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Carte maîtresse

Summary:

Réécriture de la scène dans la mini-série TV où Vera et Philip attendent, en peignoir, dans le couloir du manoir tandis que les chambres des invités sont fouillées afin de retrouver un revolver disparu...

Work Text:


La vie est joueuse puisqu'elle sait compter les cartes
Mais dans ma manche se cache un cinquième as
Tout se mélange, ici les hommes et les femmes
L'alcool et les corps, des glaçons dans les flammes

Kyo, Le Graal


Ils savait qu'il avait tué. Il s'en fichait. Du moins, jusqu'à ce que son passé de mercenaire ne le rattrape. 

 

La nudité ne le dérangeait visiblement pas le moins du monde, puisqu'il s'étirait d'une posture arrogante près de Vera. 

 

A en juger par le regard qu'elle portait sur lui, l'effet escompté était atteint. L'avantage du désir : impossible de mentir, de tricher, de fausser le jeu. On peut le provoquer, mais on ne peut pas le simuler, encore moins le dissimuler. 

 

Qu'elle mente sur toute la ligne, depuis le début, peu importe. Qu'elle mente sur son apparence de femme proprette bien que de basse extraction ou même qu'elle mente sur la raison pour laquelle elle se trouvait dans cette maison, parmi une foule de meurtriers déguisés, peu importe. 
Dès le premier jour, dans ce train, alors qu'ils ne se connaissaient pas encore, cette attirance les rapprochait. 

C'était une distraction bienvenue. Traquer, tuer, abandonner pour survivre, rien de tout cela ne le dérangeait. Il était en paix avec sa  conscience, ne cherchait pas à nier ses actes contrairement aux autres. Seulement, l'expédition en Afrique du Sud avait laissé des traces indélébiles sur lui. Hypervigilance, instinct aussi aiguisé que la lame de rasoir dont il se servait dans ses appartements afin de rester présentable, nuits agitées.

Et, depuis qu'il était ici, dans ce manoir, le sentiment constant d'être dupé sans pouvoir mettre la main sur cette pièce manquante du tableau. Irritant comme une piqûre d'insecte qu'on n'arrive pas à atteindre.

 

Vera le faisait renouer avec ses instincts primitifs, les appliquant à une cour toute différente. Cela ne pouvait qu'affûter son intuition, surtout que celle de la jeune secrétaire, suivant la logique du poème, s'avérait, de manière troublante, juste. Il savait que le risque de s'impliquer dans une telle relation, sans garantie de confiance entre eux - elle pouvait aussi bien être le tueur à l'origine de cette mascarade, après tout, ayant peut-être pointé en premier vers les indices logiques des meurtres pour se disculper de tout soupçon, qu'en savait-il ? - pouvait lui porter préjudice, mais il commençait à comprendre qu'il s'en fichait. 
Il voulait une aventure, qu'elle se tienne en compagnie d'une fausse innocente cherchant protection ou d'une tueuse à l'esprit dérangé. Peut-être même que cela l'exciterait. 

Ils se sentaient proches, tous les deux. La mort circulait encore, fichée dans leurs veines. Ils ne faisaient pas partie de ceux qui tuent par accident, par négligence ou par conviction. Ils ne faisaient pas non plus partie de ceux qui tuent brutalement, sur un coup de tête, un coup de sang. Restait les raisons les moins charitables, les plus troubles, celles qui vont jusqu'aux tréfonds de l'âme humaine et n'en retirent qu'une poignée de noirceur. Si vous êtes suffisamment chanceux pour y trouver autre chose que du vide, s'entend.

Ils faisaient partie des chasseurs. Au fond, tout au fond, ils assumaient le crime, ne se constituaient absolument pas victimes de leurs actes. Ces êtres-là ne ressentiraient jamais de peine ou de remords. Il n'y avait donc plus que deux camps pour eux : les  opportunistes et les planificateurs. De là, leur appartenance était aisée à deviner.

Quelles que soient les raisons, lui et elle étaient pareils.

Dangereux.

Létaux.

 

Une partie de son esprit s'inquiétait du pistolet qu'on lui avait confié. Son absence laissait entendre la remise en jeu de son destin, remis à sa place avec celui des autres, sans possibilité d'échapper à sa fin.

 

Impossible. Il ne comptait pas mourir si facilement, même sans arme afin de se défendre. 

 

Vera pouvait encore être le meurtrier qu'ils recherchaient tous. L'absence de son arme dans sa chambre et le parfum de séduction qui l'attirait à elle ne prouvaient rien. Elle aurait pu cacher l'objet ailleurs en attendant de commettre le prochain meurtre. Par ailleurs, il sentait que la séduction était son moyen de trouver refuge. Elle semblait sincèrement penser qu'il la protégerait du péril qui les attendrait. 

