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La conspiration Gaston d'Orléans

Summary:

Paris, 13 mai 1630. Le roi est mort, vive le roi !
Enfin, pas tout à fait. Pas quand Louis XIII a été assassiné par son frère Gaston d'Orléans, qui rêvait depuis longtemps de prendre le pouvoir. Miraculeusement Anne d'Autriche enceinte et Richelieu échappent au massacre et se réfugient à Moret. Acculés, ils doivent désormais faire front commun. Mais réussiront-ils à récupérer le trône alors qu'ils ne peuvent se mettre d'accord sur une stratégie à adopter ?

Notes:

Bienvenue dans ma première histoire longue sur ao3. Je pense faire une trilogie, on verra bien si j'arrive à écrire les trois tomes...
Ce sera donc une uchronie, c'est-à-dire que j'imagine ce qui aurait pu se passer si Gaston d'Orléans, le frère du roi, était monté sur le trône de son frère comme il l'a toujours espéré.
Je préfère prévenir : les tomes 2 et 3 seront sans doute plus sombres que le premier, avec des mentions de viol et de torture assez... fréquentes. Ne commencez pas à lire si vous n'aimez pas ces sujets.
Je n'ai, comme d'habitude, aucune inspiration pour le tire, mais si ça vient il changera en cours de route
Sur ce, bonne lecture, et n'hésitez pas à dire ce que vous en pensez en commentaire !

Chapter 1: Rançon

Chapter Text

Cette affaire n’a décidément aucun sens. 

Porthos, allongé sur le ventre au sommet d’un rocher, fixe la route devant lui avec anxiété. Toujours pas de chevaux. Il va commencer à croire qu’on leur a posé un lapin. 

Il jette un coup d’oeil à sa droite : d’Artagnan, lui aussi sur un rocher, lui sourit avant de se concentrer sur la route, vide. 

Athos lui-même commence à s’impatienter. Il arpente le chemin en long, en large et en travers, son regard lui aussi fixé sur la route qui s’étend devant lui. Ce n’est pas normal, mais y a-t-il une chose de normal dans toute cette affaire ?

Tout a commencé quatre jours plus tôt, quand Aramis a disparu. Vingt-quatre heures plus tard, ils ont reçu une demande de rançon leur enjoignant de se rendre à un carrefour précis perdu au milieu de la forêt de Fontainebleau, peu après la tombée de la nuit. 

« Ils ne viendront pas, lance d’Artagnan en se redressant. Ça ne sert à rien d’attendre davantage »

Un même moment, un bruit de galop retentit à l’horizon. Athos s’immobilise, et Porthos et d’Artagnan s’aplatissent sur leur rocher respectif. Porthos vérifie machinalement que toutes ses armes sont chargées alors que les cavaliers approchent et s’arrêtent finalement devant Athos. 

Ils sont six, pas assez armés pour des mercenaires, et trop pour de simples cavaliers. Ils portent tous des masques, ce qui empêchait de les identifier. Malgré tout, la silhouette de celui qui semble être le chef paraît familière à Porthos, sans qu’il puisse identifier précisément quelqu’un. 

« Où est Aramis ? » demande Athos. 

Il n’est pas avec les hommes. Une vague d’inquiétude envahit Porthos et il resserre ses mains autour de son pistolet. S’ils ont fait quoique ce soit à Aramis, ils le paieront de leur vie. On ne touche pas à Aramis. 

Porthos se retourne un instant pour vérifier que personne ne cherche à les surprendre par derrière. Il n’y a personne à part les trois chevaux des mousquetaires, mais Porthos se méfie. Si ces hommes avaient été honnêtes, ils auraient amené Aramis et l’échange aurait déjà été effectué. 

« Vous avez si peu confiance, pour installer des hommes en embuscade ? s’étonne le chef des mercenaires. J’en serais presque offensé »

Sa voix, de même que sa silhouette, dit quelque chose à Porthos. Mais où a-il déjà vu cet homme ?

« Nous avons sûrement eu raison, puisque vous n’êtes pas venu avec Aramis, mon prince »

Visiblement, Athos a lui reconnu son interlocuteur, et c’est quelqu’un d’important. 

Qu’on le rassure : Aramis n’a tout de même pas séduit sa femme ?

Le prince soupire, puis ordonne quelque chose à l’un de ces hommes qui repart par là où il est venu. 

« Il arrive. Où est l’argent ?

— Derrière. Puis-je… »

Le prince hoche la tête, et Athos revient quelques instants plus tard avec le sac contenant la somme demandée. 

Il n’a pas été facile de réunir les quelques centaines de pistoles exigées pour la libération d’Aramis, et ils ont dû mettre en gage l’épée de cérémonie de l’ancêtre d’Athos pour réunir la somme. C’est sûrement pour ça qu’Athos rechigne un peu avant de donner le sac au prince : il voit s’envoler tout espoir de revoir un jour son épée, sa merveilleuse épée qu’Henri IV en personne a donné à son illustre ancêtre. 

L’homme qui est parti finit par revenir. Cette fois, il n’est pas seul sur son cheval, il y a également Aramis. Il a les poignets attachés et le mercenaire lui a mis un couteau sous la gorge pour le dissuader de bouger. Au grand soulagement de Porthos, à part quelques ecchymoses sur son visage, il semble aller bien. 

 Le cheval s’immobilise à coté des autres. Le mercenaire descend et aide Aramis à faire de même tout en continuant à pointer sa dague sur sa gorge. 

« Libérez-le » ordonne Athos très calmement, comme si Aramis ne peut pas être égorgé sans qu’ils ne puissent rien faire. 

Pour toute réponse, on presse un peu plus fort la dague sur la gorge d’Aramis, qui doit basculer la tête en arrière pour éviter de la perdre. 

Porthos, toujours aplati sur son rocher, hésite de plus en plus à intervenir. 

« Vous devriez peut-être montrer un peu plus de respect, remarque le chef des mercenaires d’un air hautain, car, bien qu’on ne se nommât point, on désire être respecté selon son rang. 

— Vous en êtes descendu en réclamant une rançon, rétorque Athos, et vous en descendez encore davantage en ne respectant pas l’accord. Vous avez votre argent, rendez-nous notre ami »

Le chef le regarde d’un air presque… amusé. Il fait finalement un signe à son homme qui pousse Aramis en avant. Celui-ci reste de justesse sur ses deux jambes et doit s’appuyer sur Athos, la respiration sifflante, les yeux mi-clos, alors qu’il s’efforce de reprendre son souffle. 

Athos regarde les mercenaires et leur chef disparaitre à l’horizon, puis permet à Porthos et d’Artagnan de descendre de leurs rochers. Porthos se rue vers Aramis, le faisant se tourner vers lui et lui emprisonnant le visage dans ses mains. 

« Tu vas bien, ‘Mis ? »

Impossible de dissimuler l’angoisse dans sa voix, pas plus que de s’empêcher de se sentir coupable en voyant Aramis grimacer : Porthos a plaqué ses mains un peu trop fort contre ses ecchymoses. Le plus grand retire ses mains du visage d’Aramis pour les redescendre autour de sa taille. 

« Quelques égratignures, répond-il d’une voix qu’il s’efforce d’affermir, j’ai essayé de m’enfuir »

Porthos soupire en sentant Aramis trembler contre lui et, silencieusement, pose son propre manteau sur ses épaules. Inutile qu’Aramis n’attrape froid. 

« Tout cela n’a… rigoureusement aucun sens, commente d’Artagnan. Qui était le chef de ces hommes ?

— Le comte de Moret, répond Athos, un des fils illégitimes d’Henri IV. 

— Je ne comprends pas pourquoi un prince de sang enlèverait notre Aramis, remarque Porthos. 

— Enfin, s’il était marié… commence d’Artagnan. 

— Je n’ai pas séduit sa femme, si c’est ça que vous voulez dire » le coupe Aramis d’un air indigné. 

Il a peut-être beaucoup de conquêtes féminines, mais n’est pas assez suicidaire pour risquer le courroux d’un Fils de France. 

« Et pourquoi donner un lieu de rendez vous aussi loin de Paris ? demande Porthos. Pourquoi nous en éloigner ? Nous sommes les meilleurs gardes que Sa Majesté ait, on a besoin de nous pour la protéger »

Aramis se tourne vers son ami, songeur. Les sourcils froncés, il tente de réunir toutes les pièces du puzzle qu’il possédait. 

On a éloigné de Paris, donc du roi, ses meilleurs gardes du corps. Le comte de Moret est impliqué. Comte qui a déjà comploté contre Louis XIII. Louis XIII qu’on prive de ses meilleurs gardes du corps, qui est affaibli, moins bien protégé sans eux. 

Non, non et non. Ça ne peut pas être ça. Et pourtant… 

« Aramis ? »

Il ouvre des yeux qu’il ne se souvient pas d’avoir fermé. Ses trois amis le fixent, inquiets. 

« Le roi. Ils veulent s’en prendre au roi »

Chapter 2: Le monastère

Summary:

Un nouveau personnage... Une OC, pour une fois

Notes:

Gabrielle Angélique de Verneuil a réellement existé, elle était une fille illégitime de Henri IV. Mais je me suis beaucoup arrangée avec la vérité historique

Chapter Text

Gabrielle Angélique de Verneuil, fille légitimée d’Henri IV, se fraye difficilement un passage au milieu du chaos qui règne dans les rues. Comment s’est-elle retrouvée là ?

Le bas de la cape dans laquelle elle dissimule son visage est devenu marron à cause de la boue, tout comme ses souliers. 

Arrivée à un carrefour, elle lève les yeux et observe les environs, mais ne reconnait rien. Elle est bel et bien perdue, seule dans cette ville immense. Et pendant ce temps, sa mère…

Gabrielle se décide à continuer tout droit dans l’espoir de gagner miraculeusement le couvent où sa mère s’est réfugiée depuis des années maintenant. Il faut absolument qu’elle y parvienne. 

Mlle de Verneuil trébuche et manque de tomber. Autour d’elle, personne ne s’en soucie. Continuant à marcher, elle saisit quelques brides d’informations. Le Louvre assiégé… Des combats dans les rues… Et le roi ? A-on des nouvelles du roi ?

Le coeur de Gabrielle se serre à la pensée de son frère Louis qui doit être en danger de mort, à la pensée qu’elle a fui le palais dans le but très incertain d’aller voir sa mère. Dans le chaos, personne ne s’est rendue compte qu’il manquait une princesse de sang. D’ailleurs, qui se soucie du rang social au Louvre ? Le seul but des courtisans y est de garder sa tête, et ils deviennent des bêtes enragées à cette idée. 

La rue n’est pas plus rassurante : les rumeurs les plus folles circulent, et personne ne sait très bien ce qu’il se passe. La seule chose certaine est qu’il se passe quelque chose de dramatique, mais quoi ? Qui ? Comment savoir ?

Gabrielle arrive à un autre croisement et, cette fois, prend à droite. Pourquoi ? Elle n’en a pas la moindre idée. Si seulement elle était restée au palais royal… Si seulement elle n’avait pas fui, affolée, avec l’idée de se réfugier auprès de sa mère…

Elle sursaute en entendant des bruits de sabot et relève brusquement la tête : quatre cavaliers foncent sur elle, écartant tous les passants. Tous, sauf elle. Stupéfaite, elle reste figée au beau milieu de la rue, et les cavaliers s’arrêtent de justesse devant elle. Gabrielle soupire de soulagement en reconnaissant l’uniforme des Mousquetaires du Roi. Elle peut au moins être certaine qu’ils l’aideront. 

« Dégagez le passage, lance le plus grand. 

— Je… je suis… »

Pourquoi est-elle aussi intimidée ? Selon l’étiquette, ils doivent tous s’incliner devant elle. Mais la panique lui a coupé la langue, et elle se sent incapable d’articuler une phrase entière. Alors, espérant être reconnue, elle abaisse prudemment son capuchon. 

Celui qui avait des cheveux gris la détaille attentivement avant de marmonner :

« Mademoiselle de Verneuil… »

Elle hoche la tête tandis qu’il incline la tête. 

« Que faites-vous ici, seule, sans… »

Il s’interrompt, sans doute conscient d’avoir violer en une seule phrase plus d’une centaine de règles de l’étiquette. 

« Je… Il faut que j’aille voir ma mère »

Ils haussent les sourcils, perplexes. 

« Vous devriez rentrer au Louvre, conseille doucement l’homme aux cheveux gris. Paris n’est pas sûr. 

— Il y a des combats à l’intérieur du Louvre… Je me suis enfuie… Il… il faut que je retrouve ma mère »

Elle s’accroche à cette idée. De toutes ses forces. Sa mère saura la rassurer, la protéger. Elle saura lui expliquer les tenants et les aboutissants du chaos qui règne. Mas, avant cela, il faut qu’elle convainque ces hommes de l’y emmener. 

« Emmenez-moi là-bas » ordonne-t-elle. 

Elle est bien consciente de sa voix qui tremble, du fait qu’elle ait l’air complètement perdu, ce qu’elle est. Elle espère qu’ils passeront outre. 

« Mademoiselle…

— Emmenez-moi là-bas » répète la fille légitimée d’Henri IV. 

Il semble encore hésiter, puis se tourne vers un de ses amis, le seul qui ne soit pas en uniforme :

« Aramis, emmène-la »

Le concerné soupire mais obtempère et se rapproche de Gabrielle. Elle remercie les quatre hommes du regard puis grimpe, plus ou moins agilement derrière celui qui vient d’être nommé sous le nom d’Aramis. Ce dernier fait faire un demi-tour à son cheval et part au trot. Gabrielle doit serrer de toutes ses forces ses bras autour de la taille de l’homme pour éviter de tomber. Elle sait qu’elle doit l’empêcher de respirer correctement, mais il ne fait aucun commentaire. 

Aramis s’enfonce dans un dédale de ruelles obscures, cherchant visiblement à éviter les grands axes trop fréquentés et devant faire de grands détours pour éviter les barricades. Si on se rend compte qu’il transporte une princesse de sang royal, il ne sait ce qui arrivera. 

« Nous arrivons à la Seine, dit-il après ce qui semble être une éternité à Gabrielle, toujours accrochée à lui. Remettez votre capuche avant qu’on vous reconnaisse »

Elle obéit, levant son bras droit tandis que le gauche reste fermement autour du mousquetaire. Inutile de risquer une chute. 

Par chance, ils traversent le fleuve sans trop de difficultés, Aramis n’a qu’à dire qu’il est Mousquetaire pour qu’on lui ouvre le pont tout grand. 

L’autre rive est quelque plus tranquille, et Aramis repasse au pas en renonçant à emprunter les ruelles. De toute façon, ils sont tout proches maintenant. 

« Mousquetaire, ose prudemment Gabrielle, parlant pour la première fois depuis qu’elle est montée derrière lui. Savez-vous… savez-vous ce qu’il se passe ? »

Elle déteste sa voix aussi fragile, elle à qui on a toujours répété de ne jamais montrer de faiblesse en public. C’est bien trop dangereux à la cour. Mais elle n’est pas à la cour et c’est le chaos partout. Elle a besoin de savoir ce qu’il se passe, quelle que soit la situation. 

« C’est un peu confus pour tout le monde, admet Aramis, mais il semblerait que Gaston et les principaux princes de sang se soient alliés pour renverser Louis Le Juste. Ils ont attaqué Paris ce matin à l’aube et assiègent le Louvre. Ce sont sûrement les combats auxquels vous avez assisté. La haute noblesse fuit Paris : elle sait que tous les partisans du roi et de la reine seront impitoyablement massacrés. 

— Le roi ? Comment va le roi ? Et la reine… »

Anne d’Autriche, si fière d’être enfin tombée enceinte. Comment allait-elle ? Était-elle seulement vivante ?

