au-delà d'une sincère amitié ? »

Le Capricorne expira lentement la fumée par le nez puis rouvrit les yeux qu'il riva aussitôt à ceux du Français :

« Ma mise en garde contre les certitudes valait pour celles que je crois avoir moi aussi. Bonne soirée, Camus. On se verra probablement demain au Zodiaque.

- Bonne soirée, Shura. Et en effet : à demain, au Zodiaque » ajouta finalement le Verseau en ouvrant la porte en contreplaqué blanc de la jolie caravane de Julian. Et ce malgré une table de salon qui se trouvait à présent légèrement bancale.


Dans une caravane du Zodiaque, un peu plus tard ce soir-là

L'espace intérieur était limité mais fonctionnel, décoré avec soin et à la propreté irréprochable, l'air ambiant imprégné d'une douce effluve florale qui ne manquait pas de rappeler la superbe roseraie de l'occupant des lieux.

« Eh bien dis-moi, Saga t'a à la bonne, on dirait ! constata Misty en laissant tomber son sac sur la banquette aux jolies teintes indigo qui occupait presque la totalité du salon.

- Que veux-tu ? Il n'a presque jamais rien pu me refuser tant que je lui demandais gentiment ! Tu peux accrocher ton sac au porte-manteau, s'il te plaît ? enjoignit Aphrodite qui souhaitait conserver l'ordre parfait dans lequel se trouvait son logis.

- Vraiment ? Alors dans ce cas puis-je savoir pourquoi tu te contentais d'une tente rudimentaire depuis notre arrivée ici ? s'enquit le chevalier d'Argent comme il obéissait à l'injonction du Poissons.

- Par solidarité avec mes deux meilleurs amis, qui eux n'ont clairement jamais été ce que l'on pourrait appeler les « chouchous de la bande ». Mais ayant aujourd'hui de nouveaux besoins, j'ai demandé à être surclassé.

- Écoute, je ne vais pas m'en plaindre ! J'ai toujours préféré le confort d'un véritable matelas pour exercer certaines activités. Car ne nous mentons pas : dans le contexte qui nous intéresse, un certain degré d'aise s'avère nécessaire afin de pouvoir pleinement explorer l'ensemble des possibilités qui s'offrent à nous. Et ceci étant dit, poursuivit le Lézard sans attendre de commentaires concernant ses intentions horizontales, ça te dérange si je mets de la musique ? J'ai apporté mon radiocassette.

- Je t'en prie. Je te sers un verre ? J'ai du vin blanc dans mon mini frigidaire (ndla : voilà un chevalier qui a le sens de l'hospitalité ! *L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération*).

- Volontiers » acquiesça Misty en insérant une cassette dans le poste qu'il venait de brancher à l'unique prise du salon.

Aphrodite releva le nez lorsqu'il entendit les premières notes résonner dans la pièce, puis saisit les deux verres à pied qu'il avait empruntés au restaurant du camping pour les déposer sur la table en face du canapé. Canapé dans lequel Misty venait de prendre place avec un large sourire sur les lèvres.

« Deep Purple ? Attends, ne dis rien, je vais retrouver le titre. Je l'ai sur le bout de la langue !

- Aurais-tu des problèmes de mémoire, Aphrodite ?

- Non, ma mémoire est infaillible pour ce qui me paraît essentiel. Mais là, je crois que je dois donner ma langue au chat.

- Et j'imagine que le chat, c'est moi.

- Cela me paraît évident ! Alors, Misty, tu vas me laisser me morfondre dans l'ignorance encore longtemps ? Quel est le nom de cette chanson à l'introduction de guitare légendaire ?

- Smoke…

- On The Water, évidemment ! Un grand classique des années soixante-dix, toujours aussi efficace.

- Et dont les paroles s'ouvrent en mentionnant un lieu que je considère comme cher à mon cœur.

- Ah oui ? Voilà que tu piques ma curiosité ! De quel lieu parles-tu ?

- De Montreux, en Suisse. La ville natale de ma mère. Une femme superbe, passée de vie à trépas beaucoup trop tôt pour que j'en garde le moindre souvenir à l'exception d'un sourire radieux figé sur de vieilles photos en noir-et-blanc. Ce qui fait de moi l'unique représentant Franco-Suisse de toute la chevalerie !

- Moi qui te prenais pour un français authentique.

- Tu es déçu ?

- Absolument pas ! Ce qui compte à mes yeux, surtout maintenant, tandis que je savoure ce verre de vin délicieux sur un rythme particulièrement envoûtant, c'est ce que tu comptes faire de tes mains. »

En réponse à ce changement de sujet qui ne lui déplaisait en rien, Misty délaça ses doigts pour faire glisser son index sur le bord de son verre.

« Tu parles de ces mains-là ?

- Précisément. »

Misty poursuivit son mouvement avec une lenteur insoutenable, sous le regard gourmand d'Aphrodite qui tentait de modérer son appétit croissant. En vain.

« Je crois qu'il est temps pour nous de goûter au confort de ce fameux matelas », se contenta d'ajouter le Poissons avant de se mettre debout pour entraîner son invité vers l'espace couchage de sa toute nouvelle caravane.


Les sens encore troublés par la vague de volupté qui venait de l'emporter vers son dernier orgasme, Misty reprit son souffle et posa son visage contre le torse de son amant, qui comme toujours sentait incroyablement bon. Il ne s'était jamais laissé aller de cette manière dans les bras d'un homme. Parce qu'il n'en avait jamais eu le désir et surtout, parce qu'aucune de ses précédentes aventures ne lui avaient donné envie de s'attarder de la sorte une fois qu'il avait atteint son but. Mais avec Aphrodite, tout lui semblait différent.

« Je peux te poser une question ? finit-il par déclarer sans s'écarter de son délicieux cocon.

- Tiens, tu es déjà en état de parler ? Je suis déçu.

- Dois-je te rappeler que je suis moi aussi un chevalier aguerri, habitué au combat ?

- Oui, mais pas contre un adversaire tel que moi.

- Certes, mais je commence à bénéficier d'un certain niveau d'entraînement. Alors je peux te poser ma question oui ou non ?

- Je t'en prie.

- C'est quoi l'amour à tes yeux ?

- La seule chose susceptible de rendre véritablement heureux et en même temps profondément idiot.

- Je ne te savais pas si sarcastique.

- Je suis simplement réaliste. Il n'y a qu'à observer autour de nous. Cite-moi le nom d'un chevalier – homme ou femme – qui semble obtenir satisfaction de ce que l'on pourrait qualifier d'une relation amoureuse ?

- C'est vrai que notre Sanctuaire n'est probablement pas un bon exemple de romantisme et d'épanouissement affectif, même si je pense légitime de mentionner Aiolia et Marine en réponse à ta question, ainsi que Shunrei et Shiryu.

