Chapter 1: La Fin des Temps
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"Nous allons chanter pour vous Docteur, l'univers va chanter pour vous endormir.”
Le Docteur avait froid, recroquevillé sur une nappe de neige à peine fondue, il regardait désespérément les flocons s’écraser un à un sur sa main déjà tremblante. Le temps ne jouait pas en sa faveur. Quelle ironie…
Un chant d’abord faible résonna dans ses oreilles. Le Docteur leva les yeux sur Ood Sigma qui se tenait immobile face à lui. Un air compatissant semblait se dessiner sous les tentacules qui camouflaient le bas de son visage. Il tenait fermement son cerveau secondaire contre son cœur et le pouvoir du chant télépathique des Oods gagna en puissance, retentissant dans tout l’univers. Partout, on pleurait la fin des temps.
Avec difficulté, le Docteur se releva, ses membres tremblaient frénétiquement et son corps était parcouru de secousses incontrôlables. Il sentait déjà le lindos qui sillonnait son organisme se multiplier. Il avait retardé son état de grâce le plus longtemps possible, mais il se retrouvait maintenant submergé par des vagues de douleurs qui ne prendraient fin qu’une fois sa régénération achevée.
"Cette chanson touche à sa fin, mais l'Histoire, elle, n'est jamais terminée….," déclara sereinement Ood Sigma.
Le Docteur se dirigea en titubant vers son seul refuge, sa cabine de police bleue, son Tardis. Il était effrayé, car il savait que son temps était venu. En ouvrant la porte, il réprima un sanglot. C’était trop tôt. Ça arrivait toujours trop tôt. Il n’était pas prêt à partir et pourtant plus rien ne le retenait.
Toujours chancelant, il ôta son manteau qui l’avait accompagné durant toutes ses années à travers l’univers pour le jeter, dépité, sur l’une des nombreuses structures qui composaient son vaisseau. La solitude qu’il ressentait depuis la perte de tous ses compagnons le rongeait dorénavant jusqu’à la moelle.
Le Docteur sentit sa main crépiter, agitée par une nouvelle forme d'énergie. Avec désespoir, il constata la lumière dorée qui en émanait, synonyme de l’inévitable processus de régénération de ses cellules. Le fardeau d’être le dernier des Seigneurs du temps devenait insupportable à porter.
Ébranlé par ses constatations, le Docteur détourna son attention du halo lumineux qui dansait vigoureusement autour de sa main et se traîna vers la console de contrôle. Il était temps pour lui de quitter la Terre. De laisser derrière lui sa culpabilité et son héroïsme tâché d’égoïsme.
Avait-il seulement été un bon Docteur ? Traumatisé par le passé, mais le considérant avec nostalgie, il ne gardait jamais rien de ce qu'il aimait. Ses proches disparaissent presque toujours ou souffraient fortement à cause de ses aventures, ne restant jamais à ses côtés. Ils existaient dans sa mémoire et, finalement, dans des moments inaccessibles du temps. Comme un paradoxe ambulant, le Docteur représentait à la fois la planète Gallifrey qu'il avait tant aimée et détruite, mais aussi l'avenir qu'il pourrait sauver. Dans l'ombre d'un passé nostalgique qu'il détruisait constamment pour le bien d'un avenir collectif, il sacrifiait ce qu'il aimait le plus pour assurer la pérennité de la mémoire multidimensionnelle.
Était-ce donc là tout ce qu’on retiendrait de lui ? Celui qui regrette ?
Le chant des Ooods s’éteignit petit à petit comme une bougie dont la cire venait à manquer.
“Je ne veux pas m’en aller,” ses derniers mots résonnèrent comme un cri d’agonie dont seul le silence fut témoin.
Son corps s’illumina de mille feux et émis une décharge d'énergie dorée d’une telle intensité que les vitres explosèrent, la salle de contrôle fut détruite en grande partie et le Tardis prit feu.
Partout dans le vaisseau, les étincelles fusaient, les flammes se multipliaient et la structure s’écroulait alors que son corps continuait d’expulser ce trop-plein d’énergie qu’il avait accumulé après avoir subi de fortes radiations. Et parmi ce chaos erratique, la conscience du dixième Docteur s’effaça lentement pour laisser place à un nouveau Seigneur du Temps.
Dans un cri de douleur, ses cellules se divisèrent pour mieux se reformer, son organisme fut secoué d’une onde de choc, son visage changea de forme et une toute nouvelle personne apparue au milieu d’un fracas de débris.
“Mes jambes ?” S’inquiéta-t-il en vérifiant si elles étaient bien à leur place. “J’ai toujours mes jambes !” Constata-t-il, rassuré, en embrassant le bout d’une de ses cuisses. “Excellent !” Se réjouit-il.
“Des bras ! Oh des mains !” S’émerveilla-t-il comme un enfant de 11 ans devant un jouet du Père Noël. “Avec des doigts ! Des tas de doigts !” S’extasia-t-il. Il décida de poursuivre son inspection en tâtonnant son visage.
“Des oreilles, oui. Des yeux, un nez ?” Il eut l’air déçu par ce dernier, mais se rassura en se disant qu’il avait connu pire.
“Un menton, des cheveux…,” il fut soudainement pris au dépourvu.
“Je suis une fille ?” S’exclama-t-il comme horrifié par cette découverte, mais il se ressaisit bien vite. “Non, je ne suis pas une fille !” Il agrippa une de ses mèches pour la mettre à hauteur de ses yeux. “Ah, mais je ne suis toujours pas roux,” se lamenta-t-il en s’agitant dans tous les sens, perturbé par tout ce qui se passait autour de lui.
“Il y a autre chose ! Quelque chose d’important ! Je suis…,” il s’efforça de se souvenir de qui il était, en vain.
Une explosion vint le sortir complètement de ses pensées et de sa confusion totale sur la situation qu’il était en train de vivre. Mue par un instinct primitif, il se dirigea vers ce qu’il restait de la console de contrôle. Malheureusement, il ne sut quelles commandes effectuer alors que le Tardis dérivait dans l’inconnu, désorienté par l’explosion qu’il avait subi quelques secondes plus tôt.
“Je suis en train de m’écraser !” Constata-t-il, impuissant.
L’espace temps se distordit soudainement pour laisser apparaître sept fenêtres temporelles possédant chacune une particularité bien différente de l’autre, mais s’emboîtant toutes parfaitement telles des poupées russes.
Le onzième Docteur, toujours perdu dans une transe amnésique, vit apparaître les 7 fenêtres sur son écran de contrôle et, ne sachant que faire, il appuya hasardeusement sur un bouton en hurlant à pleins poumons :
“Geronimoooooo !”
Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine…, désolée, mauvais lore.
Morpheus était las de cette soirée. Le banquet qu’il avait organisé touchait à sa fin et il n’avait toujours pas la moindre idée d’à qui confier la clé de l’Enfer. Parler à tous ces Dieux, anges, démons, fées, forces du Chaos, de l’Ordre et autres entités obscures l’avait mentalement épuisé. Au final, il avait l’impression d’avoir perdu son temps. Presque tous, sauf exception, convoitait cette clé pour des raisons personnelles, essayant de le soudoyer, de le menacer ou même de faire appel à ses sentiments, pour parvenir à leur fin.
Le très énigmatique Kilderkin, une manifestation de l’Ordre, lui avait offert sa collection personnelle d’essences de rêve venant d’êtres humains récemment décédés. Morpheus avait frissonné de dégoût rien qu’à l’idée de posséder ces essences. Ce genre de rêve ne l’intéressait pas, de plus, il pouvait aisément se les procurer lui-même. Il était Dream of the Endless après tout.
Lord Kilderkin avait clairement un esprit des plus tordus et son offrande se révélait être un affront plutôt qu’un réel cadeau qui devait supposément servir à le soudoyer. Sans compter le fait qu’il se manifestait sous la forme d’une boîte en carton, portée par son serviteur, et communiquait via des messages imprimés qui apparaissaient dans cette même boîte. Bref, il ne semblait pas du tout apte à devenir le nouveau propriétaire de l’Enfer.
Peu après, vint à Morpheus, la jeune Princesse du Chaos qui prenait visiblement un malin plaisir à adopter une apparence enfantine, ce qui contrastait grandement avec sa véritable nature qu’elle ne tarda pas à dévoiler sous forme d’une menace non déguisée. En effet, pour effrayer Morpheus, la Princesse avait revêtu son véritable visage ; celui d’une femme âgée aux traits creusés, cerné de deux yeux vides, blancs de toute expression. Elle avait déclaré d’une voix tonnante que toute l’armée du Chaos le poursuivrait jusqu’à la fin des temps s’il ne lui remettait pas la clé.
Morpheus n’avait cependant pas été ébranlé le moins du monde face à cette menace, après tout, il avait connu pire et des choses bien plus épouvantables pouvaient lui arriver. En fin de compte, la Princesse du Chaos lui avait tendu un ballon rouge qu’il avait accepté avec réluctance, puis s’en était allée sans demander son reste. Quelle fille étrange et ambiguë avait pensé Morpheus, sur certains aspects, elle lui rappelait même sa petite sœur, Delirium. Définitivement trop instable pour devenir la Reine de l'Enfer.
Alors que Morpheus continuait de maugréer contre le mal de tête que lui donnait cette clé de malheur, le mystérieux Susano-O-No-Mikoto l’avait poliment interpellé. Il lui avait raconté sa sombre histoire de jeune Dieu des tempêtes, qui, dans sa colère, avait fini par blesser ceux qu’il aimait le plus, sa famille. C’est ainsi que son père l’avait banni dans le monde souterrain du Ne-no-Kuni. Et que, dans cet enfer, il avait appris de ses erreurs en découvrant notamment que même sur la terre des morts, des racines pouvaient pousser.
Morpheus commençait enfin à se dire qu’il avait potentiellement trouvé un candidat approprié pour diriger l’Enfer. Cependant, il avait appris à se méfier des apparences et la miséricorde n’avait jamais été un de ses points forts. Il garda donc en tête que Susano-O-No-Mikoto méritait son attention, mais qu’il devait garder ses précautions et ne pas tomber dans le panneau de la compassion humaine.
Perdu dans ses réflexions, Morpheus avait continué son chemin sans même se soucier du banquet qui battait son plein animé par la nouvelle attraction de Caïn. Il daigna seulement lever la tête alors qu’il approcha d’Odin, père de Tous. Ce dernier souhaitait sans grande surprise le soudoyer pour récupérer la clé de l’Enfer. Sans détour, Odin lui proposa de lui donner la location de son frère disparu, Destruction. Morpheus fut étonné par cette révélation, sachant pertinemment que son frère resterait introuvable tant qu’il le souhaiterait.
La vérité ne tarda pas à éclater. Odin souhaitait la clé de l’Enfer uniquement pour sauver son peuple du Ragnarök. Il pensait qu’en investissant un nouveau territoire, il parviendrait à mettre fin aux luttes permanentes qui secouaient les royaumes d’Asgard, de Jötunheim et de Svartalfheim. Mais Morpheus n’était pas de cet avis, il avait peur que cette nouvelle situation ne ferrait que déplacer les conflits territoriaux jusqu’aux Enfers.
Odin insista sur le fait qu’il devait protéger son Royaume tout comme Morpheus devait protéger le sien. Et sur ce, il lui souhaita une bonne nuit et se dirigea vers sa table pour rejoindre les siens.
“Qui a envie de saucisses bien moelleuses ?” S’exclama Caïn en sortant de sa machine douteuse des boyaux bien ficelés qui provenaient avec certitude du pauvre Abel.
À côté de lui, Goldie, la gargouille adoptée par les deux frères, semblait complètement dépitée et émettait des petits cris d’insatisfaction pendant que la foule en liesse applaudissait fortement les exploits de Caïn.
“Est-ce qu’Abel s’est vraiment transformé en saucisses ?” S’étonna la Princesse du Chaos.
“Oui, parfaitement !” Confirma Caïn en brandissant le collier de boyaux qu’il mit peu après autour de son cou.
“Merci ! Si vous avait aimé le spectacle, parlez-en à vos amis ! Si vous n’avez pas aimé, j’espère que vous aurez un cancer de la gorge et que vous allez mourir sans jamais plus pouvoir prononcer un mot !” La salle applaudit généreusement Caïn, très divertie par le spectacle qu’on leur avait gracieusement offert.
“Bonne nuit !” Salua-t-il son public en soulevant sa cape de manière dramatique.
C’était maintenant au tour de Morpheus de s’exprimer, bien que ce dernier n'en ait aucune envie. Moyennant une désinvolture non dissimulée, il prit place au centre de la scène qu’avait utilisée Caïn pour amuser la galerie. Tout le monde le regardait avec insistance et appréhension, se demandant quelle pouvait être la décision prise par Dream of the Endless, le propriétaire actuel de la clé de l’Enfer, convoitée par tant.
“Chers invités, cela conclut la soirée. Quant aux raisons qui vous ont amenés ici, j'ai beaucoup à réfléchir,” déclara-t-il de sa voix grave, accentuant la tension qui régnait actuellement dans la salle du banquet.
“J’annoncerai ma décision demain. En attendant, je vous suggère de -"
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, car il fut interrompu par un éclat de voix qui siffla de plus en plus fort dans ses oreilles.
“Geronimoooooo !”
Et dans un fracas meurtrier, une boîte bleue à moitié en feu s’écrasa à quelques centimètres de Morpheus qui n’avait pas daigné bouger d’un pouce.
Cette soudaine apparition déclencha une réaction en chaîne d’exclamations de surprise, de cris de stupeur et d’une nouvelle vague d’applaudissements.
“Seigneur Morpheus ! Quelle est donc cette nouvelle diablerie sortie tout droit de votre Royaume des rêves ?” Interrogea furieusement Thor, le fils d’Odin, qui paraissait prêt à dégainer son marteau.