« Nous n’en savons rien. Mais Richelieu est en sécurité »

Une bonne chose pour le royaume, mais Gabrielle ne s’en souciait pas pour le moment. La seule chose qui l’inquiétait était la reine. Son bébé allait-il survivre au chaos ou allait-elle faire une nouvelle fausse couche ?

Ils finissent par arriver devant le monastère de la rue Saint Jacques. Gabrielle descend maladroitement du cheval, trébuchant et manquant de tomber. Puis, sans attendre son guide, elle sonne à la porte du monastère et attend. 

Dans quelques minutes, elle verra sa mère et tout ira bien. Plus que quelques minutes d’angoisse… Plus que…

Une soeur lui ouvre la porte et la reconnait aussitôt, malgré sa capuche : elle fait une profonde révérence puis déclare :

« La marquise est encore en prières dans la chapelle, mais devrait vous recevoir »

Gabrielle fronce les sourcils : d’habitude, quand elle arrive à cette heure-ci, sa mère a fini depuis une heure au moins ses prières. 

« Ce n’est pas une heure habituelle, remarque le mousquetaire derrière elle. 

— Madame la marquise finit toujours ses prières en retard »

Très en retard, voudrait souligner Gabrielle, mais elle se retient finalement et emboite le pas à la soeur qui la guide vers la chapelle. Gabrielle sent ses épaules se détendre, comme si elles s’imprégnaient de la tranquillité du lieu. Ici, pas de combat ou de hurlements. Juste un silence paisible, rassurant. 

Le trio s’arrête devant la porte de la chapelle et la soeur frappe pour prévenir de leur arrivée. 

Pas de réponse. 

Elle frappe encore. 

Toujours rien. 

« C’est étrange, commente la soeur, d’habitude elle répond toujours. Enfin… »

Elle s’apprête à ouvrir quand Aramis la tire en arrière. Il est blême, tandis que ses propres paroles lui reviennent. 

La haute noblesse fuit Paris : elle sait que tous les partisans du roi et de la reine seront impitoyablement massacrés.

La marquise de Verneuil est connue pour être une fervente partisane d’Anne d’Autriche…

« Venez derrière moi, et taisez-vous »

Il colle son oreille à la porte, mais rien ne lui parvient. Pas même les prières que la marquise est censée réciter à l’intérieur de la chapelle. 

Il y a quelque chose qui ne va pas. 

Pas du tout. 

Aramis dégaine son épée et pousse la porte de la chapelle d’un coup de botte. Puis il s’avance prudemment, son épée devant lui. 

La première chose qu’il voit est le vitrail du fond, brisé en milliers de morceaux multicolores éparpillés sur les dalles. Une corde pend encore. À cela près, tout est tranquille : les bancs sont à leur place, toute comme les statues et autres objets sacrés. 

Son estomac se noue quand ses yeux se posent sur ce qui est étendu sur le sol devant l’autel. 

« Ne regardez pas ! » voudrait-il ordonner à Mlle de Verneuil. 

Mais c’est trop tard : Gabrielle a déjà tout vu. Elle se tient à la porte de la chapelle. Elle s’y raccroche comme si sa vie en dépendait. Comme si elle n’avait plus que ça qui la protégeait. C’est peut-être le cas, d’ailleurs. 

Car devant l’autel git la marquise de Verneuil, ancienne maitresse officielle d’Henri IV, la gorge impitoyablement tranchée. 

Chapter 3: Le fiancé

Summary:

La mère de Gabrielle de Verneuil est morte. Comment va réagir Gabrielle ?

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Gabrielle de Verneuil ne se souvient pas avoir été dans cette salle. Elle ne se souvient pas s’être assise sur ce lit. Elle se souvient à peine de ce que lui a dit Aramis il y a pourtant cinq minutes. Elle sent sent fébrile, fiévreuse, et pourtant elle n’est jamais restée aussi immobile. 

Sa mère est morte, égorgée. 

Elle sent à peine son désespoir, c’est comme si son coeur, son âme était engourdi. Incapable de comprendre ce qu’il se passe. 

« Mademoiselle… »

Elle entend à peine Aramis, obnubilée par l’odeur de sang qui régnait dans la chapelle. Elle ne réagit pas quand il lui prend les mains, agenouillé devant elle. Quand elle croise finalement son regard, celui du mousquetaire est aussi plein de compassion que le sien est vide. Elle ferme les yeux. 

Elle ne ressent plus rien, elle n’en a plus la force, plus le courage, rien. 

Elle voudrait s’effondrer, elle voudrait se mettre à hurler sa douleur et se laisser se briser en mille morceaux, mais c’est impossible car tout son être est engourdi. Elle ne peut que fixer le vide sans réellement comprendre ce qu’il se passe. 

Sa mère est morte. Sa mère. Sa mère. Sa…

« Mademoiselle, vous devez m’écouter » insiste Aramis, et il presse ses mains. 

Gabrielle ouvre les yeux et, quand elle croise le regard d’Aramis, ne se détourne pas cette fois-ci. 

« J’ai envoyé chercher des gardes pour vous ramener au Louvre. Vous êtes de sang royal et sans la moindre opinion déclarée, personne ne vous y fera de mal. M’entendez-vous ? »

L’entend-elle ? Elle est perdue dans un brouillard si épais qu’elle ne peut rien voir, à part une tache écarlate. Le sang de sa mère sur le sol. Sa mère, égorgée. Sa mère…

Gabrielle se met à trembler. 

« Mademoiselle ? Cela vous convient-il ? »

Cette fois, elle parvient à hocher la tête, quoique presque imperceptiblement. Aramis se contente de ça et la laisse tranquille, conscient qu’il n’en tirera pas davantage avant un long, très long moment. 

Ils attendent effectivement longtemps avant que Gabrielle ne prenne la parole. Le soleil se couche quand elle prononce enfin deux malheureuses syllabes :

« Pourquoi ? »

Aramis sursaute presque en l’entendant. 

« Eh bien, je suppose que Gaston d’Orléans a estimé qu’elle était trop proche d’Anne d’Autriche, et veut éliminer tous les soutiens à la reine. Navré »

Sa mère… a été assassinée pour des raisons purement politiques ? Sa mère, qui n’est plus paru à la cour depuis la mort d’Henri IV ? Sa mère, qui n’a pas intrigué depuis des décennies ? Sa mère, qui consacrait sa vie à ses enfants, assassinée pour un motif politique ? Mais, mon dieu, quel idiot croirait que sa mère représentait un quelconque danger ? Comment Dieu pouvait-il laisser une telle chose se faire ?

Elle étouffe un sanglot. Pourquoi le monde est-il aussi injuste ? Dieu n’était-il pas censé récompenser l’amour et la gentillesse ?

Elle n’ajoute pas un mot, resserrant autour d’elle ce qui se révèle être la cape du mousquetaire. À quel moment lui a-t-il donné ?

Il n’y a plus rien jusqu’à ce que le soleil se soit couché dans le ciel. Gabrielle s’est finalement endormie sur le lit, et Aramis tente de veiller, craignant que les assassins ne reviennent. Mais cela fait des jours qu’il ne dort pas vraiment, ou alors par intermittence, et il somnole debout quand on frappe à la porte. 

Il ouvre et pousse un soupir de soulagement en reconnaissant la mère supérieure qui l’informe aussitôt de l’arrivée des renforts et le duc de La Valette, le fiancé de Mlle de Verneuil. Peut-être celui-ci saura rassurer la jeune femme, parce qu’Aramis n’a pas la moindre idée de comment faire. 

« Comment va-t-elle ? demanda le duc sans la moindre émotion. 

— Elle est assez choquée, mais elle n’est pas blessée »

Si Aramis s’attendait à ce que le duc soit soulagé, ce n’est pas le cas : il est toujours aussi froid et détaché quand il ordonne sèchement :

« Réveillez-la »

Le mousquetaire obéit, surpris. Il n’a aucun mal à réveiller Gabrielle, qui se lève en posant des yeux encore endormis sur son fiancé. Ils se regardent comme deux parfaits inconnus. 

« Nous allons vous ramener au Louvre, annonce le duc de La Valette. Vous, ajoute-t-il en s’adressant à Aramis, êtes attendus devant le pavillon Rohan, où vos amis vous attendent »

Gabrielle préfère rester silencieuse face à ce fiancé qu’elle connait à peine. Ce n’est pas comme si elle avait la force de parler. Elle rend son manteau à Aramis et suit le duc à travers le monastère. Par chance, ils n’ont pas à passer par la chapelle. Le corps de sa mère a sans doute déjà été enlevé, mais Gabrielle ne veut pas retourner à l’endroit où elle est morte. Elle ne le pourra probablement jamais. 

Quelques hommes à cheval encadrent un carrosse qui lui parait bien peu royal, sans la moindre dorure, mais elle ne commente pas et monte. Elle n’a plus de force. Elle voudrait s’endormir et ne jamais se réveiller. Ne pas devoir se réveiller dans un monde où sa mère ne le pourra jamais. 

Elle n’adresse même pas de mot de remerciement à Aramis, malgré tout ce que le mousquetaire a fait pour elle. De toute façon, le mousquetaire attend à peine que le caresse s’ébranle pour prendre, seul, le chemin du Louvre où ses amis doivent s’impatienter. 

La ville s’est calmée avec le crépuscule, quand les bourgeois ont réalisé que leur vie n’était pas autant en danger que la rumeur le leur laissait entendre. Aramis peut gagner le Louvre sans difficulté majeure, et rejoindre aisément ses amis dans une ruelle sombre à quelques pas de l’entrée du palais. 

« Gaston n’a toujours pas pris les appartements royaux, annonce Athos, mais il s’en approche. Du moins, c’est ce qu’on pense : toutes les communications avec sa garde sont coupées depuis midi. Où étais-tu cet après-midi ?

— La marquise de Verneuil est morte assassinée, explique Aramis, j’ai dû rester plus longtemps que prévu. Que doit-on faire ?

— Entrer dans ce fichu palais et exfiltrer Ses Majestés du palais » résume d’Artagnan. 

Et puis il lui explique le plan qu’ils ont créé en son absence dès que Porthos se décide à enlever sa main de la chevelure d’Aramis, qui l’aurait volontiers laissé aller plus loin s’ils n’avaient pas eu de reine à sauver. 

Ledit plan repose avant tout sur l’effet de surprise et la chance, et ils ont besoin de beaucoup de chances pour en ressortir indemnes tous les quatre. 

« Et moi qui croyais que rien ne pouvait être pire que La Rochelle, commente Aramis, ce qui lui vaut un sourire de Porthos et une terrible envie de s’embrasser. Il n’y a aucun moyen de faire autrement ?

— Pas si nous voulons sauver Louis XIII et Anne d’Autriche, répond Athos. D’Artagnan et Porthos, c’est l’heure d’y aller »

Ils s’éloignent dans l’obscurité qui règne désormais sur Paris, et Aramis sent son coeur se serrer en voyant ses amis disparaitre : les reverrait-il seulement ? Puis il se tourne vers Athos et demande :

« Aurais-tu de l’alcool ?

— Faire une mission ivre n’est pas le meilleur moyen de rester en vie » remarque Athos. 

Mais il lui tend néanmoins sa bouteille, et Aramis boit quelques gorgées avec soulagement. Contrairement à ce que semble penser Athos, il ne cherche pas à s’enivrer jusqu’à ne plus pouvoir marcher, juste à tenir le coup jusqu’à la fin de leur mission. Jusqu’à ce qu’ils puissent enfin se reposer. 

« Pouvons-nous y aller ? »

Aramis acquiesce en rendant la bouteille à Athos. 

 

Notes:

J'espère que ça vous plait. N'hésitez pas à donner votre avis !

Chapter 4: Le palais

Chapter Text

Si Aramis et Athos ont reçu l’ordre de secourir le roi, Porthos et d’Artagnan ont pour mission de récupérer la reine en passant par les souterrains. Ils avancent donc, à moitié courbé, dans un croisement entre un égout et un passage secret, les bottes s’enfonçant dans un mélange de boue et de détritus. Selon le plan du Louvre qu’ils ont consulté l’après-midi même, tout cela donne sur un couloir de domestique proche des appartements d’Anne d’Autriche, là où la reine est si elle n’a pas encore été faite prisonnière. 

Ils arrivent en silence au bout du tunnel. D’Artagnan colle son oreille sur la porte et, comme prévu, n’entend rien. Soit la porte est trop épaisse et ne laisse rien filtrer, soit il n’y a personne dans le couloir. Espérant que la deuxième possibilité soit la bonne, il ouvre prudemment, un instant aveuglé par le flot de lumière qui se déverse dans le souterrain, l’épée dégainé. 

Ils pénètrent dans un couloir déserté après la fuite de tous les domestiques. Gardant tout de même leurs épées au clair, ils s’avancent dans le couloir. Le silence les fait frémir : ce n’est pas normal. Si la reine est vivante, pourquoi n’y a-il aucun combat, aucune résistance ?

Inquiets, ils finissent tout de même par arriver jusqu’à la porte qui mène dans la chambre de la reine. Là où, s’ils sont arrivés à temps, la reine et ses gardes sont retranchés en attente de renforts. 

Porthos grogne : la porte est verrouillée de l’intérieur. Il se résigne à frapper trois fois, le signal convenu. Il espère, prie ne pas être arrivé trop tard. 

« Qui est là ? crie-t-on de l’autre coté de la porte. 

— Porthos et d’Artagnan, répond celui portant le premier nom, Mousquetaires du roi »

Ils entendent des bruits de meubles qu’on bouge, d’une clef dans la serrure, puis la porte est brutalement ouverte et ils se retrouvent tenus en joue par un Garde française qui a du sang sur le visage. Son regard épuisé observe quelques instants l’uniforme des deux hommes, il baisse son arme et crie par-dessus son épaule :

« Ce sont bien eux ! »

Puis il les laisse passer avant de barricader à nouveau la porte derrière eux. 

La chambre de la reine fait penser à un champs de bataille : tous les meubles, sauf le lit, ont été déplacés pour barricader les différentes entrées, les fenêtres ont été également protégées. Quelques Gardes françaises, peut-être six ou huit, fusil à la main, se sont installés tant bien que mal à coté des portes barricadées et semblent attendre le prochain assaut. Et, au milieu d’eux se tient un jeune gascon, appuyé sur son fusil, qui a les yeux à moitié fermés et qui ressemble étrangement à d’Artagnan. 

« Jean ! s’exclame le Mousquetaire, et il se plante devant son frère, cherchant machinalement une blessure sur le corps de son cadet. Tu n’es pas blessé ?

— Je vais bien, répond-il. Quand les renforts vont-ils arriver ? »

D’Artagnan détourne le regard, hésitant avant d’annoncer le plan de Richelieu qui condamne une bonne partie d’entre eux. 

« Il n’y aura pas de renforts, annonce-t-il finalement. Nous allons exfiltrer la reine et la mettre en sécurité. Vous… vous devez rester ici comme si la reine était toujours là et couvrir notre fuite »

Vous allez mourir ici pour nous donnez le temps de fuir, traduit d’Artagnan dans sa tête. Il déteste cette idée, il déteste l’idée de laisser ces hommes mourir ici. Son frère… son petit frère…

« Ce sont les ordres de Richelieu » ajoute Porthos, soucieux de se dédouaner de toute responsabilité dans ce plan. 

Il y a quelques grognement, mais aucun Garde française ne manifeste le désir de partir. Ils savent, tout comme les Mousquetaires, qu’il n’y a aucune autre solution possible. 

À cet instant, la reine tire les rideaux du lit où elle s’est réfugiée et observe la dizaine d’hommes qui occupent sa chambre. Ils s’inclinent machinalement. 

« Nous partons ? » demande-t-elle simplement. 

Anne d’Autriche a l’air d’avoir pris dix ans et quelques cheveux blancs. Elle pose délicatement ses pieds sur le sol sans poser plus de questions, mais elle ne semble pas aussi terrifiée que les deux Mousquetaires pourraient le penser. Elle adresse un sourire à ses gardes. 