- Les exceptions qui confirment la règle. Regarde Shura et Camus, par exemple.

- Quoi, Camus et Shura ? Ne me dis pas qu'ils couchent ensemble ces deux-là ! s'exclama le Franco-Suisse (ndla : ben oui, maintenant que la vérité a été révélée, autant faire preuve de précision) en manquant de s'étouffer.

- Eh bien si. Je l'ai compris le soir du Quatorze Juillet.

- Tiens donc ? Je croyais que tu avais été particulièrement occupé ce soir-là ?

- Tu sembles oublier que tu n'es arrivé qu'au milieu des festivités, après ton service au restaurant. Alors avant cela, j'ai eu toute la liberté de me livrer à mon activité favorite en ce genre de circonstances : observer et analyser, en me délectant des saveurs d'un Cosmopolitan. Et je peux t'assurer que l'on apprend beaucoup de choses intéressantes lorsque l'on s'adonne à ce genre de passe-temps. Donc oui, Camus et Shura couchent ensemble, alors qu'ils aiment tous les deux quelqu'un d'autre, et que les deux autres en question les aiment eux aussi. Tous des imbéciles, je te dis !

- C'est vrai que considéré sous cet angle, l'amour peut paraître éminemment complexe », agréa Misty qui, une fois remis du choc de la révélation du Verseau et du Capricorne s'envoyant en l'air, avait vu ses pensées dévier vers sa meilleure amie et son lourdaud d'Oiseau Immortel. Effectivement, l'amour ne semblait pas toujours particulièrement propice au développement de l'intelligence. Enfin en ce qui concernait certains en tout cas.

« Et nous deux, alors ? Tu nous crois nous aussi condamnés au même funeste destin ?

- Je nous imagine plutôt rentrer dans la catégorie des quelques privilégiés pouvant se contenter de la première option avec laquelle j'ai débuté mon propos. Car en dépit de toute ma jolie démonstration, je suis convaincu que l'amour peut rendre véritablement heureux. Et d'ailleurs, s'empressa d'ajouter Aphrodite en constatant qu'il en avait probablement trop dit, je compte bien reprendre les choses en mains sous peu.

- A quel sujet ? s'enquit Misty qui tentait de masquer le large sourire que les paroles de son amant venaient de faire naître sur ses lèvres.

- Camus, Shura, Angelo et Milo. Je m'en vais leur faire prendre conscience de la réalité, à cette bande de sombres (héros) idiots ! (ndla : olé!)

- Arrête, tu commences à me faire peur ! Et soit dit en passant, tu viens de révéler les noms des deux amoureux secrets.

- Et alors ? Tu sauras garder ta langue, n'est-ce pas ?

- Tout dépend de à quel point je parviendrai à l'occuper autrement.

- Je peux t'assurer que je veillerai personnellement à ce qu'elle soit correctement employée ! » conclut Aphrodite en retournant son amant contre le matelas pour plonger sa bouche dans son cou.

Un peu plus tard ce soir-là, après s'être assuré que la langue de Misty disposerait d'une liste suffisamment longue d'activités pour ne plus vouloir divulguer le moindre secrets, Aphrodite se leva pour aller boire un peu d'eau. Et tandis qu'il savourait la fraîcheur bienfaitrice du précieux liquide s'écoulant dans sa gorge, une explosion de chakras le fit sursauter. Il se concentra pour tenter d'identifier les cosmos des propriétaires des chakras concernés, et un sourire mutin et curieux étira ses lèvres lorsqu'il y parvint.

Cette expérience zodiacale estivale réservait décidément un bon nombre de surprises.

Notes:

A suivre...

Merci pour votre lecture

Référence pour le titre du chapitre 19 : What Is Love, Haddaway, 1993. Un grand classique de l'Eurodance que je voulais placer depuis longtemps.

Et voilà, Lily, tu l'as, ton représentant Suisse dans Saint Seiya ! Bon, c'est pas vraiment canon, mais c'est déjà mieux que rien. Non ?
Et pour les quelques curieux - curieuses qui se demanderaient quel peut bien être le rapport entre cette chanson iconique et le pays helvétique, je vous invite à jeter un œil aux paroles de Smoke On The Water. Vous les trouverez sur la page wikipedia de la chanson.

Chapter 20: Losing My Religion

Notes:

/!\ Rappel du rating /!\ E pour les raisons suivantes : mention ou description de scènes de sexe explicites, langage grossier, tabagisme, consommation d'alcool, mauvaise foi (ah mais ça, peut-être que ça compte pas ?)

/!\ Et justement... Scène explicite au début de ce chapitre (yaoi).

Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Camping le Zodiaque, le matin du même jour (oui, revenons un peu en arrière dans le déroulé de cette journée afin d'essayer d'y voir un peu plus clair sur un ou deux détails)

Angelo se réveilla avec une nouvelle fois la sensation d'un sexe trop dur entre ses doigts. Encore l'un de ces foutus rêves qu'il revivait nuit après nuit depuis la fin de ce maudit tournoi de football. Un rêve dans lequel il se laissait aller à exprimer ce qu'il s'acharnait à vouloir ignorer dans la réalité.

Son désir pour son meilleur pote.

Car oui, il désirait Shura. Angelo était un homme de mauvaise foi, mais pas suffisamment pour nier l'évidence, surtout lorsqu'il tenait cette évidence fermement entre ses doigts. Et ce matin, alors que le souvenir de son rêve lui brûlait toujours les reins, il n'avait plus envie de faire comme s'il ne ressentait rien.

Il désirait le Capricorne, son frère d'arme, le seul qui l'avait accepté sans jamais le haïr et qui avait su lire en lui au-delà de la peur et du dégoût qu'il générait chez les autres. Celui qui l'avait suivi dans la plupart de ses délires sans les cautionner mais sans chercher à le juger non plus. Celui qui avait toujours essayé de le tirer vers la lumière lorsque lui-même n'avait que les ténèbres en ligne de mire.

Il désirait ce chevalier auprès duquel il avait lutté pour la protection de leur Déesse et pour sa propre rédemption. Cet homme dont il avait de nombreuses fois senti le corps se presser contre le sien lors de séances d'entraînement acharnées et qu'il rêvait aujourd'hui de sentir frémir sous ses mains. Cet homme aux muscles fermes et longilignes qu'il se voyait plaquer contre le mur des douches d'un vestiaire pour assouvir un besoin qu'il savait grandissant.

Angelo serra son érection contre sa paume et commença à faire glisser son sexe entre ses doigts. Il désirait son meilleur pote, et alors ? Après tout personne n'était là pour le juger et personne n'en saurait rien. Il lui suffisait de fermer les yeux et de repartir là-bas.