C’était là une bonne question à laquelle Morpheus n’avait malheureusement pas de réponse. Son expression resta de marbre malgré cette situation qui le dépassait. Intrigué, il descendit nonchalamment de la scène pour aller observer de plus près ce que lui réservait cette boîte bleue renversée à l’horizontale. Il eut à peine le temps d'examiner proprement l’objet de son attention que les portes s’ouvrir brutalement sur un nuage de fumée qui embaumât bien vite les quelques spectateurs qui s’étaient aventurés trop près de ce qui ressemblait vraisemblablement à une cabine de police. Après un certain temps, un grappin s’accrocha en haut de l’ouverture et une silhouette se détacha du brouillard de vapeur qui commençait tout juste à se dissiper.
“Est-ce que je peux avoir une pomme ?”
Chapter 2: Doctor Who ?
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“Est-ce que je peux avoir une pomme ?”
Toute la salle devint muette en découvrant avec stupéfaction l’inconnu, perché sur le haut de sa boîte bleue, qui débarquait de nulle part comme s’il venait d’entrer dans un bar pour commander une bière.
De son côté, Morpheus regarda le nouveau venu d’un œil circonspect. Celui-ci avait une allure complètement débraillée ; ses cheveux bruns trempés pendaient misérablement autour de son visage tandis que quelques mèches rebelles se dressaient en épis, son menton proéminent éclaboussé de paillettes lui donnait un air enfantin, sa chemise bleue à moitié déboutonnée était généreusement tâchée de suie et sa cravate commençait ostensiblement à se dénouer.
“Je n'ai que ça à l’esprit, des pommes… J’adore les pommes !” Déclara vivement l’inconnu, “c’est peut-être ce qu’on appelle une envie ? C’est bien ça ? Je n’en ai jamais eu auparavant,” ajouta-t-il comme s’il venait de naître et de découvrir le monde.
La curieuse cabine de police bleue émit alors un son des plus étrange, ce qui fit sursauter l’assemblée. Même les anges Duma et Remiel qui étaient restés parfaitement impassibles jusque-là, agitèrent précipitamment leurs ailes pour s’éloigner de la scène. Morpheus décida aussi de se mettre en retrait pour évaluer le potentiel danger que représentait cet homme ou nouveau-né.
“Vous êtes sûr que tout va bien, monsieur ?” Demanda Lucienne, la bibliothécaire du Royaume des Rêves qui avait assisté à la scène de loin, tapis dans l’ombre d’un des nombreux piliers de la salle du banquet.
“Ah ça ?” Se désigna-t-il lui-même ayant au moins conscience de son état déplorable, “ce n’est rien, juste une petite chute !” Assura l’inconnu en relevant ses manches détrempées, “je me suis retrouvé tout au fond dans la bibliothèque, ça n’a pas été facile de remonter,” continua-t-il en faisant passer ses jambes par-dessus la cabine pour adopter une position plus confortable.
“Et pourquoi êtes-vous tout mouillé ?” Questionna Lucienne.
“J’étais dans la piscine,” répondit-il simplement, comme si c’était une évidence.
“Mais vous venez de parler d’une bibliothèque,” insista Lucienne, déroutée par les réponses incohérentes de son interlocuteur.
“Oui, c'est là qu’est la piscine !”
Un silence accueillit ses propos. Tous, ou presque, le prenait pour un fou.
“Est-ce que vous êtes un policier ?” S’enquérit curieusement la Princesse du Chaos.
“Pourquoi ? Est-ce que tu as appelé un policier ?” L’interrogea-t-il en arquant un sourcil.
“Est-ce que vous êtes venu pour la clé de l’Enfer ?” Grogna Azazel, le Seigneur des démons était prêt à dévorer l’âme de chaque personne qui convoitait ce qui lui revenait de droit.
“Quelle clé ?”
L’inconnu fut alors pris de violents spasmes et tomba maladroitement de son promontoire pour s’écraser lourdement sur le sol marbré de la salle du banquet.
“Tout va bien !” Hurla-t-il entre deux gémissements de douleur, “ce n’est rien du tout, tout cela est parfaitement norm-”
Il fut interrompu par une ultime crise de convulsion de son corps. L’air sembla lui manquer pendant quelques secondes et finalement, après une inspiration profonde, sa bouche s’ouvrit pour expulser une traînée de lumière dorée.
Encore une fois, la salle entière se tue totalement devant l’étrange phénomène qui se déroulait sous leurs yeux.
“Qui êtes-vous ?” Tonna une voix grave qui résonna dans toute la pièce.
“Je n’en sais encore rien,” répondit honnêtement l’inconnu, “je ne suis pas tout à fait fini”, ses mains brillaient de la même lumière que ses poumons avaient éjectée juste avant. “Est-ce que ça vous fait peur ?” Demanda-t-il attentivement.
“Non, vous semblez juste être un fou tout droit sorti d’une boîte bleue,” répondit ironiquement Loki, le second fils de Thor ou du moins officiellement.
“Non, je veux dire, la clé de l’Enfer, est-ce que ça vous fait peur ?” Précisa l’inconnu.
Personne ne sut que lui répondre. C’était une question à la fois stupide et déroutante.
“Dans ce cas, il n’y a pas une seconde à perdre !” S’exclama-t-il, en se relevant d’un bond agile sur ses deux pieds. “Je suis le Docteur, faites bien tout ce que je vous dis, ne posez pas de questions idiotes et ne vous en allez pas trop loin,” déclara-t-il expéditivement.
Et sur ces belles paroles, il se dirigea d’un pas décidé dans une direction choisie aléatoirement, jusqu’à ce que son corps rencontre quelque chose de dur, ce qui le fit tomber à la renverse.
“Mon Dieu, je crois avoir heurté un mur en béton !” Confia-t-il en se frottant le haut du crâne. “Je suis en rodage, la direction est encore un peu grippée, semblerait-il”.
Morpheus, le mur en question, pencha sa tête juste au-dessus de celle du Docteur.
“Doctor Who ?” Réclama-t-il de sa voix profonde.
Le Docteur entendait constamment cette même question et pourtant cette-fois-ci, il ne put réprimer un frisson d’anticipation. Il prit donc le temps d’examiner son vis-à-vis avant de répondre. Le visage qui lui faisait face avait un air majestueux, une peau pâle, presque translucide, immaculée de tous défauts, ses cheveux étaient aussi noirs que les plumes d’un corbeau et ses yeux sombres étaient aussi profonds que la nuit.
“Ah… C’est la grande question que se pose tout l’univers,” déclara-t-il finalement, un léger sourire peint sur ses lèvres. “Maintenant, est-ce que je peux avoir une pomme ?”
Morpheus, déjà irrité par le comportement de ce prétendu docteur, consentit néanmoins à réaliser le souhait de l’énergumène qui avait osé débarquer dans son royaume sans aucune invitation.
“Taramis, pourriez-vous apporter une pomme à cet invité,” il tiqua sur le mot, “de dernière minute”, sollicita-t-il sa cheffe de cuisine.
Cette dernière s’empressa de claquer dans ses mains d’un coup sec. “C’est comme si c’était fait maître,” et comme par magie, un magnifique panier de campagne remplit de pommes d’un rouge vif apparu sur la tablée des fées.
Toujours avachi contre le sol glacial de la salle de banquet, le Docteur, envahi d’une nouvelle énergie, bondit sur ses pieds pour courir s’emparer de la nourriture tant désirée.
Dame Nuala, ambassadrice de la Reine des fées, lui barra momentanément le passage. “Si vous êtes vraiment docteur, pourquoi y a-t-il écrit police sur votre cabine ?” Elle n’eut cependant le droit qu’à un air méprisant et le Docteur la bouscula sans aucune considération afin de croquer dans une pomme sans demander son reste. Après quelques mâchonnements bien audibles, il recracha la bouchée qu’il venait juste de déguster.
“C’est dégueulasse ! Qu’est-ce que c’est ?” S’écria-t-il.
“C’est une pomme,” constata sobrement Lucienne.
“Les pommes, c'est nul, je déteste ça !”
“Mais vous aviez dit que vous les adoriez !” Signala la Princesse du Chaos.
“Non en fait, j'adore les yaourts ! C’est ce que je préfère ! Donnez-moi des yaourts !”
Morpheus leva les yeux au ciel, comme si Dieu allait lui venir l’aider alors qu’il n’était même pas capable de s’occuper d’une foutue clé. Impuissant, il se tourna avec désespoir vers Tamaris et lui fit signe de gérer la situation avant qu’il ne crée un cauchemar ambulant juste pour ce docteur.
De nouveau, un claquement de main retentit et plusieurs yaourts avec différents goûts apparurent sur la même table.
Le Docteur attrapa un des pots au hasard, qu’il goba d’un coup rien que pour le recracher quasiment instantanément sur le visage de Cluracan, le frère de Dame Nuala. Toute la salle explosa de rire, se moquant allégrement du malheureux ambassadeur de la cour des fées.
“Qu’est-ce qui ne pas avec vous ?” Éructa Cluracan en s’essuyant vigoureusement le visage avec un napperon blanc.
“Ce qui ne va pas ?” Rétorqua le Docteur, “c’est que vous ne me donnez aucune nourriture décente… Il me faut quelque chose de frit !” Réfléchit-il tout haut.
Sans plus attendre, une assiette de bacon grillé à la perfection apparue sous son nez. L’odeur alléchante attira le Docteur qui piqua les couverts du pauvre Cluracan pour enfourner une tranche dans sa bouche. Au début, il sembla apprécié ce plat, mais tout d’un coup son visage se transforma en une grimace dégoûtée et il enleva de sa langue les quelques morceaux de bacons à moitié mâchouillés.
“Est-ce que vous essayez de m’empoisonner ?” S’informa-t-il en lançant un regard noir à Taramis. Cette dernière, fortement mécontente qu’on critique ses fameux mets, décida de passer à quelque chose de plus commun et fit apparaître une belle assiette de haricots saupoudrés d’une sauce maison.
“Ah ! Des haricots !” Applaudit le Docteur en frappant ses couverts sur la table en guise d’impatience. À peine eut-il le temps de mettre la cuillère au fond de son gosier, qu’il en recracha instantanément son contenu dans l’assiette de l’infortuné Cluracan. “Les haricots sont le mal incarné, méchants haricots !”
“Une tartine de beurre, il n’y a rien de meilleur,” déclara-t-il sûr de lui.
Absolument horrifié par le goût, il jeta son assiette à travers la salle en criant “reste là-bas et ne reviens jamais !”
“Peut-être des carottes ?” proposa Lucienne, sentant que Taramis arrivait à court d’idées et qu’elle risquait à tout moment de faire rôtir le docteur.
“Des carottes ? Êtes-vous folle ?” S’emballa-t-il, “non, attendez… Je sais de quoi j’ai besoin…, j’ai besoin…, de bâtonnets de poisson et de crème anglaise !” S’exclama-t-il avec extase, comme s’il venait d’inventer l’électricité.
Dubitative, Taramis fit néanmoins apparaître les plats demandés. Le Docteur sembla plus qu’enchanté et son sourire s’élargit excessivement. Sans tarder, il trempa allégrement un bâtonnet de poisson dans un immense bol de crème anglaise qui lui avait été généreusement servi et engloutit le tout dans son gosier.
“Voilà, ça, c'est de la bonne nourriture !” Se réjouit-il, la bouche encore pleine.
Taramis décida que cet homme n’avait aucun goût, mais qu’elle avait accompli son devoir et qu’il était temps pour elle de se retirer avant de faire un carnage. Tant de nourriture gaspillée pour ces caprices… Quel gâchis !
“Au fait, comment s’appelle-t-il ?” Demanda soudainement le Docteur entre deux bouchées.
“De qui parlez-vous ?” Lui répondit Lucienne.
“De l’homme qui ressemble au chanteur de Kiss en plus beau,” voyant que personne ne réagissait, le Docteur précisa sa pensée, “vous savez, peau blanche, cheveux noirs, yeux sombres, voix ténébreuse.”
“Vous devez parler du Seigneur Morpheus ?” Devina Lucienne qui ne pu s’empêcher de jeter un regard moqueur en direction de son maître, caché de la plupart sur son balcon qui dominait la salle entière.
“Morpheus… on dirait un nom tout droit sorti d’un conte de fée !”
“Docteur, n’êtes-vous donc pas un membre de la famille des Éternels ?” Questionna innocemment Dame Nuala.
“Les Éternels !” Sursauta-t-il, “non, sûrement pas, la Proclamation de l'Ombre m’interdit d’avoir une quelconque interaction avec ces sept individus, nous ne sommes pas compatibles, je crois”
“Que voulez-vous dire par là ?” Revendiqua Morpheus qui jailli juste à côté du docteur dans un nuage de sable tourbillonnant.
Ce dernier n’eut pas l’air surpris pour le moins du monde et se contenta d’avaler goulûment le reste de crème anglaise qui stagnait au fond de son bol. Son repas enfin terminé, il essuya ses lèvres d’un revers de main puis se releva pour prendre place face au fameux Morpheus.
“Si vous me le permettez, je dois vous scanner pour vérifier quelque chose,” s’enquit le Docteur en sortant de sous sa chemise son fidèle tournevis sonique qu’il pointa en direction de l'étrange homme de sable.
Morpheus ne bougea pas alors que l’étrange objet émit un son des plus déplaisants.
“Identité : Dream of the Endless est l’un des sept Éternels, aussi connu sous les noms d’Oneiros, Morpheus ou encore le Seigneur des Rêves ; Pouvoirs : conscience cosmique, voyage dimensionnel, invocation de rêve, déformation de la réalité onirique, immortalité, téléportation ; Statut : plus puissant que les anciens Dieux, individu classé oméga, si jamais vous croisez son chemin, faites demi-tour si possible”. Le Docteur lut tout haut les mots délivrés par son tournevis sonique qui défilaient devant lui et au fur et à mesure de sa lecture, sa voix manqua de vigueur.
“C’est bien ce qu’il me semblait… Comment ai-je atterri ici ? Je suis fichu !” S’emballa-t-il en se prenant la tête dans les mains, “non, je ne suis pas fichu ! Je suis fichtrement chanceux ! Mon premier Éternel !” Se ressaisit-il rapidement. C’était le moment pour lui de se présenter convenablement face à cet hôte remarquable.