« Nous aurons sans doute besoin d’un troisième homme » déclare d’Artagnan. 

La reine suit son regard jusqu’à Jean, qui n’a pas bougé de sa place. Elle acquiesce en se dirigeant vers la sortie de service que plusieurs Gardes françaises s’activent à dégager.  Le regard de la reine passe sur les six Gardes françaises dont elle ne connait même pas le nom et qui, pourtant, se préparent à mourir pour elle. Elle les connait à peine, mais ils ont juré de la défendre et tiendront leur promesse coute que coute. C’est pourquoi elle se force à croiser leur regard, l’un après l’autre, les remerciant silencieusement. C’est tout ce qu’elle peut faire pour eux : les encourager en silence. 

Anne d’Autriche accepte la cape qu’on lui tend et qui cache entièrement son visage, puis sort sans se retourner, suivie par d’Artagnan, Porthos et le petit Jean.

Elle ne peut plus rien faire pour eux. Elle a beau être reine, elle ne peut rien du tout.

————

Athos et Aramis n’ont pas autant de chance. 

D’abord, tout se passe bien : ils entrent et utilisent des passages réservés aux domestiques pour atteindre la salle du trône. Quelques gardes sur leur passage sont vite expédiés, au poignard ou à l’épée. Pas de pistolet : inutile d’alarmer tous le monde dans un rayon de quinze pas à la ronde. 

Ils finissent par arriver près d’une porte dérobée donnant dans l’antichambre juste avant la salle du trône, là où doit se trouver le roi, espérons-le vivant. 

Du bruit filtre depuis l’antichambre, mais ils ne sauraient dire si ce sont des hommes de Gaston ou la garde du roi. 

D’un commun accord, ils décident de pénétrer dans la pièce malgré tout. 

Au signal d’Aramis, Athos enfonce la porte d’un coup de botte, envoyant au diable la discrétion, et pénètre dans l’antichambre, suivi de près par Aramis. 

L’antichambre est déserte, les cadavres gisant à terre ne comptant plus en tant que personnes. 

Ce fut seulement là qu’ils se rendent compte que les cris et le fracas d’un possible combat viennent de la salle du trône, et non de l’antichambre. 

Ils se précipitent vers la porte, Athos en tête, qui ouvre la porte avant de comprendre ce qu’il se passe et de hurler :

« À terre ! À terre »

Aramis a juste le temps de se jeter sur le sol avant qu’une explosion ne secoue le palais jusque dans ses entrailles. Il se redresse à quatre pattes, mais une deuxième l’envoie à nouveau à terre. Il a à peine le temps de lever la tête qu’une troisième bombe explose, quelques instants après la deuxième. Cette fois, il reste sur le sol, persuadé qu’une quatrième explosion va retentir dans quelques secondes. 

Mais à la place, c’est une voix familière mais détestée qui s’élève :

« Vous pouvez vous relever » déclare Gaston d’Orléans. 

Ils obéissent tant bien que mal, Aramis ayant la tête qui tourne après qu’elle ait brutalement heurté le sol. 

Gaston d’Orléans se tient juste derrière eux, en armure de combat, en compagnie de deux princes de sang : le comte de Moret et César de Vendôme ; il a dû attendre que les combats soient finis pour entrer. 

Car les combats sont désormais terminés : il n’y a plus âme qui vive dans la salle du trône, les trois explosions ont tout ravagé sur leur passage. Des cadavres couvrent le sol, certains aux couleurs de Gaston, mais la plupart sont des Gardes françaises. Et, au milieu de ce charnier git ce qui a été Louis XIII, et qui n’est plus désormais qu’un cadavre. 

Aramis et Athos ne retiennent pas un hurlement de rage. 

Ils sont arrivés trop tard, de quelques instants seulement. S’ils avaient été plus rapides, s’ils étaient venus plus vite, ils auraient pu sauver leur roi. Ils ont échoué. Ils n’ont pas réussi, et Louis XIII l’a payé de sa vie. 

Gaston a un air horriblement satisfait en voyant le cadavre de son frère. Il fait un signe à ses hommes : deux récupèrent le corps de Louis XIII et quatre désarment les deux Mousquetaires qui, choqués, ne pensent même pas à les en empêcher. 

Puis ils se laissent faire quand des gardes les forcent à s’agenouiller devant le trône où s’est confortablement installé Gaston, qui feint de ne pas remarquer les cadavres éparpillés un peu partout. 

« Que vais-je bien pouvoir faire de vous ? » soupire Gaston en les observant. 

Aramis sent un filet de sang lui couler d’une plaie au front mais il peut difficilement l’éponger avec deux gardes qui l’ont en joue et qui prendraient ça pour une tentative de fuite. Il fixe Gaston, ne souciant plus de l’étiquette à présent. Ce maudit prince de sang ne mérite plus la moindre marque de respect, pas après avoir tué son propre frère pour accéder au trône. 

César de Vendôme, assis à la droite de Gaston, se penche vers son demi-frère pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Aramis ne peut entendre de quoi il s’agit : une proposition de mort lente et sanglante ?

Mais Gaston fait un signe de main à ses gardes qui relèvent les deux Mousquetaires, qui n’y comprennent tout à coup plus rien. 

« Retournez auprès de Richelieu. Dites-lui cela de ma part : son roi et prochainement sa reine sont morts. S’il se soumet, il aura la vie sauve. Dans le cas contraire… il sera exécuté »

Chapter 5: Moret sur Loing

Notes:

Bon, je pense qu'on va prendre le rythme d'un chapitre tous les dix jours (environ). J'espère que ça vous plait toujours. N'hésitez pas à commenter !

Chapter Text

Aramis somnole, les bras enroulés autour du torse de Porthos et le front appuyé sur le dos de son amant. Bercé par le petit galop de leur cheval, il tente avec peine de résister au sommeil. Tant qu’ils ne sont pas arrivés à destination, les hommes de Gaston peuvent encore les rattraper ; et si c’est le cas, alors la reine et Richelieu auront besoin de ses services. Il ne peut se permettre de s’endormir. Pas encore. 

Après l’exfiltration d’Anne d’Autriche et l’annonce de la mort de Louis XIII, le cardinal a jugé préférable de s’enfuir de Paris, et la petite troupe constituée de Richelieu, la reine et leurs défenseurs se dirigent le plus rapidement possible vers le donjon de Moret, ancienne résidence royale qui a pour avantage d’être facile à défendre. 

« Si je t’attache les poignets autour de moi, tu pourras t’endormir en chevauchant, non ? » propose Porthos

En voyant son ami blessé, épuisé et aussi choqué, Porthos a exigé, et obtenu qu’Aramis voyage avec lui. Le Mousquetaire n’a pas eu la force de résister. 

« Pas certain d’avoir envie d’avoir à nouveau les poignets liés » se contente de répondre Aramis. 

Les images de son récent enlèvement sont un peu trop fraiches dans son esprit. 

« On arrive bientôt, assure Porthos, sans doute pour le réconforter. Tu vas bientôt pouvoir te reposer. 

— Mmh… avec toi ? »

Peut-être qu’il pourrait passer une bonne nuit en compagnie de Porthos. 

« Oui, avec moi »

Depuis combien de temps n’avait-il pas dormi blotti contre son amant ? Trop selon lui. Bien trop même. 

« Tu seras grandement… récompensé » assura Aramis. 

Sa voix s’est faite rêveuse : il se force à ouvrir les paupières avant de s’assoupir pour de bon. 

« Pas possible entouré d’autant de gens » sourit Porthos. 

Il sent Aramis raffermir sa prise autour de sa taille. 

« Dommage » commente Aramis d’une voix endormie. 

Porthos trouve adorable le fait qu’Aramis lui fasse assez confiance pour s’endormir sur lui alors qu’ils sont sur un cheval au galop. Au petit galop, certes, mais au galop tout de même. 

Malheureusement, Tréville semble avoir décidé de laisser du répit aux chevaux, car il leur fait signe de repasser au trot. L’allure, bien moins confortable, fait sursauter Aramis, qui redresse la tête. 

« … Me laisser dormir ? 

— Bientôt, offre Porthos, très bientôt »

 En effet, environ une demi-heure plus tard, Tréville repasse au galop, et toute la suite avec lui. Aramis repose aussitôt sa tête sur l’épaule de Porthos, bien décidé à ne plus bouger. Il doit bien se rendre à l’évidence : il ne peut résister au sommeil plus longtemps. 

« Dors bien, ‘Mis » murmure Porthos. 

En retour, Aramis laisse échapper ce qui ressemble à un ronronnement. Porthos laisse échapper un sourire et, sentant Aramis basculer légèrement en arrière, prend les rênes dans sa main droite et attrape de la main gauche les poignets tuméfiés d’Aramis. Ce sera moins pratique pour diriger sa monture, mais il ne laissera pas tomber son amant. 

Jamais. 

 

Quand ils arrivent, une heure et demi plus tard, Aramis dort encore, bien calé contre Porthos et laissant parfois échapper des ronronnements. 

Porthos tente en vain de le réveiller. 

Avec l’aide d’Athos et d’Artagnan, il fait descendre Aramis assoupi de cheval, puis il le prend dans ses bras et part à la recherche d’un endroit confortable pour dormir. 

Pendant ce temps, d’Artagnan et Porthos escortent la reine jusque dans le donjon. Il est sale, glacial, peu accueillant. Rien n’a été prévu pour l’arrivée de la reine. Celle-ci ne semble pas s’en soucier et s’assoit sur l’unique chaise, derrière l’unique table de la pièce dans laquelle ils ont pénétré. Elle a l’air, comme tout le reste de son escorte, complètement épuisé. Après tout, cela fait des heures, des jours qu’elle ne dort pas. Et pourtant, malgré sa fatigue et ses yeux qui se ferment tous seuls, elle se redresse, bien droite, et demande à Richelieu :

« Pourriez-vous, Votre Eminence, me résumer la situation ? »

Le cardinal se frotte la tempe, sans doute assailli par la migraine. Mais il se redresse, lui aussi, et commence son exposé :

« Gaston d’Orléans, aidé par quelques princes de sang, on fait un coup d’état. Hier à l’aube, ils ont marché sur Paris et encerclé le Louvre. Les Mousquetaires vous ont récupéré de justesse cette nuit, mais Louis XIII… Ils sont arrivés trop tard pour Louis XIII. Nous n’avons plus aucun contrôle sur quoi que ce soit à Paris, c’est pourquoi j’ai décidé de venir ici, à Moret, car c’est suffisamment loin de Paris pour être protégé, mais pas trop, car il faut que l’on sache ce qu’il s’y passe. Nous sommes en sécurité, ici. J’ai déjà demandé à Tréville d’organiser la défense du donjon. 

— Quelles troupes avons-nous ?

— Les Mousquetaires, les Gardes rouges, le régiment du roi et celui de Navarre, quinze des compagnies des Gardes françaises. Certains régiments nous rejoindront peut-être les prochains jours »

Richelieu soupire. Il sait que sa dernière phrase est sûrement un peu trop optimiste, mais il ne souhaite pas décourager Anne d’Autriche. 

« Je pense envoyer quelques gardes à Fontainebleau, pour récupérer quelques meubles. Le château n’est qu’à quelques lieues…

— Je connais ma géographie, Votre Éminence, inutile de me rappeler la distance entre Fontainebleau et Moret ! »

Anne d’Autriche a haussé le ton. Elle se sent lasse, si lasse… Elle voudrait se plonger dans un bain parfumé et tout oublier… Mais c’est impossible car il n’y a ni baquet, ni eau chaude et encore moins du parfums. Il n’y a même pas de lit !

« Je suppose qu’il est inutile d’attendre un quelconque repas, n’est-ce pas, Votre Éminence ? » soupire la reine. 

Elle s’affaisse dans la chaise, comme tirée vers le bas par toutes les épreuves qu’elle vient de traverser. 

« Nous pouvons aller en chercher un à l’auberge la plus proche, propose d’Artagnan. Ce… ne sera ce que Votre Majesté à l’habitude de manger, mais ce sera mieux que rien »

La reine hoche la tête, le cardinal aussi, et d’Artagnan quitte la pièce, quelque peu soulagé d’échapper à cette discussion qui commence à lui donner mal à la tête. 

Une demi-heure plus tard, il revient avec des plats délicatement enveloppés dans du linge blanc et entassés dans un panier. Il remarque qu’il y a eu quelques changements : des gardes ont été postés à divers endroits stratégiques, et son panier est fouillé plusieurs fois avant qu’il ne puisse, enfin, parvenir à la chambre de la reine qui est gardée par Athos qui lui fait signe d’entrer. 

Tréville a rejoint la reine et Richelieu, et adresse un sourire à d’Artagnan avant de continuer à parler :

« Les Gardes françaises ont été disposé dans les jardins, et les Mousquetaires dans le donjon. Je voulais faire patrouiller la Garde rouge dans le bourg, mais leur capitaine Jussac a refusé de m’obéir car je n’avais aucun ordre écrit »

D’Artagnan rejoint discrètement Athos devant la porte, pousse un profond soupir et se redresse, résigné à rester éveillé quelques heures avant de pouvoir enfin aller se reposer. 

 


 

Aramis se réveille avec l’impression que quelque chose lui écrase la taille et l’empêche de respirer. Il se tortille, essayant de se dégager, et finit par découvrir que ce qui l’emprisonne n’est que le bras de Porthos, que son amant a enroulé autour de sa taille. Aramis soupire, cesse de bouger et tente de distinguer où est-ce qu’il se trouve. Peut-être dans une chambre d’auberge… Comment sont-ils arrivés ici ?

Désirant en savoir plus, il se tortille à nouveau, dans l’espoir de pouvoir enfin bouger. À coté de lui, Porthos grogne et Aramis s’immobilise. 

À son grand désespoir, Aramis sent le bras de Porthos se resserrer autour de lui. Il s’agite à nouveau, lutte pour se dégager, jusqu’à ce que Porthos demande :

« Que se passe-t-il ?

— Je crains que tu ne m’écrases… quelque peu » halète Aramis. 

La pression disparait aussitôt, et Aramis peut se redresser, enfin. 

« Où sommes-nous ?

— Je nous ai conduits à une auberge, répond Porthos tout s’asseyant sur le lit. J’ai pensé que ce serait plus confortable. 

— Athos et d’Artagnan ?

— Surveillent la reine. On devrait les rejoindre, peut-être. 

— Peut-être »

Il n’a pas vraiment envie de sortir du lit, et sait que c’est aussi le cas de Porthos. 

« Sommes-nous vraiment obligés ? » soupire Aramis. 

Porthos lui sourit avant de sortir du lit pour récupérer ses vêtements. 

Chapter 6: Serment

Notes:

Un chapitre un peu plus court que les autres. Je ne savais pas trop comment le développer. N'hésitez pas à dire ce que vous en pensez !

Chapter Text

« Voulez-vous quelque chose, mademoiselle ?

— Non, merci »

Gabrielle-Angélique congédie sa servante d’un geste de la main, puis se concentre sur son reflet dans le miroir et esquisse une petite moue. Tout ce noir ne lui sied guère. 

La jeune femme soupire et se lève. Il est temps d’y aller. 

Ce matin, elle doit aller prêter allégeance à Gaston d’Orléans, le nouveau roi. Ce matin, elle doit lui jurer fidélité devant toute la cour ? Que dirait sa mère si elle lui voyait ? Sa mère, que dirait-elle en voyant sa fille jurer fidélité à celui qui a ordonné son assassinat ? Elle aurait honte, elle aurait terriblement honte. Mais Gabrielle n’a pas le choix : c’est ça, ou rejoindre sa mère dans la mort. 

Et elle n’est pas assez courageuse pour affronter la mort, elle n’est pas forte. 

Gabrielle sort de ses appartements sans se retourner et traverse le Louvre en silence, suivie de ses dames de compagnie et de quelques courtisans. Arrivant devant la salle du trône, elle prend une grande inspiration et entre, la tête aussi haute qu’elle peut. 