0o00o0

Il sent l'eau couler sur sa poitrine pendant qu'une bouche avide explore l'espace situé entre son oreille et la base de son cou. Angelo se redresse et étouffe un juron lorsqu'il sent la langue de Shura s'égarer contre son torse puis le long de la ligne imaginaire courant entre ses abdominaux. Les cheveux du Capricorne sont plaqués en arrière et Angelo ne peut s'empêcher de le trouver incroyablement beau, là, tandis qu'il déplace ses lèvres avec une lenteur insoutenable au-dessus de son pubis puis vers la naissance de son sexe. Shura relève les yeux pour les river aux siens au moment de le prendre dans sa bouche, et cette seule vision manque de le faire basculer. Mais Angelo se contient, et Shura rabaisse ses paupières avant de refermer ses lèvres sur sa verge et de la faire disparaître dans sa gorge.

Shura le lèche, le parcourt, le suce, et Angelo gémit en prononçant un flot de paroles insensées. Il serre les cheveux du Capricorne entre ses doigts pour tenter de reprendre le contrôle et s'éloigner d'une limite qu'il ne veut pas franchir. Mais le plaisir est trop fort, son sang bat contre ses tempes, ses doigts se crispent. Il ne veut pas que tout s'arrête si vite, parce qu'il en veut beaucoup plus. Tellement plus.

Alors il se penche pour saisir le menton de Shura et le guider vers sa bouche. Il l'embrasse en cherchant le contact de sa langue contre la sienne pour la caresser et l'aspirer entre ses lèvres. Ce baiser décuple son désir qui se propage en lui telle la plus exquise des toxines. Une drogue à laquelle il se sait déjà dépendant et contre laquelle il n'a plus l'intention de lutter. Il a besoin de lui, de se perdre dans son corps, de le sentir vivant autour de lui. Il finit donc par délaisser sa bouche pour ancrer son regard au sien avant de le plaquer contre le carrelage derrière lui. Shura enroule ses jambes autour de ses hanches et Angelo s'enfonce en lui jusqu'à la garde d'un seul mouvement du bassin. Shura pousse un cri de plaisir en basculant la tête en arrière, offrant ainsi sa gorge à Angelo qui la parcourt aussitôt de ses lèvres. Il le goûte, se délecte de la saveur de sa peau qu'il lèche en même temps qu'il lape les lignes d'eau qui coulent toujours contre lui. Puis Angelo pose sa main contre le carrelage pour assurer sa prise et maintenir son équilibre alors qu'il commence à aller et venir avec un rythme lent et régulier.

Shura halète, il gémit, en murmurant des mots à son oreille dans un mélange de grec et d'espagnol. Des mots pour lui dire qu'il aime le sentir bouger en lui, lentement, comme ça, mais qu'il voudrait le sentir plus fort et plus loin. Alors Angelo se retire, passe sa main sous la cuisse du Capricorne pour la relever vers lui et revient le pénétrer plus profondément encore. Il s'abandonne dans ce corps qu'il ne voudrait jamais plus quitter, pour le connaître complètement et lui céder tout ce qu'il reste de lui. Et il jouit en criant le nom de Shura tandis qu'il enfouit son visage dans l'obscurité rassurante de son cou.

0o00o0

Angelo ouvrit les yeux en se mordant la lèvre pour étouffer un cri. Les ombres du plaisir se dissipant peu à peu, il lâcha son sexe qu'il serrait encore dans sa main et la réalité le frappa. Cette fois-ci, il avait définitivement franchi la barrière qu'il s'était pourtant fixée, et il n'avait donc d'autre choix que d'affronter la vérité.

Après toutes ces années, il avait fini par tomber amoureux. De son meilleur pote. Car toute cette histoire de rêves érotiques et de fantasmes à la con n'était pas qu'une simple affaire de sexe. Cela aurait été beaucoup trop facile de pouvoir tout ramener à un tel degré de trivialité. Non, dans son infinie bonté, la Destinée lui avait réservé quelque chose de bien plus délectable. Enfin, la Destinée, c'était probablement un bien grand mot. Encore un truc d'Olympiens qui devaient bien s'éclater là-haut à se foutre comme ça royalement de sa gueule. Mais à cet instant, Angelo avait quelque chose de plus urgent à traiter que de se morfondre sur son sort en reportant sa colère sur les Dieux. Une urgence qu'il ne pouvait ignorer plus longtemps tandis qu'il se redressait dans la chaleur déjà caniculaire de sa minuscule canadienne.

Eh merde !

Il était bon pour une sortie incognito jusqu'aux sanitaires avec douche et lessive matinales à la clef. Et encore, heureusement qu'il dormait à poil, sinon il aurait eu un caleçon à laver en plus du drap qu'il avait eu la bonne idée d'utiliser pour protéger son matelas.

Un coup d'œil rapide à sa montre ne fit qu'accroître le niveau déjà élevé de sa mauvaise humeur. Comme si se réveiller comme ça, avec le souvenir du corps de Shura encore entre les doigts ne suffisait pas, il fallait en plus qu'il fût déjà à la bourre. Angelo enfouit sa main (ndla : propre – rhoo, pardon !) dans son sac pour en tirer un flacon de gel douche et une serviette qu'il enroula autour de sa taille avant de sortir de sa tente avec son drap sous son bras. Et il prit le chemin des sanitaires en prononçant une flopée d'injures italiennes dont lui seul avait le secret.

Une vingtaine de minutes plus tard, Angelo marchait en direction du Kid's club pour aller prendre son poste aux côtés de Marine. Il plongea sa main dans la poche arrière de son bermuda en jean pour en tirer un paquet de cigarettes dont il examina le contenu. Et une nouvelle salve de chastes paroles transalpines vinrent animer ses lèvres.

Deux cigarettes. Il lui restait deux malheureuses petites clopes pour survivre à toute cette satanée journée. En portant l'une d'elle à sa bouche, il concentra ses pensées les plus sombres sur la personne d'Aiolia du Lion qu'il avait eu la mauvaise idée d'accepter de dépanner la veille. Car supportant avec peine le régime alimentaire imposé par Marine, le Cinquième gardien s'était récemment mis à fumer. En cachette et en puisant sans vergogne dans les réserves des autres, s'il vous plaît. Angelo jura entre ses dents avant d'allumer son avant-dernière cigarette, puis s'imagina soumettre Aiolia à toutes sortes de torture jusqu'à ce qu'il consentît à lui acheter une cartouche. Mais d'ici là, il allait devoir attendre la fin de son service avant de pouvoir se ravitailler au bureau de tabac le plus proche et s'accorder ainsi la possibilité de perpétrer son vice.

« Tu t'es toujours pas décidé à arrêter ton insupportable manie ?! »

Oh non, pitié ! Pas elle !

« Et toi, toujours fâchée avec la politesse ?! se contenta-t-il de rétorquer sèchement.