“Enchanté de faire votre connaissance, Dream of the Endless,” s’inclina-t-il en une courbette malhabile, mais sincère, “je suis le Docteur, le dernier Seigneur du Temps”.
Un bourdonnement sans précédent agita la salle. Sur toutes les tablées, on s’extasiait d’avoir la possibilité de rencontrer cet être unique, on murmurait des légendes sur les Seigneurs du Temps, on lui affublait des pouvoirs uniques que seul un représentant de son espèce posséderaient.
“Silence !” Gronda Morpheus d’une voix si violente que la salle se tut instantanément. Il avait rejoint le centre de la scène afin d'attirer l’attention de l’assemblée. “Je vous suggère de quitter rapidement cette pièce, car elle cessera bientôt d’exister. Bonne nuit.” Finit-il d’un ton sans appel qui indiquait très clairement que tout le monde devait débarrasser le plancher au plus vite avant qu’il ne s’en occupe personnellement.
“Quant à vous Docteur, vous allez venir avec moi, nous avons beaucoup de chose à nous dire,” ordonna-t-il d’un ton menaçant à peine camouflé.
Le Docteur n’eut même pas le temps de protester qu’il se retrouva sur la scène aux côtés de Morpheus et dans un mouvement théâtrale, le rideau se referma devant eux, les coupants du reste du monde.
“Bien, maintenant, à nous deux…”
Chapter 3: Le Docteur s'habille en Prada
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“Bien, maintenant, à nous deux…,” déclara sombrement Morpheus.
“Attendez !” Paniqua le Docteur, “qu’allez-vous faire de mon Tardis ? Il ne peut pas rester là, il est en reconstruction et ne peut pas se déplacer actuellement.”
“Est-ce là votre vaisseau spatial dans lequel vous parcourez l’espace et le temps ?” Demanda curieusement Morpheus en pointant du doigt la boîte bleue encore fulminante.
“C’est à peu près ça oui, il s’agit d’une capsule spatio temporel, son nom complet est Temps A Relativité Dimensionnelle Inter Spatiale,” indiqua prétentieusement le Docteur.
“Je vois…, je vais l’envoyer dans les jardins de Fiddler's Green, c’est un outre-monde paradisiaque dans l'imaginaire maritime, il y sera en sécurité. Personne ne pourra déranger son rétablissement dans ce pré verdoyant, bien que Gilbert risque d’être surpris par son apparition,” renseigna Morpheus sur un ton qui se voulait rassurant.
Sous le regard incertain du Docteur, il fit disparaître le Tardis dans un brouillard ensablé.
“C’est vraiment cool…”
“De quoi parlez-vous ?”
“De votre habilité à utiliser le sable comme bon vous semble.”
Morpheus resta silencieux. C’était bien là la première fois que quelqu’un utilisait le mot “cool” pour décrire son pouvoir. D’habitude, les gens étaient plutôt terrifiés ou tout du moins, désemparés.
“Alors, où va-t-on maintenant ?” Le Docteur trépignait d’impatience comme si on l’emmenait faire un tour de parc d’attraction.
“Je pense que nous serons plus au calme dans ma bibliothèque…, veuillez me suivre”. Sans plus d’indications, Morpheus tourna les talons et se mit en route.
“Autoritaire et déterminé, j’aime ça,” décida le Docteur. Il suivit donc gaiement l’Éternel, désireux de connaître tous les secrets que cachait son Palais.
Après quelques minutes de marche silencieuse, ils débouchèrent sur un immense couloir à l’architecture chamarrée. De nombreux dômes surplombaient des colonnes à la verticalité infinie tandis que des arches démesurées accueillaient des vitraux aux couleurs et aux formes insaisissables tant les jeux d’ombre et de lumière changeaient perpétuellement leur aspect.
“C’est magnifique,” déclara sincèrement le Docteur, “j’ai vu nombre de planètes aux architectures les plus stupéfiantes et les plus époustouflantes, mais rien ne semble à la hauteur du Royaume des Rêves.” Il ne pouvait détacher ses yeux de cet endroit qui semblait évoluer hors du temps.
“Mon Royaume est en éternel changement, car il évolue avec les rêves des personnes qui le visite. Ce n’est pas un monde physique au sens où la Terre l’est ; c'est un royaume comprenant des contes et des cauchemars, brodé sur le fragile métier à tisser des esprits endormis. Chaque personne voyage mentalement dans le monde onirique lorsqu’elle dort et rêve. En fait, chaque personne crée dans son propre esprit un monde onirique qui fait partie de mon royaume,” expliqua Morpheus en marquant une pause dans leur progression vers la bibliothèque. “Néanmoins, mon Palais se transforme à mon bon vouloir puisqu'il est imprégné d’un condensé de rêves, résultat du cumul de mes années remplies de réceptions et d’exploration de cultures différentes,” précisa-t-il. Son explication finie, il se remit en route.
Le Docteur qui marchait un peu en retrait, en profita pour observer le Seigneur des Rêves avec plus de recul. Sa silhouette fine et élancée lui donnait sans nul doute une allure princière. Son grand manteau noir qui ne laissait apparaitre que quelques parcelles de sa peau presque translucide, traînait parfois sur le sol marbré d’un blanc pur, créant un contraste des plus captivants. Sa démarche à la fois majestueuse et agile lui rappelait celle d’un félin.
“Nous sommes arrivés,” déclara simplement Morpheus en pointant du doigt une grande porte robuste en bois de chêne, ornée d’un vitrail de forme ovale. “Après vous,” urgea-t-il en un mouvement de main à peine perceptible.
Le Docteur poussa la porte avec vigueur, s’attendant à ce qu’elle soit bien plus lourde, mais elle s’ouvrit avec une facilité déconcertante. Il resta bouche bée devant le décor fantasmagorique qui s’offrit alors à lui.
La bibliothèque était ce qu’on aurait pu qualifier d’une cathédrale de livres. Dans ce lieu grandiose se déployait plusieurs niveaux de galeries de style néo-classique, soutenues par des colonnes et des balustrades en bois de chêne, toutes en arabesques. Même si, majoritairement constituée de bois, la bibliothèque se distinguait par ses nombreux détails décoratifs, à l’image de ses colonnes sculptées, de ses quelques murs peints, ou encore de son escalier en colimaçon. Son plafond était constitué d’une somptueuse voûte recouverte d’une verrière qui offrait à l’enceinte, une douce luminosité. De part et d’autre de l’allée centrale, plusieurs bustes de marbre gréco-romain, veillaient sur les alcôves tapissées du sol au plafond, de livres anciens à l’odeur si caractéristique et envoûtante.
“La collection de cette bibliothèque est inépuisable, elle regroupe tous les livres jamais imaginés, même ceux qui n'ont jamais été publiés ou écrits,” précisa Morpheus d’une voix paisible, comme si l’atmosphère qui régnait en ce lieu apaisait son âme.
Le Docteur compris pourquoi le Seigneur des Rêves avait voulu l’emmener ici, ce lieu était d’une beauté sans pareil et doté d’un silence réparateur.
“Allons dans le bureau de Lucienne, ma bibliothécaire en chef, nous y serons plus confortables et plus intimes,” décida Morpheus. Il leva sa main droite et d’un geste étudié, balaya les rangées de livres qui lui faisaient face. La bibliothèque tout entière se mouva pour laisser apparaître une petite ouverture aussi sombre que la nuit. “Suivez-moi.”
Ayant hâte de découvrir quelle autre merveille se trouvait derrière cette nouvelle porte, le Docteur suivit Morpheus sans broncher et s’engouffra dans l’embouchure, l’esprit tranquille.
Ils arrivèrent l’un après l’autre dans une pièce tout aussi charmante que la bibliothèque, mais d’une taille beaucoup plus modeste. En son centre se tenait un bureau rectangulaire en bois d’acajou reposant sur quatre pieds massifs. Il accueillait un coffrage comportant, plusieurs tiroirs à faible hauteur, pour laisser passer les genoux. L’éclairage tamisé constitué de quelques lampes en bois laqué magnifiait les détails délicats du mobilier ancien. Un tapis au motif discret et des accessoires tels que des horloges murales, des sculptures ou plusieurs fauteuils anglais capitonnés venaient également compléter la pièce. Chaque élément coexistait harmonieusement avec les autres, créant un environnement au sein duquel il devait être agréable de travailler, de réfléchir ou simplement de rêver.
“Seigneur Morpheus, je ne vous attendais pas ici à une heure aussi tardive,” confessa silencieusement Lucienne, un livre épais à la main.
“Le Docteur et moi avions besoin d’un endroit pour discuter et j’ai pensé que cela ne vous dérangerait pas trop de nous accueillir…,” hésita-t-il comme s’il avait peur de s’imposer ou de déranger.
“Pas le moins du monde, je suis ravie d’avoir un peu de compagnie,” le rassura-t-elle avec un grand sourire.
“Ooooh, vous avez des oreilles pointues ! C’est tellement cool !” Interrompit le Docteur qui pouvait enfin observer de près la bibliothécaire du Royaume des Rêves. Elle avait une peau noire aux reflets caramel, son crâne lisse était entouré de deux petites oreilles pointues et elle portait un costume vintage ainsi qu’une paire de lunettes rondes. “Vraiment, vous avez beaucoup de style, j’aimerais vous ressembler !”
“En parlant de style… Lucienne, si ce n’est pas trop vous demander, pourriez-vous apporter des affaires propres au Docteur, je crains de ne plus pouvoir supporter la vision des souillons qu’il porte actuellement,” avoua Morpheus avec une moue écœurée.
“Comment ça ? Je suis donc si repoussant que ça ? Je suis quelqu’un de très stylé normalement, mais malheureusement ma dernière réincarnation s'est très mal passée et j’ai dû traverser de terribles épreuves pour remonter tout en haut dans la salle de contrôle de mon Tardis et -”
Morpheus coupa court au discours interminable de son interlocuteur. “Docteur, vous n’êtes pas physiquement repoussant et je suis persuadé que vous aviez du style, mais tel que je vois les choses, vous ressemblez plus à un fantôme coincé entre deux mondes depuis 11 siècles, qu’à un être vivant !” Jugea-t-il en arquant un sourcil.
“Mais c’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Comment osez-vous me traiter de fantôme quand vous semblez sortir tout droit d’un roman de vampires ? Je n’ai rien dit sur votre teint balafre et vos vêtements de style gothique !” Rétorqua-t-il, vexé comme une puce.
Un faible rire étouffé interrompit leur petite joute verbale. Lucienne prenait visiblement un malin plaisir à voir son maître se disputer en compagnie d’une personne avec autant de répondant.
“Pardonnez-moi, Docteur, mais sauf votre respect, je pense que le Seigneur Morpheus a raison, il vous faut impérativement de nouveaux habits si vous voulez retrouver votre style d’antan,” consentit Lucienne en un sourire bienveillant.
“Hum, vous avez probablement raison… De plus, je crois que je commence à sentir le hareng, j’ai un aquarium géant avec beaucoup de poissons à côté de ma piscine par lequel j’ai dû passer pour remonter à la surface,” précisa-t-il consciencieusement.
“Je ne comprends pas Docteur… Cette boîte bleue de laquelle vous êtes sortie fait tout juste la taille d’une cabine, comment peut-il y avoir autant de pièces à l'intérieur ?” Demanda Lucienne, toujours aussi dubitative.
“Méfiez-vous des apparences, le Tardis est une technologie des Seigneurs du Temps, plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur,” révéla-t-il avec un peu d’arrogance, “j’oserais même dire qu’il est plus grand que le Palais du Seigneur Morpheus,” ajouta-t-il en tirant la langue en direction de ce dernier.
“Comment osez-vous ? Vous feriez-mieux de surveiller votre comportement en ma présence,” menaça Morpheus d’un ton glacial, son ombre grandissant imperceptiblement derrière lui.
“Docteur ! Dites-moi quel type de vêtements aimeriez-vous porter ?” Enchaîna Lucienne en détournant hâtivement la conversation. Son maître n’ayant aucune tolérance aux railleries enfantines, ni presque aucun sens de l’humour à vrai dire, mieux valait revenir à un sujet moins houleux.
“Je ne sais pas trop… Il faut vraiment que je sois cool… Il me faudrait une nouvelle veste de costume bien taillée en tweed marron de préférence, une chemise rose pâle car j’adore cette couleur, des bretelles puisque c’est tendance et chic, un pantalon en coton gris foncé, des bottines noires, une montre étant donné que c’est très important pour moi d’être à l’heure du thé…” En pleine réflexion, le Docteur continuait son monologue tout en tournant en rond sous l’œil consterné de Morpheus. “HA ! Les nœuds papillons, c'est cool, n’est-ce pas ?” Demanda-t-il sans attendre l’approbation de personne, “il me faut absolument un nœud papillon !”
“Je vois que vous êtes un homme de goût,” affirma Lucienne, “ je m’en vais de ce pas chercher ce dont vous avez besoin.” Elle n’alla pas bien loin puisqu’elle se positionna devant une armoire Bressane qui trônait non loin du fauteuil sur lequel Morpheus avait jeté son dévolu, fatigué par les va-et-vient incessants du Docteur.
Lucienne ouvrit la porte de l’armoire, dévoilant une multitude de costumes, chaussures, chemises et accessoires divers.
“C’est le paradis !” S’extasia le Docteur, “mais ça reste moins grand et moins varié que le dressing de mon Tardis bien sûr,” rectifia-t-il empressement. Malgré tout, il se jeta sur la penderie et commença à effectuer son tri, en faisant voler les vêtements qui n’étaient pas à son goût. “Non, trop ringard, beaucoup trop extravagant, on dirait le pantalon du Père Noël, plutôt re-mourir que de mettre une chemise à fleurs, je refuse de ressembler à un membre du Murmure…” Une veste de costume finit immanquablement par s’écraser sur le visage de Morpheus qui commençait sérieusement à perdre son calme.
“C’est bon, j’ai tout ce qu’il me faut !” S’agita le Docteur en brandissant les vêtements qu’il avait soigneusement sélectionnés. Il les déposa soigneusement en pile sur une petite table basse et sans plus attendre, commença à défaire les boutons de sa chemise.
