Chapter Text
Un voile de neige s’étendait sans merci sur la capitale de Kanbal, depuis à peu près trois jours, ayant commencé avec une très grosse tempête de neige. L’hiver était là pour rester un autre bon quatre mois. Une faible lumière illuminait l’intérieur d’un bâtiment en cette soirée hivernale, dans la partie orientale de la ville du roi, près du palais royal. C’était là où les gardes, les vassaux et les lanciers du roi vivaient avec leurs familles. Il y avait plusieurs bâtiments en pierre assez grands pour être considérés comme des maisons et des manoirs, tous alignés en une longue rangée dans la rue.
Alika redressa les yeux et se les frotta avant de regarder par la fenêtre. Elle s’étira sur sa chaise, brisant sa concentration de sur son travail de couture. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle cousait, mais elle décida de prendre une pause, écoutant les recommandations des esprits familiers qui l’accompagnaient depuis sa naissance, ou depuis un moment de sa vie. Un coup de pied se fit sentir derrière son nombril et elle posa sa main sur son gros ventre dur.
« Ah ! tu vois ? résonna la voix de sa Grand-Mère Torogai à ses oreilles. Même le petit te dit de prendre une pause ! »
La fille de Balsa fit un petit sourire gênée.
« Je croyais que tu étais trop occupée à voyager parmi les différentes dimensions spirituelles, Grand-Mère, répondit Alika à haute-voix.
- C’est bien ce que je fais ! se vexa l’ancienne Chamane. Mais vu ton état, je ne peux pas vraiment me permettre une petite pause.
- Je suis capable de me défendre spirituellement, tu le sais bien.
- Chut ! »
Alika haussa les épaules, espiègle et regarda Torogai s’asseoir sur le divan, dénichant de l’alcool Kanbalese fait à base des fruits yukka. Elle replaça son châle beige crème sur ses épaules pour se garder au chaud, puis se leva lentement, équilibrant le poids de son ventre avec le reste de son corps et marcha vers la fenêtre de cuisine en passant devant deux lances accotées contre le mur. Son pouce gauche se tortillait nerveusement sur son annulaire gauche, caressant le mince jonc en or, sertie de minuscule luishas et d’hakuma. Les marches grincèrent. Un petit garçonnet âgé de deux ans se montra le bout du nez. Il avait les cheveux bruns, avec une petite mèche de cheveux blonds et ses yeux bruns étaient tout petits, comme lorsqu’on se réveillait pendant la nuit.
« Qu’est-ce que tu fais debout, mon cœur ? demanda Alika en marchant vers son fils. »
Il leva ses petits bras bien hauts, demandant à se faire prendre et trouver la chaleur des bras de sa mère. Elle le souleva de terre, et le positionna, de sorte à l’appuyer sur ses hanches, son ventre prenant trop de place pour le moment, et replaça quelques mèches de ses cheveux hors de sa visions. Elle lui baisa le front maternellement.
« C’est encore un de ces cauchemars ? le questionna-t-elle.
- Oui... des serpents...
- Il fait trop froid à Kanbal pour que les serpents viennent te chatouiller les orteils. »
Le petit garçon frissonna et enfouit son visage dans son cou.
« Mamie dort en haut, pourquoi ne pas aller dormir avec elle ?
- Non. Avec Maman... »
Alika sourit et échangea un regard avec Torogai. Elle prit place sur la chaise berçante proche de la cheminée, prit une couverture qu’elle plaça sur lui et se mit à le bercer tout en fredonnant une berceuse. Elle termina sur ce petit poème que Balsa lui avait si souvent répété quand elle était plus jeune.
« Je t’aimerai toujours. La nuit comme le jour. Et tant que je vivrai, tu seras mon bébé. »
Lorsqu’elle le sentit bien endormit et apaisé, elle se redressa doucement et monta les escaliers en bois. L’étage supérieure comportait plusieurs pièces, dont trois chambres : la chambre des maîtres, celle des enfants et celle des invités. Il y avait une pièce réservée pour la salle de jeux, une pour les travaux manuels et enfin, une chambre à débarras. En arrivant dans la chambre des enfants, sur la pointe des pieds, Alika remarqua que Balsa dormait avec sa fille plus âgée, Lujia, cinq ans. Elle déposa son fils dans son lit, prit une peluche en forme de chèvre qui avait appartenue à tante Yuka, quand celle-ci gardait Balsa en étant enfant, et la colla contre son menton avant de remonter la couverture. Les draps derrière elle s’agitèrent.
« Hmm... C’est toi, Alika ? murmura Balsa en se redressant.
- Oui, je venais recoucher Jolan. »
Balsa se redressa lentement et quitta la chaleur du lit. Ses cheveux, poivre-sel, mais tirant plus sur la blancheur, étaient toujours attachés en une queue de cheval basse.
« Je me suis endormie avec Lujia parce qu’elle m’a demandé de lui raconter mes aventures, expliqua la lancière. J’ai sombré dans le sommeil. Tu devrais te ménager, ma chérie, chuchota-t-elle alors qu’elles sortaient de la chambre.
- Il reste encore deux semaines avant la naissance. J’ai cousu presque toute la soirée. Mais mon mari n’est toujours pas rentré...
- Tu ne peux pas dormir sans lui, n’est-ce pas ?
- Je pourrai, mais je ne peux pas m’en empêcher quand il fait tempête. Et s’il restait coincé dans la neige ou avait abusé de l’alcool et n’arrivait pas à ouvrir la porte ?!
- Ça n’arrivera pas. Je suis là. »
Depuis qu’Alika était devenue mère, Balsa voyageait de Yogo à Kanbal pour assister sa fille quand elle était sur le point de donner naissance. Tanda avait aussi assisté aux deux premières naissances de ses petits-enfants, mais pour cette dernière grossesse, comme c’était l’hiver et que les commandes pour des remèdes contre le rhume augmentaient, il n’avait pas pu se libérer. Balsa lui avait donc promis qu’elle irait en son nom. Elle se servit un thé chaud avec la bouilloire au-dessus du feu avant de prendre place sur le divan. Torogai la voyant presque s’asseoir sur ses cuisses, changea de place.
« J’arrive à peine à y croire, avoua Balsa.
- De quoi ? voulut savoir Alika en prenant place sur la chaise berçante.
- Ma grande fille est rendue à trente-trois ans, déjà, et bientôt trois enfants. »
Alika sourit doucement en perdant son regard dans le feu. Si on lui avait dit, des années auparavant, qu’elle finirait par guérir, se marier et avoir des enfants à cet âge-là, elle aurait sans doute ri au nez de ces personnes. Ce n’était juste pas le bon moment. Mais désormais, c’était évident. Elle avait toujours son sang de guerrier dans les veines et cela ne l’avait pas empêché de réaliser ses rêves et de se poser. Elle se sentait heureuse et en paix avec elle-même. Une main se posa sur la sienne. Elle n’était pas physique, c’était celle d’un esprit.
« Toujours en train de regarder à quel point tu t’es améliorée, Alichoue’ ? résonna la voix de la femme dans sa tête. »
Elle ferma les yeux et sourit tendrement. C’était un des avantages de voir les esprits et Amaya l’accompagnait partout depuis leur retrouvaille. Elle était même devenue la gardienne spirituelle de sa fille aînée, Lujia. Alika revit tout le long et dur chemin qu’elle avait accomplis pour en arriver jusque-là, et elle n’avait aucun regret de ses choix passés. Un jour à la fois, comme lui avait souvent répété Tante Yuka.
* * *