- Tu peux parler ! Tu crois que je t'entends pas dire des gros-mots à longueur de journée ?! Pas besoin de comprendre l'italien pour deviner le sens de certaines choses, tu sais. Mais bonjour quand même, Angelo.

- Ben voilà ! Tu vois que t'es capable d'être bien élevée quand tu veux ! Bien le bonjour à toi, Géraldine !

- Justine ! Mon prénom à moi, c'est Justine !

- Je sais, s'amusa le prétendu amnésique en écrasant son mégot sous son pied.

- Tu vas pas laisser ta cigarette traîner par terre quand même ? Les cendriers, c'est pas fait pour les mouettes !

- Oh, je te conseille d'y aller mollo avec moi aujourd'hui, Justine, car je suis pas d'humeur !

- Pourquoi ? T'as eu un réveil difficile à cause d'un mauvais rêve ? »

Et perspicace en plus. Fichue gamine !

« Ou alors… Attends, regarde-moi, insista la petite.

- Quoi, encore ?!

- Je sais ! T'as un chagrin d'amour ! Y'a que l'amour pour donner aux yeux cette allure-là.

- Mais bien sûr ! Et tu vas me dire que t'es une experte, peut-être ?

- Non, mais je connais quelques trucs. Tiens, par exemple, tu devrais lui écrire une lettre.

- A qui ?

- A l'élue de ton cœur, pardi ! Pour lui avouer ta flamme.

- Bon, ça suffit, Jasmine ! Arrête de dire n'importe quoi et vas rejoindre les autres à l'intérieur ! Marine a dû commencer à faire l'appel.

- Justine ! » répéta la farouche en pénétrant dans l'enceinte du Kid's club les mains bien enfoncées dans les poches de sa salopette-short bleu marine à rayures jaune fluo (ndla : oui, ça pique les yeux !).

Écrire une lettre ? Et puis quoi encore ?! Un poème en alexandrins ?! Non mais où cette fichue mioche est-elle allée chercher une idée pareille ? Et puis une lettre pour quoi faire ? Avouer mon amour à mon meilleur pote pour qu'il se jette dans mes bras et qu'on vive heureux pour toujours comme dans les contes de fée ?! Bordel, et dire qu'il me reste plus qu'une satanée clope pour survivre à toute cette foutue journée !

Angelo suivit la gamine en maugréant dans sa barbe qu'il n'avait pas pris la peine de raser pour rejoindre Marine qui égrainait déjà les prénoms des enfants inscrits aux activités de la matinée. Cette dernière le salua avec un sourire bienveillant qui revigora un peu l'Italien. Heureusement qu'il avait tiré un bon numéro pour l'épauler dans cette charge estivale qui lui demandait plus d'énergie que de garder le puits des morts en période pandémique. Marine était une personne qu'il jugeait agréable, intelligente, affable mais pas trop, et non dépourvue d'humour, ce qui ne gâchait rien. Et elle savait y faire avec les gamins. D'ailleurs, il aurait facilement misé sa solde de chevalier d'Or s'il en avait eu une sur l'éventualité d'une famille léonine un jour bien fournie. La Japonaise ferait sans le moindre doute une maman formidable, et le Lion ne serait pas trop mal non plus dans le genre papa poule.

Cette pensée provoqua une grimace à Angelo. Toutes ces heures passées avec la marmaille commençaient à lui ramollir le cerveau ! Ou alors c'était le manque de nicotine qui affaiblissait déjà son esprit bien trop malmené par son réveil mouvementé.

Putain, cette journée promettait d'être longue. Insupportablement longue.


Quinze minutes après midi, au bord de la Piscine du Poséidon

Tandis que les derniers touristes quittaient le parc aquatique pour la traditionnelle pause méridienne, Shun décida d'ôter son t-shirt pour se mettre à l'eau. Après toute une matinée passée en plein soleil à surveiller les chanceux qui pouvaient profiter des trois immenses bassins qu'offrait le Poséidon, le jeune chevalier méritait bien de bénéficier d'un peu de fraîcheur lui aussi. Il plaça ses pieds sur le rebord, se mit en position et plongea la tête la première. Il émergea plusieurs secondes plus tard après avoir parcouru la totalité de la longueur en apnée, et revint à son point de départ en effectuant des mouvements de crawl d'une technicité parfaite. Choisissant de s'accorder un instant de repos, il cala son dos contre le liner et étendit les bras sur le carrelage qui bordait le bassin. Les yeux clos, Andromède savourait la caresse des rayons du soleil sur son visage en se concentrant sur le clapotis généré par les légères oscillations de l'eau. Il aurait pu rester ainsi pendant des heures, à profiter de la moindre sensation que lui renvoyait son corps toujours en alerte. Enfin si une clameur sourde en provenance de son estomac n'était pas venue subitement interrompre son introspection.

Shun rouvrit les yeux et aperçut alors une ombre familière qui se déployait juste au-dessus de lui. Il se demanda depuis combien de temps Mime se trouvait là à l'observer en silence, mais s'abstint toutefois de lui poser la question.

« Tu viens déjeuner ? Sorrento nous a apporté des sandwichs, des boissons fraîches et des fruits.

- Volontiers », répondit Shun en appuyant sur ses bras pour s'extraire de l'eau.

Le Japonais saisit la serviette qu'il avait posée sur un transat et commença à se sécher sous le regard attentif de l'Asgardien, ce dernier ne comptant pas perdre une miette du spectacle que son jeune collaborateur ne semblait même pas conscient de lui accorder.

« Sorrento reste manger avec nous pour une fois ? s'enquit le chevalier en saluant l'Autrichien qui était en train de déballer le contenu d'une glacière sur la table où Mime et lui avaient l'habitude de laisser leurs affaires.

- Non, il doit régler certaines choses avec Julian entre midi et deux. Il est juste venu nous saluer et déposer notre repas. D'ailleurs, je vais lui donner un coup de main, car je le vois lutter avec le parasol et je crains qu'il ne perde le combat.

- Ah oui, il faut avoir le coup de main pour l'ouvrir celui-là ! Bon, je me rhabille et j'arrive. »

Mime approuva d'un sourire discret et partit rejoindre le Marina qui ne put cacher sa joie en voyant une âme charitable lui porter secours pour dompter ce matériel de plage récalcitrant.

Shun passa rapidement sa serviette sur son torse et ses cheveux, enfila son t-shirt puis se pencha en avant pour ramasser ses claquettes. Et tandis qu'il relevait la tête, il surprit Mime et Sorrento qui échangeaient un baiser. Gêné d'avoir était le témoin d'un geste qu'il n'aurait probablement pas dû voir, Shun fit mine d'avoir oublié quelque chose sur le bord du bassin. Et après un délai qu'il jugea suffisamment long, il se retourna pour rejoindre Mime qui l'attendait assis sur l'une des deux chaises installées autour de la table, à l'ombre du fameux parasol à présent déplié et pleinement fonctionnel.