“Que croyez-vous être en train de faire ?” S’offusqua Morpheus qui était à deux doigts d’épuiser le peu de sang-froid qu’il avait en réserve.
“Bah, je me déshabille… Vous êtes pudique ?” Se moqua le Docteur en faisant glisser la chemise de ses épaules.
“Personne ici ne désire vous voir nu, merci de vous changer dans un coin à l’abri des regards,” répondit Morpheus peu amène et scandalisé par l’attitude débauchée de son vis-à-vis.
“Mais mon corps est tout neuf, je vous assure que c’est tout à fait fascinant à regarder !” Assura le Docteur en exposant son torse nu et immaculé comme un trophée.
“Ça suffit !” Rugit Morpheus en se redressant brutalement de son fauteuil. Furieux, il désigna du doigt une alcôve secrètement cachée derrière une étagère remplie de bouquins. “La salle de bains se trouve là-dedans. Hors de ma vue !”
“Vous ne savez pas ce que vous loupez !” S’indigna le Docteur en récupérant sa pile de vêtements. Comme une diva en disgrâce, il défila fièrement devant son public et disparut dans la salle de bain en claquant la porte.
“Hé bien, je sens qu’on ne va pas s’ennuyer avec lui…, c’est peut-être un mal pour un bien ?” Tenta Lucienne, peu sûre d’elle.
Épuisé par tout ce remue-ménage, Morpheus s’écroula à nouveau sur son fauteuil. “Nous verrons…, Lucienne, pouvez-vous nous laisser seuls ? J’aimerais parler au Docteur en face à face.”
“Si vous me promettez de ne pas le transformer en pièce d’échiquier…” Seul le silence lui répondit. “Je vois… Je vais prendre mes quartiers, passez une bonne soirée mon Seigneur.” Sur ce, Lucienne salua son maître et parti finir le recensement des créatures qui peuplaient le monde des rêves.
“Je ne peux rien vous promettre,” ronchonna Morpheus.
Chapter 4: Entretien avec un Éternel
Chapter Text
Le Docteur profitait d’une bonne douche chaude bien méritée. Cela faisait du bien de se détendre un peu après cette réincarnation rocambolesque. Son prédécesseur avait beaucoup trop tardé et maintenant, il était coincé dans le Royaume des Rêves avec ce satané Éternel. Du peu qu’il avait pu observer, Morpheus avait une personnalité froide et totalement dépourvue d’humour, ce qui contrastait fortement avec le caractère du Docteur.
“Ça ne va pas être une partie de plaisir,” constata-t-il en tournant le robinet, mettant fin au débit d’eau chaude. “Enfin bon ! Je suis un homme de challenges après tout !”
Le Docteur s’enroula dans une serviette blanche et passe en revu les vêtements qu’il avait choisis pour sa tenue officielle. Il allait définitivement éblouir Morpheus qui serait alors obligé de reconnaître son style et son charisme. Un grand sourire aux lèvres, il s’empressa de se sécher et d’enfiler ses nouveaux habits.
“Comme prévu, j’ai vraiment fière allure !” Se pava-t-il en s’observant dans la glace. Seuls ses cheveux mi-long, restaient impossibles à dompter. Il prit un peigne et entreprit de les coiffer sur le côté, mais quelques épis persistaient. “Ah tant pis ! À part mon énorme menton et cette foutue touffe de cheveux, d’aucun dirait que je suis parfait !”
Satisfait, il décida qu’il était temps d’aller retrouver le Seigneur des Rêves pour une entrevue qui se promettait d’être légendaire.
“Alors ? De quoi ai-je l’air ?” Demanda le Docteur en apparaissant en une pirouette gracieuse devant un Morpheus complètement insensible.
“Vous avez l’air… d’avoir repris figure humaine…,” déclara simplement ce dernier, nullement impressionné.
“Est-ce là dont tout ce que vous avez à me dire pour me qualifier ?” Se lamenta le Docteur, “vous pourriez utiliser les mots ; fabuleux, splendide, flamboyant, exquis, …”
“Vous êtes tout à fait présentable et c’est là le plus important,” le coupa Morpheus, déjà lassé de cette discussion. “Venez donc vous asseoir en face de moi, vous me donnez le tournis.”
“Le truc, c'est que je n’aime pas trop rester assis, j’ai l’impression que ça m’empêche de réfléchir et en plus, j'ai beaucoup trop d’énergie coincée dans mon corps, il faut absolument que je l’utilise à des fins concrètes sinon je vais finir par explos-”
“Docteur, j’insiste,” appuya Morpheus sur un ton sans appel, “je ne veux pas avoir à dévisser ma tête à chaque fois que je vous poserais une question et que vous y répondrez.”
“Vous êtes un fanatique du contact visuel ?” Le Docteur s’installa néanmoins confortablement dans le fauteuil comme demandé si gentiment, “et puis qui vous dit que je répondrais à toutes vos questions ? J’ai une vie privée je vous signale !” Rétorqua-t-il dignement en croisant une de ses jambes par-dessus l’autre.
Morpheus détestait l’admettre, mais son visiteur avait une élégance naturelle maintenant qu’il était débarrassé de toute cette crasse et de ses guenilles. “Alors Docteur, dites-moi…, comment donc avez-vous réussi à pénétrer dans mon Royaume sans même y être invité ?” Questionna-t-il, impatient d’avoir une réponse éclairante.
“Pour être tout à fait honnête, vous me posez un peu une colle…,” commença évasivement le Docteur, “comme je l’ai dit précédemment, j’ai eu une réincarnation compliquée, car mon prédécesseur à absorber une dose mortelle de radiations et a trop tardé à se rendre au Tardis. Mes souvenirs sont donc très vagues avant mon arrivée ici,” avoua-t-il.
“Pouvez-vous être plus précis sur ce processus de régénération ?” Continua de questionner Morpheus, insatisfait de cette réponse.
“La régénération est un processus biologique propre aux Seigneurs du temps, même si d’autres espèces et individus peuvent aussi en bénéficier, la particularité de ce processus vient réellement de notre espèce,” voyant que Morpheus fronçait les sourcils indécis, le Docteur essaya d’être plus précis dans ses propos, “je vais essayer d’être plus clair. Lorsque nous atteignons un âge avancé ou lors d’une blessure fatale, nous sommes obligés de renouveler notre être, ce qui entraîne souvent un changement d’apparence et de personnalité. Par exemple, j’ai gardé tous les souvenirs de mes prédécesseurs et nous partageons le même ADN, mais je ne leur ressemble en rien,” clarifia-t-il.
“La rumeur comme quoi les Seigneurs du Temps sont éternels est donc vrai,” murmura Morpheus en entrelaçant ses doigts sous son menton. Manifestement, il était plongé dans une réflexion intense qui réclamait toute son attention.
“Alors là, je dois vous contredire,” annonça le Docteur, “nous ne sommes pas immortels, comme toutes choses, nous avons une fin… Un Seigneur du Temps ne peut normalement se régénérer que douze fois. Ainsi existe le cycle de la vie.” Conclut-il.
“Dites-moi, Docteur, à combien de vies en êtes-vous ? Je suppose que vous avez un certain âge, même si votre apparence juvénile pourrait indiquer le contraire,” remarqua Morpheus, toujours très observateur. L’habit ne faisait pas le moine, il était bien placé pour le savoir.
“Oh ça fait longtemps que j’ai arrêté de compter, mais je dirais que j’ai un peu plus de 1000 ans, le temps passe si vite… Je suis le onzième Docteur et je suis au regret de vous dire que c’est ma dernière vie,” annonça-t-il en haussant les épaules.
“Je ne comprends pas, je croyais que vous aviez dit que le cycle des Seigneurs du Temps était de 12 vies ?” Exposa Morpheus perplexe.
“Je préfère ne pas en parler…,” répondit mélancoliquement le Docteur. Il voulait oublier, celui qui avait combattu. “C’est un sujet délicat que je ne souhaite pas aborder.”
Voyant que son interlocuteur ne semblait pas vouloir développer sa pensée, Morpheus n’insista pas. Un long silence s’installa confortablement entre eux. Cela ne les dérangeait pas, après tout, ils avaient tout le temps du monde.
En fin de compte, le Docteur finit par briser le silence. “Comme vous l’avez constaté, mon Tardis…, le vaisseau qui me permet de me déplacer à travers le temps et l’espace, a subi de gros dégâts lors de ma réincarnation.” Il se plongea dans ses derniers souvenirs avant que le Tardis n’échappe totalement à son contrôle. “Néanmoins, je me rappelle avoir entrevu sept fenêtres temporelles avant de perdre connaissance un court instant.”
“Sept fenêtres… Non, c'est impossible…,” réfléchit tout haut Morpheus qui commençait à rassembler les pièces du puzzle.
“Comment ça impossible ? Que voulez-vous dire ?” L'urgea le Docteur.
“Eh bien… Mes frères et sœurs, nous sommes sept, sept Éternels.”
“Vous voulez dire que j’aurais atterri dans votre Royaume par une de ses fenêtres ?”
“C’est très probable, même si nous n’avons pas de preuves concrètes. Après tout, nous sommes les enfants des entités cosmiques Nuit et Temps, n’êtes-vous pas vous-même un enfant du Temps ?” Interrogea Morpheus.
“Je ne sais pas… Enfin, je veux dire, notre espèce a sûrement été créée par vos parents, mais nous aurions pu nous rencontrer des années auparavant. Pourquoi maintenant ? Je ne comprends pas.” avoua le Docteur, complètement perdu par ces révélations.
“Il n’y a rien à comprendre…, nos chemins n’auraient jamais dû se croiser, ni hier, ni aujourd’hui, ni jamais,” affirma Morpheus sur un ton sans appel.
“Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?”
“Parce que vous êtes une anomalie, une exception qui n’aurait jamais dû se produire. Vous étiez destiné à mourir avec vos congénères, telle était écrite l’histoire. Mais pour une raison inconnue, vous avez survécu… Les humains appellent ça un miracle, nous, Éternels, appelons ça une erreur,” révéla calmement Morpheus. Aucune once d’empathie dans sa voix, juste la cruelle vérité.
“Comment pouvez-vous me dire ça ? Savez-vous seulement ce que j’ai enduré ? Ce que mon peuple a enduré ?” S’emballa furieusement le Docteur, “les Seigneurs du Temps ont combattu de toutes leurs forces, mais les Daleks était trop nombreux. Nous avons été débordés, il n’y avait plus aucune issue ! Les Dégradations de Skaro, la Horde des Simulacres, l'Enfant-Cauchemar, le Roi-qui-aurait-pu-être et son armée d'Entre-temps et de Jamais-étés, la guerre du Temps est devenue un Enfer.” Hurla-t-il en agrippant violemment le col de manteau de Morpheus. “Comment osez-vous m'appeler une erreur ? Vous n’étiez pas là quand j’ai dû commettre un acte impardonnable pour sauver l’Univers !” Invectiva-t-il avec une telle haine au fond de ses yeux auparavant si rieurs, que Morpheus frémit à leur contact. Pourtant, il ne détourna pas le regard. Au contraire, il s’y plongea dedans.
“Et quel est donc cet acte impardonnable que vous avez dû commettre ?” Exigea-t-il, en resserrant de sa propre main l’étreinte poignante du Docteur sur le col de son manteau.
“Cela ne vous regarde pas !” Rétorqua froidement ce dernier.
Ils étaient désormais si proches l'un de l'autre que leur souffle s'entremêlait. La tension qui régnait entre leurs deux corps devenait électrisante. L'atmosphère était lourde et emplit de non-dits. Malgré leur position inconfortable, Morpheus voulait toujours en savoir plus sur l’autre, percer les secrets de sa personnalité et de sa vie.
“Vous n'arrivez pas à accepter la vérité Docteur, cependant elle est bien présente. Vous êtes aveuglé par un passé qui n'a pas lieu d'exister tout comme vous,” jugea-t-il, “pourtant, vous vous tenez devant moi en ce moment même… Il faut croire que les miracles ne sont pas que conte de fées finalement,” reconnut-il, une lueur vivace éclaira ses yeux sombres pendant un court moment.
Morpheus était l’Éternel que l’on pouvait qualifier « d’égocentrique », celui qui avait le plus conscience de ses responsabilités, le personnage tragique qui était dans l’incapacité innée d’accepter le changement, l’insensible dénué de tous sentiments. Pour lui, les Éternels était bien supérieur aux humains, ils étaient le sommet de l’évolution ou de la création. En tant que tel, utiliser les êtres humains à son bon vouloir n’était pas exclu, et la morale n’avait rien à voir avec cela. Morpheus se situait dans un monde « au-delà du Bien et du Mal », aurait dit Nietzsche. Il n’éprouvait pas de remords à voir les humains souffrir, car il pouvait se montrer lent à pardonner ou à oublier ce qu'il percevait comme des affronts.
“De tous les Éternels, pourquoi a-t-il fallu que je tombe sur vous ?” Soupira le Docteur en se dégageant de l’étau étouffant qu’avait formé leurs deux mains. Désireux de s’éloigner le plus possible de son vis-à-vis, il s’enfonça autant que faire se peut dans son fauteuil.
“Croyez-moi, aucun de mes frères et sœurs ne vous aurait accueilli à bras ouverts, même Death… Puisque vous êtes une erreur, aucun de nous n’a de pouvoir sur vous,” avoua difficilement Morpheus. Cela lui coûtait d’admettre que quelque part dans l’univers, quelqu’un échappait à son contrôle.
“Que voulez-vous dire par là ?” Demanda le Docteur, intrigué par cet aveu de faiblesse.
“Pour faire simple, lorsque votre planète, Gallifrey, a été anéantie, le livre de Destiny a sellé la fin de votre histoire. Vous aviez été rasé de la galaxie tout entière, votre espèce n’avait donc plus lieu d’apparaître dans aucun chapitre, aucune mémoire, aucun mythe. Vous avez cessé d’exister au sens propre du terme,” assena-t-il sans aucun détour. “Mais vous, Docteur, en tant qu’erreur, vous avez survécu et défié les lois de l’univers, vous les avez même bafouées. Par conséquent, aucun des Éternels ne peut avoir une quelconque emprise sur un être qui n’a pas lieu d’être.” Encore une fois, Morpheus s’était exprimé avec calme et transparence. Il énonçait des faits sans prendre parti.