« Gabrielle Angélique de Verneuil de Bourbon, fille de France »

Elle s’avance au milieu des courtisans, s’efforçant de ne pas croiser leur regard, et s’agenouille devant Gaston, assis sur son trône. Son nouveau trône. Celui qui, la veille encore, était à son frère Louis. 

« Bonjour, Gabrielle, la salue Louis. 

— Bonjour, Votre Majesté »

Elle raffermit sa voix pour continuer. Elle n’a pas besoin qu’on le lui rappelle, elle sait ce qu’elle doit faire, toute la Cour le sait. Inutile de faire attendre le nouveau roi. 

« Je jure sur… »

Elle prononce les phrases voulues sans une hésitation, y mettant une intensité qu’elle ne ressent pas. Elle n’y croit pas. Elle sait, tout comme tous les courtisans ici, ce qui s’est passé la veille. Gabrielle sait comment Gaston a obtenu le pouvoir. Et, comme tous les courtisans, elle lui jure fidélité pour sauver sa peau. Si elle avait une autre solution, elle n’hésiterait pas un instant à le trahir.

À la fin, elle se relève, et recule pour se fondre dans la masse des courtisans. 

« De bien belles paroles » marmonne quelqu’un à coté. 

Surprise, Gabrielle se retourne et reconnait la duchesse de Chevreuse, autrefois une des plus ferventes partisanes de la reine. Il faut croire que la loyauté n’est pas une qualité de la duchesse. Celle-ci s’incline, comme le veut l’étiquette, puis continue :

« Je doute que personne ne remette en doute votre loyauté désormais.

— Et vous ? Allez-vous jurer, vous aussi ? »

La duchesse acquiesce. 

Un par un, dans l’ordre de leur importance, les nobles sont appelés et jurent successivement fidélité. Vient le tour de la duchesse de Chevreuse. Gabrielle la regarde s’avancer, prononcer son serment puis revenir à ses cotés. 

« Comment croyez-vous qu’Anne prendra votre trahison ? ne peut s’empêcher de demander Gabrielle. Elle…

— Ne prononcez pas ce nom ! siffle la duchesse de Chevreuse. Voulez-vous nous faire pendre ?! »

Elle vérifie que personne n’a entendu puis répond :

« J’assure ma survie. Vous en faites tout autant, je me trompe ? »

Puis la duchesse s’éloigne dans un murmure de tissu. 

Gabrielle secoue la tête. Non, ce n’est pas pour ça qu’elle a juré. Elle a juré parce qu’elle peut difficilement s’enfuit de Paris, au contraire de la duchesse. Mais elle a aussi juré parce que quelqu’un a besoin d’elle. 

Son frère. Son petit frère. 

Gabrielle esquisse un sourire tendre en se souvenant de son frère. 

Lui, contrairement à elle, n’est que le fruit d’amours passagères entre leur mère et un noble de passage. Son inscription au prestigieux collège de Clermont s’est faite grâce à tout l’appui de sa mère, qui a financé un temps le collège. Mais désormais, leur mère a été tuée, et son petit frère n’a plus qu’elle comme protecteur. Elle ne peut le laisser entre les mains de Gaston. 

C’est pourquoi elle a accepté de jurer, pour protéger la position de son petit frère. 

Elle fera n’importe quoi pour lui. 

Même promettre sa loyauté au meurtrier de sa mère. 

Chapter 7: Rester

Notes:

Un chapitre plus calme cette fois. Je vais essayer de mettre des citations au début de chaque chapitre. Ce ne sera peut-être pas systématique, mais je vais essayer. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Chapter Text

"On rougirait bientôt de ses décisions, si l'on voulait réfléchir sur les raisons pour lesquelles on se détermine »

Voltaire, Lettres

 

Le Conseil a étrangement diminué en taille. La plupart des ministres ayant été tués ou ayant fui, il ne reste que Richelieu, Anne d’Autriche, Tréville, Jussac, le capitaine de la Garde rouge, et le comte de Soissons, arrivé juste à temps pour le début.

« Comte, demande Anne d’Autriche, avez-vous des nouvelles de Mlle de Verneuil ? »

Gabrielle a toujours été sa préférée, la fille qu’elle n’a jamais eu, et elle n’a pas pu l’emmener avec elle en exil. Elle ne sait même pas si elle a été blessée ou non durant l’assaut du Louvre. Masquant sa culpabilité, Anne écoute la réponse du comte, réponse qui ne lui apporte guère de réconfort : le comte n’a pas la moindre idée de l’état de sa protégée en ce moment. 

« Si je puis me permettre, Votre Majesté, intervient le cardinal, j’ai des nouvelles de Mlle de Verneuil. 

— Vraiment, Eminence ?

— Elle est au Louvre et elle va bien, ou du mieux qu’elle peut après l’assassinat de sa mère. Elle est désormais protégée par Gaston d’Orléans, à qui elle a juré fidélité »

Anne d’Autriche ne peut dissimuler sa surprise, puis sa déception. Elle a cru, naïvement, que Gabrielle lui resterait fidèle en souvenir de leur amitié, de tous les moments qu’elles ont partagés. Il faut croire que non : quelques jours à peine, et Gabrielle rampe déjà aux pieds de Gaston. 

« Comment savez-vous cela ? » demande Tréville. 

Le sort de Gabrielle l’intéresse visiblement moins que la source de Richelieu. 

« Vous avez accès à des informations fraiches en provenance de la cour, poursuit Tréville, comment ?

— J’y ai un espion, répond Richelieu, je lui ai demandé de gagner la confiance de Gaston et ne me rapporter tout ce qu’il y entendra. 

— Qui ?

— Je préfère garder cette information secrète, pour le bien de mon agent »

Seul Jussac accepte l’information de bon gré : Tréville soupire, le comte de Soissons émet un grognement désapprobateur, et Anne d’Autriche ne se préoccupe guère de l’identité de cette source. Tout ce qui lui importe sont les nouvelles de Gabrielle qu’elle a obtenu. Au moins, son ancienne protégée est encore en vie. 

La conversation continue, et Anne d’Autriche écoute de son mieux, chassant Gabrielle de ses pensées. Après un débat particulièrement long sur l’organisation des défenses du donjon de Moret (qui oscillent entre « passables » et « particulièrement insuffisantes ») et le problème de logement que rencontrent les nobles qui ont suivi la reine en exil, Richelieu ose enfin clarifier les choses :

« Rester à Moret n’est pas viable, Votre Majesté »

Cette fois, personne ne le désapprouve : la ville de Moret n’est en rien imprenable, ses fortifications sont fragiles et ils n’ont pas assez d’hommes, ni d’armes. Ils le comprennent tous. 

Tous, sauf Anne d’Autriche. 

« Mais que proposez-vous, Votre Éminence ? réplique la reine. Que je m’enfuie à l’étranger ? J’y perdrais toute influence, et vous le savez »

Mais ce n’est pas la véritable raison pour laquelle la reine veut rester. 

« De plus, ce n’est pas bien pour mon bébé à naitre. Nous avons déjà pris trop de risques avec le trajet de Paris à ici. Je ne puis me déplacer sans risquer de faire une fausse couche »

Mais personne, à son grand désarroi, n’a l’air de comprendre, de la comprendre : ils sont déjà en train de proposer des endroits où se réfugier. 

« J’ai de nombreux fidèles à Luçon, déclare Richelieu. 

— Soissons est moins loin, rétorque le comte de ladite ville, ce sera beaucoup plus pratique. 

— Le Béarn et la Navarre sont entièrement à Votre Majesté, argumente Tréville. Nous y serons en sécurité. 

— Bien trop loin ! proteste le comte. Soissons…

— Le Bas-Poitou… insiste Richelieu. 

— La Rochelle est trop proche, coupe Tréville.

— Soissons…

— La Gascogne…

— Luçon… 

— Silence ! » coupe Anne d’Autriche. 

La reine a mis assez d’autorité dans sa voix pour qu’ils se taisent tous et qu’ils la laissent parler. 

« En somme, commente la reine d’une voix glaciale, vous espérez tous que j’aille dans la région d’où vous êtes issus, et où vous avez de nombreux soutiens. 

— C’est… tente Richelieu. 

— Silence ! répète la reine. Je n’irais pas plus à Soissons qu’à Luçon, et encore moins dans le Béarn, en Navarre ou en Gascogne. Je reste »

Un silence incrédule suit sa déclaration. Personne n’aurait cru la reine aussi téméraire. D’ailleurs, elle se surprend elle-même en continuant :

« Fuir serait un aveu de faiblesse. De plus, je doute que Gaston se maintienne en place très longtemps : tout devrait être rétabli d’ici quelques semaines »

Vue la moue qu’arbore Tréville, il ne doit pas être de cet avis. Ce qui n’empêche pas la reine de poursuivre :

« Renforcez la sécurité du donjon et de la ville. Que la haute noblesse qui le désire soit la bienvenue dans le donjon. Monsieur le comte de Soissons, je vous laisse le soin d’organiser leur arrivée et de distribuer les chambres. Votre Éminence, envoyez quelques uns de vos hommes aller récupérer des meubles au château de Fontainebleau, il est temps de meubler ce château. Tréville, je pense que les soldats devraient être logés dans le parc du donjon, je fais vous fais confiance pour tout organiser comme il faut. Bien. Quelqu’un a-t-il une question ? »

À sa grande satisfaction, personne ne fit mouche, pas même Richelieu, bien que tout le monde peut voir qu’il n’est pas satisfait de ce que vient de dire la reine. 

« Alors la séance est levée »

Alors que la reine regagne sa chambre, accompagnée de la seule dame d’honneur qui lui reste désormais, elle ne voit pas Richelieu faire un signe de la main à Tréville. 

« Pour une fois, je crois que nous sommes du même avis, Votre Eminence, commente le capitaine des Mousquetaires. Sa Majesté n’a pas la moindre idée de ce qu’elle fait. 

— C’est de la haute trahison, Tréville, rétorque Richelieu. 

— C’est la vérité, et vous le savez, Votre Éminence. Mes hommes ne sont pas en mesure de protéger ce donjon. 

— En parlant de vos hommes, capitaine, d’Artagnan et ses compagnons sont toujours aux Mousquetaires, n’est-ce pas ?

— Oui, mais ils ne peuvent pas…

— J’en veux deux à la porte de Sa Majesté en permanence. 

— Ils ne vont pas être contents. 

— Ce n’est pas mon problème. 

— Ils ne serviront à rien quand ils seront épuisés. Ils devront faire entre huit et seize heures de garde par jour. 

— Ils seront encore plus inutiles si la reine meurt assassinée. 

— Mais…

— C’est un ordre Tréville, m’avez-vous compris ?

— Oui. 

— Très bien. Bonne soirée, capitaine. 

— Bonne soirée à vous aussi, Votre Éminence »

Tréville le laisse passe puis sort à son tour. 

Aramis et Porthos gardent la porte de la toute nouvelle salle du Conseil, et ont l’air plutôt en forme. Tant mieux, pense Tréville en se rappelant de leur prochaine mission. 

« Où sont d’Artagnan et Athos ?

— Ils se reposent, répond Aramis. Qu’y a-t-il de nouveau, capitaine ? »

Le capitaine soupire avant de répondre :

« Les ordres ont changé. Vous, Athos et d’Artagnan êtes personnellement chargés de la garde de la chambre de la reine. Son Éminence veut deux de vous quatre en permanence sur le palier. Vous alternerez »

Tréville voit clairement l’humeur de ses hommes s’assombrir tandis qu’ils calculent le nombre d’heures de garde qu’ils auront à faire dans les prochaines semaines. 

Mais le capitaine n’y peut rien : tout comme eux, il doit obéir aux ordres, et y obéir du mieux qu’il peut. 

Ils les laissent réfléchir tandis qu’il se rend dans le parc : il est temps d’obéir à la reine et d’organiser le donjon. 

Chapter 8: Demande

Notes:

Et c'est le retour de Gabrielle-Angélique de Verneuil ! J'espère que vous l'appréciez, c'est une de mes préférées, même si elle est plutôt dur à écrire.

Chapter Text

Gabrielle-Angélique a l’impression que les deux semaines suivantes passent comme dans un rêve, dans un brouillard opaque où elle ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va. Les jours passent, s’étirent, sans fin, dans une continuité qui ne permet pas à Gabrielle de se distraire, qui l’empêche de penser à autre chose qu’à sa mère. 

Gaston d’Orléans lui a attribué de meilleurs appartements au Louvre, beaucoup plus grands et bien plus luxueux, possédant même une salle de musique avec un piano ; ceci est en soi une bonne chose : ainsi, plus personne ne peut douter de la protection que lui a offerte le nouveau roi. En plus, il lui a promis de ne pas baisser sa dot d’une seule livre, ce qui fait que ses fiançailles avec le duc de La Valette sont toujours à l’ordre du jour. 

Elle a un protecteur puissant, elle a une dot important et un fiancé. En théorie, tout devrait aller bien. Qu’est-ce qui lui manque ? Une mère qu’elle ne voyait jamais car elle s’était réfugiée au couvent ? Qu’est-ce que cela, face à tous ses avantages ?

Et pourtant…. Mademoiselle de Verneuil ne s’est jamais sentie aussi seule, aussi délaissée. Elle est seule à la cour : avant, elle ne s’y montrait qu’épisodiquement, et toujours collée à la reine, à qui elle tenait compagnie. La reine a toujours été sa protectrice. Mais la reine n’est plus là, elle est partie en abandonnant Gabrielle seule, à devoir se débrouiller avec une mère assassinée et un petit frère à protéger. Un petit frère dont la position ne dépend que d’elle. Qui n’a qu’elle. Mais elle, qu’est-elle à la cour ? Son protecteur a beau être le nouveau roi, il ne peut que très peu de choses pour elle. Sa position n’est pas encore assez assurée, assez ferme. Et, par conséquent, celle de Mlle de Verneuil l’est encore moins. Comment peut-être protéger qui que ce soit, dans ces conditions ?

Il le faut bien, elle devra trouver une solution. 

La solution provisoire a été de jurer allégeance à Gaston. Mais ce sursis ne durera pas. Il faut qu’elle trouve autre chose, et si possible vite. 

Gabrielle en est là dans ses réflexions quand une servante entre, la faisant sursauter. 

Elle referme le piano dont elle jouait depuis son déjeuner, puis lui fait signe de donner la raison de sa venue. 

« Le duc de La Valette est là, annonce la servante, il demande un entretien »

Gabrielle soupire : elle ne peut refuser ce visiteur comme elle l’a fait avec tous les autres, ce sera perçu comme une rupture de leurs fiançailles. Elle ne peut risquer cela. 

« Faites-le entrer » ordonne-t-elle, résignée. 

Ce n’est pas qu’elle n’aime pas son fiancé, ni qu’il se comporte mal avec elle. En fait, elle connait à peine le duc, leurs fiançailles ont été arrangées par feu la marquise de Verneuil, Anne d’Autriche et feu le roi Louis XIII et, bien que le deuil ait repoussé la date du mariage de plusieurs mois, ils sont toujours promis l’un à l’autre. 

La servante revient avec le duc. Elle fait une courbette et s’apprête à se retirer, mais Gabrielle lui fait signe de rester : la servante lui servira de chaperon. 

« Bonjour, Monsieur, le salue aimablement Gabrielle. Que me vaut l’honneur de votre visite ? »

Ils s’asseyent l’un en face de l’autre, puis le duc répond :

« Je venais prendre de vos nouvelles…

— Que c’est aimable à vous.

— Et vous demander des nouvelles au sujet de nos fiançailles »

Cela, c’est plus étonnant : depuis quand Gabrielle a-t-elle son mot à dire pour le choix de son mari ? Depuis quand lui demande-t-on son avis ?

« Je sais que le délai du deuil nous empêche de nous marier et repousse le mariage d’au minimum six mois, mais je sais également que cette période peut être raccourcie sur ordre du roi.