« Sorrento te salue, déclara le Guerrier Divin en tendant à Shun un sandwich.

- C'est gentil, merci », rétorqua le chevalier en se saisissant de son déjeuner.

Les deux hommes savourèrent leur repas en silence, n'interrompant leur dégustation que pour se désaltérer. Une fois leurs sandwichs terminés, Mime plongea sa main dans la glacière pour en sortir deux pêches à la peau rose délicatement veloutée. Shun en choisit une au hasard et la porta à sa bouche pour en croquer la chair sucrée. La douceur et la légère acidité du fruit éveillèrent ses papilles tandis que le jus qui se répandait dans sa gorge lui procurait une sensation de fraîcheur qu'il trouva délectable. Ce fruit était un délice. Une explosion de saveurs gorgées de soleil incarnant l'essence-même de l'été, mais dont le suc commençait à se répandre dangereusement le long de son menton.

Shun attrapa une serviette pour redonner à son visage une allure acceptable, puis reposa sur la table le morceau de papier chargé de jus. Ce fut à cet instant que Mime choisit de s'adresser à lui d'une voix grave dont l'intonation n'était pas sans rappeler l'harmonie des mélodies qu'il créait en effleurant sa lyre :

« J'espère que nous ne t'avons pas choqué tout à l'heure, avec notre baiser. »

Lui qui croyait avoir été discret dans l'expression de son trouble. C'était manqué.

« Non, non, pas du tout, parvint à articuler Andromède malgré la gêne qui colorait déjà ses joues.

- Tant mieux, déclara l'Asgardien avant de poursuive : et toi, Shun, tu as quelqu'un dans ta vie ?

- Tu veux dire en dehors de mes amis et de mon frère ?

- Oui, Shun, je veux dire en dehors de ce cercle amical et familial, répéta Mime amusé par l'embarras de son jeune camarade.

- Ne te moque pas de moi, s'il te plaît !

- Je ne me le permettrais pas, voyons. Mais je trouve ta réaction tellement… Comment dire ? Adorable.

- Et voilà, tu en remets une couche ! Mime, je ne te savais pas si sarcastique.

- Tu te méprends totalement sur mes intentions. Mais je reconnais que j'ai tout fait pour te conduire à mal interpréter mon propos. Je t'adresse donc mes excuses. Je ne voulais en aucun cas me montrer désagréable ou blessant.

- Excuses acceptées.

- Merci, Shun. Mais tu n'as pas répondu à ma question.

- C'est vrai. Et voici ma réponse, puisque tu sembles tellement vouloir la connaître : non, je n'ai personne dans ma vie au sens où tu l'entends.

- Vraiment ? Et June, alors ? Que représente-t-elle à tes yeux ? Car vous paraissez très proches tous les deux.

- June est une amie véritable à qui je porte une sincère affection.

- Et rien de plus ?

- Comment ça ?

- Là, Shun, il me semble que tu le fais exprès.

- Je ne la désire pas, si c'est ce que tu veux savoir.

- C'était précisément le sens de ma question. Alors merci pour ta sincérité.

- De rien. Mais permets-moi de t'interroger à mon tour : pourquoi me demander tout ça ?

- Parce que la complicité, le désir − l'amour − sont des éléments essentiels de nos vies.

- Sorrento et toi êtes donc amoureux ?

- Je pense pouvoir qualifier la relation que nous entretenons tous les deux en ces termes, en effet, même si cette réalité ne nous prive en rien des autres plaisirs qui peuvent parfois s'offrir à nous.

- Alors là, je suis désolé, mais je ne comprends pas.

- Nous ne sommes pas exclusifs au sein de notre couple, précisa l'Asgardien devant les grands yeux ronds ouverts par son vis-à-vis.

- Ah, bredouilla Shun qui était maintenant plus écarlate que l'Aiguille du Scorpion et que les Roses Démoniaques du Poissons réunies.

- Et toi, Shun, y-aurait-t-il une ou plusieurs personnes que tu désirerais en secret ? »

Rester concentré. Ne pas paniquer. Cette question est d'un intérêt purement amical. Simple curiosité sans la moindre arrière-pensée ni signification cachée. Un peu indiscrète, certes, mais rien de véritablement choquant pour qui se trouve être ouvert d'esprit. Oui, voilà, il ne s'agit que de cela. Une discussion ouverte sur un sujet banal entre adultes éclairés. Alors pourquoi Mime me regarde-t-il de cette manière et pourquoi fait-il aussi chaud tout à coup ?

Shun se leva de sa chaise, pris d'un soudain besoin de fraîcheur. Après tout ils se trouvaient au bord d'un bassin, alors vouloir plonger ses jambes dans l'eau après le déjeuner ne constituait en rien un comportement étonnant. Et puis marcher quelques pas lui donnerait le temps de formuler une réponse un peu plus élaborée que « ben, euh, c'est-à-dire que… ». Sauf que son interlocuteur se mit debout à son tour pour le couper dans sa fuite.

« Il ne faut pas avoir peur, murmura le Guerrier d'Êta en se rapprochant de lui.

- Je n'ai pas peur.

- Alors oublie cette barrière que tu crois devoir dresser devant toi. Shun, est-ce que tu me désires ?

- Je ne sais pas…».

Shun voulut écarter ses lèvres pour laisser échapper un « peut-être » lorsque Mime plaqua sa main contre sa joue. Il ferma les yeux et un voile invisible sembla se déchirer devant lui. Il sentit ses pensées se brouiller, sa peau se couvrir de sursauts, son corps entier se mettre à trembler. Et l'instant d'après, des lèvres incroyablement douces venaient se poser sur les siennes.


Camping Le Poséidon, en fin d'après-midi, bureau de l'administration

Albérich cliqua sur la petite disquette située dans le coin supérieur gauche de l'écran de son ordinateur, puis referma la fenêtre du tableur que Shaina et lui venaient de compléter. Trois bonnes heures qu'ils étaient enfermés dans ce bureau pour s'atteler à la tâche que Julian leur avait confiée, et ils en étaient enfin venus à bout. Ils avaient étudié en détail l'ensemble des réservations pour les quinze prochains jours, et avaient attribué à chacune d'elle l'emplacement idéal en considérant les exigences des vacanciers et les possibilités offertes par le Poséidon dont les travaux s'étaient achevés le jour-même. Trois heures de travail acharné, qu'ils avaient accompli avec précision et rigueur sans élever le ton une seule fois. Comme quoi, s'abîmer les yeux sur des tableaux remplis de caractères alphanumériques constituait peut-être la solution miracle pour instaurer la paix universelle.

« Merci pour ton aide, Shaina. Je dois reconnaître que si tu n'avais pas été là, ce travail m'aurait sans doute occupé un temps significativement plus long.