Le Docteur avait du mal à digérer les propos du Seigneur des Rêves. Il ne parvenait pas à se résoudre à la fatalité qui l’avait frappé, lui et son peuple. Certes, il était le seul rescapé d’une race bien longtemps éteinte, mais est-ce pour autant qu’il fût condamné à vivre une destinée infondée ? Tout ce temps passé à voyager à travers le temps et l’espace à la recherche des survivants de son espèce et de réponses à ses questions n’aurait donc servi à rien ? Le Docteur refusait de croire que son histoire était vouée à l’échec, que la nature de son existence se limitait à l’intervention d’une entité inconnue ou pire d’une erreur de jugement.
“Dites-moi, Docteur, rêvez-vous ?” Demanda soudainement Morpheus.
“Bien sûr que je rêve, tout le monde rêve,” répondit le Docteur comme si c’était une évidence.
“De quoi rêvez-vous alors ?”
“La même chose dont tout le monde rêve… Je rêve de l'endroit où je vais…”
“Je ne comprends pas,” reconnu Morpheus, “vous n’avez nulle part où aller, vous ne faites probablement qu'errer dans l’univers, coincé dans votre boîte bleue.”
“Ce n’est pas vrai !” Contra instinctivement le Docteur. Mais quelque chose le dérangeait. Pourquoi Morpheus lui posait une telle question, lui qui était la personnification même de tous les rêves et de toutes les histoires ? “Attendez… Vous n’avez pas accès à mes rêves, n’est-ce pas ?” Remarqua-t-il plus qu’heureux de mettre en lumière la faiblesse du Seigneur des Rêves.
Ce dernier admit à demi-mots, “non, en effet, vous avez raison. Il m’est impossible de vous trouver dans mon propre Royaume, tout comme il m’est impossible d’accéder à vos rêves.”
“Je suis plutôt rassuré de savoir ça, j’ai l’impression que ça nous met sur un pied d’égalité… Du moins, j’ignore beaucoup de choses sur vous et réciproquement, vous ne connaissez qu’une partie de mon histoire qui s’est arrêtée il y a bien longtemps,” raisonna le Docteur.
“Je suppose que vous n’avez pas totalement tort,” accorda Morpheus. Ses mots lui arrachaient la bouche, mais il devait reconnaître que son absence de connaissance ne jouait pas en sa faveur.
“C’est à mon tour maintenant de poser des questions !” S’enjoua le Docteur qui en avait des milliers en tête, la liste était infinie.
“Vous n’avez le droit qu’à une seule question.”
“Quoi ? Mais c’est complètement injuste !” S’indigna-t-il.
“La vie est injuste, Docteur. Et mon temps est précieux. Comme vous pouvez le voir, j’ai des responsabilités qui m’incombent et des invités qui attendent des réponses,” maugréa Morpheus, fatigué d’avance par l’épreuve qui l’attendait.
“Très bien,” acquiesça le Docteur non sans réprimer une moue boudeuse, “dans ce cas, pourquoi possédez-vous la clé de l’Enfer et que comptez-vous en faire ?” Demanda-t-il empressement.
“Je vois que vous n’êtes pas encore tout à fait remis de votre régénération et que vous avez du mal à compter Docteur, cela fait deux questions et non pas une.”
“S’il vous plaît… Vous me devez bien ça après la façon dont vous m’avez traité ! Je dois dire que vous n’êtes pas un hôte des plus agréables…”
Morpheus leva les yeux au ciel, mais consentit à la demande du Docteur. Après tout, quelque chose ressortirait peut-être de cet échange. “Lucifer a décidé d’abandonner son Royaume et m’en a donné la clé, espérant secrètement me mettre dans l’embarras.”
“Et alors ? C’est réussi ?”
Seul le silence lui répondit. Morpheus ne désirait pas s’étaler sur le sujet. Bien sûr que Lucifer avait réussi son coup. Il se trouvait dans une situation délicate qui s’avérait être une voie sans issue. Mais au lieu de donner une réponse honnête, il préféra contourner la question. “Peut-être.”
“Je vois… C’est vous qui êtes coincé Dream, non pas moi,” constata le Docteur en se rapprochant imperceptiblement du visage de son vis-à-vis.
Morpheus frémit en entendant son propre nom, Dream... Évidemment, ce n’était pas la première fois que quelqu’un le prononçait, mais c’était différent de d’habitude. Comme si, dans la bouche du Docteur, son nom avait un pouvoir mystérieux et captivant.
“Je suppose que vous n’avez aucune idée, non plus, d’à qui confier la clé de l’Enfer… Qui pourrait vous blâmer ? C’est un fardeau que même Dieu ne semble vouloir porter,” continua le Docteur, “j’ai vu les deux anges plus tôt, je ne pensais pas que l’on pouvait être plus froid et plus coincé que vous, mais ils m’ont l’air d’être des adversaires à votre hauteur. Vous devriez faire un duel de regard, le premier qui baisse les yeux a perdu,” éclata-t-il de rire en imaginant la scène.
Morpheus s’apprêtait à le remettre à sa place lorsqu’on toqua à la porte.
“Mon Seigneur ? Puis-je entrer ?”
Le Docteur reconnut la voix de Lucienne et essaya tant bien que mal de reprendre contenance malgré le fou rire qui secouait encore son corps.
“Entrez Lucienne !” Somma Morpheus.
La porte s’ouvrit sur la bibliothécaire ; “Toutes mes excuses pour cette interruption, mais j’ai bien peur de devoir vous arracher à votre conversation,” concéda Lucienne avec une voix teintée d’appréhension, “le Seigneur Azazel réclame une audience.”
Morpheus soupira, agacé par la tournure que prenaient les événements. “Docteur, je vous prierai de m’attendre ici, le devoir m’appelle.”
Chapter 5: Le pacte des démons
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“Je vous prierai de m’attendre ici, le devoir m’appelle.”
Le Docteur regarda Morpheus se relever agilement, comme s’il ne pesait pas plus lourd qu’une plume, et lui tourner le dos pour partir d’une démarche contrainte dans une direction inconnue. Bah voyons ! Comme si j’allais gentiment l’attendre ici, les bras croisés, pensa-t-il intérieurement. Il n’était pas un animal de compagnie et n’avait surtout aucune patience.
“Vous êtes bien plus présentable que la dernière fois que nous nous sommes vus !” Remarqua Lucienne en jetant un œil appréciateur au Docteur qui se tenait toujours assis dans le fauteuil, “vous avez effectivement beaucoup de style !”
“Ah ! Enfin quelqu’un qui remarque à quel point je suis cool, à la bonne heure !” Répondit-il en bondissant sur ses pieds et en réajustant son nœud papillon rouge qui s’était froissé dans sa précédente confrontation avec Morpheus. “Lucienne, pouvez-vous me dire qui est le Seigneur Azazel ? Je crois avoir déjà entendu ce nom quelque part, mais ma mémoire est encore défaillante,” demanda-t-il, désireux d’en savoir plus.
“À l’origine, le Seigneur Azazel était un ange du ciel, un dévoreur de péchés. Cependant, plus Azazel dévorait de péchés, plus sa faim grandissait et il fut finalement condamné à l'enfer par Dieu, avec le reste de l'armée rebelle de Lucifer, pour avoir introduit le péché parmi les humains,” expliqua Lucienne en allant feuilleter une pile de papiers qui se trouvait sur le bureau central, “plus tard, il devint l'un des co-dirigeants de l'enfer aux côtés de Lucifer Morningstar, faisant partie du triumvirat formé par Belzébuth,” continua-t-elle assidûment, “aujourd'hui, il réclame la clé de l’Enfer au Seigneur Morpheus qui en est le propriétaire actuel. Il revendique son droit légitime de régner sur l'Enfer aux côtés de ses sbires, Merkin et Choronzon,” finit-elle sans pouvoir réprimer en un frisson d’effroi.
“Il doit être sacrément dangereux pour faire ainsi trembler tout le Royaume des Rêves,” jugea le Docteur. Il avait remarqué que l’atmosphère devenait plus lourde à chaque fois que son nom était mentionné.
“Il l’est,” répondit simplement Lucienne, “il ne vient pas en tant que simple ambassadeur, mais en tant que représentant de toute la race des démons,” précisa-t-elle comme si ça justifiait sa méfiance à son égard.
“Et le Seigneur Morpheus est parti à son encontre sans la moindre hésitation… Fantastique ! Non, mauvaise expression," se reprit-il, "Geronimo !” S’exclama le Docteur, “Lucienne, auriez-vous l’amabilité de m’indiquer où, exactement, est parti votre maître ?” demanda-t-il innocemment.
“Docteur… Je ne crois pas que ça soit une bonne idée, mon Seigneur a été clair, il vous a demandé de l’attendre ici,” répondit-elle nerveusement.
“Balivernes ! Je suis un homme d’action avec un taux d’hormones et d’énergie bien supérieur à la moyenne, je dois absolument assouvir ma soif de connaissances. Actuellement, je me sens ignorant, comme si j’étais coincé dans des chaussures trop petites ! J’ai besoin d’agrandir ces chaussures, vous comprenez ?” Enchaîna-t-il sans prendre la moindre respiration.
“Je pense toujours que c’est une terrible idée, mais si vous insistez, je ne vais pas vous retenir… C’est une bataille qui est perdue d’avance vu votre entêtement,” admit-elle. Elle ne connaissait que trop bien les hommes au caractère borné qui étaient aussi têtus que des mules. “Vous trouverez le Seigneur Morpheus dans la salle du trône.”
“Parfait ! Pas de temps à perdre !” Le Docteur commença à s’élancer avec détermination en direction de la porte. “Attendez ! J’oublie quelque chose d’important… où se trouve la salle du trône ?” S’enquit-il, complètement désemparé. Il n’avait aucune idée de comment s’orienter dans cet endroit qui lui était totalement étranger et il n’était pas sûr que son tournevis sonique serait d’une grande utilité dans cette quête.
Lucienne le regarda avec amusement s’agiter dans tous les sens. “Je vais vous faire un schéma,” le rassura-t-elle, “il serait fâcheux que vous perdiez votre chemin dans cet immense palais.” Sans plus tarder, elle attrapa un papier vierge et, munit d’une plume, dessina les prémices d’un plan du palais. “En sortant du bureau, vous arriverez dans la grande bibliothèque, descendez les escaliers en colimaçons et empruntez la grande porte principale sertie de l’inscription « Psyches iatreion ».” Le Docteur buvait ses paroles, parfaitement conscient de son sens de l’orientation désastreux.
“Vous déboucherez sur un immense hall comprenant plusieurs arches qui mènent à différents lieux, ne vous trompez pas, passez sous la troisième arche sur votre gauche,” Lucienne stoppa ses explications quelques secondes pour vérifier si le Docteur suivait bien ses instructions à la lettre. Elle fut rassurée de voir que celui-ci semblait complètement absorbé par ses propos. “Vous arriverez dans un couloir très haut de plafond, au bout se trouve la salle du trône, vous ne pouvez pas la manquer,” finit-elle en esquissant un dernier trait, son schéma désormais terminé. “Vous allez vous en sortir ?”
“Voyons, ne sous-estimez pas ma capacité à suivre un plan ! J’ai une certaine expérience, ne vous faites pas de soucis, tout ira bien !” Déclara-t-il, sûr de lui.
Dix minutes plus tard, le Docteur se trouvait dans une impasse.
“Je ne comprends pas, qu’est-ce que j’ai loupé ?” Il consulta le plan pour la vingtième fois. “Je suis bien sorti de la bibliothèque par la porte principale, j’ai vu le grand hall avec sa multitude d’arches… est-ce que j’ai bien emprunté la bonne ? La troisième à gauche… Mon Dieu ! Je crois que je tiens le croquis à l’envers !” Remarqua-t-il absolument catastrophé. “Ce plan a-t-il seulement un sens ? Il n’y a pas d’aiguille rouge aimantée comme sur une boussole. Il faut savoir que le nord magnétique est différent du nord géographique indiqué sur les cartes, qui est aussi l’axe de rotation de la terre. Comment suis-je supposé savoir où sont le nord et le sud alors qu’il fait nuit, que par conséquent, je suis privé du soleil, et que par-dessus tout, je suis coincé dans un couloir sans fenêtres pour voir les étoiles ? Les étoiles sont-elles seulement les mêmes dans le Royaume des Rêves que dans l’Univers ?”
Alors que le Docteur était perdu dans ses élucubrations interminables, il entendit une voix grave, lointaine.
“Azazel, bienvenue…”
C’était la voix de Morpheus sans aucun doute et le Docteur vit littéralement la lumière au bout du tunnel. Il avait été tellement absorbé par l’analyse du plan qu’il n’avait pas remarqué le faible éclairage bleuté sur sa gauche. Il se remit en marche avec bon espoir d’enfin sortir de ce maudit labyrinthe.
“Nous ne le sommes pas vraiment, n’est-ce pas ?” Ça devait être la voix du si terrifiant Seigneur Azazel.
Le Docteur pressa le pas et se retrouva dans une immense salle qui ressemblait fortement à une église gothique, avec ses grandes voûtes et ses larges vitraux. C’était donc là, la Salle du Trône, cœur du royaume des rêves. L’édifice était d’une beauté a coupé le souffle. Au fond de la salle se distinguait Morpheus, prestement assit sur son trône, tenant fermement la clé de l'Enfer dans l’une de ses mains. Ainsi, il dominait le monde, perché en haut d’un escalier hélicoïdal carré.
“Lucifer nous a causé du tort à tous les deux,” constata Azazel qui, à contrario, était placé en contrebas de l’escalier, “ma colère, ce matin, était déplacée… C’est à Lucifer que j’en veux, pas à vous.”
Le Docteur se cacha derrière un des immenses piliers rectangulaires qui soutenaient la salle, soucieux de ne pas révéler sa présence tout en aillant un bon angle de vue sur ce qu’il se passait.