 

Si c'était elle : l'avoir près de lui constituerait un atout sérieux. Si elle s'amusait, elle pouvait toujours envisager de l'épargner. Ou il pourrait la persuader d'arrêter son petit manège avec la comptine macabre, par n'importe quel moyen. Si ce n'était pas elle : il la protégerait, là aussi, par n'importe quel moyen. Et il débusquerait l'assassin. Il le tuerait. Ils pourraient s'échapper. 

Il n'y avait jamais que les trop faibles pour assumer leurs actes, ceux qui s'accrochaient aux lambeaux détruits de leur morale, qui méritaient de mourir. Ce n'était plus qu'une question d'instinct de survie, dans ce jeu sinistre. Ce ne serait pas leur fin ; il en était persuadé.

 

Il avait longuement débattu de tout cela, et le résultat de cette réflexion fut, comme à son habitude, instinctif. Il ne se trompait jamais avec les gens.

Elle le désirait. Il ne se refuserait pas une telle proposition. 

 

— Voyez-vous cela, Miss Claythorne... persifla-t-il à voix basse, lui renvoyant un regard appuyé. 

 

Il la jaugeait, appréciant ce qu'il voyait, exactement comme elle quelques dizaines de minutes plus tôt, lorsqu'il l'avait surprise à le reluquer lorsque l'on passait sa chambre au peigne fin. Rien qu'il n'avait déjà fait par lui-même, dans un sens comme dans l'autre.


Vera avait dévoilé ce qu'elle portait sous sa robe de chambre : un maillot de bain de laine rouge, taillé d'une pièce. L'écarlate tranchait vif avec la pâleur de sa peau, attirait l’œil.

Elle l'avait revêtu juste pour lui. Si ce n'était pas un aveu ! 


Il avait bien écouté sa petite histoire larmoyante. C'était le maillot avec lequel elle avait raconté avoir tenté de repêcher le petit Cyril des flots mortels de l'océan vivant, en vain. Elle avait perdu du même coup l'enfant dont elle avait la garde, la confiance de son employeuse, et Hugo, son amant de l'époque, très attaché à son neveu. 

 

Elle ne se laissa pas démonter, s'offrant au regard noir d'encre de l'homme dans le couloir, confirmant ce qu'il pensait.

 

— Mr Lombard... murmura-t-elle, sentant la tension monter. La correction, en réaction, fut immédiate.

 

— Philip. 


— Vera. 

 

Son nom dans sa bouche sonnait-il comme le timbre de son ancien amant endeuillé ?...

 

Cela lui fit une sorte d'effet, en tout cas. Il le vit : elle sombrait, hypnotisée par ses prunelles brillantes, un puits de noirceur. L'air entre eux sembla se rétrécir, chargé d'une sorte d'électricité.

Habitué à cueillir sa proie d'un mouvement souple, ne lui laissant pas le temps de s'échapper, il ne fit pourtant pas le moindre geste, observant ses réactions, l'évidence du désir s'épanouir sur leurs corps, dans leurs respirations de plus en plus profondes, haletantes, leurs torses se soulevant par à-coups, les yeux chargés d'intentions...

 

Ces yeux dévorants qui laissaient progressivement afficher son envie à elle de l'attaquer lui...

 

Les siens mi-clos, épousant chacune des lignes de sa silhouette fine et fluide, contre ceux de Vera, grands ouverts, mais moins pétrifiés que pétrifiants.

C'était le signe qu'elle n'avait rien en commun avec ses proies habituelles. Avec une proie de manière générale. Un autre aveu, perdu dans le secret d'un échange visuel.

Idée pour le moins intéressante, qui aurait pu être concrétisée, car de plus en plus, au fil des secondes, Philip sentait la faim qui émanait d'elle se renforcer, nourrissant la sienne...

 

...quand l'inspecteur Blore, alias Joufflu, sortit de la chambre de Vera les mains vides, sans savoir qu'il avait rompu un instant suspendu à quelques encablures.

 

Vera se détourna sitôt que l'inspecteur fit son apparition, afin de ne pas risquer d'être suspectée de quoi que ce soit. Les jeux d'alliances et les stratégies étaient soigneusement scrutées par tous les invités de la maison - par méfiance, mais aussi par envie d'être le dernier à mourir, par fantasme de s'échapper de cet endroit vivant. De triompher de l'implacable. 

 

Ce n'était que partie remise. Il n'était pas encore certain de gagner, mais il comptait bien y arriver. L'atout était peut-être déjà dans sa manche. 


Ce soir, il le saurait.