- Quoi ? Des mots marqués de reconnaissance et de gratitude en provenance de ta bouche ? Mais que t'arrive-t-il, Albérich ? Cette multitude de lignes et de colonnes t'auraient-elles retourné le cerveau ?

- Pourquoi te sens-tu obligée de redevenir désagréable ? s'enquit l'Asgardien avec un semblant de déception dans la voix.

- Excuse-moi, je n'aurais pas dû dire ça », s'amenda l'Ophiuchus en prenant conscience du caractère déplacé de sa réaction. Pour une fois qu'Albérich faisait preuve de bienveillance à son égard, elle aurait dû chercher à l'encourager plutôt que de lui répondre par des sarcasmes. Mais en même temps, il l'avait prise par surprise avec cette soudaine cordialité.

« Mais comprends-moi aussi, poursuivit-elle sur un ton qu'elle voulut apaisé, des remerciements de ta part, je ne m'y attendais pas.

- Sache que je n'ai aucun mal à reconnaître les qualités d'un collaborateur lorsque celui-ci effectue un travail que je considère acceptable. Tu ne fais pas exception, Shaina.

- Les qualités d'un collaborateur ? Mais décidément, que de flatteries ! Je te remercie, Albérich. »

Shaina s'écarta du coin de bureau sur lequel elle était assise pour considérer avec prudence et réserve celui qui venait de la complimenter. Albérich était-il sincère dans ses propos ou s'agissait-il d'une nouvelle fourberie ? Pour une fois, ses paroles n'étaient pas empreintes du ton dédaigneux qu'il avait l'habitude d'employer avec elle, alors peut-être avait-il réellement l'intention de se montrer aimable et courtois ? Après tout, tout le monde avait le droit de changer d'attitude. Elle-même ne s'était-elle pas un temps trouvée dans l'erreur avant de se repentir et de vouer sa vie à la protection de sa Déesse ?

« Je peux te poser une question ? continua la femme chevalier dont la curiosité venait d'être piquée.

- Bien entendu, mais je ne te répondrai que si je le juge opportun.

- Tu n'as jamais eu envie d'être quelqu'un de différent ? D'être une meilleure personne ?

- Dans quel but ? Je me trouve très bien comme je suis.

- Pourquoi je ne suis pas étonnée ?! Tu ne regrettes donc aucun de tes agissements passés ?

- Le regret n'est rien d'autre que le déni de soi-même. Et je ne crois pas légitime d'oublier celui que j'ai été ni les erreurs que j'ai pu avoir commises.

- Donc tu admets t'être mal conduit ?

- Je reconnais avoir agi selon ce qui me paraissait juste à un moment donné de ma vie, pour atteindre l'objectif que je m'étais fixé.

- Qui était de dominer le monde après avoir trahi ta Souveraine et ton peuple. Beau programme !

- Shaina, comment peux-tu me juger alors que tu ne me connais pas ?

- Je sais ce que tu as fait, et cela me paraît suffisant.

- Et si ça ne l'était pas ?! s'emporta soudainement Albérich en se levant de sa chaise pour faire face à l'Italienne.

- Que veux-tu dire par-là ? »

Shaina ne comprenait pas. L'homme qui se tenait les poings serrés devant elle paraissait déstabilisé, sur la défensive. Lui qui était toujours si sûr de lui, que lui arrivait-il ? Était-il réellement affecté par les mots qu'ils étaient en train d'échanger ou bien jouait-il la comédie ? Albérich l'observait en silence, mais à cet instant, quelque chose dans le vert de ses yeux lui semblait différent. Un trouble, une forme de vulnérabilité qui ne lui appartenait pas. Il passa une main dans ses cheveux, cligna des paupières, puis reprit la parole d'une voix que Shaina trouva étonnamment douce :

« Je veux dire que parfois, j'aimerais que l'on me perçoive autrement, que l'on cherche à comprendre qui je suis. Mais mon besoin de maîtrise et de domination finit toujours par reprendre le dessus pour dresser une barrière entre moi et les autres. Pourquoi ? Sans doute le sentiment d'avoir quelque chose à prouver, le désir d'obtenir ce que je considère comme me revenant de droit eu égard à mon intelligence et à mon rang. Mais aussi... le besoin de montrer que j'existe. »

Ah oui, quand même ! Mince, est-ce que tout ceci était réel ? Albérich pouvait-il vraiment être un homme plus complexe que le tyran assoiffé de pouvoir qui avait voulu mettre Asgard et le monde entier à ses pieds ? Shaina commençait à s'interroger. Où se trouvait la vérité ? Et pour quelle raison s'ouvrait-il de cette manière à elle ?

« Mais enfin, pourquoi tu me racontes tout ça, à moi ?

- Parce que je te considère comme une personne intelligente, une femme forte qui inspire la confiance et le respect. Parce que j'apprécie ta détermination, ton esprit d'analyse et ton sens de la répartie. Et parce que derrière l'impression de froideur que tu veux dégager et la distance que tu t'obstines à imposer entre toi et les autres, je peux lire l'empathie et la douceur dans tes yeux. Tes yeux que je ne peux m'empêcher de trouver magnifiques. »

Quoi ?! Mais qu'était-il en train de se passer au juste ? Pourquoi acceptait-elle d'écouter tout ce baratin ? Pourquoi semblait-elle capable de croire ce qu'elle venait d'entendre ? Pourquoi ne répondait-elle pas ? Pourquoi restait-elle là sans bouger alors qu'Albérich se rapprochait d'elle ? Pourquoi ses yeux ne pouvaient-ils plus se détacher de ceux de l'homme qui la regardait avec ce qui pouvait passer pour de la sincérité et même… pour de l'affection ? Et pourquoi était-elle incapable de réagir alors que les lèvres d'Albérich venaient effleurer les siennes sans même vraiment chercher à les toucher ?

Shaina resta un instant immobile, prisonnière de ses propres émotions. La surprise, l'incompréhension. Le doute, la compassion, le pardon. Le désir ? Non, impossible ! Elle plaqua sa main contre le torse d'Albérich qui pressait déjà sur sa poitrine et recula d'un pas :

« Je dois y aller » déclara-t-elle simplement avant de quitter la pièce sans se retourner.

Albérich l'observa s'éloigner en silence, les poings toujours serrés le long du corps. Comment avait-il pu dévoiler ses faiblesses en exprimant ses états d'âme et ses sentiments de cette manière ? N'avait-il donc plus aucune pudeur ni le moindre amour-propre ? Mais surtout, comment Shaina avait-elle pu sembler prête à l'écouter voire à le croire ? Car il en était persuadé : il avait lu de l'hésitation et de la tendresse dans ses yeux, juste avant de poser ses lèvres sur les siennes. Ses lèvres qui cette fois-ci ne l'avaient pas rejeté, même si elles étaient restées inertes sans chercher à répondre à son baiser.