“Je ne parle pas en mon nom, mais en celui des démons,” continua Azazel, “ces pauvres créatures dépossédées, que l’on a chassées de leurs terres.”
“Une armée entière,” contra in extremis Morpheus, “une armée que tu commandes,” appuya-t-il.
“Je cherche la justice, Morpheus… Nous rendrez-vous notre monde si je vous dédommage pour le désagrément que Lucifer vous a causé ?”
“Comment ?”
“Un cadeau…” Azazel marqua une pause. Dans un rugissement bestial, son corps se déforma pour se transformer en un vortex ténébreux qui révéla plusieurs têtes monstrueuses, telle une hydre, aux bouches démesurées et aux crocs acérés. Une des bouches recracha un cocon de la taille d’un être humain. “Le Seigneur Choronzon,” déclara Azazel d’une voix, dorénavant, beaucoup plus austère, “pour vous venger de celui qui vous a défié en Enfer.”
Morpheus haussa à peine un sourcil, nullement impressionné par ce soi-disant dédommagement. “Et si je ne souhaite pas me venger ?”
“Il y a autre chose que je peux vous proposer, mais… ce n’est pas grand-chose…,” laissa planer Azazel, “une femme humaine.”
Le visage habituellement si impassible de Morpheus se métamorphosa du tout au tout. Sa peau devint livide, ses yeux se ternirent, sa mâchoire se resserra drastiquement et ses traits se durcirent.
“Condamné en Enfer,” rigola sournoisement Azazel, “il y a 10 000 ans, par… son amant rancunier.”
Une de ses bouches s’ouvrit à nouveau pour dévoiler une fine membrane derrière laquelle semblait se débattre une femme. On entendait des cris étouffés de détresse.
“Nada,” fut le seul mot que Morpheus pu prononcer.
“Seigneur !” L’implora la voix féminine avant d’être à nouveau avalée.
“Donnez-moi la clé et je la relâchais,” conclut Azazel d’un ton menaçant. “Si vous refusez, je prendrai autant de plaisir à dévorer son âme…” Les bouches déchiquetèrent sans pitié le corps du Seigneur Choronzon, toujours coincé dans son cocon, “qu’à dévorer celle de Choronzon,” menaça Azazel en reprenant sa forme de démon. “Vous m’avez bien compris, Morpheus ?”
Le Seigneur des Rêves se figea, bouillant intérieurement d’une rage dévastatrice.
“Je comprends,” répondit-il sur un ton neutre qui dénaturait avec la nature de ses sentiments.
“Alors, j'espère que nous avons un accord,” conclut Azazel en un sourire machiavélique. “Demain, tu annonceras que la clé me revient et je quitterai ce lieu en te laissant Nada,” insista-t-il, “est-ce que c’est bien entendu ?”
“Je vais réfléchir à ta proposition.”
“Y réfléchir ?” Fulmina Azazel, stupéfait par la réponse de son interlocuteur.
“Oui,” répliqua immédiatement Morpheus.
“Tu veux cette femme, n’est-ce pas ? Tu es allé en enfer pour elle,” s’emballa furieusement Azazel en montant les escaliers qui menaient au trône d’une démarche effrayante, “l’échanger, contre une clé, c’est peu cher payé. Tu ne veux même pas…”
“Je rendrai ma décision demain,” le coupa Morpheus, “maintenant part.” D’un geste de la main emplit de mépris, le corps du Seigneur Azazel se dissolu dans un nuage de sable.
Le Docteur, toujours caché derrière son pilier, resta bouche bée quelques instants avant de reprendre contenance. Il venait d’assister à un échange des plus étranges, angoissant et privé. Il ne devait surtout pas rester dans les parages alors que Morpheus était dans un état aussi instable. Il entreprit donc de faire demi-tour et de prendre la poudre d’escampette.
“Docteur ! Je sais que vous êtes là, montrez-vous !”
Non, je ne suis pas là, eu envie de répondre l’interpellé. Mais il savait que d’une façon ou d’une autre, il avait été découvert et que ça ne servait plus à rien de se cacher. Il misa donc sur la surprise générale.
“Seigneur Morpheus ?” Interpella-t-il faussement étonné en sortant de sa cachette, “j’étais en train de visiter votre palais, qui est d’une magnificence rare si je puis me permettre, je me suis un peu perdu dans vos nombreux couloirs, mais j’adore me perdre. Vous comprenez, il m’était impossible de rester assis dans ce bureau alors que monts et merveilles m’attendaient et-”
“Docteur, arrêtez de me prendre pour un imbécile,” ordonna Morpheus, “vous croyez que j’ignore ce qu’il se passe dans mon propre Royaume ?” Stipula-t-il en se levant brusquement de son trône, “je sais très bien que vous êtes là depuis mon altercation avec Azazel donc cessez immédiatement vos enfantillages !”
“Très bien,” avoua le Docteur, “c’est vrai, j’ai tout entendu… Mais ce n’était pas mon intention première de vous espionner, je voulais juste…” Que voulait-il exactement ? Il ne s’était pas vraiment posé la question avant de s’embarquer à la recherche de Morpheus. “Je pense que je voulais juste en savoir plus sur vous et je suis malencontreusement tombé sur votre discussion. Ma curiosité a pris le dessus, je m’en excuse,” admit-il sincèrement.
“C’est bien là votre plus gros travers, cette curiosité maladive qui fait que vous vous mêlez de choses qui ne vous regardent pas !” Gronda Morpheus en descendant promptement les escaliers. “Je suis votre hôte et vous vous permettez de désobéir à mes ordres en plus d’espionner mes conversations, en toute impunité qui plus est !”
Le Docteur préféra garder le silence plutôt que d’envenimer la situation. Il préférait résoudre les problèmes par la voie de la négociation plutôt que par celle de la violence. Surtout qu’il se trouvait face à un Éternel visiblement très en colère, ce n’était absolument pas le moment de faire le malin.
“Vous avez perdu votre langue ?” Demanda Morpheus qui s’était dangereusement rapproché du Docteur, “vous qui avez toujours réponse à tout, vous semblez bien trop calme tout d’un coup. Auriez-vous peur de moi ?” Se moqua-t-il en franchissant les quelques pas qui le séparaient encore de son interlocuteur. Sa démarche féline et son attitude orgueilleuse n’auguraient rien de bon.
“Non… je réfléchissais juste à quelle stratégie adopter,” bafouilla le Docteur, encore hésitant. S’il n’avait pas l’habitude de se retrouver sans cesse des situations périlleuses, il serait probablement en train de trembler, car Morpheus avait actuellement l’air d’un prédateur prêt à bondir sur sa proie. Pourtant, le Docteur ne pouvait s’empêcher d’être franc et direct. C’était là son plus grand défaut, mais aussi sa plus grande qualité. “J’ai du mal à lutter contre ma nature, donc je vais rester fidèle à moi-même.” Il prit une grande inspiration et posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis un moment déjà : “Qui est Nada ?”
Morpheus fut pris d’un accès de fureur, si bien que toute la pièce se mit à trembler, l’obscurité submergea tout l’espace et un coup de tonnerre retentit si violemment qu’il brisa quelques vitraux. Les morceaux de verre pleuvaient autour de lui mais il ne s’en soucia pas, seule comptait, l’irradiante douleur provoquée par cette simple question.
“Retournez à votre Tardis et ne remettez jamais les pieds dans mon Royaume !” Menaça-t-il en faisant à nouveau émerger une tempête de sable d’un geste rageur de la main.
“Ce n'était pas censé se passer comme ça,” soupira le Docteur en disparaissant de la salle.
Chapter 6: Nuit étoilée
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Le Docteur atterrit maladroitement sur le sol et tomba à la renverse sur un duvet d’herbe grasse.
“Quel grossier personnage ! Il n’a même pas répondu à ma question avant de m’expulser je ne sais où !” Pesta-t-il en regardant le ciel nocturne. Ce dernier était toujours parcouru de quelques éclairs, “il doit être vraiment en colère, je n’aurais pas dû l’interroger à propos de cette Nada,” déplora-t-il. Sous le coup de l’orage, les étoiles avaient éclaté comme des bourgeons. Elles s’étalaient en touffes avec des racines d'or, épanouies, enfoncées dans des ténèbres qui soulevaient des mottes luisantes de nuit.
“Excusez-moi,” interrompit une voix proche, “puis-je savoir si vous êtes le propriétaire de la cabine de police bleue d’origine britannique ?”
Le Docteur se retourna en direction de la voix et aperçu un homme d'âge mûr, plutôt distingué et aux traits chaleureux. De constitution assez corpulente, il portait des lunettes rondes, un long manteau marron, un gilet, un chapeau à large bord et une canne, ce qui lui donnait l'allure d'un gentleman victorien ou d'un écrivain excentrique.
“Vous avez vu mon Tardis ?” Demanda attentivement le Docteur.
“Est-ce là le nom que porte cette étrange boîte bleue ? Ma foi, il se pourrait bien que l’on parle de la même chose,” assura-t-il.
Intrigué, le Docteur se releva tant bien que mal en époussetant ses habits flambants neufs des quelques brindilles et pousses d’herbes qui s’y étaient accrochées. “Puis-je savoir où nous sommes exactement ?” Demanda-t-il, curieux de savoir où Morpheus l’avait expulsé.
“Vous vous tenez sur les terres de Fiddler's Green, un lieu vivant au sein du Rêve. C'est un vaste paysage onirique : une terre luxuriante, couverte de collines verdoyantes, de prairies fleuries, de forêts profondes et de sentiers paisibles. C'est aussi un espace de paix, de beauté et de rêves, où règnent la tranquillité et l'harmonie. En tant que lieu, il n'a ni visage ni voix, mais il dégage une présence accueillante et réconfortante pour tous les rêveurs qui le visitent. Alors, qu’en pensez-vous ?” Sa voix était calme et son regard bienveillant.
“Je pense que ce lieu a l’air incroyable…” Le Docteur regarda autour de lui. Effectivement, l’homme à la canne ne lui avait pas menti. Bien que la nuit concentrait et mobilisait l’intérêt sur ce que l’on ne voyait pas, il pouvait clairement distinguer, autour de lui, d’immenses pâturages parsemés d’une infinité de fleurs multicolores d’où jaillissaient d’agréables parfums. Des papillons bariolés voltigeaient partout en portant sur leurs ailes les couleurs magnifiques des étoiles. La tendresse du vent faisait danser les arbres et chatouillaient leurs bourgeons.
“Est-ce que ce lieu vous fait rêver, Docteur ?”
“Vous savez aussi qui je suis ?” S’étonna-t-il, “qui êtes-vous au juste ?”
“Je suis Fildder’s Green en personne, mais vous pouvez m'appeler Gilbert,” répondit-il en un sourire mystérieux, “je fais partie du Songe, je sais donc beaucoup de choses, bien que certaines m’échappent encore.”
Le Docteur se rappela alors que Morpheus avait envoyé son Tardis précisément dans les jardins de Fillder’s Green. Décidément, il était long à la détente depuis sa régénération catastrophique.
“Gilbert, pouvez-vous me mener à mon vaisseau ? Je veux dire à la cabine de police bleue,” rectifia-t-il.
“Ce sera avec grand plaisir…, si vous voulez bien me suivre, votre Tardis se trouve juste derrière cette colline,” déclara-t-il en pointant du doigt le monticule vert qui se tenait à sa droite.
Le Docteur acquiesça et suivit silencieusement Gilbert. Une multitude de questions se pressaient dans sa tête. Pourquoi Morpheus était à ce point réticent à sa présence au sein de son Palais ? Devait-il repartir arpenter l’univers comme il l’avait toujours fait ? Comment se faisait-il qu’il soit autant attiré par ce Royaume et par l’Éternel qui y régnait ?
Le Docteur jugula son flot de pensées pendant quelques instants. Il voulait se livrer à la contemplation des merveilles de la nuit étoilée et des mystères de ce monde plutôt que de s’arracher la tête sur des questions sans réponse. Une infinité d'univers autour de lui, une infinité de vies qu’il avait côtoyée ou non.
“Nous sommes arrivés,” annonça Gilbert.
Le docteur sorti de sa contemplation de la voûte céleste. “Ma beauté !” S’exclama-t-il, “tu m’as tellement manquée !” Impatient, il courut en direction de son Tardis, “tu es toute neuve,” constata-t-il en examinant scrupuleusement sa cabine de police.
“J’en ai pris grand soin, car elle est arrivée dans un piteux état,” déclara Gilbert qui l’avait rejoint d’un pas plus léger.
“Je vous remercie pour votre aide ! Apparemment, le Tardis a complètement finit sa reconstruction, j’ai hâte de découvrir l’intérieur !” S’enjoua le Docteur en sortant une clé de sa poche, prêt à ouvrir la porte. Il stoppa net son geste. “Gilbert, pour vous remercier, voulez-vous découvrir avec moi la nouvelle structuration du Tardis ?”
“C’est très aimable à vous, mais je me méfie de la technologie extraterrestre et de nombreux rêveurs attendent ma visite,” répondit-il poliment.
Le Docteur hocha la tête en signe de compréhension et bien qu’un peu déçu, n’insista pas plus. Il était temps pour lui de reprendre la route. Il ouvrit donc la porte et passa le pas, mais encore une fois, il stoppa le mouvement de son corps qui resta coincé dans l’ouverture.
“Gilbert… Pensez-vous que je doive rester ?” Demanda-t-il, incertain.
“Vous seul avez réponse à cette question Docteur,” répondit-il évasivement. “Vous savez, quand Van Gogh a peint la Nuit étoilée, il a déclaré avoir une terrible clarté d’esprit, qu’il n’avait plus aucune conscience de lui-même et que ce tableau lui venait comme dans un rêve,” ajouta-t-il mystérieusement.