— Hélas, même avec un ordre de Sa Majesté, cela ferait scandale : toute la cour sait à quel point j’étais proche de ma mère »

Mais ce n’est pas la véritable raison de Gabrielle ; celle-ci ne souhaite pas se marier avec quelqu’un qu’elle ne connait à peine. Elle ne souhaite pas vivre quelque chose de festif, d’heureux, alors que sa mère est à peine froide dans son cercueil. Frissonnante, elle resserre sa robe, noire selon les circonstances, et ajoute :

« De plus, nous ne pouvons être certains de l’accord du roi.

— Nous l’obtiendrons » assure le duc de La Valette.

Gabrielle ne répond pas. Le duc a raison, il obtiendra sans trop de difficultés l’accord de Gaston à ce mariage si tôt après la mort de la marquise. Il doit donner l’impression d’être fort, que son pouvoir est stable, et un mariage est l’occasion rêvée pour ce faire.

« Réfléchissez, Mademoiselle, insista le duc de La Valette. Cela vous permettra de protéger votre frère, il me semble que vous en êtes très proches »

Gabrielle sait, une fois encore, qu’il a raison.

« Si nous nous marions, je m’engage à laisser votre frère poursuivre ses études au collège de Clermont. Ensuite, je pourrais lui acheter une charge à la cour ou un régiment, selon ses désirs. Il ne manquera de rien, et vous non plus »

Ce sera plutôt un régiment, pense Gabrielle. Oui, c’est encore une fois vrai : ce mariage protégera son frère. Pourquoi faut-il que sa seule chance de salut lui soit proposée par un homme qu’elle connait à peine ?

« Cela fait quinze jours à peine que ma mère est morte, répond finalement Gabrielle. Je ne puis… je ne puis me marier aussi vite, ni même déterminer une date de mariage aussi vite. Ce sera terriblement mal vu et puis… puis je suis encore trop bouleversée par cette… cette perte tragique pour penser au mariage en ce moment. Je suis certaine que vous comprendrez »

Elle n’en est pas certaine, en vérité, mais mieux vaut flatter l’égo du duc de La Valette. Et puis, peut-être que ce dernier sera réellement touché par le sort de sa fiancée.

Espoir qui s’évaporer aussitôt, par malheur.

« Certes, mais vous devez penser à l’avenir, Mademoiselle »

Elle le regarde à peine, lui et ses vêtements tapageurs qui jurent avec la robe de deuil de Gabrielle, ainsi que son cou et ses bras dépourvu de tout bijou. Oh, elle voudrait qu’il parte, qu’il parte et qu’il les laisse tranquille, elle et son chagrin. Elle n’est pas prête à l’affronter et à lui donner une réponse sensée, qui répondra vraiment à ce qu’elle veut.

« Je dis ça pour votre bien, mademoiselle, insiste encore le duc. Si vous ne vous préoccupez pas de votre avenir, d’autres le feront, et ce sera trop tard pour donner votre avis »

Qui se souciera de son avenir ?

« Veuillez m’excuser, dit doucement Gabrielle, mais je ne me sens pas très bien. Je vais devoir interrompre l’entretien.

— Bien sûr, accepte aussitôt le duc. Reposez-vous, je sais que cela doit être une période difficile pour vous. Nous en reparlerons une autre fois. Mes hommages, Mademoiselle »

Il se lève, s’incline et s’en va sans un mot de plus.

Gabrielle attend que ses pas se soient évanouis dans le couloir pour renvoyer la servante et, une fois seule, retourner à son piano. Quand elle se met à nouveau à jouer, même les notes semblent tristes.

Chapter 9: Épuisement

Chapter Text

Aramis ne se souvient pas d’avoir été aussi épuisé depuis La Rochelle.

C’est ce que le Mousquetaire pense tout en se trainant vers le donjon de Moret. Il vient se se réveiller, et a peine eu le temps d’arranger ses cheveux avant que la relève ne soit appelée et qu’il ne doive se diriger vers la porte de la chambre de la reine. 

Il est seize heures. Aramis doit veiller jusqu’à minuit, puis sera relevé par d’Artagnan. D’Artagnan qu’il devra ensuite relever à huit heures, et ainsi de suite jusqu’à un temps bienheureux où Richelieu sera suffisamment confiant pour ne plus les contraindre à rester en permanence devant la chambre de la reine. 

Il échange à peine quelques mots avec d’Artagnan et Athos qui ont hâte d’aller dormir et ne prennent pas la peine de le cacher, ils n’ont plus la moindre petit réserve d’énergie en eux. 

Porthos ne tarde pas à rejoindre Aramis et lui adresse un sourire fatigué. Aramis lui répond de son mieux avant de fixer le mur devant lui. 

Ne pas s’endormir. Ne surtout pas s’endormir. 

« Combien de temps pensez-vous qu’on va rester à Moret ? » demande Porthos. 

Normalement, ils n’ont pas le droit de parler quand ils sont de garde, mais cela fait bien longtemps que cette règle n’est plus respectée de personne et, de toute façon, le couloir est désert. 

« Je ne sais pas, répond Aramis. Quelques semaines. Ils vont bien finir par prendre une décision »

Ils, c’est le Conseil qui est, selon les rumeurs qui courent au camps militaire improvisé, affreusement divisé. Il se réunit tous les jours plusieurs heures, mais aucune décision n’est prise, à part quelques unes concernant l’aménagement et l’organisation de la défense du donjon. Et encore, les ordres qui leur parviennent sont parfois contradictoires. 

« D’Artagnan avait l’air de dormir debout » observe Aramis pour dire quelque chose. 

Il faut bien qu’il s’occupe, sinon c’est lui qui va dormir debout, et ce sera du plus mauvais gout. 

« On a tous l’air de dormir debout. Le cardinal…

— Devrait venir faire nos gardes à notre place, peut-être qu’après il nous en fera faire moins »

Ils sont injustes, et ils le savent : seul Richelieu dort moins qu’eux. Il passe ses nuits à recevoir des messages de ses espions, qu’il a mis sur le pied de guerre, la matinée au Conseil et ses après-midi à faire de l’intendance. Mais ils n’ont plus la force de réfléchir correctement, ni même l’envie de faire le moindre effort. Si Gaston d’Orléans tentait une attaque, ils seraient aussi utiles que la suivante craintive de la reine, qui se fige, affolée, dès qu’elle voit la moindre petit lame. 

« Parait qu’ils ne feront rien avant la Saint-Jean » dit Porthos. 

Cela, c’est une des nombreuses rumeurs qui circulent au camp militaire monté en urgence par Tréville. 

La Saint-Jean. Le 24 juin. Cela leur parait être dans une éternité. 

« Peut-être quelque chose avant » propose Aramis sans conviction. 

Peut-être… Parait que… Ces derniers temps, ils se nourrissent quasi exclusivement de rumeurs ou de on-dits. On ne leur dit plus rien, et les ordres officiels sont devenus rares. Le fait que le capitaine de Tréville soit la plupart du temps trop occupé pour leur exposer la situation n’arrange pas la situation, bien au contraire. 

Ils se redressent précipitamment quand le comte de Soissons apparait au bout du couloir. Le noble ne parait pas les remarquer et passe sans les regarder, comme s’ils n’existent pas. Ce n’est pas plus mal : s’il avait pris le temps de les observer, il aurait remarqué que leur uniforme est taché, ou que leurs armes méritent d’être entretenues. Les deux Mousquetaires sont bien trop fatigués pour s’en préoccuper. 

« As-tu quelque chose à manger ? » demande Aramis. 

Il a oublié d’y penser, et n’a pas avalé la moindre chose solide depuis son réveil, son ventre vient de lui rappeler bruyamment. 

« Rien du tout, j’ai mangé avant de venir. Pas toi ?

— Pas moi »

Aramis soupire. Il aurait dû faire comme Porthos. Il n’a plus qu’à attendre quelques heures avant de pouvoir prendre un repas. 

Il étouffe un bâillement. Ne pas s’endormir. Ne surtout pas s’endormir. 

« Ça va aller ? s’inquiète déjà Porthos. Tu ne vas pas t’évanouir ?

— Ça va aller » assure Aramis. 

Avec un peu de chance, Porthos ne fera pas attention à sa voix légèrement tremblante. En réalité, il en doute. Depuis combien de temps n’a-t-il pas pris de véritable repas ?

Aramis prend une gorgée d’eau dans sa gourde, mais la sensation de fraicheur de l’apaise pas. Ce qu’il voudrait, c’est un lit douillet, un nombre infini d’heures devant lui pour se reposer, et être confortablement installé dans les bras de Porthos. En fait, non : juste quelques heures de sommeil suffiront. 

Son monde devient soudainement noir, et il met quelques instants à se rendre compte que c’est parce qu’il a fermé les yeux. Il les rouvre, pour croiser le regard anxieux de Porthos qui lui murmure :

« Tu es certain que tout va bien ? Il nous reste encore sept heures et quart à monter la garde, et je ne voudrais pas…

— Tout va bien » le coupe Aramis. 

Bien sûr, Porthos ne le croit pas ; comment le pourrait-il ? Aramis n’arrive même pas à esquisser un sourire pour le rassurer. 

Ses oreilles se mettent à bourdonner désagréablement. Il a soudain chaud, bien trop chaud. Si seulement il pouvait tout simplement fermer les yeux et s’endormir… Non, il ne peut pas, il a un devoir à accomplir. Il tente de se réveiller, et boit une gorgée d’eau dans sa gourde tremblante. Il laisse tomber le bouchon, s’accroupit pour le récupérer, renverser une grande partie de l’eau restante au passage. Il ne parvient pas à retrouver le bouchon, il tâtonne, des points noirs apparaissent et grandissent dans son champ de vision. Que… 

« ‘Mis ? ‘Mis ? »

Il entend à peine la voix de Porthos, tout comme il ne l’entend pas s’accroupir à ses cotés. Il sait qu’il est là, il sent ses bras chauds contre lui. Il le soutient, il…

« Qu’est-ce qui ne va pas ? ‘Mis ? Répond-moi ! »

Aramis ouvre la bouche, mais la seule chose qui en sort est un gémissement incompréhensible. Il sent vaguement Porthos le serrer contre lui et déboutonner prudemment son uniforme. 

« Que se passe-t-il ? »

C’est la voix de Tréville. Enfin, c’est ce qu’il semble à Aramis. 

« Il a fait un malaise, capitaine. Je crois qu’il est épuisé. Il faudrait… »

Il n’a pas le temps de finir. Quelqu’un arrive à nouveau dans le couloirs, et Aramis a l’impression que sa boite crânienne va exploser avec les bruits de pas. Pourquoi ce couloir est-il devenu si animé ?

La nouvelle venue est Anne d’Autriche, qui a entendu les bruits dans le couloir. 

« Votre Majesté, la salue Tréville. Pas d’inquiétude, cela est juste un de mes hommes qui a fait un malaise »

Aramis se décide enfin à ouvrir les yeux, au grand soulagement de Porthos qui en profite pour lui introduire une gourde entre les lèvres et le faire boire. Aramis tousse et manque de s’étouffer. Il sent les regards de la reine et du capitaine fixés sur lui, et cela le met soudain mal à l’aise. Ô joie, il est le centre de l’attention alors qu’il est à moitié allongé sur le sol et à peine capable de lever le petit doigt sans tourner de l’oeil. 

« Envoyez-les se reposer, ordonne la reine, le plus grand ne m’a pas l’air assuré sur ses jambes non plus. D’ailleurs, il me semble les voir presque tout le temps devant ma porte, tout comme deux autres : pourquoi, capitaine ?

— Ce sont les ordres de Son Éminence. Ces quatre-là sont les meilleurs de ma compagnie, et Son Éminence a exigé qu’il y en ait deux en permanence devant votre porte »

La reine soupire. Regarde Aramis, toujours blotti sur les genoux de Porthos, qui lui parle doucement. 

« Je parlerai à Son Éminence. Envoyez ces deux-là se reposer, dites la même chose aux deux autres et allez chercher d’autres Mousquetaires pour ce soir »

Le capitaine salue tandis que la reine se retire.

Aramis la suit du regard, hagard, avant d’être à nouveau englouti par une vague d’attention, nommée Porthos. 

« Allez vous reposer, ordonne Tréville. Je veillerai à ce que vous ne soyez pas dérangé. Aramis ? Vous sentez-vous mieux ?

— Oui capitaine » arrive à répondre le Mousquetaire. 

Il repousse Porthos qui s’est mis en tête de le porter et se relève tant bien que mal en s’aidant du mur tout proche. Pas question qu’il traverse la moitié du camp dans les bras de Porthos, il a une dignité à préserver. 

Dignité dont il a perdu une partie en s’évanouissant devant la porte de la chambre de la reine. 

Chapter 10: Couronnement

Notes:

C'est extraordinaire, je suis RÉGULIÈRE. Plus sérieusement, j'arrive petit à petit au bout de l'écriture du premier tome, alors si ça continue comme ça j'augmenterais le rythme de publication, parce que je sais que vous voulez tous savoir quel personnage principale meurt (comme spoilé (oups) dans les tags).

Enjoy !

Chapter Text

Gabrielle n’est jamais restée aussi longtemps dans une église. 

Le couronnement de Gaston a duré six heures, et a respecté les traditions dans leurs moindres détails. Pour l’occasion, la cour s’est déplacée à Reims, et il y a désormais une grande réception dans le palais épiscopal de Reims. 

Gabrielle fait tache, sans le moindre bijou, avec sa robe noire dépourvue de tout ornement. Elle a simplement mis quelques rubans, noirs évidemment, dans ses cheveux, pour ne pas passer pour la dernière des souillons. 

Inutile de se faire trop remarquer…

Elle sait néanmoins qu’elle sera sollicitée durant toute la fête, qu’elle le veuille ou non : elle reste la fille d’Henri IV et, même en deuil, les courtisans cherchent à obtenir d’elle des avantages. Gabrielle les évite au maximum : elle n’a pas la moindre, mais alors pas la moindre envie de les écouter. 

Mlle de Verneuil finit par croiser la duchesse de Chevreuse, qui lui offre son plus grand sourire. Contrairement à elle, la duchesse a sorti sa plus belle robe, ses bijoux les plus luxueux et sa coiffure la plus sophistiquée ; tout est permis pour montrer sa richesse. 

« Bonjour, Mademoiselle, la salue la duchesse avec une charmante révérence. Comment avez-vous trouvé le sacre ?

— C’était somptueux »

Ce n’est pas la vérité, ou plutôt Gabrielle n’y a pas fait attention. Tout ce faste lui parait inutile, sans intérêt. Comment pourrait-elle se réjouir aussi peu de temps après la mort de sa mère ?

« Vous me paraissez seule, ose la duchesse. Seule et triste »

Gabrielle sursaute comme si on venait de la piquer. Comment ose-t-elle ? La duchesse de Chevreuse n’est pas une novice à la cour, elle devrait savoir à quel point ses propos sont inconvenants. Si c’est le cas, elle s’en fiche, parce qu’elle poursuit :

« Cela gâche votre beauté. 

— Ma mère est morte il y a dix-sept jours, rétorque Gabrielle. Je suis encore en plein deuil »

La duchesse lui adresse un sourire d’excuse. 

« Pardonnez mon impolitesse »

Gabrielle hoche simplement la tête, hésite puis lui demande :

« Que voulez-vous, Madame ?

— Oh, mais simplement faire connaissance »

Et, naïvement, Gabrielle la croit et, en conséquence, discute agréablement avec la duchesse pendant une bonne demi-heure, avant qu’elles ne soient interrompues par un valet portant un plateau, lequel les informe que Gaston d’Orléans veut parler immédiatement avec Mademoiselle de Verneuil. Celle-ci, après un regard désolé pour la duchesse, dont elle commence à apprécier la compagnie, le suit jusqu’à Gaston, qui chasse aussitôt tous les courtisans pour l’entretenir en privé. 