Mais quelle pouvait être l'origine d'un tel changement d'attitude ? Cette soudaine bienveillance à son égard était-elle vraiment le fait de la jeune femme ou ne s'agissait-il que d'une conséquence inattendue des trop nombreuses séances d'hypnose qu'il lui avait fait subir à son insu ? Il connaissait les pouvoirs de son améthyste et l'efficacité avec laquelle celle-ci pouvait pénétrer les méandres les plus secrets du cerveau de ses victimes pour soutirer les informations dont il avait besoin, mais il n'avait encore jamais été confronté à un tel comportement. D'habitude la terreur et la haine demeuraient les seules traces de ses interventions, mais avec Shaina tout était différent, à commencer par ce qu'il éprouvait au plus profond de lui. Était-ce cela que certain appelait l'affection ? L'attachement ?

L'amour ?

Albérich serra les dents et frappa de toutes ses forces le guéridon en acajou que le hasard avait eu la mauvaise idée de placer devant lui. La matière se désintégra sous l'impact, emplissant le bureau d'un nuage de poussière qui vint un instant masquer la lumière du jour.

Il devait se ressaisir. Il n'y avait jamais eu de place dans son cœur pour l'amour ou pour toute autre forme de faiblesse. L'existence de ce genre de sentiments n'était pas tolérable pour un homme de son clan et de son rang. Tels étaient les commandements de l'illustre famille dont il portait le nom, même si pour la première fois de sa vie, il se sentait prêt à ployer sous le poids d'un tel héritage.

Shaina attendit d'avoir descendu plusieurs marches avant de se mettre à courir. Elle devait sortir d'ici le plus vite possible, pour oublier chaque détail de ce qu'il s'était passé dans ce maudit bureau. D'ailleurs que s'était-il passé au juste ? Si peu ou presque rien. Il ne s'agissait même pas d'un véritable baiser. Alors pourquoi ressentait-elle un tel niveau de rage contre elle-même ? Parce qu'elle avait permis aux lèvres d'Albérich d'effleurer les siennes sans réagir ? Parce qu'elle avait eu envie de ce baiser ? Non ! Une telle chose était inconcevable. Désirer Albérich de Megrez ?! Mais merde, qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ?!

Shaina poussa la porte du bâtiment de l'administration du Poséidon avec précipitation, et manqua de bousculer l'homme qui avait eu la mauvaise idée de se tenir devant l'entrée à ce moment-là. En relevant la tête pour s'excuser, elle reconnut Camus du Verseau qui lui souriait avec la pudeur qui le caractérisait.

Un chevalier. Tiens, c'était précisément ce dont elle avait besoin. Un combattant sur lequel elle pourrait défouler ses nerfs au cours d'un entraînement bien corsé. Alors Shaina quitta le Poséidon au pas de course pour aller retrouver Jamian et lui coller une raclée. Et elle reviendrait ici plus tard pour terminer son paquetage et ranger la caravane dont elle devait rendre les clefs le lendemain.

Car heureusement pour elle, son calvaire au Poséidon était enfin terminé, et elle n'aurait plus à seconder Albérich dans l'exercice de ses fonctions quotidiennes. Elle allait donc pouvoir oublier leur dernière discussion et ces honteuses secondes d'égarement pour reprendre ses bonnes vielles habitudes au service du bar du Zodiaque. Le Zodiaque où elle allait retrouver ce cher Dohko et ses amis Marine et Misty. Et où elle allait aussi retrouver Ikki.


Plus tard ce soir-là, sous une tente du Zodiaque, assez rudimentaire mais de taille acceptable malgré tout

Après avoir mis en place les tapis, la théière et les deux tasses assorties, Mû craqua une allumette pour brûler le bâton d'encens dont Shaka lui avait recommandé l'achat. Le Bélier avait trouvé opportun d'instaurer ce petit rituel pour encadrer les séances de méditation dans lesquelles la Vierge et lui avaient pris l'habitude de se plonger depuis plusieurs semaines déjà. Il savait l'importance que revêtait ce genre de détails aux yeux de son ami, même si ce dernier niait dépendre de tels artifices pour parvenir à élever son degré de spiritualité (ndla : la mauvaise foi n'épargne donc personne dans cette histoire, pas même ce cher Bouddha).

Mû considéra son travail préparatoire d'un air satisfait, et s'assit en tailleur pour attendre son ami. Après quelques secondes d'hésitation, il retira l'étole qui recouvrait ses épaules ainsi que la tunique qu'il portait en dessous, la température toujours caniculaire malgré la nuit qui venait de tomber rendant la moindre couche de tissu superflue difficile à supporter. Et puis Shaka l'avait déjà vu torse-nu de nombreuses fois au Sanctuaire, alors il ne s'offusquerait probablement pas de le trouver si faiblement vêtu, surtout un jour comme celui-ci.

Une douce brise imprégnée d'une odeur de jasmin lui indiqua l'arrivée imminente du Sixième gardien. Et c'est donc sans surprise qu'il le vit pénétrer sous sa tente, habillé de son éternel kurta blanc retenu à la taille par une grosse ceinture en chanvre.

« Bonsoir, Mû.

- Bonsoir, Shaka. Sois le bienvenu et assieds-toi, je t'en prie. »

L'Indien s'installa sur le tapis inoccupé en face du Tibétain, et adopta la posture du Lotus qu'il affectionnait tant.

« Pardonne mon accoutrement un peu désinvolte, mais il a fait si chaud aujourd'hui que la température sous ma tente n'est pas encore descendue malgré la nuit.

- Tu n'as pas à t'excuser de laisser ton corps guider ton âme vers ce qui lui semble être le plus juste » déclara la Vierge en ajustant la position de ses mains pour se préparer à réciter son premier mantra.

Shaka ferma les yeux, et commença à élever sa pensée pour apaiser son esprit et se connecter avec la paix intérieure qu'il était venu chercher auprès du Bélier. Ce camarade charitable qui avait accepté de lui venir en aide et grâce auquel il avait retrouvé une part de ce qu'il croyait avoir définitivement perdu. Cet ami dont le cosmos chaud et bienveillant emplissait l'espace autour de lui, l'enveloppant de l'écrin protecteur dont il savait avoir besoin pour atteindre la sérénité qui lui avait fait si cruellement défaut depuis son difficile retour à la vie.

« Om mani padme Hum. Que la Sagesse soit ton Joyau, et la Compassion, ton Lotus. Om mani padme Hum. »

Mû entreprit de répéter à son tour ce mantra ancestral, mais irrité par les effluves de l'encens, il se mit à tousser.

« Pardon. Je suis sincèrement désolé », parvint-il à balbutier, profondément gêné.