Le Docteur prit un moment pour réfléchir à ces mots. Il savait que Van Gogh était un peintre d’exception qui avait réussi a transformé la douleur de sa vie tourmentée en une beauté éblouissante. La douleur est facile à dépeindre, mais utiliser sa passion et sa douleur pour dépeindre l'extase, la joie et la magnificence de son monde. Personne ne l'avait jamais fait auparavant. Peut-être que personne ne le refera jamais…
Et d’un coup, tout devint clair. “Merci Gilbert, je pense savoir quelle est ma nouvelle destination,” affirma-t-il, “j’espère que nous nous reverrons un de ces jours, d’ici là, prenez soin de vous !” Sans plus tarder, il entra définitivement dans son Tardis et referma les portes derrière lui.
Morpheus était la représentation même des œuvres de Van Gogh. Lui qui considérait que les étoiles et l’univers représentaient un infini qui allait au-delà de la douleur terrestre.
“Dream, je suis désolé, je vais, encore une fois, devoir vous désobéir.”
Le Docteur prit le temps de découvrir la nouvelle apparence de son Tardis. Il ressemblait à un amas de salles sphériques disposés en cercles autour de la console de contrôle, elle-même surplombant la matrice. Le cercle était désormais délimité par un réseau de stabilisateur dimensionnel, ressemblant à des piliers. Satisfait par son inspection, le Docteur se précipita vers sa nouvelle console de contrôle. Il appuya sur un nombre incalculable de boutons, activa des leviers, puis fit tourner une manivelle.
“Geronimo !” S’écria-t-il alors que le Tardis émit un son sifflant.
À l’extérieur, Gilbert regarda la cabine de police bleue s’effacer peu à peu du paysage, un grand sourire aux lèvres.
“Il n’est pas trop tard, le Temps peut encore être réécrit.”
Entrer dans le palais de Morpheus s’avérait être une tâche plus difficile que prévu. Le Tardis se frottait visiblement à un adversaire de taille puisqu’il ne cessait d’émettre des signaux d’alerte.
“Oui, je sais, les défenses misent en place par le Seigneur des rêves doivent être particulièrement puissantes, mais ça ne nous a jamais arrêtés auparavant !” Rassura le Docteur en s’agitant dans tous les sens pour essayer de stabiliser la polarité de son vaisseau. Après moult manœuvres, il parvint à passer outre le mur invisible qui le séparait du Palais.
“Je suis un génie !” S’exclama-t-il alors que le Tardis entamait son atterrissage, “j’espère qu’on ne va pas se poser dans la chambre de Morpheus, sinon c’est le malaise assuré,” maugréa-t-il en se dirigeant vers la sortie.
Prudemment, il entrouvrit la porte du Tardis en jetant des coups d’œil à droite et à gauche. La voix semblait libre. Rassuré, le Docteur passa définitivement le pas de la porte pour prendre connaissance des lieux. Apparemment, il se trouvait dans un grand vestibule doté d'une voûte en berceau, ouvert par trois arcades fermées par des grilles métalliques et doublées d'immenses vitraux. Des panneaux de marbre gris recouvraient le bas des murs et des piliers tandis que le haut était peint en fresque.
“Je vois que non seulement vous n’obéissez à aucun de mes ordres, mais qu’en plus, mes menaces n’ont pas l’air de vous atteindre.”
Le Docteur sursauta, complètement prit au dépourvu. Néanmoins, comme à son habitude, il se ressaisit bien vite. “Il en faut plus pour m’effrayer, Seigneur Morpheus,” déclara-t-il en se tournant vers son interlocuteur. “Je suis du genre têtu et surtout, je n’aime pas qu’on me mette à la porte.”
“Je suis étonné que vous ayez survécu aussi longtemps avec une attitude aussi désinvolte,” constata Morpheus qui se tenait dans le seul coin d’ombre de la pièce.
“Je ne vous cache pas que j’ai frôlé la mort plus d’une fois, mais celle-ci ne semble pas vouloir de moi,” avoua le Docteur en haussant les épaules.
“Non, en effet… Pourquoi être revenu alors que je vous avais explicitement ordonné de ne plus mettre les pieds dans mon Royaume ?” Demanda sérieusement Morpheus.
“Eh bien, on m’appelle Le Docteur, ou le gardien, ou « dégagez de cette planète ! » quoiqu'à proprement parler ce n’est peut-être pas vraiment un nom… Enfin bref, je suis conscient de ne pas être le bienvenu, mais je veux aider.”
“Et qu’est-ce qui vous fait penser que j’aurais besoin d’une quelconque aide de votre part ? Savez-vous même comment m’aider ?” Interrogea curieusement Morpheus en entrant enfin dans la lumière.
Le Docteur observa ces mouvements d’un œil discret. “Hum… Je ne suis pas encore sûr…, pour l’instant, c'est plus une intuition” réfléchit-il tout haut, “vous avez-fait votre choix pour la clé de l’Enfer ?”
Morpheus lui jeta un regard noir. Apparemment, c'était encore un sujet sensible à ne pas aborder.
“Désolé, je n’aurais pas dû demander, c’est une question stupide,” soupira le Docteur en se maudissant intérieurement.
“C’est un choix impossible,” lui répondit surprenamment Morpheus.
“Durant mes nombreuses années à parcourir l’Univers, j’ai appris que la plupart des gens ont un moment dans leur vie où ils peuvent faire de grandes choses, c'est celui où rien ne leur semble impossible,” révéla le Docteur en se rapprochant de Morpheus. “Donc, si quelqu’un peut réaliser l’impossible, c’est bien vous, Dream…”
Encore une fois, le Seigneur des Rêves ressentit un frisson lui parcourir l’échine. “Et qu’avez-vous appris d’autre ?”
“Les contes et les rêves sont des vérités obscures qui perdureront lorsque de simples faits ne seront plus que poussière, cendres et oubliés,” murmura le Docteur.
“Shakespeare,” reconnut instantanément Morpheus.
Le Docteur remua sa tête en signe de négation. “Non, vous…,” assura-t-il,” c’est vous qui avez influencé les plus grands artistes de l’Histoire, surtout lorsqu’ils étaient au plus bas et qu’ils venaient chercher refuge dans votre Royaume.”
Le Docteur se posa tranquillement contre un pilier de marbre gris et commença à narrer une de ses aventures passées. “J’étais présent au théâtre du Globe lorsque William Shakespeare a joué Peines d’amour perdues,” entama-t-il, “le dernier acte fini, le dramaturge est arrivé sur scène devant les applaudissements de ses spectateurs et a soudainement annoncé la création d’une autre pièce, Le Songe d'une nuit d'été. Je l’ai tout de suite reconnu comme étant la pièce perdue du Barde, car aucune version n’existait alors dans l’Histoire,” énonça-t-il avec clairvoyance.
“Après de nombreuses heures passées auprès de Shakespeare, j'ai vite compris que quelque chose n’allait pas. En effet, des forces maléfiques tentaient de s’emparer de sa pièce pour canaliser de l’énergie à travers une science ancienne basée sur le pouvoir des mots afin d’utiliser leur magie," continua-t-il, “pour les vaincre et reverser le sort de la Terre, j’avais besoin du génie du maître des mots. Shakespeare était le seul à détenir un quelconque pouvoir sur les Carrionites et, de surcroît, à les empêcher de changer la fin de sa pièce.” Le Docteur marqua une pause dans sa narration.
“Je me rappelle la scène comme si c’était hier,” affirma-t-il. “Shakespeare était perdu, encore ébranlé par la perte de son fils, il n’arrivait pas à trouver les bons mots pour mettre fin au sortilège et contrer le sort des sorcières. Alors, je lui ai dit de croire en lui-même, de croire en ses rêves.”
Le Docteur. - Quand vous êtes enfermés dans votre chambre et que vous rêvez, les mots viennent tout seuls, n'est-ce pas ? Comme par magie. Des mots qui ont le bon son, la bonne forme, le bon rythme. Des mots qui restent gravés à jamais. Alors, allez-y, improvisez !
Shakespeare. - Mettez fin à ce vacarme haineux, à cette terrible décomposition, à la dégradation de votre complot de sorcières. Vous qui m'avez volé mon esprit, vous qui me considérez comme votre jouet. Espèces de spectres immondes, cessez votre spectacle ! À des êtres vulgaires et vils, qui ne comptent même pas, l'amour peut prêter la noblesse et la grâce. Sachez qu’il n'est pas nécessaire que les choses se soient produites pour être vraies. Les contes et les rêves sont les ombres-vérités qui perdureront quand de simples faits seront poussière et cendres, et oubliés. Je vous bannis comme des vagabonds maudits.
Le Docteur revint au moment présent en reprenant progressivement ses esprits. “Shakespeare, malgré la perte de son fils, a réussi à trouver les bons mots en tendant un miroir à celles qui voulaient lui imposer la fin de sa pièce. Peut-être est-il temps pour vous, Dream, de tendre un miroir à ceux qui voudraient vous imposer l’enfer…, et les choix impossibles.”
Un long silence s’ensuivit. Chacun semblait méditer sur les mots qui avaient été prononcés et chacun étaient plongés dans des moments vécus à un certain moment de leur vie.
“Vous m’avez donné beaucoup à réfléchir, Docteur,” déclara solennellement Morpheus. “Vous pouvez rester ici cette nuit… Malheureusement, je n’ai plus de chambre de disponible et je suis trop épuisé pour en créer une nouvelle, mais j’ose imaginer que vous avez ce qu’il faut dans votre Tardis.”
“Bien sûr ! J’ai tout ce dont j’ai besoin dans mon Tard-...,” le Docteur s’arrêta en plein milieu de sa phrase et un sourire éclatant vint illuminer son visage. “Vous me demandez de rester ?” Insista-t-il tout excité.
“Bonne nuit Docteur,” déclara simplement Morpheus alors que les coins de sa bouche se relevaient à moitié. Puis, il lui tourna le dos et s’enfonça dans une des arcades qui composaient le vestibule.
“Bonne nuit Dream !” Répondit tardivement le Docteur qui digérait encore le fait qu’on lui permettait de rester au sein du Palais, “faîtes de beaux rêves…”
Chapter 7: Jeux de Pouvoir
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Évidemment le Docteur n’avait rien dormi de la nuit, ce n’était pas comme s’il avait besoin de se reposer de toute manière. Dire “bonne nuit”, pour lui, était plus une suggestion polie qu’une nécessité biologique. Les Seigneurs du Temps avaient besoin de dormir à un moment donné, mais le Docteur pouvait aisément se passer de sommeil pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avec un peu de méditation légère de temps en temps. Il possédait tout de même une sorte de chambre à coucher si on pouvait la nommer ainsi tellement elle était peu utilisée et prenait trop souvent la poussière.
"Le sommeil, c'est pour les tortues," marmonna le Docteur en cherchant pour la énième fois un livre spécifique dans sa vaste bibliothèque, “où est donc passé ce fichu bouquin ? J’étais pourtant sûr de l’avoir rangé par là !” Rouspéta-t-il contre sa mémoire qui semblait encore lui faire défaut.
La bibliothèque du Tardis était certes moins impressionnante que celle du Royaume des Rêves, mais elle n’en restait pas moins une sorte d’illusion d’optique avec des étagères qui disparaissaient au loin. Aux yeux des moins curieux, elle ne comptait que quatre étages, avec une architecture détaillée et de nombreux rayonnages à chaque niveau. La bibliothèque n'avait pas un aspect moderne, mais plutôt ancien, avec un mobilier en bois de noyer foncé rappelant les styles architecturaux médiéval et victorien. Elle contenait plusieurs bureaux et abat-jours, et les étagères paraissaient bien organisées et ordonnées avec quelques tiroirs verrouillés.
“Ah, le voilà !” S’exclama-t-il, enfin victorieux. “Conventions et Traités de la Proclamation de l'Ombre,” lut-il à haute voix en dépoussiérant le bouquin définitivement trop peu réquisitionné.
La Proclamation de l'Ombre était littéralement la police de l'espace. Ils avaient pour responsabilité de faire respecter la Loi Galactique, mais leur juridiction pouvait aller plus loin et ils pouvaient décider de déclarer une guerre à travers l'univers. C’était une force d'ordre si puissante qu'elle établissait des règles qui faisaient hésiter des armées massives à les enfreindre.
Le Docteur était à la recherche d’un article en particulier et commença à feuilleter l’épais livre qui avait plus l’apparence d’un vieux grimoire. “Article 29.8 : l'utilisation et la création de guerriers Gelem est banni ; article 57 : la destruction d'une planète de niveau 5 si aucune infraction n’a été commise est prohibée ; clause 374 : le vol d'un artefact de grande valeur culturelle légitime l'utilisation de la force létale afin d'assurer le retour de l'artefact,” enchaîna le Docteur en faisant virevolter les pages, comme s’il avait seulement besoin de poser son regard dessus pour en saisir le contenu. “Je connais déjà tout ça,” maugréa-t-il, “où est ce maudit article… Ah ! Ça y est ! Je l’ai trouvé !” Annonça-t-il triomphant.
“Article 11 : il est interdit aux Seigneurs du Temps d’approcher ou de rentrer en contact avec les entités que sont les Éternels sous peine de sanctions d’une gravité sans nom.” Le Docteur accusa le coup. “C’est tout ? Il n’y a rien d’autre de spécifié ? Aucune indication à suivre en cas de rencontre involontaire ?” Déplora-t-il en laissant tomber brusquement sa tête contre le coin d’une étagère.
Il était donc en train de commettre un autre acte impardonnable. Dans ce cas, pourquoi aucun membre de la Proclamation de l’Ombre n’était encore intervenu ? Si côtoyer un Éternel était interdit et même complètement prohibé, pourquoi le Tardis n’avait pas émis de son d’alerte ? Pourquoi le téléphone d’urgence à l’extérieur de la cabine n’avait pas sonné ? Le Docteur referma le vieux grimoire en un claquement sec.
“Eh bien, si personne ne vient perturber mes plans, je ne vois pas pourquoi je devrais m’arrêter en si bon chemin !” Conclut-il en décidant que rien ne l’empêchait de faire plus ample connaissance avec Morpheus.