« Bonsoir, Votre Majesté »

Gabrielle fait une profonde révérence, espérant ne pas contrarier son protecteur. Elle espère qu’elle ne l’a pas trop fait attendre. Par chance, si c’est le cas, le nouveau roi semble trop ravi par son accession au trône pour en prendre ombrage. 

« Gabrielle ! s’exclame-t-il très cavalièrement, mais qui oserait le reprendre. Comment avez-vous trouvé mon couronnement ?

— Le plus beau de tous »

C’est hypocrite bien sur. Mais elle est à la Cour de France : qui n’y a pas été hypocrite un jour ou l’autre ?

« J’ai tellement de choses à accomplir, soupire Gaston. Anne d’Autriche n’a pas fini de faire parler d’elle, tout comme Richelieu. Je vais les condamner à mort par contumace, j’ai déjà signé le décret royal, ce sera officiel dès demain. Mademoiselle, vous êtes la première personne à qui je le dis, voyez cela comme une preuve de mon affection. Bien sûr, si vous pouviez éviter de le répéter… »

Incrédule, Gabrielle ne peut qu’hocher la tête. Pourquoi donc Gaston lui confie-t-il tout cela ? Ils ne sont pas si proches, enfin pas de cette manière. Pourquoi se met-il subitement à lui parler de politique alors qu’on ne lui en a jamais parlé et que, selon toute probabilité, on ne lui en parlera quasiment jamais ?

Gaston ne parait pas voir son trouble, car il continue :

« De plus, je pense créer un nouveau régiment, spécialement déduit à la traque de leurs partisans, de ces traitres à la couronne. Je pensais la nommer la Garde bleue, qu’en pensez-vous ?

— C’est… très bien » commence maladroitement Gabrielle. 

Consciente qu’il ne se contentera pas de cela, elle continue :

« La couleur bleue est bien choisie puisque c’est la couleur des rois de France. Cela permettra de renforcer leur crédibilité »

Mais qu’est-ce qu’elle est en train de raconter ?

« Merci beaucoup pour votre soutien, Mademoiselle. Je ne vous retiendrais pas plus longtemps »

Gabrielle s’incline avant de s’éloigner. Elle en a presque le vertige : que vient-il de se passer ? Gaston est donc si seul, pour se confier à elle ?

 La demoiselle n’a pas le temps de s’en soucier : à peine est-elle retournée dans la foule qu’elle tombe à nouveau sur son fiancé, le duc de La Valette. Se rappelant leur dernière entrevue, c’est avec méfiance qu’elle lui sourit tandis qu’il la rejoint. Par pitié, qu’il ne lui parle pas de leur mariage une fois de plus… 

« Mademoiselle…

— Monsieur…

— Avez-vous parlé à Sa Majesté d’une possible rupture anticipée du deuil ? »

À vrai dire, Gabrielle n’y a pas pensé une seule seconde en voyant Gaston ; et ce n’est pas comme si elle en a envie. 

« Je sincèrement que ce n’est pas une bonne idée, souffle Gabrielle. Attendons au moins que le deuil strict, de trois mois, soit terminé. S’il vous plait… »

Son fiancé pousse un profond soupir. Ferme un instant les yeux. Semble réfléchir. 

« C’est trop long. Je ne puis attendre aussi longtemps, peut-être quelques semaines tout au plus… 

— Pourquoi un délai de trois mois serait-il trop long ? »

Mais il évite la question d’un revers de la main et change de sujet :

« Voulez-vous danser, Mademoiselle ? »

Gabrielle est tellement interloquée par ce changement de direction qu’elle en oublie de répondre. Une part d’elle voudrait insister, obtenir des réponses, savoir pourquoi le duc souhaite un mariage, mais une autre part lui conseille de ne pas insister. Et c’est cette part d’elle-même qu’elle écoute. Elle glisse sa main dans celle de son fiancé et le laisse la guider jusqu’à la piste de danse. 

 

 

31 mai 1630

Reims

 

Cher frère,

Comment vas-tu ? Fait-il chaud au lycée de Clermont ? Oh, j’espère qu’ils vous laissent boire pendant la journée, ce serait cruel de la part des jésuites de ne pas le faire. Il fait si chaud pour un mois de mai.

Le couronnement s’est bien passé, et je rentre dès demain à Paris. J’espère pouvoir te voir bientôt, mais je dois régler avant quelques détails. Ne t’inquiète pas, tu n’as rien à craindre, continue ta scolarité comme avant. Je sais que c’est dur, que Maman n’est plus là pour t’encourager mais, je t’en prie, tente de maintenir tes bons résultats. Tu sais que ta place au collège de Clermont n’est plus garantie comme avant, et ils hésiteront à te renvoyer si tu as de bonnes notes. 

Mes fiançailles (avec le duc de La Valette) ne sont pas rompues malgré la mort de notre mère, le mariage est simplement décalé à une date ultérieure. Je pense que le duc saura attendre un délai convenable avant de fixer une date et d’organiser la cérémonie. Si tu savais comme je suis soulagée ! En plus, cela permettra sûrement à Gaston de réunir la dot, je ne suis toujours pas certaine qu’il puisse, malgré toutes ses assurances, la me payer. 

Saches que tu me manques, que j’adorerais pouvoir t’emmener avec moi, pouvoir traverser cette période ensemble, mais je suis désolée et nous ne le pouvons. J’espère que tu comprendras. 

À bientôt,

Gabrielle-Angélique de Bourbon-Verneuil, fille de France

Chapter 11: Rage

Notes:

Et une nouvelle personnage ! La véritable Marie de Montpensier n'avait sûrement pas ce caractère, mais ceci est une fiction, alors...

Enjoy !

Chapter Text

« La souffrance exige d’être ressentie »

Nos étoiles contraires, John Green

 

Marie de Bourbon-Montpensier remonte le couloir qui mène à la salle du Conseil avec suffisamment de hargne pour que les courtisans craintifs s’écartent sur son passage. 

Elle est une princesse de sang, l’ancienne duchesse d’Orléans, la nouvelle reine de France, fraichement couronnée, la mère de la fille du nouveau roi. Elle est Sa Majesté Marie de Bourbon-Montpensier, et pourtant elle n’avait même pas été invitée au Conseil qui se tient aujourd’hui. 

Son mari l’en a chassé. Sans raison. 

Alors c’est avec rage qu’elle s’avance dans la salle du Conseil, où tout le monde la regarde avec stupeur. Elle les ignore. Elle n’a d’yeux que pour son mari qui trône en bout de table. 

« Pardonnez mon retard, dit-elle d’une voix hargneuse, on n’a pas daigné me prévenir que le Conseil se tenait aujourd’hui »

Gaston pousse un profond soupir avant de répondre, ce lâche ne pouvant plus se cacher derrière de belles paroles :

« Vous n’avez pas été prévenue parce que vous n’avez pas été conviée » explique le souverain. 

C’est une chose de le savoir, c’en est une autre de se l’entendre cracher à la figure. Pendant un instant, Marie est tout simplement incapable de répondre. Puis elle se ranime, ses yeux lancent des éclairs de plus en plus inquiétants, de plus en plus dangereux. Comme une conspiration sur le point d’éclater. 

« Pourquoi ? dit-elle d’une voix froide, insensible, terrifiante. Votre épouse n’a-t-elle pas le droit de vous épauler. Je suis votre reine, Sire, et non l’une de vos relations de passage !

— Je suis le roi, c’est moi qui décide qui peut siéger au Conseil ou non. 

— Pourquoi ? » répéta-elle. 

Son regard passa sur chacun des ministres présents, espérant un soutien. Tous détournent le regard, même le comte de Moret ou César de Vendôme, qui faisaient les fiers en recevant leurs nouveaux titres la veille encore. C’est alors qu’elle aperçoit une nouvelle, une femme aux cheveux sombres et à l’allure fière qui ne faisait pas partie du Conseil hier encore. 

Qui est-ce ? La nouvelle putain de Gaston ?

« Je vois que vous avez remarquée ma nouvelle ministre, commente Gaston. Je vous présente Milady de Winter, la nouvelle cheffe de mes services de renseignement. 

— Vous n’avez pas de services de renseignement. 

— La nouvelle cheffe de mes nouveaux services de renseignement » corrige Gaston. 

Et l’autre, cette femme insolente a le culot de lui sourire, comme si elle ne venait pas de lui voler sa place au Conseil. C’en est trop pour Marie de Montpensier : la souveraine attrape les notes qu’un des ministres prenait, en fait une boule et lui lance au visage. 

Mais son humiliation continue : la boule n’atteint même pas le visage de Milady de Winter, ni même aucune partie de son corps d’ailleurs. 

« Veuillez sortir, ordonne le roi placidement. 

— Je suis votre reine ! Vous…

— Sortez, vous êtes renvoyée du Conseil, où vous n’avez jamais été officiellement admise, à vrai dire. Et puis, vous n’avez pas vraiment de sens politique, ma chère »

Cela aurait pu être le coup de grâce. Ça ne l’est pas. 

« Vous n’avez même pas été capable de me donner un fils. Et maintenant, sortez »

Marie n’est pas énervée pour désobéir à un ordre direct, surtout quand il vient d’être répété. Elle tourne les talons, oubliant volontairement que personne ne peut tourner le dos au roi, et s’en va sans la moindre révérence pour se faire pardonner son intrusion. 

Il ne mérite pas la moindre marque de respect après cela. 

 

Marie n’a plus du tout l’air de la reine distinguée et fidèle qu’elle a toujours essayé de prendre. Les digues ont cédé. 

Son mari l’a rejeté. Publiquement. Il l’a humilié devant le Conseil, devant cette gourgandine qui a osé lui voler sa place au Conseil. Elle le paiera, c’est certain. Comme si c’est écrit. 

« J’arrive au mauvais moment, à ce que je vois »

La reine relève la tête : c’est la duchesse de Chevreuse, qui vient d’apparaitre au beau milieu de la chambre. Marie ne s’en émeut même plus, cela fait des années qu’elle s’est habituée à voir la duchesse apparaitre à des endroits auxquels elle n’est pas censée avoir accès. 

« Que voulez-vous ? » lance abruptement Marie, prêt à jeter un coussin à la tête de la duchesse. 

Mme de Chevreuse ne répond pas, se contentant d’avancer vers le lit où se tient Marie, écartant du pied les coussins éparpillés sur le sol. Ceux que Marie lance depuis son retour dans ses appartements. 

« Tous les domestiques ont fui, répondit nonchalamment la duchesse, parvenir jusqu’ici a été un jeu d’enfant. Et maintenant, si nous prenions une tasse de thé ? »

Marie de Montpensier aurait volontiers refusé, mais elle sait d’expérience que la duchesse ne partira pas tout de suite, pas avant d’avoir obtenu ce qu’elle veut. Alors elle sort de son lit et sonne abruptement. 

Une servante apparait. 

« Allez chercher du thé ! aboie Marie. Et des sablés »

Elle obéit, tremblante, et les deux femmes passent dans la salle à coté pour l’attendre. 

« Tout le palais ne parle que de votre crise de rage » commente la duchesse d’un air amusé. 

Pour toute réponse, Marie de Montpensier grogne. Elle n’est pas d’humeur à faire de l’humour. 

« Que me voulez-vous ? Ce n’est certainement pas pour me faire la conversation que vous êtes venue, alors qu’attendez-vous de cette visite ? »

Tandis que la servante leur sert le thé, la duchesse affiche une mine indignée de circonstance, mais Marie la connait trop bien pour savoir que ce n’est qu’un masque. 

« Connaissez-vous Milady de Winter, duchesse ? demande Marie. 

— C’est bien ce qui vous intéresse aujourd’hui, n’est-ce pas ? Non, je ne le sais pas. Elle est sortie de nulle part le lendemain de la prise de pouvoir, a juré fidélité à Gaston puis a disparu aussi vite qu’elle est apparu. Et elle réapparait pour intégrer le Conseil. Non, je ne sais pas qui elle est, mais elle est dangereuse. Il faudra s’en méfier »

Tout cela n’améliore pas l’humeur de Marie : la duchesse est donc venue pour lui rappeler ce qu’elle sait déjà ?

« Mais je doute qu’elle soit arrivée à s’attirer à elle les faveurs de Gaston sans utiliser ses charmes »

Si Marie n’aimait pas tant le thé, sa tasse serait déjà passé par la fenêtre. Elle serre les poings, incapable de se retenir. 

« Je suis ici pour vous donner quelques conseils »

Des conseils ? Quels conseils la duchesse peut lui donner ? Sa vie est un vrai désastre, et elle n’a besoin de personne pour s’en rendre compte. Depuis ses fiançailles avec Gaston, tout va mal. Avant même le mariage, il l’a ridiculisée en lisant à ses hommes la lettre d’amour que Marie lui avait envoyé. Pendant la cérémonie, un attentat a eu lieu et elle a bien failli en mourir. Ensuite, Gaston l’a mise enceinte et l’a abandonnée au profit d’amants et d’amantes plus ou moins respectueux de l’épouse légitime de Gaston. Tout ça pour lui reprocher d’avoir eu une fille au lieu d’un fils pendant des années. Il lui fait si peu confiance qu’il ne lui a même pas parlé de son complot pour prendre le pouvoir avant que celui-ci ait lieu. Elle s’est sentie si idiote quand il le lui a appris entre deux conversations secrètes avec ses alliés, le comte de Moret et César de Vendôme. 

« Maitrisez-vous en public, continue la duchesse. Ne lui laissez pas l’occasion de vous enfoncer davantage. Rassemblez des alliés, des gens en qui vous avez confiance. Essayez d’avoir un peu d’influence ici. 

— Personne ne m’écoutera. Qui écouterait une femme qui est à peine capable de concevoir un fils pour son mari ?

— Gaston…

— Ne sait rien de la procréation. Il n’a toujours pas compris que je ne lui puis pas faire un fils toute seule. 

— Je peux arranger cela »

C’est vrai, Marie a déjà songé à avoir des amants, avec qui elle pourra concevoir des enfants. Mais elle y a toujours renoncé, car si Gaston l’apprend elle ne donnera pas cher de sa peau. 

« Et que voudriez-vous, en échange ? »

Le sourire de la duchesse de Chevreuse s’élargit. Elle pose sa tasse sur sa soucoupe, et place délicatement le tout sur la table devant elle. 

« J’ai bon espoir que vous n’oublierez pas mon aide quand vous aurez de l’influence, Votre Majesté »

Et, pour la première fois depuis son couronnement, Marie se sent enfin reine. 

Chapter 12: Mathilde

Summary:

J'ai terminé d'écrire le tome 1 !
Du coup, je pense passer à deux chapitres par semaine jusqu'à la fin du tome 1.

Enjoy !

Chapter Text

D’Artagnan se sent bien mieux maintenant qu’il ne garde plus les appartements de la reine en permanence. Il a enfin pu dormir autant qu’il le doit, et manger suffisamment à des heures normales. 

Assis à coté de Porthos, Aramis et Athos, la pire chose qui puisse lui arriver est qu’on les interrompe et qu’on interrompe leur repas à quatre. 

D’Artagnan retient un soupir en voyant Porthos se retenir de prendre la main d’Aramis. Un jour, il faudra qu’il dise à ses amis qu’il est parfaitement au courant de leur relation. Un jour. En attendant, c’est très drôle de les voir tenter de se cacher. Hilarant, même. 

« On est le premier juin, annonce Aramis. 

— Et ? fait d’Artagnan. 

— Cela fait presque un mois que Gaston usurpe le trône, explique Aramis. Ce n’est pas long, mais ça me donne l’impression que c’était il y a une éternité »

Tout le monde se sent légèrement perplexe après cette déclaration, et seul Porthos sourit comme si Aramis vient de dire une vérité brillante et indiscutable. D’Artagnan réprime un ricanement —et dire qu’ils se croient discrets !