« Encore une fois, tu n'as pas à prononcer de tels mots. Tu dois laisser ton corps s'exprimer selon ses besoins pour parvenir à élever ton âme » murmura Shaka en soulevant une paupière.

Il observa alors Mû se pencher sur le côté pour verser un peu de thé dans l'une des tasses disposées de part et d'autre de leur tapis. Et Shaka se surprit à contempler la manière dont ce geste d'apparence anodine mettait parfaitement en valeur l'anatomie du Bélier.

Stupéfait par un tel égarement dans sa méditation, l'Indien rabaissa sa paupière dans l'intention de recouvrer un niveau de concentration acceptable. Mais dans l'obscurité de ses yeux clos, point de Bouddha ni de Shiva. Seulement le torse dénudé de l'homme qui se trouvait face à lui, et dont il pouvait entendre le souffle s'apaiser grâce à une gorgée de thé bienfaitrice.

Mais que lui arrivait-il ? Etait-il attiré par son ami ? Son âme était si belle que tout être appréciant la beauté ne pouvait que tomber en admiration devant elle. Mais qu'en était-il de son corps ? Mû avait des qualités physiques indéniables ; une puissance insoupçonnée mais dévastatrice pour qui faisait l'erreur de le sous-estimer, une résistance sans limite, des muscles à la fois vigoureux et élancés. Shaka se souvenait de la facilité avec laquelle il venait à bout de ses adversaires lorsque les malheureux pensaient avoir gagné le combat. Combien de chevaliers éconduits avaient quitté les arènes du Sanctuaire en baissant les yeux après avoir affronté le Bélier qu'ils croyaient pourtant si facile à terrasser.

Lui-même ne l'avait jamais combattu, parce que l'occasion ne s'était jamais présentée malgré leurs nombreuses séances d'entraînement communes, et que le Destin leur avait épargné le déchirement d'une telle épreuve. Pourtant, ce soir, Shaka aurait aimé pouvoir se souvenir de la sensation du corps de Mû contre le sien. Pouvoir se souvenir de l'odeur de sa peau, de la texture de ses cheveux glissant sous ses doigts. Il aurait aimé avoir connu ne serait-ce qu'une seule fois la chaleur de ses bras, la force de son étreinte, la puissance de son aura. Il aurait aimé avoir pu le toucher, le serrer contre lui, pour l'amener à lui. Pour le guider en lui.

« Shaka, tout va bien ? »

La Vierge sursauta et se contenta pour toute réponse d'ouvrir ses grands yeux à la beauté azuréenne incomparable.

« Tu n'as pas entendu ma question ? »

Un clignement de paupières fit comprendre au Bélier que son vis-à-vis n'avait effectivement pas saisi le moindre mot de la phrase qu'il venait de prononcer.

« Veux-tu un peu de thé ? J'ai préparé celui que tu préfères. Et étant donné que j'ai gâché le début de notre séance, je me dis que nous pouvons sans doute nous accorder un bref moment de détente avant de reprendre notre méditation.

- Très volontiers, Mû. Merci pour ta bienveillance et pour cette gentille attention », finit par articuler Shaka, convaincu qu'une gorgée de ce liquide frémissant et délicieusement parfumé lui ferait le plus grand bien.

Sauf qu'il n'en fut rien. Car Mû, qui ne pouvait soupçonner l'état inattendu dans lequel il l'avait plongé, se pencha vers lui pour remplir sa tasse et effleura ainsi la peau de son bras de son torse chaud et musclé.

Shaka contracta tous ses chakras pour contenir le frisson que cette soudaine proximité fit naître au plus profond de lui. Mais son trouble était trop grand pour passer inaperçu à un esprit aussi avisé que celui du Bélier. Ce dernier plongea donc des yeux surpris dans ceux de son ami, et ce qu'il put y lire le remplit d'une joie certaine. Car les pensées de la Vierge venaient de se mêler aux siennes, et ce fut avec un sourire bienheureux que Mû y répondit.

Les deux chevaliers s'observèrent encore un instant en silence, puis se jetèrent l'un sur l'autre en oubliant mantras, sérénité et Bouddha.

Au même moment, un autre chevalier à l'esprit particulièrement aiguisé sursauta en constatant une explosion inhabituelle de chakras. Celui-ci reposa le verre d'eau qu'il venait de vider pour retourner vers son amant qui se trouvait dans son lit, entièrement nu mais à moitié assoupi.

« Misty, tu dors ?

- J'étais sur le point de m'endormir, en effet. Tu n'es donc pas rassasié ? Ton appétit est sans limite, Aphrodite.

- Certes, mais il ne s'agit pas de cela. Concentre-toi un instant, tu ne remarques rien d'inhabituel ?

- Tu n'as jamais vu un homme porter la nudité avec un tel niveau de grâce étendu dans ton lit ?

- Non, c'est juste. Mais je te demande d'être sérieux une minute. Ne ressens-tu pas cette effusion d'énergie, comment dire ?... profondément érotique ?

- Maintenant que tu le dis, si, en effet. J'en connais certains qui sont en train de passer du bon temps.

- Je n'en reviens pas. Je n'aurais jamais pensé cela de ces deux-là !

- Parce que tu es capable d'identifier de qui il s'agit ?

- Évidemment ! Tu parles au plus perspicace des chevaliers de toute la garde dorée d'Athéna, je te rappelle.

- Bien entendu ! Pardon pour cet instant d'égarement. Et alors, qui sont les deux chanceux ?

- Shaka et Mû.

- Tu en es certain ? s'étonna Misty sans feindre la profonde incrédulité dans laquelle cette affirmation l'avait plongé.

- Sans le moindre doute.

- Eh bien, je ne les aurais jamais imaginés enclins à réaliser de telles prouesses moi non plus.

- Quelle surprise, n'est-ce pas ? Et j'en connais un autre qu'une telle révélation risque de laisser pantois.

- Qui ça ?

- Notre cher Grand Pope. Et d'ailleurs, sa venue prochaine au Zodiaque ̶ car oui, Saga m'a informé justement aujourd'hui que Shion avait prévu de nous rendre visite d'ici une dizaine de jours tout au plus. Un besoin urgent de contrôler certaines choses d'après ce que j'ai compris », jugea opportun de préciser Aphrodite avant de reprendre : « Donc je disais, la venue prochaine de Shion en ces lieux promet d'être assez savoureuse lorsque celui-ci constatera à quel point son petit protégé s'est dévergondé en son absence.

- Assez savoureuse, en effet. Mais d'ici là, si tu venais me montrer que nous n'avons rien à envier aux performances et à la souplesse de la Vierge et du Bélier ? »

Aphrodite ne résista pas à une telle injonction, et s'attacha à montrer avec la plus grande application que la pratique du Yoga n'était en rien indispensable pour atteindre le Nirvana.

Notes:

A suivre...

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 20 : Losing My Religion, R.E.M. 1991.