Soudain, il entendit toquer contre la porte de son Tardis. “Docteur ? Êtes-vous là ?” Demanda une voix calme, mais ferme qu’il identifia comme étant celle de Lucienne. Étonnement, le Docteur avait les sens beaucoup plus développés que ses prédécesseurs. Il possédait notamment une vue particulièrement fine et une mémoire eidétique, parvenant à scanner une scène entière en quelques secondes pour en relever d'infimes détails dont il extrapolait de véritables hypothèses.
“J’arrive Lucienne ! Une petite minute !” Hurla-t-il, ayant bien conscience que la distance qui les séparait était considérable. Sans perdre une seconde de plus, il se dirigea rapidement vers sa salle de contrôle, traversant aisément les nombreuses salles qu’abritait le Tardis.
“Me voilà !” S’exclama-t-il en arrivant à bon port, “je suis ravie de votre visite !” Déclara-t-il en ouvrant la porte avec une légère courbette pour accueillir son invité.
“Enfin !” Se réjouit Lucienne, “je pensais que vous étiez encore tombé dans votre piscine”, se moqua-t-elle gentiment en resserrant sa prise sur le bouquin qu’elle semblait toujours transporter avec elle.
“Sachez que j’ai un parfait équilibre et que ce qui est arrivé la dernière fois n’était qu’un malencontreux accident,” rétorqua-t-il avec un sourire en coin. “Alors, que me vaut cette visite surprise ? Voulez-vous explorer les merveilles dont regorge mon Tardis ?” S’enquit-il, des étoiles plein les yeux.
“Je vous remercie pour cette invitation, mais je vais devoir décliner,” s’excusa-t-elle, “hélas, un devoir plus important m’attend, d’où ma présence ici,” dévoila-t-elle mystérieusement.
“Que se passe-t-il ? Votre maître vous donne encore du fil à retordre ?” Interrogea le Docteur en imaginant facilement que Lucienne devait souvent avoir la vie dur aux côtés du très exigeant Seigneur des Rêves.
“Hé bien, effectivement, le Seigneur Morpheus va annoncer sa décision finale concernant la clé de l’Enfer…,” exposa-t-elle d’une voix grave, “et je me demandais si vous vouliez assister à cette prise de parole,” conclut-elle en un regard plein d’espoir.
“Je suis très honoré que vous ayez pensé à moi pour un événement si important, mais je crains que ma présence ne soit plus un poids qu’une véritable aide,” avoua le Docteur en s’appuyant confortablement dans l’encadrement de la porte.
“J’insiste, je pense que vous minimisez votre importance au sein de ce Royaume,” signala Lucienne, “pour commencer, vous êtes une des rares personnes à avoir tenu tête au Seigneur Morpheus, de plus, vous ne vous êtes pas débiné quand il vous a menacé, vous êtes revenu…,” remarqua-t-elle avec une once d’admiration. “Peu de gens peuvent en dire autant, c’est pour cela que je pense que votre présence est essentielle. D’une manière ou d’une autre, je sais que vous apporterez beaucoup à mon maître.”
“Vu comme ça, je ne peux refuser !” Décida le Docteur en se redressant d’un coup, prit d’un regain d’énergie. “ Dans ce cas, qu’attendons-nous ? Je ne suis pas du genre à arriver en retard à une soirée !” S’exclama-t-il.
“C’est l’aube…,” lui apprit Lucienne avec amusement.
“Peu importe ! Il est l’heure de l’apéro quelque part dans l’univers ! Montrez-moi la voie !” Affirma-t-il plein d’entrain.
“Très bien, je vous prie de me suivre,” répondit-elle poliment en l’enjoignant, d’un geste de la main, à marcher à ses côtés.
Le chemin ne fut pas long étant donné que Lucienne devait connaître par cœur les moindres recoins du palais tandis que le Docteur n’avait toujours pas la moindre idée de comment se repérer. Ensemble, ils s’engagèrent dans un immense hall d’entrée, déjà remplit par la foule. Parmi elle, le Docteur reconnut la Princesse du Chaos, les ambassadeurs de la Reine des Fées, Dame Nuala et son frère, Cluaracan, le Seigneur Azazel ainsi qu'Odin, Père de Tous, avec ses deux fils. Tous étaient concentrés sur ce qui se passait dans un endroit particulier de la salle et ainsi personne ne semblait avoir noté sa présence.
Le Docteur laissa délicatement tomber son corps un des imposants piliers de marbres et suivit Lucienne du regard. Celle-ci alla immédiatement rejoindre son maître qui se tenait en haut d’un majestueux escalier en albâtre, dominant la salle comme à son habitude. Sa fine silhouette ressortait comme une ombre découpée par les lumières orangées de l’aube qui venaient pointer le bout de leur nez derrière un immense vitrail taillé en demi-cercle.
“Merci à tous d’avoir patienté. Veuillez m’excuser pour le retard,” introduit courtoisement Morpheus. “Mais je suis sûr qu’aucun de vous n’aurait voulu d’une décision précipitée,” ajouta-t-il en fixant l’assemblée qui lui faisait face. Toujours impassible, aucune émotion ne venait déformer les traits parfaits de son visage.
“Je l’avoue, je suis tenté d’accéder à la requête de la reine Titania. Que l’enfer reste vide,” commença-t-il en descendant de l'escalier pour aller à l’encontre des représentants du clan des Fées. Cependant, il se détourna bien vite de ces derniers. “Mais le Seigneur Azazel m’a convaincu que démons et damnés devaient avoir un foyer. Un refuge.” Dame Nuala sembla très déçue, mais ne dit mot. “Mais ce territoire ne pourrait être gouverné que par quelqu’un dont l’unique ambition est de les servir,” continua Morpheus en appuyant avec force sur chacun de ses mots.
“Donnez-moi la clé, qu’on en finisse,” menaça Azazel, impatient d’avoir son dû.
Morpheus lui jeta un regard emplit de dédain et lui tourna le dos tout en continuant son discours. “Un chef dont la sagesse et la sagacité lui feraient voir que l’enfer ne pourra jamais être une extension de son royaume.” Il passa devant Odin, Père de Tous, et d’un simple regard, il lui fit comprendre que ses mots lui étaient destinés en particulier.
“Car l’enfer est le reflet des cieux. Ils se définissent l’un l’autre. Sans enfer, le paradis n’a aucun sens.” Morpheus avait traversé tous les clans durant son monologue et tous le regardait avec un mélange de rage, de méfiance, d’indignation et d’appréhension. Mais il n’en avait cure, sa décision était prise quelles qu'en soient les conséquences.
“C’est pour ça que je suis obligé de le confier à ceux qui servent au nom des cieux.” Susano-O-No-Mikoto s’inclina face à lui, pensant sûrement que la clé lui revenait. Mais Morpheus regarda en direction du plafond. “Remiel, Duma. La clé est votre” déclara-t-il d’une voix profonde. Les deux anges se regardèrent perplexe, mais gardèrent le silence.
“J’ai pris ma décision. J’espère que cela ne causera de préjudices à personne,” conclut Morpheus en se retournant face aux membres des différents clans qui étaient venus plaider leur cause depuis un jour entier.
“Et à vous, cela n’en causera pas ?” Demanda farouchement le Seigneur Azazel. “Je connais vos règles. Vous nous avez offert l’hospitalité à notre arrivée. Vous ne pouvez faire de mal à aucun de nous,” constata-t-il en s’avançant dangereusement vers le Seigneur des Rêves. “Même si je dévore l’âme de votre bien-aimée,” termina-t-il en un rictus assassin.
“Ce que tu dis est vrai, Azazel,” admit Morpheus, “mais…, j’ai offert l’hospitalité à tous mes invités. À ceux que je connaissais…, comme aux autres,” clarifia-t-il en jetant un rapide coup d’œil au Docteur. “Alors oui, vous êtes sous ma protection. Tout comme la reine Nada. Et je ne la laisserai pas souffrir,” déclara-t-il en défiant Azazel du regard.
Ce dernier lui rit au nez. “Très bien. Si vous la voulez…” Son corps se déforma pour laisser apparaître une dimension obscure remplie de monstres brumeux aux crocs acérés. “Alors, venez la chercher !” Gronda-t-il de sa nouvelle voix, désormais caverneuse.
Comme la fois où il avait espionné la conversation entre Morpheus et Azazel, le Docteur vit une bouche s’ouvrir entièrement pour dévoiler une fine membrane derrière laquelle se débattait la même femme. Nada, se rappela-t-il.
“Kai’ckul !” Cria-t-elle d’un ton emplit de détresse.
En la voyant se débattre de toutes ses forces pour sortir de cette prison faite de tissus membraneux, le visage de Morpheus se crispa et ses yeux s’illuminèrent de millier d’étoiles.
Il se dirigea d’un pas conquérant vers Azazel et, malgré les mâchoires aux dents tranchantes qui le menaçaient, il attrapa la seule main libre de Nada et commença à tirer de toutes ses forces pour la libérer.
“On va y arriver ! Il suffit de s’y mettre à plusieurs,” assura le Docteur qui s’attaquait vigoureusement à l’épaisse enveloppe de peau qui empêchait la libération de Nada. Personne ne l’avait vu venir, encore moins Morpheus.
“Que faites-vous là ?” Hurla-t-il en réponse, “je ne vous ai pas demandé de m’aider !”
“Je ne vous aide pas vous, mais cette jeune femme !” Répliqua-t-il en attrapant l’autre main de Nada. “Mettez-y un peu du vôtre, voulez-vous ?” Jugea-t-il avec un sourire en coin.
Ensemble, ils tirèrent aussi fort qu’ils purent et après un effort collectif, ils réussirent à extraire Nada de sa prison. Sous le coup de la force déployée, elle fut projetée quelques mètres plus loin. Allongée sur le sol, elle semblait complètement démunie et encore terrifiée par les êtres démoniaques qui l’avaient retenu prisonnière. Heureusement, Lucienne vint rapidement à son secours.
“Venez, je suis là,” la rassura-t-elle en la prenant dans ses bras.
Voyant que la situation était sous contrôle, Morpheus et le Docteur se retournèrent face à la monstruosité qu’était devenu le Seigneur Azazel.
“Je renonce à votre hospitalité. Vous êtes à moi, Seigneur des Rêves. Je vais pouvoir vous dévorer à ma guise,” déclara-t-il d’un ton orageux. On pouvait presque deviner sa multitude de gueules béantes se lécher les babines.
Le Docteur n’en cru pas ses oreilles. Comment ça Morpheus était à lui ? C’était tout bonnement inacceptable. Il estima qu’il était temps pour lui de sortir le grand jeu et de mettre son adversaire hors course. Il s’interposa donc entre les deux antagonistes.
“Oh, vous aimez vous prendre pour un dieu, mais vous n'êtes pas un dieu. Vous n'êtes qu'un parasite. Un dévoreur de péchés qui se nourrit de la jalousie, de l'envie, de la perte, de la mort et de la peine. Alors, allez-y. Dévorez-moi. J'espère que vous avez un gros appétit parce que j'ai vécu une longue vie et j'ai vu pas mal de choses. J'ai fui la dernière Grande Guerre du Temps, j’ai été témoin de la fin des Seigneurs du Temps. J'ai vu la naissance de l'univers et assisté à sa fin, minutes après minute, jusqu'à ce qu'il ne reste rien. Ni temps, ni espace. Seulement moi ! J'ai vu des univers où les lois de la physique étaient régies par l'esprit d'un fou. J'ai vu des galaxies geler et des créations se consumer. J'ai vu des choses que vous ne pouvez même pas imaginer. J'ai perdu des choses que vous ne pouvez pas comprendre. Et je sais des choses. Des secrets qu’il faut taire. Des connaissances qu’il ne faut pas révéler. Des connaissances qui feraient brûler n’importe quels démons ! Alors, allez-y ! Avalez mon âme et régalez-vous !” Proclama-t-il en offrant son corps aux gueules immondes qui se jetaient déjà sur lui. La dernière chose qu’il vit fut le regard incrédule de Morpheus alors qu’ils disparaissaient tous deux dans un tourbillon de ténèbres.
“Vous êtes le bienvenu en enfer, Docteur, puisque les démons règnent à présent sur le Monde des Rêves,” rugit la voix sinistre d’Azazel.
Tout autour de lui, des hurlements de douleur et des cris d’agonie vinrent lui vriller les tympans tandis qu’un goût de sang lui envahit aussitôt la bouche. Mais le Docteur n’avait pas peur. Bizarrement, il ressentait la présence de Morpheus à ses côtés, comme si une douce lueur l’entourait généreusement pour apaiser son âme.
“Oh Azazel,” manifesta une voix d’outre tombe. Un coup de tonnerre vint éclairer les ténèbres et le Docteur distingua partiellement la silhouette menaçante du Seigneur des Rêves.
“Où êtes-vous ?” Paniqua Azazel, bien conscient que quelque chose n’allait pas.
“Quelle imprudence d’avoir voulu m’attaquer. Ailleurs, peut-être. Mais pas ici,” déclara calmement Morpheus en apparaissant aux côtés du Docteur dans un nuage de sable au centre du hall d’entrée sous les regards sidérés de l’assemblée.
“Je suis ici chez moi. C’est mon lieu de pouvoir. La réalité ici est conforme à mes intentions,” mentionna-t-il en tenant fermement entre ses mains un sablier dans lequel se débattait la dimension obscure d’Azazel et de ses démons brumeux aux crocs acérés. Ceux-là mêmes, il y a encore quelques secondes, si menaçants, étaient désormais inoffensifs et prisonniers du Temps.
“Maintenant, y a-t-il quelqu’un d’autre ici à qui ma décision pose un problème ?” Questionna Morpheus d’un ton menaçant.
La plupart des membres de l’assemblée baissèrent les yeux en signe de soumission et si les autres avaient une quelconque revendication, ils n’osèrent se prononcer. Un silence de plomb régnait dorénavant en maître dans le hall d’entrée.
“Bien,” approuva Morpheus, grandement satisfait par le manque de réaction des différents chefs de clans.
Le Docteur regarda le Seigneur des Rêves avec une admiration non dissimulée. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas rencontré un Être doté d’un si grand pouvoir et d’un charisme d’une froideur si envoûtante. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas été autant fasciné par quelqu’un.
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