« Combien de temps pensez-vous qu’il va y rester ? demande Porthos.

— Quelques mois, propose d’Artagnan, simplement le temps que la reine et Richelieu préparent un plan pour reprendre Paris. Avec un peu de chance, on sera de retour avant Noël »

Athos fronce les sourcils, comme s’il n’est pas entièrement d’accord avec les dires de d’Artagnan, mais ne dit rien. 

« C’est peut-être un peu optimiste, non ? remarque Aramis. C’est très bien d’être positif, mais je doute que ce soit aussi facile. Gaston va essayer de détruire la reine, et ne va pas se laisser détrôner sans rien dire. 

— Euh… Excusez-moi ? »

Les quatre Mousquetaires se retournent dans un bel ensemble, et d’Artagnan sourit à son frère, Jean, l’encourageant à continuer du regard :

« Une dame est à la porte de Samois, elle demande à parler à Porthos et Aramis. 

— Une dame ? répète Porthos perplexe. Quel est son nom ? À quoi ressemble-t-elle ?

— Elle est brune, plutôt grande. Elle a dit qu’elle se nommait Mathilde de Portau, chose qui n’a… »

Il n’a pas le temps de finir : Porthos et Aramis se sont levés d’un bond et s’éloignent déjà vers la porte du donjon. Peu importe que soit presque l’heure de leur garde, la seule chose qu’ils ont désormais à l’esprit est Mathilde. 

« Que vient-elle faire là ? grogne Aramis entre ses dents serrés. Elle devrait savoir que c’est dangereux ! Pourquoi n’est-elle pas restée au manoir familial ?

— Elle a peut-être eu peur pour nous, propose Porthos. 

— Ce n’est pas une raison ! Cela la met en danger, de même que nous. Qu’a-t-elle encore fait ? »

Porthos n’a pas le temps de répondre, car ils sont arrivés à la porte de Bourgogne. Mathilde les y attend effectivement, à coté d’un cheval gris. Elle saute littéralement dans les bras de Porthos à leur arrivée. 

« Tout va bien ? demande Porthos. 

— Il s’est passé des choses terribles » murmure Mathilde tout en enlaçant son frère à son tour. 

Elle dut finir par conclure que les bras de Porthos sont plus accueillants, car elle enlace Porthos et ne le quitte pas, si bien qu’Aramis doit se mordre la lèvre pour ne pas montrer à quel point la situation le met mal à l’aise : sa soeur enlace son mari, qui se trouve être l’amant du frère de la soeur d’Aramis.

« Et si nous allions à un endroit plus tranquille ? » propose Aramis en voyant les regards des passants sur eux, sur sa soeur qui semble épuisée. 

Le trio se réfugie à une auberge nommée l’Image Notre Dame, qui inspire confiance à Aramis rien qu’à son enseigne. On est religieux ou on ne l’est pas. 

Ils y réservent une chambre, et monnayent les soupçons de l’hôte grâce à quelques pièces. 

La chambre est propre, sans plus. Le lit est fait, les draps semblent propres et la pièce aérée régulièrement. Ce n’es pas le Louvre, mais c’est habitable.  

« Et maintenant, exige Aramis une fois Mathilde et Porthos assis sur le lit et lui-même installé sur une chaise, raconte-moi ce qu’il se passe. Pourquoi es-tu venue ici ? »

Le récit de Mathilde est saccadé, elle s’interrompt parfois pour réclamer de l’affection à Porthos, et dans ces moments-là Aramis a l’impression de devenir vert de jalousie. Il se retient et laisse Mathilde poursuivre, bien que des images peu catholiques viennent embrouiller son esprit. Que ne donnerait-il pas pour être à la place de Mathilde en ce moment-même ? S’agaçant lui-même, il se reconcentre sur Mathilde. 

Ce n’est finalement pas si compliqué : des émissaires de Gaston sont venus au château familial et ont prévenu que toute personne aidant la reine déchue ou connaissant quelqu’un aidant la reine déchu est susceptible d’être pendu sans l’ombre d’un procès. Les d’Herblay, craignant pour la vie de leur fille, dont le mariage avec Porthos était connu, ont donc décidé d’envoyer leur fille à Moret, espérant que Porthos, ou Aramis, trouvent une solution miraculeuse pour la protéger. 

« Ce n’est pas si terrible, remarqua Aramis sans la moindre compassion.  

— Ils… ils nous ont menacé. À cause de vous deux. Nos parents vont quitter le pays mais… mais ils trouvaient cela trop dangereux pour l’enfant »

Et c’est à cet instant précis qu’Aramis se rend compte que sa nièce n’est pas là. 

« Où est-elle ? demande Porthos. 

— Elle a été confiée aux bonnes soeurs du couvent voisin. Je suis censée aller la chercher avec une escorte »

De mousquetaires, ajoute mentalement Aramis.

« Un voyage de quatre jours, commente-t-il. Nous ne pouvons obtenir de congés en ce moment. Nous ne pouvons… »

Aller chercher cet enfant, mais il ne peut prononcer cette phrase à haute voix. Ce serait trop cruel. Ils iront chercher cet enfant, ils trouveront bien un moyen d’obtenir un congé de quatre jours. De toute façon, ça ne bouge pas depuis des semaines, il n’y a aucune raison qu’il se passe quelque chose en leur absence. 

« Nous trouverons un moyen » assure Porthos. 

Il ignore le regard sceptique d’Aramis et continue, pressant les mains de Mathilde (Aramis se passionne soudain pour le parquet) :

« Nous convaincrons Tréville, ou bien nous partirons en douce. Nous serons de retour avant que quiconque ne nous soupçonne d’être partis. 

— D’Artagnan et Athos devront nous couvrir. Peut-être même Tréville. 

— Tréville ne sera jamais d’accord. 

— Seulement Athos et d’Artagnan. 

— Si nous sommes découverts, nous risquons la cour martiale, et nos amis aussi. 

— J’irais seul, si ça te pose autant de problèmes »

Sauf qu’il n’était pas question que Porthos y aille seul. C’était peut-être sa fille adoptive, mais c’était aussi la nièce d’Aramis, et il s’était attaché cette enfant, bien plus qu’il ne le laissait paraître. 

« Mathilde, tu restes ici, décide Aramis. Nous partons demain à l’aube. 

— Je viens avec vous ! proteste Mathilde. C’est mon enfant, et…

— Nous attirerons l’attention si nous partons tous les trois. Il vaut mieux que tu restes ici »

Mathilde regarde Porthos à la recherche de soutien, mais celui-ci secoue la tête. 

« Tu dois rester en sécurité, ‘Thilde.

— Je ne pourrais rester ici, seule, sans avoir la moindre nouvelle pendant quatre jours ! »

Mathilde se dégage de l’étreinte de Porthos en prenant un air énervé, et repousse son mari quand celui-ci se rapproche. 

« Pourquoi vous ne me faites pas confiance ? se plaint-elle. 

— Tu restes ici, répète Aramis, et Porthos acquiesce. D’Artagnan et Athos ne tiendront compagnie. Nous serons de retour rapidement »

Mathilde soupire mais, par chance, cesse de protester. 

 

Chapter 13: Départ

Chapter Text

Le lendemain, c’est à l’aube que Porthos et Aramis partent, après s’être disputés une dernière fois avec Mathilde qui ne s’est toujours pas résignée à rester à Moret. Il a fallu que les deux Mousquetaires la piègent pour pouvoir, enfin partir. 

Ils passent par Melun, Chelles, et campent désormais à proximité de Gonesse. Pour ne pas laisser de traces de leur passage, ils décident d’un commun accord de ne pas descendre dans une auberge. 

« Mathilde me fait de la peine, commente Porthos alors qu’ils grignotent leurs maigres provisions. 

— Elle nous aurait plus embarrassé qu’autre chose. 

— Je ne parle pas de ça. Je te parle de nous. 

— Oh »

Jamais Aramis n’aurait pensé que Porthos faisait allusion à ça. 

« Si elle l’apprend, elle se sentira trahie, et elle n’aura pas totalement tort. Je trahie ma femme avec son frère. 

— Et tu la câlines devant moi, rétorque Aramis. Ce n’est pas juste non plus. 

— Que voulais-tu que je fasse ? Elle avait l’air bouleversé. 

— Ce n’est pas une raison pour…

— Si. Et puis, excuse-moi, mais tu as séduit de nombreuses femmes sous mon nez »

Aramis prit un air perplexe, qui se transformé bien vite en air outré. Comment Porthos osait-il lui reprocher cela, alors qu’Aramis faisait ça par pure précaution, avec l’assentiment de son amant, pour éviter des rumeurs fort regrettables pour des mousquetaires. 

« Et donc, reprit Aramis avec mauvaise, tu veux qu’on fasse quoi ? Tout arrêter ?

— Peut-être si ça peut rendre Mathilde heureuse. Tu ne veux pas voir ta propre soeur heureuse ? »

Belle question rhétorique. Bien sûr qu’Aramis souhaite voir sa soeur heureuse ! Il ferait n’importe quoi pour la voir esquisser un sourire. Mais il veut également Porthos et n’est pas prêt d’y renoncer, même pour les doux yeux de Mathilde. 

« Et le nôtre, de bonheur ? Qu’est-ce que tu en fais ?

— C’est égoïste de ne penser qu’à nous.

— Mathilde serait égoïste de nous empêcher d’être heureux. Et puis, qui lui dira ce qu’on fait ? »

Porthos soupire. Bien sûr. C’est de l’Aramis tout crachée ce genre de de remarque. Il pourrait lui répondre, envenimer la situation et provoquer une dispute avec Aramis, mais il n’en a pas la moindre envie. 

« Et si on dormait ? propose-t-il. 

— Je prends la première garde, annonce Aramis d’un ton sans réplique. Ce n’est pas moi qui ai passé la nuit avec ma femme »

Porthos est soudain bien content que son visage soit plongé dans l’obscurité. Ainsi, Aramis ne peut pas voir à quel point il est cramoisi. 

« Comment…

— Tu ne m’as pas rejoint hier soir »

Bien sûr. Porthos aurait dû se douter qu’Aramis le remarquerait, et trouverait la seule explication logique. Il devrait s’excuser, peut-être. Sûrement, même. Mais il n’en a pas la moindre envie alors que des images peu agréables d’un Aramis partant vers une chambre avec la première femme venue lui reviennent par vagues. Alors il s’installe le plus confortablement possible et tourne le dos à son amant. 

Et Aramis ne fait pas la moindre tentative pour lui demander des explications. 

 

————

 

« Ils sont tombés sur la tête » décrète d’Artagnan en direction d’Athos. 

Ils sont tous les deux de garde ou, plutôt, ils effectuent la garde de Porthos et Aramis, partis la veille à l’aube. Athos et d’Artagnan ont accepté à contrecoeur de couvrir leurs amis, ils ne sont pas surnommés les Inséparables pour rien, mais depuis l’instant où ils n’ont plus été à portée de voix, d’Artagnan a commencé à chercher à prouver à quel point ce qu’ils font est insensé. 

Athos grogne en guise de réponse. 

« Ils vont être absents quatre jours et nous demande de cacher leur absence pendant tout ce temps, continue d’Artagnan, comment pensent-ils que personne ne va remarquer qu’ils sont partis ? C’est déjà extraordinaire que le capitaine ne soit pas déjà venu nous demander des explications. 

— Je suis d’accord, mais tu sais comme moi que rien n’aurait pu les en empêcher. As-tu des nouvelles de Mathilde ?

— Elle ne décolère pas depuis qu’ils ont refusé de l’emmener »

La jeune femme est néanmoins réfugiée dans l’auberge où l’ont laissé Porthos et Aramis, et n’a pas cherché à les rejoindre, ce qui est en soi une bonne chose. Avec un peu de chance, elle se tiendra tranquille jusqu’au sur-lendemain. 

« S’ils se font prendre, ils risquent la cour martiale, remarque d’Artagnan qui n’en démord pas. Et ils vont déshonorer Tréville au passage, et tout le régiment. Comment…

— D’Artagnan »

Athos n’a pas haussé le ton, mais c’est suffisant pour que d’Artagnan se taise, enfin. 

« Je n’en veux plus entendre parler » continue Athos de sa même voix calme, que d’Artagnan pourtant n’ose pas interrompre comme Athos l’a fait avec lui. 

Son ami n’ose pas le contredire, et se tait, fixant le couloir comme d’habitude désert. Les rares nobles présents à Moret se terrent dans leur minuscule chambre et désespèrent silencieusement d’avoir rejoint Anne d’Autriche. Celle-ci passe ses journées dans la salle du Conseil avec ses ministres, où ils prépareraient le plan de reconquête du Louvre. Quand ? Comment ? Personne n’en a la moindre idée. 

« Sais-tu que Milady de Winter est entrée au Conseil de Gaston ? »

Athos grogne, un signe évident qu’il ne veut pas en parler. D’ordinaire, d’Artagnan en resterait là. Mais il est fatigué à cause de ses trop nombreuses gardes, et a perdu la prudence qu’il a réussi pourtant à adopter depuis des années. 

« As-tu des nouvelles… d’elle ? T’a-t-elle fait une nouvelle proposition ? »

Nouveau grognement. D’Artagnan en déduit que non. 

Tout a commencé après le siège de La Rochelle, quand Athos est retourné dans ses terres et qu’il a découvert que son fils Joseph, un charmant enfant de sept ans, avait disparu. Milady avait signé son crime avec une de ses boucles d’oreille et puis, elle ne cessait de négocier avec Athos, espérant tirer des avantages de sa prise en otage de son propre fils. 

« Tu pourrais peut-être…

— D’Artagnan »

La voix d’Athos est anormalement faible et c’est ça, plus que tout, qui réduit d’Artagnan au silence. 

 

————

 

« Ainsi, voici donc Mathilde de Portau ? »

La reine regarde avec curiosité la jeune femme qui se tient agenouillée devant elle. 

« Relevez-vous »

Mathilde et d’Artagnan obtempèrent. 

Aramis et Porthos doivent revenir le lendemain soir, mais d’Artagnan a préféré prendre les devants quant au sort de Mathilde : il l’a donc présentée à Anne d’Autriche, qui semble presque séduite par la jeune femme. Peut-être lui rappelle-t-elle Constance, mais elle va vite s’apercevoir que les deux femmes n’ont pas du tout le même caractère. 

« J’ai entendu dire que vous n’aviez plus de dames de compagnie, commence d’Artagnan, avec prudence, sur un signe d’Anne d’Autriche. Et j’ai pensé à Mathilde : elle est arrivée il y a trois jours. 

— Et pourquoi être venue ici, madame ? » interroge la reine. 

Il n’y a pas le moindre piège dans la question, et pourtant d’Artagnan ne peut s’empêcher de se raidir. 

« Je suis mariée avec le mousquetaire Porthos et la soeur d’Aramis, explique Mathilde, et mes parents m’ont fait venir pour me mettre en sécurité »

D’Artagnan espère qu’ils n’ont pas fait de faux pas. 

« Et vous me la recommandez comme dame de compagnie, d’Artagnan ?

— Mathilde est de bonne famille, elle a de l’esprit, et sa réputation est sans tâche »

C’est sûrement un peu exagéré, mais la reine ne peut pas savoir que Mathilde a eu une aventure avec Villeneuve de Radis, n’est-ce pas ? Ni que son fils n’est pas celui de Porthos, bien que le Mousquetaire l’ait reconnu ?

« Il est vrai que je me sens assez seule, reconnait la reine. Un peu de compagnie ne me ferait pas de mal »

Anne d’Autriche scrute pensivement le visage de Mathilde quelques instants encore, mais d’Artagnan sait que sa décision est déjà prise.

« Je vous prend à l’essai, annonce la reine. Merci infiniment de me l’avoir recommandée d’Artagnan, vous pouvez retourner à votre poste »

Chapter 14: Fiançailles

Notes:

Et Gabrielle est de retour ! Je sais pas vous, mais moi c'est clairement ma personnage préférée

Chapter Text

Mlle de Verneuil tremble en patientant dans l’antichambre de Gaston d’Orléans. Ce dernier l’a convoquée tôt le matin, et elle n’a pas la moindre idée de pourquoi. Ce n’est pas la première fois qu’il tente de se rapprocher d’elle, bien au contraire, mais cette pensée ne la rassure guère. Surtout qu’elle a entendu dire que Gaston et le duc de La Valette ont discuté jusqu’à tard dans la nuit. Qu’ont-ils bien pu se dire ? Elle espère naïvement que ça n’a pas de rapport avec elle, mais ne peut s’en convaincre. 

Au bout qu’un quart d’heure, on la fait finalement entrer dans la salle. Gaston d’Orléans est assis dans un fauteuil et lui fait un signe amical de la main. Gabrielle-Angélique s’incline puis, sur un signe du roi, s’installe à son tour. Comme voulu par l’étiquette, elle attend que Gaston lui adresse la parole.

« Combien de temps de deuil vous reste-t-il ? » demande le roi.

La question surprend Gabrielle, qui répond :

« Cinq mois, Sire »

Elle n’ose dire qu’elle prévoit de le porter un peu plus longtemps, cela ne plaira sans doute pas à Gaston qui, d’après son soupir, trouve ce délai trop long à son gout.

« Ce sont les convenances, Sire »

Sa remarque ne semble pas plaire au roi, qui fait une moue, et Gabrielle se surprend à craindre une disgrâce soudaine et irréversible. Heureusement que personne n’est là pour la surprendre…

« Le duc de La Vallette est venu me demander votre main. Il semble ardemment désirer vous épouser »

Mlle de Verneuil acquiesce silencieusement. Cela est une nouveauté pour personne. Mais si le duc est venu voir le roi directement, c’est qu’il en a assez des réponses évasives de sa fiancée et qu’il souhaite que le mariage soit conclu au plus vite. Alors il a décidé de passer outre les demandes de temps supplémentaire de Gabrielle et s'est adressé directement au roi, à qui Gabrielle ne pourra résister longtemps. Mais pourquoi un tel empressement ?

« Je ne puis l’épouser en période de deuil, ose toute de même Gabrielle.

— Ce n’est pas un problème, je peux aisément vous ordonner d’en finir avec tout ce noir ridicule »

Tout ce noir ridicule ? Gabrielle vient de perdre sa mère. Une des rares personnes proches d’elle. Elle estime de pas faire de caprice en portant le deuil quelques semaines et en refusant de parler de mariage pour quelques mois. Néanmoins, elle n’ose présenter son point de vue au roi et reste silencieuse.

« Le mariage vous apporterait beaucoup, déclare finalement Gaston. Et, surtout, il montrerait à quel point le trône est solide et que la crise est terminée. Les La Valette sont une grande famille noble, une alliance avec celle-ci nous avantagerait, ne pensez-vous pas ? »

Au moins, c’est dit. Gaston pense moins à son bonheur qu’à la solidité de sa propre couronne sur sa tête.

« M’êtes-vous loyale, Gabrielle ? »

— Bien sûr, Sire, s’empresse de répondre Gabrielle sans même réfléchir à la question. Je vous dois cette loyauté, et vous pouvez en être assuré »

Après tout, ce n’est pas comme si Gabrielle avait le moindre avis politique, ou une quelconque préférence pour Gaston d’Orléans ou Anne d’Autriche.

« Alors je vous ordonne de rompre ce deuil, et je décrèterai ce soir que votre mariage avec le duc de La Valette aurait lieu dans une semaine.

— Une… une semaine ? »

Cela lui a échappé.

« Dans une semaine, vous gagnerez un titre de duchesse, Gabrielle, et la couronne une alliance solide »

C’est beaucoup trop rapide ! voudrait dire Gabrielle. Mais il n’est pas permis de critiquer les décisions du roi.

« Mais… la dot ? tente-elle timidement, espérant allonger le délai. Elle a besoin de temps pour se préparer à l’idée. De plus de temps que le roi ou le duc semblent prêts à lui accorder.

— Le duc vous prend sans dot » affirme Gaston.

C’est inhabituel, et Gabrielle remercie en silence le duc de ne pas avoir réclamer cet argent à Gaston, qui n’aurait jamais pu réunir une telle somme avant plusieurs années. Cela aurait été un très bon moyen d’empêcher le mariage, et Gabrielle est presque déçue de cette générosité de la part du duc.

Oh, faites qu’il ne réclame pas le devoir conjugal trop vite !

« Vous pouvez y aller, Mademoiselle »

Gabrielle s’incline et sort sans un mot, encore tremblante de l’ordre du roi. Elle ne prête pas attention aux courtisans et regagne ses appartements, ou plutôt sa salle de musique et son piano, avant d’ordonner à une servante d’aller chercher sur-le-champ la duchesse de Chevreuse.

En attendant, Gabrielle caresse du bout des doigts les touches blanches du piano. La duchesse de Chevreuse s’est montrée aimable avec elle, et les deux femmes ont fait connaissance pendant le trajet de Reims à Paris. C’est la seule personne à qui Gabrielle peut parler de son mariage imminent. La duchesse a été mariée deux fois, elle pourra peut-être la comprendre, la rassurer, la conseiller. Du moins, c’est ce qu’espère Gabrielle.

La duchesse ne tarde pas à entrer dans la pièce et adresse son plus beau sourire à Mlle de Verneuil.

« Tout va bien ? Vous me semblez pale ? »

Gabrielle se mord la lèvre et, après quelques hésitations, raconte toute son entrevue avec le roi à Mme de Chevreuse, qui écoute attentivement.

« C’est étrange que le duc de La Valette vous prenne sans dot, sans rien attendre en retour. Est-il amoureux ?

— Je… je ne pense pas, répond Gabrielle qui se rend compte qu’elle n’en a pas la moindre idée. En tout cas, il ne m’a rien dit.

— De toute façon, je connais le duc et il n’est jamais désintéressé. Que peut-il espérer de cette alliance ? Des titres ? Des charges ? De l’argent ? »

Gabrielle doit bien reconnaitre qu’elle n’en sait rien.

« Y a-t-il un moyen de savoir ? demande-t-elle.

— Je pourrais chercher, propose la duchesse.

— Vraiment ? »

La surprise de Mlle de Verneuil est sincère. Elle n’aurait pas imaginé tant de la duchesse, à qui elle n’a après tout rien à offrir. L’idée d’avoir une alliée la rassure, lui fait presque oublié son frère qui ne dépend que d’elle. Elle a décidément eu une bonne idée en se rapprochant de la duchesse.

« Merci beaucoup »

La duchesse lui sourit en retour, puis enchaine vers des sujets de conversation moins personnels, comme la constitution de la Garde pourpre par le comte de Moret, qui en est le capitaine, la dernière crise de nerfs de Marie de Montpensier — la femme de Gaston, ou l’arrestation d’un espion dans les rangs de la Garde personnelle de Gaston grâce à Milady de Winter. 

Au bout d’un moment, Gabrielle n’écoute plus que d’une seule oreille. Elle s’imagine en robe blanche, devant l’autel, en train de prononcer des voeux face au duc de La Valette. Elle déteste déjà ce nom, voudrait garder celui de sa mère, Verneuil. Oh, pourquoi n’a-t-elle pas fui après le meurtre de sa mère ? Elle aurait pu se réfugier auprès d’Anne d’Autriche. Pourquoi a-t-elle suivi le duc de La Valette ce jour-là ? Si elle avait suivi l’ancienne reine, elle ne serait pas obligé d’épouser un homme qu’elle ne connait à peine et qui se marie pour des raisons plutôt obscures, puisqu’il la prend sans dot.

Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ce jour-là ?

 

Chapter 15: Philtre d'amour

Notes:

Vous vous êtes réveillée et vous avez eu envie de lire un chapitre où une personnage fait une crise de colère ? Non ? Ben vous l'aurez quand même

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

La duchesse de Chevreuse se glisse de l’appartement de Mlle de Verneuil, avec qui elle a passé quelques heures, vers celui de Marie de Montpensier. Celle-ci doit y être à cette heure, sûrement en train de prendre un thé solitaire. On ne peut pas dire que la nouvelle reine ait beaucoup d’amis, après avoir été évincée du conseil et avoir été insupportable avec tout le monde pendant des semaines. 

Pourtant, la duchesse revient toujours la voir. Ce n’est pas par affection, mais par calcul. Par opportunisme. Elle sait que Marie de Montpensier, un jour, la récompensera pour sa loyauté. Tout comme Mlle de Verneuil le fera quand la duchesse la soutiendra après son mariage. Peut-être que la duchesse pourrait y gagner une place enviée à la cour…

Pour le moment, Mme de Chevreuse se fait annoncer et entre chez la reine, qui repose sa tasse de porcelaine sur sa soucoupe, puis sur la taille. Comme il se doit, la duchesse s’incline et attend la permission de la reine avant de s’assoir. 

« Mes hommages, Votre Majesté, déclare la duchesse. 

— Duchesse. Que diable venez-vous faire ici ? »

La duchesse ne prend pas la peine de remarquer que la reine vient de jurer, se contentant de noter ce fait dans sa tête. Il pourrait peut-être être utile plus tard. Peut-être. 

« Le mariage de Mlle de Verneuil et du duc de La Valette aura lieu dans une semaine, soit le 12 juin »

Marie de Montpensier ne semble pas surprise. Ou alors, elle s’en fiche. Ce qui n’empêche pas la duchesse de continuer :

« Il la prend sans dot. Étrange, n’est-ce pas ?

— Je connais à peine le duc, se contente de dire la reine. Cela m’importe peu. Qu’il se marie avec qui il veut, avec ou sans dot, cela m’indiffère. 

— Ne voulez-vous pas savoir en contrepartie de quoi le duc a accepté une pareille alliance ?

— Non »

La duchesse sait reconnaitre un refus ferme et définitif. Cela en est un.

« J’ai eu une nouvelle idée » annonce Marie de Montpensier. 

Mme de Chevreuse lui sourit pour l’encourager à continuer. Plus elle saura de choses sur la reine, plus il lui sera facile de la manipuler pour la faire aller là où la Chevreuse veut qu’elle aille. Elle est donc impatiente de savoir ce qu’elle manigance. 

« J’ai décidé de faire prendre un philtre d’amour au roi, s’explique la reine quelques instants plus tard, reprenant sa tasse de thé pour la terminer. 

— Êtes-vous certaine que cela va marcher ? demande la duchesse, qui ne peut s’empêcher d’être sceptique. Elle n’a jamais cru à cette sorcellerie. 

— Certaine. Et vous me servirez d’intermédiaire entre la fabricante et moi. Vous allez bien pouvoir me trouver cela quelque part ? »

Bien sûr, cela est tout à fait possible.

C’est la réponse que Marie de Montpensier attend. D’ailleurs, c’est vrai : la duchesse a déjà eu recours à cette sorte de gens par le passé, elle sait où et comment en trouver des sûrs. Mais la duchesse ne fait rien qui ne lui apportera aucun bénéfice. C’est un de ses principes, et elle y tient. Aussi laisse-t-elle mijoter la reine qui, contrairement à Mlle de Verneuil, est suffisamment intelligente pour savoir que la duchesse de Chevreuse n’attend pas rien de leur relation. 

« Que voulez-vous en échange ? »

Mme de Chevreuse a un sourire. 

« Je sais que vous n’êtes pas là pour mes beaux yeux. Vous êtes une intrigante, une courtisane, vous ne faites jamais rien pour rien. Donc, que voulez-vous en échange ?

— Je veux que vous trouviez pourquoi le duc de La Valette a accepté de se marier avec Mlle de Verneuil sans dot. Il y a forcément une raison. Trouvez-là. Pendant ce temps, je me procurerai votre philtre d’amour »

La réponse a fusé aussitôt. La duchesse avait déjà réfléchi à ce qu’elle demanderait en retour. 

« Mais, continue prudemment la duchesse, je doute que cela soit suffisant pour regagner l’affection du roi. 

— Et pourquoi ? » s’étrangle la reine. 

Elle semble choquée par la question de la duchesse, comme si elle ne parvenait pas à admettre qu’elle pourrait, peut-être avoir tort. 

« Puis-je vous parler sincèrement, Votre Majesté ?

— Oui. 

— Le roi en a assez de vos sautes d’humeur. De vos crises de rage. Vous vous humiez en permanence en public, et la honte rejaillit aussitôt sur lui. Savez-vous ce que la cour murmure ? Que vous êtes hystérique. Folle. Et le roi ne peut se permettre de garder à ses cotés une hystérique et une folle au Conseil, dans une salle de bal ou devant un ambassadeur. C’est à ce problème-là que vous devez vous attaquer si vous voulez regagner l’affection de votre époux. 

— Et comment ? demande froidement la reine. 

— Soyez calme, droite. Maitrisez vos nerfs en toutes circonstances. Souriez à tous, ayez un mot aimable pour les favoris du roi, et ignorez les disgraciés. Parlez de broderie, complimentez le roi, mais surtout, surtout, ne parlez pas de politique. Ce serait par trop mal vu. Gardez-vous de donner votre avis en public, personne n’en veut et c’est hélas mal vu qu’une femme le donne »

Pendant le discours de la duchesse, Marie de Montpensier s’est considérablement renfrogné. Son humeur éclate quand elle lance sa tasse de thé vide à l’autre bout de la pièce. 

« Cela, par exemple, est à éviter à tout prix »

Le ton légèrement moqueur de Mme de Chevreuse ne calme pas les nerfs de la reine. 

« Ainsi, il me faut rentrer dans l’ombre de mon mari et faire taire ma voix ?! Comment osez-vous, comment osez-vous émettre pareil avis ?

— Officiellement, vous ne serez rien. Officieusement, cela peut être tout autre chose. Beaucoup d’hommes puissants ont, dans l’ombre, une femme qui les guide et les conseille. Vous pourriez avoir ce rôle pour Gaston de France. 

— Et devenir invisible ! Jamais ! »

L’ambition de Marie de Montpensier est bien trop grande pour qu’elle se contente de l’ombre. Elle veut du pouvoir, de l’influence, dans la lumière. Pas dans l’ombre de son époux. 

« Le plus urgent est que vous vous réconciliez avec le roi, continue la duchesse imperturbable. Il vous faut lui être agréable. Au moins, cessez les crises de nerfs devant la cour. Cela fait mauvais genre »

La duchesse espère arracher au moins cette concession à la reine. Peut-être que, concession après concession, la duchesse acceptera de se laisser guider. 

« La cour respectera toujours plus une femme au calme olympien qu’un homme piquant une crise à la moindre contrariété. Ne pensez-vous pas ?

— Si, si, marmonne la reine, se sentant entrainée vers des eaux où elle ne voulait point aller. Retirez-vous, désormais, j’ai besoin de me reposer »

La duchesse sort sans un mot. Elle sait qu’elle a gagné. Elle a perturbé suffisamment la reine pour que celle-ci croit en ses conseils. Bien sûr, ils ne sont pas totalement faux. La duchesse sait qu’elle a raison en conseillant à Marie de Montpensier de revoir son attitude en public. Mais, si elle était à la place de la reine, elle n’agirait pas ainsi. Certainement pas. Elle n’est jamais restée derrière ses maris. Où est-il, le duc, pendant qu’elle chercher à survivre à la cour avec les meilleurs avantages possibles ? Chez l’ancienne reine, Anne d’Autriche, en train de la supplier de le croire sincère quand il est venu la voir. L’espace d’un instant, la duchesse pense que ce serait un spectacle amusant à voir, puis elle chasse cette pensée. Elle a d’autres choses à faire que de penser à son mari. 

Lui ne lui a jamais rien apporté, et ne lui rapportera jamais rien. 

 

Notes:

Pensez-vous qu'un philtre d'amour pourrait fonctionner ?

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